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4. La quatrième Assemblée mondiale du Conseil Œcuménique

4.3. Les appréciations et les critiques

Ce qui frappe dans le Rapport sur la catholicité, c’est surtout le caractère très existentiel de la présentation. Ce texte reflète bien l’état d’esprit de l’époque marquée par une véritable soif œcuménique de beaucoup de chrétiens voulant s’unir à tout prix, dans leur vie, malgré les différences doctrinales entre leurs Eglises. Le Rapport tient compte de cette volonté chrétienne populaire en exhortant fréquemment les Eglises à manifester visiblement la catholicité de leur communion en Christ à travers des actes concrets. Sans doute, l’apport essentiel de l’Assemblée d’Upsal dans la discussion doctrinale sur l’unité consiste à avoir approfondi le thème de la catholicité dans une perspective existentielle. Cependant, pour la même raison, le document manque parfois de profondeur théologique et, par endroits, court le risque de réduire l’unité ecclésiale au plan des relations purement extérieures entre les communautés confessionnelles, ou à une coexistence fraternelle des chrétiens de dénominations différentes sans que la pleine catholicité soit atteinte dans la doctrine, la vie sacramentelle et les structures institutionnelles. La dimension extérieure de la catholicité, c’est–à–dire la communauté visible in Ecclesia, ne semble pas être suffisamment harmonisée avec sa

dimension intérieure, c’est–à–dire la koinônia spirituelle in Christo.

C’est ainsi que cet exposé s’est vu reprocher d’être un mélange de

1

WENGER, A., Upsal, le défi du siècle aux Eglises, Paris, 1968, 87. 2

visions juxtaposées que chacun pouvait interpréter à sa propre façon1. Il a aussi été dit que le Rapport n’était pas très nouveau dans ses affirmations et que, pour cette raison, il ne faisait pas progresser la discussion œcuménique autour de la catholicité. On lui a reproché une grande insouciance dans l’emploi des termes : l’archevêque Basile, de l’Eglise orthodoxe russe, l’a critiqué pour la manière ambiguë dont il se servait du mot Eglise, en l’appliquant sans distinction tantôt à l’Eglise du Christ – dans laquelle la plénitude de catholicité était toujours acquise de manière inaltérable –, tantôt aux diverses Eglises confessionnelles sans que ces deux acceptions soient spécifiées2. Dans le même sens, une déléguée de l’Eglise réformée des Pays-Bas, a remarqué qu’il confondait fréquemment la notion de catholicité avec celles d’unité et d’universalité3. Un autre délégué orthodoxe a estimé que le texte souffrait d’imprécision sur les notes de l’Eglise4.

De manière générale, pour les orthodoxes, ce texte était trop centré sur la vision sociologique de la catholicité et attribuait une place insuffisante à la présentation de ses conditions théologiques nécessaires. L’accent y était mis sur ce que l’on pouvait appeler l’aspect quantitatif de la catholicité : l’Eglise était présentée comme une communion des chrétiens vivant dispersés dans une multitude de communautés locales plus ou moins hétérogènes, mais exprimant leur unité par différentes formes de la vie conciliaire avec, au sommet, le concile universel multidénominationnel vers lequel elles devaient tendre par leur engagement œcuménique. Comme nous l’avons vu plus haut, l’Assemblée d’Upsal a lancé l’idée de convoquer un tel concile dans lequel seraient représentés tous les chrétiens, et qui pourrait parler au nom de toutes les Eglises ; le jour où les Eglises y parviendront marquera la fin de l’œcuménisme.

Dans le Rapport, la catholicité est mise en relation avec l’action de l’Esprit-Saint dans l’Eglise. Dès le titre, la référence à l’Esprit-Saint voulait souligner que la catholicité possédait un caractère dynamique5.

1

Il s’agit d’un délégué de l’Eglise orthodoxe de Serbie, V. Rodzianko (Upsal. Rapport, p. 6).

2

Upsal. Rapport, p. 6. 3

Remarque faite par Ellen Flesseman van Leer (Upsal. Rapport, p. 6). 4

WENGER, A., Op. cit., 87. 5

Le titre original du projet était simplement La catholicité de l’Eglise (cf. WENGER, A., Op. cit., 82).

