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3. La quatrième Conférence mondiale de la Foi & Constitution

3.2. L’Eglise selon Montréal

L’Assemblée de Nouvelle Delhi a ajouté une mention trinitaire à la base doctrinale du Conseil Œcuménique des Eglises. Face à cette modification, la Conférence de Montréal a ajouté quelques harmoniques trinitaires dans ses élaborations ecclésiologiques, notamment dans le Rapport de la Section I : L’Eglise dans le dessin de Dieu. L’Eglise y est présentée dans le cadre d’une économie trinitaire du salut : c’est le Père qui envoie son Fils (Incarnation), le Fils qui sauve (Pâque) et l’Esprit qui sanctifie (Pentecôte)1. L’Eglise apparaît ainsi comme le résultat d’un

acte total de la Trinité : voulue par Dieu dans son dessein salvifique

envers les hommes, elle a été fondée historiquement par le Christ et vit continuellement dans le monde grâce à l’Esprit-Saint2. L’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité, sont des dons que Dieu le Père accorde à l’Eglise en Christ et par l’Esprit3.

Même s’il faut saluer et apprécier ces harmoniques trinitaires, il faut également reconnaître que, de manière générale, l’ecclésiologie de Montréal est encore profondément christologique. L’Eglise est présentée surtout comme le corps du Christ – mort et ressuscité pour notre salut –, dont les membres participent à la mort et la résurrection de la tête4. Passant par le mystère pascal, le Seigneur a libéré l’homme de tout esclavage et l’appelle sans cesse à la vie de créature nouvelle en lui. Cette vie implique l’obéissance à son évangile, le témoignage rendu au Christ devant le monde, et la solidarité avec tous les hommes, notamment ceux qui souffrent de la pauvreté, de discriminations et

1 Montreal. Report, n°17, p. 44. 2 Ibid., nos17-18, p. 44. 3 Ibid., n°23, p. 45. 4 Ibid., nos11-12.

d’exclusions de toutes sortes1. A l’instar du Seigneur qui a brisé les murs de séparation entre les hommes (cf. Ep 2, 14), l’Eglise est appelée à être un espace d’amour fraternel où les gens vivent en communion les uns avec les autres et manifestent ainsi l’unité du corps du Christ2. Cette ecclésiologie de corps du Christ était convenable à l’époque pour pouvoir dépasser la vision fédérative de l’unité préconisée au cours des premières années au sein du Conseil, mais dont les principes mêmes étaient inexorablement contestés par les orthodoxes. Elle correspondait bien également aux positions doctrinales catholiques permettant ainsi un rapprochement entre le Conseil et l’Eglise romaine qui se lançait dans l’œcuménisme avec le Concile. Dans l’optique du corps du Christ, l’Eglise apparaissait non pas comme une fédération de communautés locales, mais comme une communion des saints de tous les âges et de tous les lieux, et qui participaient tous à la vie divine que le Christ–tête leur communiquait par son Esprit dans l’unité de son corps ecclésial3. Selon Montréal, l’Eglise vit et se renouvelle continuellement grâce à la présence agissante en elle de l’Esprit Saint4. C’est par l’Esprit que le Christ lui-même se rend présent pour son peuple chaque fois que la parole de l’évangile est proclamée et que les sacrements sont administrés5. Ces moyens de l’action salvifique du Seigneur ressuscité dans l’Eglise, sont à la fois des événements et des institutions6. Puisque

la présence de Dieu nous est rendue réelle par des moyens institués, il ne doit y avoir aucun jeu du charisme et de l’institution l’un contre l’autre7. C’est ainsi que, vivant dans le monde, l’Eglise qui est une, sainte, catholique et apostolique, possède une dimension charismatique et une dimension institutionnelle : elle est à la fois un événement pneumatique et une structure terrestre8. Malheureusement, comme nous l’avons déjà mentionné, cet aspect important de la constitution de l’Eglise en ce monde n’a pas été suffisamment développé dans le Rapport final, malgré une longue et riche étude sur l’institutionnalisme

1 Ibid., nos13-15. 2 Ibid., n°16, p. 44. 3 Ibid., n°24, p. 45. 4 Ibid., n°20, p. 45. 5 Ibid., n°19, p. 45. 6 Ibid., n°20, p. 45. 7

Since God’s presence is made real to us through instituted means, there must be no playing of charisma and institution against one another (Ibid., n°21, p. 45). 8

présentée aux participants1. C’est peut–être là le plus grand regret de la Conférence, étant donné la grande qualité du travail préparatoire accompli par la commission d’étude. La discussion autour de l’institutionnalisme a manifesté de grandes divergences entre les traditions sur la conception de l’Eglise et sa constitution en ce monde ; divergences dont la plupart ne sont pas encore résolues quarante ans après Montréal.

