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La terminologie de la communion (koinônia-communio) appliquée à l’Eglise, apparaît dans des écrits de théologiens œcuménistes dès le début des années cinquante1. Toutefois, elle n’a été adoptée dans le dialogue œcuménique officiel entre les Eglises qu’une dizaine d’années plus tard ; en effet, ce n’est que depuis la 3ème Assemblée mondiale du COE à Nouvelle Delhi, en 1961, qu’on la trouve dans des documents du Conseil et de la commission Foi & Constitution. A partir de cette époque, la terminologie de communion apparaîtra de plus en plus souvent dans des rapports et accords œcuméniques bilatéraux et multilatéraux et, un peu plus tard – avec le concile Vatican II –, dans le Magistère de l’Eglise catholique romaine.

L’intégration du concept de communion dans l’ecclésiologie contemporaine a coïncidé à un double changement qui s’est effectué à la fin des années cinquante et au début des années soixante, dans le dialogue œcuménique : celui de méthode, d’une part, et celui de perspective doctrinale, d’autre part. D’une méthode comparative, les Eglises sont passées à une méthode biblico–patristico–liturgique, qui faisait appel aux sources de leur foi pour tenter d’élaborer, sur ce fondement commun, une vision commune de l’Eglise. Quant à l’aspect doctrinal, la perspective christologique fondée sur la première Base

doctrinale du Conseil a été remplacée par la perspective trinitaire, après

sa modification à Nouvelle Delhi.

La méthode comparative avait été suivie par le mouvement œcuménique dès la première Conférence mondiale sur la foi et constitution de l’Eglise, à Lausanne en 1927, jusqu’à la fin des années cinquante. Son but principal était l’approfondissement de la connaissance mutuelle des différentes traditions confessionnelles, pour pouvoir identifier clairement les points de convergence et les points de divergence entre les Eglises. Cette connaissance réciproque n’était pas considérée comme

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Le père Congar – grand pionnier catholique de l’œcuménisme moderne –, a remarqué, déjà en 1950, que l’usage du mot communion était recommandable dans le dialogue œcuménique car c’est un terme chrétien, dont tout à la fois l’ampleur et le contenu se prêtent à désigner toutes les « Eglises » dont le Mouvement œcuménique cherche la réintégration en un seul corps (CONGAR, Y.M., « Note sur les mots ‘Confession’, ‘Eglise’ et ‘Communion’ », Irénikon, 23/1950, 35).

le but dernier de l’œcuménisme, mais comme une condition préalable nécessaire à l’élaboration d’une doctrine commune apte à assimiler de manière cohérente diverses traditions chrétiennes qui se sont formées au cours de l’histoire. Dès le début, il était ainsi présupposé que la méthode comparative serait abandonnée lorsque les Eglises parviendraient à se connaître suffisamment pour pouvoir entamer une sérieuse recherche doctrinale sur les questions spécifiques qui les unissaient déjà, et surtout sur celles qui les divisaient encore.

Dans la perspective du but ultime de l’œcuménisme – unité visible de toutes les Eglises chrétiennes –, l’ecclésiologie se présentait comme un champ de recherches particulièrement important. Il s’agissait de proposer une nouvelle conception de l’Eglise, conception que toutes les Eglises pourraient reconnaître comme conforme à leur foi. De toute évidence, on ne pouvait songer l’élaboration d’une telle conception à partir des présupposés doctrinaux d’une seule tradition confessionnelle ; il était de même inconcevable de partir directement de toutes les ecclésiologies particulières des Eglises engagées dans le dialogue. La solution qui apparaissait naturellement était celle de se baser sur ce qui était commun à tous. Préalablement, il fallait donc définir quel était le minimum de la foi commune sur lequel toutes les Eglises s’accordaient malgré leurs divergences. Dans la première période du mouvement œcuménique, ce minimum a été défini comme la foi en Christ–Sauveur. Dans sa première Base doctrinale de 1948, le Conseil Œcuménique des Eglises se décrit comme une communauté des Eglises qui confessent le

