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5. Le concept de communion selon les Pères

5.2. La communio chez les Pères latins

Chez les Pères écrivant en latin, nous retrouvons assez fréquemment le vocabulaire de communio-communicatio-communicare pour exprimer diverses réalités ecclésiales. Il convient de remarquer, dès le début, que le latin patristique privilégie communicatio et communicare à

communio ; sans doute pour accentuer davantage l’élément actif et

dynamique dans l’Eglise. C’est ainsi, par exemple, que la Vulgate de Jérôme n’emploie que deux fois communio (dont une seule fois dans le Nouveau Testament), en lui préférant nettement communicatio utilisé cinq fois1. Il en va de même pour Tertullien qui utilise rarement

communio, mais se sert volontiers des termes communicatio et communicare2.

De manière générale, chez les Pères latins semblablement aux Pères grecs, le vocabulaire de communio et communicare (ou communicatio) se rapporte aux liens multiples qui unissent les fidèles à Dieu et entre eux, dans l’Eglise conçue comme une communio organique et vivante. Il s’agit souvent d’une participation commune des croyants à tout ce que Dieu ne cesse de leur communiquer à l’intérieur de l’Eglise. Communio exprime ainsi l’union à l’Eglise, avec le partage de la foi, du culte, des

sacrements, et jusqu’à l’entraide matérielle des frères3. Un texte de Tertullien l’illustre bien :

… oui, nous partageons (communicamus) avec eux [les fidèles de toutes les Eglises fondées par les apôtres] le droit au baiser de paix et le nom de frères. Entre eux et nous, c’est une seule et même foi : un seul Dieu, le même Christ, la même espérance, les mêmes rites sacramentels du

1

Dans l’Ancien Testament, communio se trouve dans Si 9, 20 où il n’a pas d’équivalent littéral dans le grec. Dans le Nouveau Testament, communio traduit koinônia en He 13, 16. Dans les autres cas, la Vulgate traduit koinônia par societas – 9x ; par communicatio – 5x ; par participatio – 1x ; par collatio – 1x. L’adjectif koinonos est rendu par communicator, socius ou participes ; le verbe koinonein par communicare et par participem fieri. La liste complète avec les indications des endroits est donnée dans DEWAILLY, L.M., « Communio – Communicatio. Brèves notes sur l’histoire d’un sémantème », Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques, 1 (1970), 49. 2

Quelques emplois typiques chez TERTULLIEN : De praescr. 43, 5 : PL 2, 58-59 ; De virg. Vel. 2, : PL 2, 891.

3

baptême ; en un mot, nous sommes une seule Eglise. Ainsi, tout ce qui est aux nôtres est à nous ; autrement, on divise le corps1.

Dans ce texte, l’Eglise apparaît comme une communion multiforme, totale et indivisible fondée sur la participation de tous les fidèles aux mêmes réalités dont elle est la détentrice et la dispensatrice. Les biens auxquels communiquent les membres de l’Eglise sont nombreux : la foi, la prière, la charité, la fraternité, la paix, etc. Ils réalisent tous la communion des fidèles en–un–seul–corps. Les chrétiens du monde entier et de tous les temps constituent une communauté unique car ils ont tous part à tout ce que Dieu leur communique dans et par l’Eglise. C’est précisément cette participation commune aux mêmes biens spirituels et matériels qui permet aux chrétiens de se reconnaître membres d’une Eglise unique et universelle qui traverse toute l’histoire et le monde entier, et où tout ce qui est aux nôtres est à nous. Tertullien semble insister particulièrement sur la paix et la fraternité qui sont pour lui le ciment de la communion des fidèles au sein de la communauté ecclésiale. Il attribue aussi un rôle important à la vie morale conforme aux préceptes de l’évangile, comme étant une expression de l’unité de l’Eglise2. Dans le texte que nous avons cité, il mentionne le baptême parmi les éléments essentiels de la communion ecclésiale, mais n’évoque pas l’eucharistie ce qui semble quelque peu surprenant ; certains y voient l’argument de silence car, dans l’ensemble de son œuvre, l’eucharistie se présente comme la perspective ultime de son ecclésiologie et de sa morale3.

Pour Augustin, l’Eglise est une communio sanctorum qui se construit par la communio sacramentorum et plus spécialement par la communio

eucharistica : c’est quand tous les fidèles partagent un même pain et

participent à une seule coupe autour du même autel (communicare

altari) que se forme et se manifeste le Chrisus totus, caput et corpus4.

1

Le voile des vierges, 2, 3 : PL 2, 891 (SCh 424, Paris, 1997, 135). 2

Mais là où est Dieu, là se trouve la crainte de Dieu, qui est le commencement de la sagesse ; et là où est la crainte de Dieu, on trouve aussi le sérieux de la vie, le zèle scrupuleux, le soin empressé, le choix attentif, la communion mûrement pesée, l’avancement dû aux loyaux services, la soumission religieuse, le zèle du service divin, la modestie de la démarche, et l’Eglise unie, et tout y est de Dieu (Traité de la prescription contre les hérétiques, 43, 5 : PL 2, 58-59 ; SCh 46, Paris, 1957, 150). 3

DEWAILLY, L.M., Op.cit., 51, surtout, la note de bas de page n°19. 4

AUGUSTIN, Serm. 57, 7: PL 38, 389 ; Serm. 227: PL 38, 1099. Augustin emploie souvent l’expression Christus totus pour exprimer l’idée de l’Eglise unie à son chef et ne

La participation commune à ces trésors spirituels exprime et réalise la communion de l’Eglise dans le don du salut qu’ils communiquent. Par conséquent, l’Eglise elle-même apparaît comme la communio qui résulte de la communicatio de la vie divine aux chrétiens. La communion des fidèles dans l’Eglise est enracinée dans le Christ qui, par les sacrements, les fait vivre de sa propre vie. Cette Ecclesia–Communio est le corps du Christ animé par son Esprit. Le Christ est le communicator du salut, l’Esprit est le communicator des dons du Père : ces dons concrétisent ce salut et, par eux, l’Eglise se manifeste comme une communio gratiae dans laquelle chacun est participens des biens de la générosité divine1. Dans l’Eglise, il y a donc la communication aux biens du salut dont la source se trouve en Dieu, et auxquels les membres du corps du Christ communiquent grâce à son Esprit. C’est grâce à cette communication de la vie divine que l’Eglise est une communio.

Tant Tertullien qu’Augustin conçoivent la communio comme une réalité ecclésiale multiforme qui s’enracine en Dieu, se communique surtout dans les sacrements et s’exprime dans une vie fraternelle entre les fidèles nouée dans la paix.

5.3. La communion : vie partagée – éléments du concept chez les