Dans le prolongement de la déclaration de Nouvelle Delhi, la Conférence de Montréal a insisté sur la dimension locale de l’unité de l’Eglise. Citant le texte des Actes 2, 42 – Ils se montraient assidus à

l'enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières –, le Rapport de la Section V définit

l’Eglise locale comme une congrégation de croyants vivant en un lieu donné2. La communauté locale est la forme de base de la vie de l’Eglise dans le monde3. Chaque communauté locale est une manifestation en un lieu donné de l’Eglise du Christ à condition que s’accomplissent en elle les éléments qui déterminent l’identité chrétienne, notamment la foi en Christ, le baptême et l’eucharistie. L’ecclésiologie de Montréal valorise la qualité et l’identité cultuelles de l’Eglise locale – elle est avant tout une communauté de baptisés, rassemblée dans un lieu donné pour écouter la parole de Dieu et célébrer le repas du Seigneur4. Tout rassemblement de chrétiens de ce type peut être appelé Eglise locale5. Cependant, le Rapport lui-même reconnaît l’ambiguïté de cette conception de l’Eglise locale, puisqu’elle peut être appliquée aussi bien à un groupe œcuménique qu’à une paroisse orthodoxe ou à un diocèse catholique. C’est pourquoi la Conférence recommande que ce problème

1

Institutionalism and Church Unity, Association Press and SCM Press, 1963. 2

Ibid., n°143, p. 80: It [the local church] is a gathering of believers in Jesus Christ under the leadership of the apostles, in a particular place, yet committed to a mission to the whole world.

Notons que dans son ensemble la Déclaration utilise indifféremment les termes Eglise locale (local Church) et congrégation (Congregation). Pour parler de la communion, elle emploie tantôt le terme anglais fellowship tantôt le terme grec koinonia en transcription anglaise.

3

Ibid., n°162b (… an essential form of church life…). 4

Ibid., n°147: By the ‘local congregation’ we mean the local fellowship of Christians gathered for the hearing of the word and the celebration of the Lord’s Supper according to Christ’s ordinance (cf. n°24, p. 45).

5

soit étudié et que les clarifications ultérieures soient apportées sur la compréhension de l’appellation Eglise locale1.

Par la foi, le baptême, la prière et l’eucharistie qui déterminent l’identité chrétienne, chaque communauté est mystiquement reliée aux autres communautés locales à travers le monde2. Toutes les communautés locales dispersées à travers le monde forment la communion ecclésiale universelle (Una Catholica). Cependant, afin qu’elles puissent se reconnaître en pleine communion visible entre elles, il faut qu’elles accomplissent toutes les conditions d’unité annoncées dans la déclaration de Nouvelle Delhi (le baptême chrétien, la foi apostolique, la vie communautaire marquée par le dévouement mutuel, l’unité avec les autres communauté dans la prédication de l’évangile, la prière et l’eucharistie, l’unité dans le témoignage et la diaconie, la reconnaissance mutuelle des membres et des ministères, les prises de position et l’action communes)3.

La congrégation locale est aussi le lieu où la communion des chrétiens est continuellement testée face à toutes sortes de tensions (ecclésiales, raciales, idéologiques, politiques, sociales, économiques, etc.), qui sont des causes potentielles de ruptures entre les membres4. Les divisions ne concernent pas uniquement la vie interne d’une communauté locale, mais aussi différentes communautés locales confessionnelles de chrétiens vivant en un seul lieu ; c’est au niveau local que le scandale des divisions est le plus visible et le plus douloureusement ressenti par les croyants5. Afin de grandir ensemble jusqu’à la plénitude de la communion visible, les Eglises de différentes dénominations doivent s’engager toujours plus pleinement dans le dialogue doctrinal au niveau local, et entreprendre des actions communes visant au dépassement de leurs divisions6.

1

Ibid., n°151. 2

Ibid., n°147 (identity of existence in Christ). 3

Ibid., n°152 (Le paragraphe cite textuellement la déclaration de Novelle Delhi). 4

Ibid., n°144. 5

Ibid., n°145. 6

Ibid., n°146. La Conférence de Montréal a examiné la question de l’unité dans la perspective Eglise locale – Eglise universelle. Cependant, elle s’est vite confrontée au problème de la signification ecclésiale des différentes dénominations chrétiennes. En reconnaissant que ce thème exigeait des études approfondies, elle a fait, toutefois, les remarques suivantes : 1) le concept de dénomination n’existe pas dans le Nouveau Testament qui emploie le mot ecclesia soit pour dire Eglise locale soit pour dire Eglise