Seigneur Jésus–Christ comme Dieu et Sauveur selon les Ecritures1. Cette perspective christologique devait désormais orienter la recherche commune des modèles de l’unité visible. Le principe christologique dans l’ecclésiologie favorisait une conception de l’unité de type fédératif. En effet, les Eglises des confessions différentes pouvaient demeurer entièrement indépendantes et très différentes les unes des autres, sans que cela les empêche de s’associer dans une sorte de confédération sur la base de la référence commune au Christ. Finalement, malgré des différences parfois très profondes dans leurs doctrines de foi respectives, elles croyaient toutes dans le même Christ– Sauveur, bien que différemment. Cette conception associative de l’unité

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VISSER’T HOOF, W. A., Report on the Basis of the WCC. The First Assembly of the World Council of Churches, Amsterdam, August 22 – September 4, 1948, 1.

a encore été renforcée par les précisions de la déclaration de Toronto de 1950, sur la nature et le rôle du COE1. Selon ce document – marquant un grand pas dans le processus d’autodétérmination doctrinal du Conseil –, l’adhésion au Conseil n’impliquait pas l’adoption d’une conception particulière de l’Eglise, de sa nature ou de son unité. Le Conseil dans sa mission et son travail ne devait pas se fonder sur une ecclésiologie particulière et il n’exigeait aucune relativisation des ecclésiologies propres des Eglises membres. La recherche commune de l’unité au sein du Conseil ne requérait pas non plus que les Eglises membres se reconnaissent les unes les autres comme étant des Eglises au sens vrai et

plein du terme. Seule était nécessaire et suffisante l’acceptation de la

seigneurie universelle du Christ et la reconnaissance que l’Eglise du

Christ dépassait toute appellation ecclésiale particulière. Dans cette

perspective, l’ecclésiologie – selon Georges Florovsky – était surtout considérée comme un chapitre de la christologie. Une telle autodéfinition du Conseil était tout à fait compréhensible et justifiable à la lumière de sa Base doctrinale, car elle correspondait au minimum de la foi commune sur lequel les Eglises ont pu se mettre d’accord dans un premier temps. Le mouvement œcuménique a suivi ce chemin christologique dans l’ecclésiologie lors des trois premières Conférences mondiales sur la foi et constitution, qui se sont tenues à Lausanne en 1927, à Edimbourg en 1937 et à Lund en 1952.

Cependant, toutes les Eglise membres se rendaient compte qu’à long terme le seul principe christologique était insuffisant pour donner un cadre propice à l’élaboration d’une ecclésiologie commune cohérente pouvant servir de base doctrinale de la réunification visible des Eglises divisées. Avec le temps, il est devenu manifeste que le but du mouvement œcuménique ne saurait jamais être atteint sans une définition plus exacte de la foi commune ; une révision de la base doctrinale de COE s’imposait.

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WCC CENTRAL COMMITTEE, « The Church, the Churches and the World Council of Churches. Statement on the Ecclesiological Significance of the WCC », in

GASSMANN, G. (ed.), Documentary History…, 175. Remarquant, à l’occasion, que le terme de communion ne se trouve pas dans la déclaration de Toronto qui parle de l’état de relations réciproques (stat of relationhips). La déclaration est publiée dans

Kinnamon, M & Cope, B. (eds), The Ecumenical Movement. An Anthology of Key Texts and Voices, Geneva, 1997, 463-468.

En même temps, les œcuménistes engagés dans le dialogue percevaient de plus en plus clairement l’insuffisance de la méthode comparative suivie des années vingt. Une nouvelle approche méthodologique s’avérait alors indispensable pour avancer la cause de l’unité. Après avoir acquis au cours de premières décennies du mouvement œcuménique des connaissances approfondies sur leurs traditions respectives, les Eglises voulaient désormais chercher à mettre en accord leurs doctrines de foi propres sur la base des sources communes de la foi.

