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7. La septième Assemblée mondiale du Conseil Œcuménique

7.6. La Déclaration de Canberra

L’Assemblée de Canberra a adopté une déclaration sur l’unité intitulée

Unité de l’Eglise en tant que Koinônia : Don et Vocation1. A la demande du Comité central du Conseil Œcuménique des Eglises, ce document avait été préparé par la commission Foi & Constitution et amendé par la Section III avant d’être votée par l’Assemblée. La Déclaration demeure en continuité avec les documents précédents du Conseil et ceux de la Foi & Constitution. Elle désigne la future unité visible de l’Eglise par le terme koinônia, employé déjà communément dans les Eglises à l’époque de la Déclaration. Elle reflète les apports du dialogue œcuménique mené par les Eglises autour du thème de

koinônia, depuis le lancement officiel de cette conception de l’unité à

Nouvelle Delhi en 1961.

La déclaration de Canberra situe le thème de la koinônia ecclésiale par rapport au dessein de Dieu qui veut réunir tous les humains dans une communion de salut dans le Christ, par l’Esprit2. Ainsi, la koinônia vers laquelle les Eglises sont appelées à tendre ensemble, est placée dans le cadre de l’unité universelle désirée par Dieu pour toute l’humanité. Sur ce point, la Déclaration reste en continuité directe avec les Assemblées précédentes (notamment celles d’Upsal et de Nairobi) qui ont déjà introduit cette dimension d’universalité dans la conception de la

koinônia. Dans la perspective du dessein divin, la réunification des

chrétiens dans une seule communauté ecclésiale n’est pas un but en lui- même, mais une condition essentielle pour que l’Eglise serve efficacement l’unification de toute l’humanité en Christ par l’Esprit- Saint. Vivant de la vie du Christ et dans la force de son Esprit, l’Eglise doit être dans et pour le monde un signe authentique et crédible de la pleine koinônia des hommes avec Dieu, entre eux et avec la création3. La communion à laquelle Dieu appelle toute l’humanité est enracinée dans l’éternelle communion de vie et d’amour qui existe entre les trois

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Publié dans Canberra. Rapport, 192-194. Etant donné que c’est un texte relativement long, nous présentons ses affirmations essentielles et nous en citons un seul paragraphe qui en constitue le cœur. Pour des analyses critiques de la déclaration par des

théologiens des différentes Eglises voir : GASSMANN, G., et RADANO, A. (eds), The Unity of the Church as Koinonia. Ecumenical perspectives on the 1991 Canberra Statement on Unity, Faith and Order Paper 163, Geneva, WCC (non daté). 2

Déclaration de Canberra, n° 1.1, p. 192. 3

personnes de la Trinité. Par la volonté de Dieu, l’Eglise est dans le monde un instrument de cette communion en réconciliant ses membres avec Dieu et entre eux. Dans son être de koinônia, elle est une réalité bidimensionnelle, qui englobe aussi bien la relation avec Dieu que la relation entre les hommes1. Sa mission s’adresse à toute l’humanité et consiste dans la réconciliation au sein d’une communauté de vie, à la fois unie et diversifiée, des races, des âges, des sexes, des rangs sociaux, etc. Malheureusement, l’efficacité et la crédibilité de la mission réconciliatrice de l’Eglise sont amoindries par les divisions au sein de la communauté chrétienne ; divisions qui sont en contradiction avec la nature et le but de l’Eglise2. Malgré ces divisions, grâce au mouvement œcuménique, les Eglises sont cependant parvenues à reconnaître qu’un certain degré de communion existe déjà entre elles, et ce fait les incite à présent à chercher des formes toujours mieux adaptées pour l’exprimer de manière visible3.

