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La situation de Cadix en faisait un carrefour sur les différentes routes maritimes qui unissaient l’Europe au reste du monde. Pourtant, ses échanges commerciaux avec l’Afrique, l’Amérique non espagnole et l’Asie sont particulièrement peu connus. Ce désintérêt

256 AHPC, Puerto de Santa María, 830-442, 24/04/1801. 257 AGI, Consulados, liasse 891, 16/01/1796.

258

ibidem, 16/07/1790. 259 cf . infra, p. 279.

historiographique reflète selon toute vraisemblance la réalité commerciale d’une place entièrement vouée à la Carrera de Indias, comme le suggèrent les éléments que nous avons réunis sur la question.

L’Afrique du Nord constituait une zone d’échange et de danger pour les négociants de Cadix. La course barbaresque apparaît de façon récurrente dans nos sources au travers des indemnisations qui étaient versées par leurs assureurs aux consignataires des cargaisons et des navires pris par les corsaires maures venant des côtes d’Algérie et du Maroc. Des échanges commerciaux pouvaient cependant être noués entre marchands musulmans et chrétiens pendant les périodes de trêve, notamment avec le Maroc qui entretenait des relations plus pacifiques que la Régence d’Alger avec ses voisins de la rive nord du détroit de Gibraltar. Charles Carrière a par exemple identifié la présence de « 16 régisseurs » au Maroc travaillant pour des commanditaires marseillais, ce qui prouve que des échanges commerciaux significatifs et durables existaient entre l’Europe et l’Afrique du Nord260

. Les négociants français de Cadix, plus proches de ces territoires, avaient-ils noué le même type de contacts avec le Maroc ? Aucune trace de transaction effectuée par une compagnie française avec le Maroc n’a été relevée. Quelques témoignages d’achat de blé, postérieurs à la période considérée, suggèrent cependant que de tels contacts ont pu exister261. Plus sûrement, le dépouillement des bulletins maritimes du port de Cadix, sur lequel nous reviendrons, prouve que chaque année quelques navires provenant de Mogador, Mazagan ou Tanger, chargés principalement de blé et de cire, étaient consignés à des négociants français262. Bien que seuls les consignataires des navires y soient portés, on peut penser que les maisons Lecouteulx, Lenormand et Jugla Solier, qui sont le plus souvent citées étaient également consignataires, voire propriétaires, des cargaisons de ces navires. En outre, nous savons qu’au moins trois maisons françaises disposaient d’agents résidant au Maroc. Ainsi, une correspondance adressée à la douane de Cadix en 1783 rapporte qu’à la suite d’un ordre d’évacuation des sujets français installés à Mogador, donné par le roi de France, et en vertu du recours adressé par les maisons « Cayla et Mercy » de Cadix, il a été décidé qu’elles seraient autorisées à transferir a Cádiz los efectos que tengan en las casas de sus establecimientos en el Imperio de Marruecos, à condition qu’elles déclarent lors de l’arrivée des marchandises à Cadix si

260 CARRIERE C., Négociants marseillais, op. cit., p. 978. 261

cf. infra, p. 375. 262 cf. infra, p. 142.

elles sont destinées à être réexportées ou introduites dans le royaume263. Le statut de ces « establecimientos » n’est pas précisé et il devait s’agir de filiales administrées par de simples « régisseurs », pour reprendre l’expression de Charles Carrière264. La maison Godet Ségalas semble avoir tenu le même type de comptoir à Ceuta. En effet, en août 1793, une maison établie sous la raison sociale « Veuve Ségalas et Cie » lui remet une lettre de change de 94 342 reales, tirée sur un négociant de Malaga et payable à Cadix au domicile de Barnabé Murphy265.