La Conférence mondiale du Conseil Œcuménique des Eglises à Nouvelle Delhi, en 1961, a fait franchir au mouvement œcuménique un double pas, en modifiant la Base doctrinale et en adaptant une nouvelle méthode de travail. La foi commune des Eglises membres du Conseil était désormais exprimée au moyen d’une formule trinitaire, selon laquelle, confessant la foi en Christ–Sauveur, elles s’engageaient à poursuivre ensemble le but de l’unité pour la gloire du Dieu unique, Père, Fils et Esprit Saint1. Conformément à la nouvelle méthode, et tournées ensembles vers les sources communes de la foi – notamment les Ecritures, les Pères et le patrimoine liturgique de l’Eglise indivise –, les Eglises devraient tendre au dépassement de leurs confessionnalismes doctrinaux et travailler pour l’élaboration d’une théologie commune. L’introduction de la formule trinitaire dans la Base doctrinale du COE et la nouvelle méthodologie des recherches œcuméniques ont conduit à l’émergence d’une nouvelle conscience ecclésiologique et à la redécouverte du concept de communion.

Nouveau dans le dialogue œcuménique mais enraciné dans la Bible et la Tradition commune, le mot communion correspondait bien aux exigences de la nouvelle méthodologie visant la recherche de l’unité à partir des sources communes de la foi. En effet, comme le remarque Zizioulas, aucun chrétien ne peut mettre en doute les origines bibliques

et patristiques de ce concept2. En plus, on le trouve dans des écrits des

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Le Conseil oecuménique des Eglises est une communauté fraternelle d'Eglises qui confessent le Seigneur Jésus–Christ comme Dieu et Sauveur selon les Ecritures et s'efforcent de répondre ensemble à leur commune vocation pour la gloire du seul Dieu, Père, Fils et Saint Esprit (COE, Constitution, n°1 : http://www.wcc-

coe.org/wcc/who/con-f.html, 23. 04. 2004). 2

ZIZIOULAS, J., « Eglise comme communion ». Conférence prononcée à la 5ème Conférence mondiale de FOI & CONSTITUTION en 1993, DC 2079 (1993), 823.

Réformateurs du 16ème siècle. Il s’accordait aussi parfaitement avec la nouvelle Base doctrinale : comme Dieu est koinônia – car il est un et trine à la fois –, de même l’Eglise est koinônia car elle est unique mais composée d’une multitude de personnes et de communautés particulières. A la même époque, l’emploi de la notion de communion a encore été favorisée par l’engagement officiel de l’Eglise catholique dans le dialogue œcuménique initié par le concile Vatican II, et suivi plus tard par l’adhésion des théologiens catholiques à la commission Foi & Constitution en qualité de membres ordinaires. L’importance du concile à cet égard ne consistait pas uniquement dans son ouverture œcuménique aux autres chrétiens, mais surtout dans l’intégration de la notion de communion dans sa propre doctrine sur l’Eglise. Désormais, toutes les Eglises étaient prêtes à ordonner leurs recherches ecclésiologiques – celles accomplies communément au sein du mouvement œcuménique et celles accomplies à l’intérieur de chaque tradition ecclésiale – autour de la notion de communion. Koinônia–

communio est entrée pour de bon dans le langage œcuménique, en

devenant la notion–clé autour de laquelle se sont concentrées les recherches ecclésiologiques de ces cinquante dernières années dans les Eglises et les dialogues œcuméniques. C’est dans le cadre théologique tracé par la notion de communion, que, à partir des années soixante, différents modèles d’unité seront successivement élaborés dans le Conseil Œcuménique des Eglises comme diversité réconciliée, unité

organique et communauté conciliaire.

(l’original anglais sous le titre « The Church as Communion » dans BEST, T. and GASSMANN, G. (eds), Op.cit., 103-111).

2. La troisième Assemblée mondiale du Conseil Œcuménique