Malgré les séparations qui déchirent l’unité de la communion visible, il y a une communion mystique qui existe déjà entre les chrétiens dans le corps du Christ et qui est inaltérable. Cette communion invisible est enracinée dans la foi, scellée sacramentellement par l’unique baptême, et nourrie continuellement de l’eucharistie. C’est surtout en vertu de la foi en Christ–Sauveur que tous les chrétiens appartiennent déjà à la communion de son Eglise qui surpasse toutes les dénominations. Pour approfondir leur communion visible, les chrétiens des différentes Eglises, vivant côte à côte, sont appelés à grandir œcuméniquement dans la foi commune en s’enrichissant réciproquement dans leur compréhension des vérités révélées1. A côté de la foi, le baptême – qui fait participer à la mort et à la résurrection du Christ – est un lien fondamental de communion des chrétiens malgré leur appartenance à

des communautés locales de dénominations différentes2. Cette

communion fondamentale de l’Eglise, ancrée dans la foi en Christ– Sauveur et scellée par le sacrement de baptême, s’exprime et s’approfondit dans la célébration du culte qui unit les chrétiens à Dieu et entre eux. Toute communauté locale célèbre le culte dans la communion des saints (communio sanctorum) de l’Eglise universelle. Notamment, la célébration de l’eucharistie est un acte de culte de toute l’Eglise qui manifeste et réalise la communion des chrétiens en Christ, malgré les douloureuses divisions institutionnelles qui persistent encore entre leurs Eglises respectives3. L’unité eucharistique surpasse les structures organisationnelles des Eglises, en soudant déjà les chrétiens de diverses traditions en une communion mystique dans le corps du Christ. Toutes les Eglises sont d’accord pour dire que l’Eglise tout entière est présente dans la communauté locale réunie pour la célébration du culte eucharistique. L’eucharistie est la source et le sommet de l’unité des

universelle, 2) les dénominations ont été instrumentales dans le développement de nouvelles formes du christianisme et de nouvelles manières de comprendre le message évangélique, 3) elles ont aussi été une source de rivalités et de conflits entre les chrétiens, 4) le système dénominationnel ne peut pas être regardé comme une forme essentielle de la vie de l’Eglise (nos161-162).

1

Ibid., nos156-157. 2

Ibid., n°154. 3

Ibid., n°154: Holy communion is also the act of the Church in which the churches break the one bread with the Lord himself present. Thus in spite of our painful separation at the Lord’s Table we have communion in him who gives himself in every act of communion.

chrétiens ; toute autre expression de l’unité n’est qu’une manifestation visible de la communion que les chrétiens ont déjà en Christ, par la participation à son corps et à son sang dans le repas du Seigneur1. Pour cette raison, l’unité de l’Eglise est à chercher non seulement dans

l’adaptation des structures communes mais surtout dans la koinônia de véritable culte eucharistique dans lequel l’Eglise catholique tout entière est manifestée2.

Cependant, le Rapport reconnaît que l’unité eucharistique n’est pas encore possible pour tous les chrétiens. La majorité des communautés locales de confessions différentes vivant dans le même endroit ne se sentent pas encore prêtes à la célébrer ensemble. Pour manifester visiblement leur unité fondamentale dans le corps du Christ, elles sont néanmoins appelées à accomplir ensemble tout ce qui leur est possible selon le degré actuel de la communion ecclésiale3.

* * *

La Conférence s’est penchée sur un grand éventail de thèmes doctrinaux, allant de la théologie trinitaire à l’ecclésiologie en passant par la christologie, la liturgie et les Ecritures saintes. Elle n’a formulé aucune déclaration spécifique sur l’unité. Sur le champ de l’ecclésiologie, elle était surtout préoccupée à apporter des clarifications doctrinales aux déclarations de Toronto et de Nouvelle Delhi. Sa contribution essentielle consiste à avoir souligné la dimension trinitaire de l’Eglise, à avoir développé le thème de la localité dans ses divers aspects, et à avoir insisté sur la dimension cultuelle, notamment eucharistique, de la vie de l’Eglise locale. Toutefois, dans l’évolution doctrinale de l’ecclésiologie, elle n’a pas apporté de développements significatifs.

1

Ibid., n°25: All of us [churches], however, would emphasize the presence of the Whole Catholic Church in true Christian worship in such ways that there can be no higher unity than that of which we partake around the Lord’s Table, and every other form of unity can only be justified as an expression of that fundamental unity.

2

Ibid., n°25: …we affirm that the unity of the Church is to be found not only in the merger of denominational structures but even more profoundly in the koinônia of true Eucharistic worship, where the whole Catholic Church is manifested.

3

Ibid., nos158-160. En relation avec cette recommandation, la partie B : The Churche’s involvement in a divided sociéty (nos163-174) et la partie C :The mission of the peuple of God in each place (nos175-188) du Rapport de la Section V, font une analyse de la vie du monde et énumèrent plusieurs champs d’activité où elles peuvent collaborer, malgré l’état imparfait de leur communion actuelle.

4. La quatrième Assemblée mondiale du Conseil Œcuménique