En ce qui concerne l’Afrique noire, l’information est encore plus incertaine. Quelques navires faisant route vers le Mozambique s’arrêtaient à Cadix et étaient consignés à des maisons françaises. Mais y avaient-elles des intérêts ? Il n’est pas impossible qu’à l’image de la maison Magon Lefer qui prête à la grosse aventure 3820 livres tournois au capitaine d’un brigantin français destiné au Mozambique et à l’Ile de France, les négociants français, consignataires ou non266, aient profité de ces escales techniques, pour placer à bord des navires quelques marchandises (ou des piastres), auprès de membres de l’équipage désireux de compléter leurs pacotilles. Cela représente cependant bien peu de choses en comparaison des sommes immenses que les maisons Verduc et Delaville ont investies à la fin des années 1760 dans la Compañía gaditana de Negros. Cette société privilégiée, basée à Cadix, avait pour objet la livraison d’esclaves aux colonies espagnoles267

. Un an après sa création (1765), les premiers associés décident d’augmenter son capital jusqu’alors fixé à 970 000 pesos répartis en 970 actions et d’élargir l’actionnariat à des maisons étrangères. Les compagnies Verduc et Delaville prennent alors respectivement 70 actions chacune et jouent un rôle de plus en plus actif au sein de l’entreprise : la première essentiellement dans le domaine financier (la faillite Verduc en 1772 révèle qu’elle disposait de 730 000 pesos d’actifs sur la Compañía gaditana de Negros), la seconde plutôt au niveau commercial, puisqu’elle permet au négrier nantais, François de Guer, beau-frère des gérants gaditans, de devenir l’un des principaux fournisseurs de la compagnie. Après la crise de 1772 au cours de laquelle la société a frôlé la faillite, l’emprise des négociants français s’accroît encore, Gil de Kerloguen

263 AHPC, Hacienda, livre 38, 10/06/1783. 264

Louis Dermigny donne quelques précisions sur l’établissement commandité par la compagnie Cayla Solier Cabanes Jugla de Cadix et la maison Rabaud de Marseille. Il a été fondé en 1776, à Mogador, sous la raison sociale Constant et Cie et il était tenu par M. Constant et un neveu de Marc Cabanes (DERMIGNY L.,

Cargaisons indiennes, op. cit., p. 36).

265 AHPC, Cadix, 4539-2505, 10/08/1793. 266

En l’occurrence, c’est la maison Delaville qui est consignataire du navire l’Amitié, cf. AN, AE-BIII, 353, états de navigation.

267 Pour l’histoire des intérêts français dans la Compañía gaditana de Negros, nous renvoyons à TORRES RAMIREZ B., La Compañía gaditana de Negros, Séville, 1973, p. 49-50, 78 et 94-95 et ZYLBERBERG, M.,

et Jean Payan, deux anciens associés de la société Verduc, devenant l’un, directeur à Cadix, l’autre, fondé de pouvoir à Madrid268

. Les affaires semblent avoir été meilleures et en 1782, le consul de France à Cadix imputait aux bons résultats de la compagnie le rétablissement des Verduc. Outre les liens étroits avec la Compañía gaditana de Negros, on peut déduire des divers intérêts croisés existant entre les Delaville de Cadix et leurs parents nantais, que les premiers devaient prendre des participations dans les armements des seconds269. Michel Zylberberg a également relevé la prise de participation de la compagnie Cayla Solier Cabannes et Jugla de Cadix dans 22 expéditions négrières armées par le négociant malouin Magon de la Lande entre 1746 et 1774270. En dehors de ces deux cas, nous ne disposons pas d’autre information relative à l’implication de maisons françaises dans les armements négriers, ce qui est en accord avec la position marginale qu’occupait Cadix dans la Traite.

Si l’Afrique a peu retenu l’attention des maisons françaises, il n’en est pas de même pour l’Amérique non hispanique, qui comprend principalement les Antilles françaises et les Etats-Unis.

Nous reviendrons sur le rôle d’escale maritime joué par Cadix pour les navires reliant Marseille aux Antilles, notamment en temps de guerre et sur l’activité qui en découlait pour les négociants français271. Relevons d’emblée les liens significatifs existant entre les maisons françaises installées à Cadix et leurs homologues implantées dans les colonies françaises. Nous avons recensé pour les années 1780, neuf procurations enregistrées en chancellerie à la demande de négociants français afin de recouvrer des intérêts pris sur des marchandises consignées à des maisons du Cap-français ou à des capitaines faisant route pour les Antilles. Les octroyants de ces procurations appartiennent à toutes les catégories de la colonie française : au sommet on retrouve les maisons Lecouteulx, Jugla Solier et Sahuc Guillet, au niveau intermédiaire figurent les sociétés de Nicolas Moreau, Pierre Lesca et celle des frères