Voici, le cœur de la Déclaration, une sorte de définition descriptive de l’unité ecclésiale comprise comme koinônia :

L’unité de l’Eglise à laquelle nous sommes appelés est une koinônia qui est donnée et qui s’exprime dans la confession commune de la foi apostolique, dans une vie sacramentelle commune à laquelle nous accédons par un seul baptême et que nous célébrons ensemble dans une seule communauté eucharistique, dans une vie vécue ensemble dans la reconnaissance mutuelle et la réconciliation des membres et des ministères ; elle s’exprime enfin dans la mission par laquelle nous devenons ensemble témoins de l’Evangile de la grâce de Dieu auprès de tous et au service de la création tout entière. Le but de notre recherche sera atteint lorsque toutes les Eglises seront en mesure de reconnaître dans chacune des autres, l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique dans sa plénitude. Cette plénitude de communion s’exprimera aux niveaux local et universel dans des formes de vie et d’action conciliaires. Dans une telle communion, les Eglise sont liées les unes aux autres dans tous les domaines de leur vie commune, à tous les

1 Ibid., n°1.1., p. 192. 2 Ibid., n° 1.2, p. 192. 3 Ibid., n° 1.3, pp. 192-193.

niveaux, par la confession de la même foi, dans la célébration et le témoignage, dans les délibérations et l’action1.

Nous pouvons cerner les éléments suivants que la Déclaration présente comme constitutifs d’une telle koinônia :

-

la confession commune de la foi apostolique ;

-

la vie sacramentelle commune englobant le baptême et

l’eucharistie ;

-

la communauté de vie supposant la réconciliation entre les chrétiens ;

-

la reconnaissance mutuelle des ministères ;

-

la poursuite commune de la mission d’évangélisation ;

-

le service commun en faveur de l’humanité (diaconie) ;

-

l’engagement commun pour la préservation de la création ;

-

la reconnaissance par toutes les Eglises de la plénitude de l’ecclésialité (c’est–à–dire de l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique) dans chacune des autres Eglises faisant partie de la

koinônia ;

-

l’adoption de différentes formes de vie et d’action conciliaires aux niveaux local et universel ;

-

la communion dans tous les autres domaines de la vie

ecclésiale, notamment en ce qui concerne le témoignage devant le monde, les délibérations, la prise de décisions et l’action. L’unité recherchée par les Eglises est décrite dans les termes d’une ecclésiologie de communion, avec l’emploi fréquent du terme koinônia pour désigner la plénitude de la communion ecclésiale. Alors que la déclaration de Nouvelle Delhi a décrit l’unité recherchée par les Eglises comme une communauté pleinement engagée (one fully committed

fellowship) et le fait de se trouver en communion avec l’ensemble de la communauté chrétienne (being united with the whole Christian fellowship), et que celle de Nairobi parlait d’une communauté conciliaire d’Eglises locales (a conciliar fellowship of local churches),

la présente Déclaration parle explicitement de la plénitude de

communion (full communion) réalisée dans tous les domaines et à tous

les niveaux de la vie ecclésiale.

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L’Assemblée de Canberra marque ainsi l’adhésion définitive du Conseil à une ecclésiologie de communion. Comme nous l’avons vu, le thème de la communion a été successivement développé par le Conseil, et surtout par la Foi & Constitution dès les années soixante. Cependant, jusqu’à Canberra, il y avait toujours eu une hésitation parmi les Eglises concernant le choix d’un cadre ecclésiologique commun pour les discussions sur les modèles de l’unité visibles. Deux tendances prédominantes s’étaient fait ressentir : une de type fédératif et une de type communionnel. La tendance communionnelle avait était initiée au sein du Conseil par les théologiens orthodoxes mais c’était l’entrée des théologiens catholiques dans la Foi & Constitution qui avait été décisive pour sa propagation. Depuis Canberra, l’ecclésiologie de type fédératif, soutenue initialement par l’aile protestante et prédominante dans la première période du Conseil, a été pratiquement délaissée par le mouvement œcuménique moderne. Le développement doctrinal de la tendance communionnelle atteindra son apogée deux ans plus tard, lors de la Conférence de Foi & Constitution à Saint-Jacques-de-Compostelle (1993) qui sera consacrée entièrement à l’étude du thème de koinônia. La déclaration de Canberra développe le thème de communion dans la perspective de quatre notes traditionnelles de l’Eglise : la pleine communion sera réalisée lorsque toutes les Eglises pourront reconnaître dans chacune des autres l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique

dans sa plénitude1. De plus, dans le sillage de Nairobi, la Déclaration réaffirme que la pleine koinônia visible doit s’exprimer par des formes de la vie commune tant au niveau local qu’au niveau universel car l’Eglise est à la fois unique et composée d’une multitude de communautés locales ; entre les deux niveaux de la koinônia, il y a une osmose et une interdépendance. La Déclaration attire aussi l’attention du lecteur sur une mise en valeur de la communion dans la vie sacramentelle, considérée comme une expression de la koinônia tant au niveau local qu’au niveau universel. Enfin, le baptême est présenté comme la porte d’entrée dans cette koinônia de la vie sacramentelle, et la célébration commune de l’eucharistie comme son point culminant2. Une place d’importance est également attribuée à la diversité au sein de la communion3. La koinônia ne signifie pas l’imposition d’un seul

1 Ibid., n° 2.1, p. 193. 2 Ibid., n° 2.1, p. 193. 3 Ibid., n° 2.2, p. 193.

modèle ecclésial à l’ensemble des chrétiens. Elle doit tenir compte de la variété des contextes culturels, ethniques, historiques, sociaux, etc., dans lesquels différentes communautés de chrétiens vivent au quotidien leur foi commune en Christ. Elle suppose une légitime pluralité en organisation ecclésiale, en théologie et en liturgie. En effet, les différentes identités chrétiennes appartiennent à la nature même de la communion. La koinônia que recherche le mouvement œcuménique n’est pas une réduction contraignante de toutes les traditions chrétiennes à un seul type de la vie en Eglise, mais une intégration harmonieuse de toutes les richesses spécifiques de chaque tradition dans une communion ecclésiale universellement réconciliée. La Déclaration met pourtant des limites à la diversité en affirmant qu’il s’agit d’une diversité légitime, c’est–à–dire qui ne nuit pas à la communion. Les diversités illégitimes sont celles qui font obstacle à la confession commune de Jésus–Christ comme Dieu et Sauveur, et à l’annonce unanime de son évangile révélé dans les Ecritures et conservé par la Tradition ; elles doivent donc être écartées par toutes les Eglises.

Sur la base de toutes ces considérations, la Déclaration recommande aux Eglises sept défis à relever en ce moment de l’histoire du mouvement

œcuménique pour dépasser leur coexistence dans la division et

progresser ensemble vers la pleine réunification visible1 :

-

la reconnaissance mutuelle du baptême, fondée sur l’accord auquel les Eglises sont arrivées dans le BEM ;

-

la reconnaissance du Symbole de Nicée–Constantinople comme l’expression commune de la foi apostolique ;

-

une ouverture plus grande à la pratique de l’hospitalité

eucharistique sur la base du BEM ;

-

la reconnaissance mutuelle des ministères en référence au

BEM ;

-

l’adaptation des formes déjà possibles du témoignage commun à l’évangile dans des paroles et des actes ;

-

l’engagement commun pour la justice, la paix et la sauvegarde de la création comme l’expression de leur communion sacramentelle grandissante ;

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-

des engagements concrets des communautés locales de

confessions différentes, dans le but de manifester visiblement le degré croissant de leur communion dans la foi et la vie.

La déclaration de Canberra ne doit pas être considérée comme un accord final sur l’unité visible recherchée par les Eglises. Elle n’est qu’un nouveau pas en avant sur le long chemin vers la réconciliation définitive entre les Eglises. Elle met en relief les acquis des différents dialogues bilatéraux et multilatéraux des décennies qui l’ont précédées, et permet de mieux se rendre compte du degré actuel de la communion. Les pas concrets qui y sont proposés ne doivent pas être mis en exécution de la même manière dans chacune des Eglises, mais toutes sont appelées à s’en inspirer dans leurs relations œcuméniques. Les signataires de la déclaration sont conscients du fait que plusieurs questions théologiques demandent des clarifications. Parmi les problèmes les plus controversés, se trouvent la doctrine du ministère et celle de l’eucharistie mises en relation avec le problème de l’unité visible de l’Eglise. Au fond, se sont surtout des divergences ecclésiologiques qui constituent l’obstacle majeur dans le dialogue œcuménique.