C’est par la force de l’Esprit que l’Eglise se répand sur toute la terre en s’adaptant continuellement aux conditions changeantes du monde et aux nouveaux défis de l’histoire en marche. Cet aspect temporel et concret de la catholicité, en rapport avec la catholicité sécularisée du monde, a été particulièrement apprécié par le délégué de la Fédération des Eglises protestantes de la Suisse, Hans Ruh. Selon lui, les Eglises devraient veiller à ce que leur catholicité ecclésiale ne reste pas en deçà de la

catholicité du monde1. Il a également qualifié le Rapport sur la catholicité comme le meilleur des rapports des sections. Cependant, d’autres ont répondu qu’il ne fallait pas exagérer le lien de l’Eglise avec le monde car l’Eglise existe dans le monde par ses membres : c’est en eux qu’elle est catholique et non pas en dehors d’eux2. C’est pourquoi, l’Eglise, même plongée dans le monde, ne peut pas se confondre avec le monde dans sa recherche de la pleine catholicité ; elle est envoyée dans le monde pour le sauver et non pas pour se dissoudre en lui. L’archevêque Athenagoras du Patriarcat œcuménique de Constantinople a remarqué que le caractère dynamique de la catholicité a surtout été traité dans le contexte de la marche historique de l’Eglise mais pas assez par rapport à sa vocation eschatologique et sa nature profonde3. De ce fait, le Rapport avait parfois tendance à présenter la catholicité comme un idéal vers lequel l’Eglise devait tendre, c’est–à–dire une qualité qu’elle ne possédait pas encore et qu’elle devait acquérir par les multiples efforts communs des chrétiens. Dans ce sens, le président de la Section I, l’évêque Karekin Sarkissian, l’a présentée, dans son introduction, comme une vocation à assumer4. Un participant de l’Eglise méthodiste des Etats-Unis a dit que la note de catholicité se référait à la plénitude d’unité de l’Eglise du Christ et qu’aucune des Eglises actuelles vivant encore en état de séparation entre elles ne pouvait prétendre l’avoir réalisé pleinement à elle-même5. Cette opinion a été vivement critiquée par un participant de l’Eglise arménienne, qui a rappelé que la catholicité était un don de Dieu pour son Eglise et que, elle constituait, de ce fait, une donnée doctrinale inhérente à la

1 Upsal. Rapport, p. 7. 2 Ibid., p. 8. 3 Ibid., p. 7. 4

Remarque du président de la Section, l’Evêque Karekin Sarkissian (Upsal. Rapport, p. 3).

5

conception de l’Eglise ; donnée dont il fallait tenir compte dans la discussion sur cette note. Selon lui, dans la perspective orthodoxe, il n’est pas possible d’envisager la catholicité comme une qualité que l’Eglise ne posséderait pleinement que lorsque tous les chrétiens seront réunis dans une communauté ecclésiale visiblement unie. Il a ajoutait, que pour un orthodoxe, l’Eglise du Christ est catholique ou n’est pas1. Des orthodoxes ont également insisté sur le fait que la catholicité ne pouvait se comprendre correctement qu’à la lumière de l’apostolicité : seules les Eglises locales qui ont préservé la continuité historique et ontologique avec l’Eglise que le Christ a fondée sur les apôtres, peuvent se reconnaître comme catholiques aujourd’hui, et seule la communauté de telles Eglises peut représenter la communauté catholique dans le monde. Le lien intime entre la catholicité et l’apostolicité a été également souligné par d’autres participants. Selon l’évêque K. Sarkissian, le sens apostolique de la catholicité, rend ces deux qualités

interdépendantes, inséparables ; en fait, il s’agit de deux formes complémentaires d’existence et de témoignage2. Puisque l’apostolicité se réfère à la continuité historique de l’Eglise du Christ dans un monde qui change sans cesse, le caractère dynamique de la catholicité est mieux mis en valeur lorsque les deux notes sont maintenues ensemble dans le discours théologique.

En raison du caractère terrestre de l’Eglise et à cause d’une grande variété de contextes socio–culturels dans lesquels vivent les chrétiens, la catholicité doit être considérée comme une forme de l’unité chrétienne universelle, respectueuse de la diversité et ouverte aux valeurs positives que les Eglises ont à échanger entre elles et que le monde a à offrir aux Eglises. Cependant, les Eglises reconnaissent que certains particularismes peuvent engendrer la division. C’est pourquoi, il est nécessaire de distinguer entre une bonne diversité qui enrichit l’Eglise dans sa vie et l’aide à accomplir sa mission dans diverses conditions du monde, et une mauvaise diversité qui obscurcit son caractère catholique et la conduit à perdre son identité. On a rappelé que les diversités étaient admissibles dans la mesure où toutes les communautés de l’Eglise vivant dans les conditions variées demeurent pourtant unies dans la foi, les sacrements, le ministère et le témoignage3.

1

Upsal. Rapport, p. 5; cf. WENGER, A., Op. cit., 83. 2

Upsal. Rapport, p. 4. 3

De même, il faut mettre la catholicité de l’Eglise dans la perspective de la vocation missionnaire des chrétiens envoyés dans le monde pour faire des disciples de toutes les nations (cf. Mt 28, 19)1. Selon une parole de l’évêque Sarkissian, le mot de catholicité, s’il est isolé de l’obéissance

missionnaire, c’est une vaine relique2. Ici encore, la catholicité prend une dimension dynamique, car le même évangile doit être transmis de telle manière que les gens de diverses cultures puissent le comprendre et y adhérer ; quant aux sacrements, ils doivent être célébrés dans des rites qui soient significatifs pour leurs destinataires. La catholicité de l’Eglise ne doit jamais être comprise comme une uniformisation de sa vie. Toutefois, une unité fondamentale est nécessaire : un groupement de communautés dissociées et sans liens réels de communion entre elles ne pourra jamais prétendre être une communauté catholique.