268 ZYLBERBERG, M., op. cit., p. 190.

269 Pour les armements négriers des de Guer et des Delaville de Nantes, nous renvoyons au Répertoire des

expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle de Jean Mettas (2 vol., Paris, 1978) dans lequel sont relevées

quatorze expéditions armées au nom de François de Guer pour la période 1765-1775 et sept expéditions au nom de la compagnie Delaville de Nantes pour les années 1783-1792. cf. aussi MEYER J., L’armement nantais dans

la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Paris, (1969), 1999, p. 41 et 275-278. En ce qui concerne les liens entre la

compagnie de Cadix et celle de Nantes, cf. infra, p. 192. Notons que d’autres compagnies gaditanes ont pu prendre des intérêts dans les armements de la compagnie Delaville de Nantes, c’est le cas par exemple de la maison Fornier qui prend une participation de 35 470 réaux – soit 1/80e – sur trois bâtiments expédiés en Guinée en 1785 (CHAMBOREDON R., op. cit., p. 229).

270

ZYLBERBERG. M., op.cit., p. 204. 271 cf. infra, p. 136.

Malibran, et en bas de l’échelle, on relève les noms de Jean Lagarde et Cyprien Laffitte. Les affaires concernées sont à l’image de cette diversité de profils272

.

Parfois les documents témoignent de liens encore plus étroits avec des comptoirs basés aux Antilles. Ainsi, Pierre Lesca veut récupérer les 50 000 livres tournois prêtées à Bisson frères de Paris, dans le cadre d’une société qu’ils avaient en commun au Cap-Français, connue sous la raison sociale Bisson et Lesca273. La compagnie Lacaze et Lavie de Saint-Pierre, qui reçoit diverses procurations de maisons françaises de Cadix et exécute des commissions de vente pour d’autres274

, a certainement des liens avec la maison Mercy Lacaze de Cadix, qui est également associée à un autre négociant français de Cadix, Jean-Baptiste Mallet, dans une compagnie installée à Philadelphie sous la raison « Lacaze et Mallet ». Le dernier témoignage de participations croisées nous est fourni par un litige qui éclate en 1797 entre les deux frères Bernard et André Eusèbe Darhan et qui fut tranché par un arbitrage de Miguel de Iribarren le 10 mars 1798275. On apprend qu’André Eusèbe est arrivé à Cadix en 1787 pour travailler dans le comptoir de son frère, pero que en el [año] de 88, hallandose resuelto a pasar a las colonias francesas donde tenia dos hermanos establecidos, que le combinaban a reunirse a ellos : su hermano don Bernardo para disuadirlo de su intento, le ofrecio interesarlo en sus negocios. Selon toute vraisemblance, la famille Darhan disposait donc d’un comptoir aux Antilles sans que l’on puisse savoir cependant si cette implantation dans l’espace atlantique s’inscrivait dans une stratégie cohérente visant au développement d’échanges commerciaux entre les deux rives de l’océan.

Le cas de la compagnie Lacaze et Mallet de Philadelphie invite par ailleurs à examiner les relations existant entre Cadix et les Etats-Unis, dont l’indépendance remonte aux