Outre la foi, les sacrements, le ministère et le témoignage, il a été souligné qu’une unité éthique était également nécessaire. En effet, la catholicité de l’Eglise devait se manifester encore dans le fait que les chrétiens, tout en vivant dans des sociétés différentes, représentaient tous les mêmes valeurs morales fondamentales puisées dans l’évangile du Christ. Cette catholicité morale de l’Eglise avait devant le monde l’importance d’un signe prophétique, annonçant la récapitulation de toute l’humanité dans le Christ3. Comme l’a dit un intervenant, une

Eglise qui n’est pas sainte et qui n’exerce pas un pouvoir purifiant, sanctifiant, sur sa propre vie et la vie du monde, ne peut jamais être pleinement catholique4. Selon une remarque de M. Wagner, de l’Eglise réformée de France, cette sainteté doit se manifester non seulement dans la vie personnelle de chaque chrétien, mais également dans différents domaines de la vie publique, comme la politique, l’économie, le social, etc., que les chrétiens doivent imprégner de valeurs évangéliques5. Les discussions plénières du Rapport sur la catholicité ont fait voir combien les chrétiens de l’Occident protestant et ceux de l’Orient

1

Upsal. Rapport, p. 4. 2

Cité dans le commentaire du Rapport par J. Weller (Upsal. Rapport, p. 17). 3

WENGER, A., Op. cit., 87. 4

Upsal. Rapport, p. 4. 5

orthodoxe divergeaient dans leurs conceptions théologiques1. Les orthodoxes insistaient sur le fait que la catholicité était un don de Dieu toujours présent dans l’Eglise ; les protestants, qu’elle était un idéal à réaliser encore, puisque les divisions excluaient sa pleine présence dans les Eglises. Les premiers soulignaient la distinction entre l’Eglise d’un côté et le monde de l’autre ; les seconds, au contraire, insistaient sur l’interconnexion entre la catholicité de l’Eglise et celle de l’humanité. Pendant que les premiers la voyaient surtout comme une note qualitative désignant la plénitude d’ecclésialité dans une Eglise locale, les seconds l’envisageaient d’abord comme une note quantitative relative à la présence universelle de l’Eglise dans le monde.

A cause de ces perspectives doctrinales différentes dont témoignent les interventions résumées ci-dessus, l’élaboration et l’adoption du Rapport dans la Section I étaient difficiles. Dans sa tentative de trouver un consensus acceptable par tous, le texte final est devenu quelque peu vague et ambigu. Il souffre également d’une incertitude théologique due au fait que son statut officiel n’avait pas été clairement défini au départ. Pendant que certains estimaient qu’il s’agissait de préparer une déclaration œcuménique unanime sur la catholicité, d’autres pensaient qu’il fallait élaborer un outil de travail en vue d’un dialogue ultérieur sur la catholicité2. A la demande de plusieurs participants, notamment orthodoxes et luthériens, cette question a été clarifiée dans un Nota bene ajouté au Rapport. On y affirme qu’il s’agit d’un accord entre les participants, conçu comme la base et l’instrument de discussions

possibles ultérieurement sur la catholicité entre les Eglises3. A la lumière de cette précision, il serait donc contraire à l’esprit du document de le considérer comme un accord entre les Eglises membres du Conseil sur la conception de la catholicité. Cependant, malgré ses ambiguïtés et ses manquements, le texte d’Upsal témoigne étrangement d’un large consensus sur la compréhension de la catholicité auquel des théologiens de traditions différentes sont arrivés grâce à un dialogue doctrinal véritablement œcuménique ; et il faut reconnaître qu’il constituait à l’époque d’Upsal un élément nouveau dans le dialogue sur l’unité.

1

Ce fait a été souligné dans un commentaire sur le travail de la Section I par J. Weller, pasteur de l’Eglise congrégationaliste d’Angleterre (Ibid., p. 17).

2

Ibid., p. 18. 3

Sans doute, son apport le plus apprécié à l’époque était son intention

très positive, celle de lier de façon ferme le mouvement interne de l’Eglise vers son unité et le mouvement d’extraversion vers le monde1.

En considérant comment l’Esprit-Saint réalise sans cesse la catholicité ou l’universalité de l’Eglise, elle [Assemblée] a pensé découvrir une conception moins rigide et plus dynamique de l’unité2.

1

Prof. Mehl (WENGER, A., Op. cit., 81). Pour la discussion autour du Rapport voir Upsal. Rapport, pp. 5-8 ; WENGER, A., Op. cit., 82-88.

2

5. La cinquième Assemblée mondiale du Conseil Œcuménique