272 Ainsi, la compagnie Lecouteulx représente « un quart d’intérêts dans l’armement du Saint-Joseph et dans celui du Juste » attendus à Bordeaux à leur retour des colonies françaises (CADN, Cadix, 238-371, 22/11/1781 et 238-498, 13/08/1782) et les liquidateurs de Cayla Solier Cabannes Jugla et Cie souhaitent recouvrer le montant de « 60 pièces de toiles de Cholet, 520 livres de quinquina, 764 livres de jalap, marquées CS [Cayla Solier] », ainsi que « 30 caisses contenant 1700 chandelles de suif et 24 sacs contenant 48 fanègues d’amandes », embarqués à Cadix le 8 mars 1779 sur le navire français le Maupéou, à destination de Port-aux-Princes (ibidem, 240-383, 10/12/1786), alors que les autres affaires sont beaucoup plus modestes : Nicolas Moreau s’inquiète du sort des 66 barils de beurre qu’il a consignés à Antoine Linossier, subrécargue du navire l’Amitié destiné à Saint- Pierre (ibidem, 238-536, 15/11/1782), Cyprien Laffite veut récupérer les 8175 livres tournois qui lui sont dues par une maison du Cap-Français (ibidem, 239-216, 08/05/1784), Jean Lagarde réclame le demi d’intérêt qu’il a pris dans une pacotille expédiée à Amourousmeau fils de Pointe-à-Pitre (ibidem, 238-353, 28/09/1781) et les gérants de Malibran frères souhaitent retrouver deux passagers partis au Cap-Français sans leur payer les 3332 reales de vellón dus « pour reste de différentes marchandises qu’ils leur ont fournies » (ibidem, 240-273, 10/07/1786).

273 ibidem, 238-162, 05/04/1780. 274

Le 10 avril 1784, la compagnie Delaye et fils octroie une procuration en blanc pour leur « faire rendre des comptes » à propos « des marchandises, fruits et autres objets que lesdits sieurs constituants leur ont fait passer en différentes occasions pour être vendus, pour leur compte, dans ladite île Martinique », ibidem, 239-197. 275

AHPC, Fonds Marqués de Purullena, caisse 56, dossier 28 : « Dictamen sobre las diferencias surgidas entre los hermanos Eusebio y Bernardo Darhan » (1798).

premières années de notre période d’étude. La compagnie Lacaze et Mallet apparaît à diverses reprises dans la correspondance du fonds Roux. Le 28 décembre 1779, les gérants de la compagnie Mercy Lacaze et fils de Cadix écrivent à leurs homologues marseillais pour leur proposer de les intéresser aux expéditions qu’ils arment à destination des colonies insurgées, en partenariat avec la compagnie Quentin frères de Cadix et leurs correspondants de Philadelphie. Au moins deux navires « chargés de cargaisons pour la consommation de ce continent » ont déjà été armés pour les colonies insurgées et les associés gaditans prévoient d’autres opérations similaires276

. Le 28 août 1781, ce sont les gérants de Quentin frères qui écrivent à la compagnie Roux frères pour se féliciter du succès des expéditions qu’ils ont faites et de la bonne vente du tabac qu’ils ont reçu en retour277

. Deux ans plus tard, les affaires semblent cependant s’être dégradées pour la compagnie de Philadelphie et les actes de chancellerie du consulat contiennent trois procurations octroyées par des maisons françaises pour recouvrer les intérêts qu’elles possèdent dans le comptoir d’outre-atlantique278

. Les faits sont confirmés par une lettre que les gérants de Mercy Lacaze écrivent le 3 juin 1785, à la suite de leur faillite, à la compagnie Roux frères pour expliquer que leur mauvaise fortune est liée à « l’ingratitude » de leurs partenaires américains qui leur ont fait perdre un demi million de piastres « dans des entreprises étrangères à notre genre de commerce »279. Au moins deux autres établissements français installés aux Etats-Unis sont susceptibles d’avoir eu des liens similaires avec des négociants de Cadix : ceux de Jean Champagne et Poey frères280. Par ailleurs, nous avons relevé une procuration datée de 1796, octroyée par François Demellet, liquidateur de la société Jugla Solier Demellet et Cie, au bénéfice de Venturat Séré, citoyen des Etats-Unis et commerçant de New York281. Si nous ne pouvons que présumer qu’il

276 ACCIM, Fonds Roux, LIX-838, 28/12/1779. 277 ibidem, LIX-841, 03/12/1790.

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Mercy Lacaze et fils (CADN, Cadix, 239-121, 06/10/1783), Jacques Talamon (ibidem, 239-123, 06/10/1783) et Claude Monnot (ibidem, 06/11/1783).

279 ACCIM, Fonds Roux, LIX-838, 03/06/1785.

280 Le premier est celui tenu par Jean Champagne, recensé en 1777 parmi les marchands français de la place. L’année suivante, il s’embarque pour les Etats-Unis laissant sa boutique à la charge de son épouse Louise Zacharie (CADN, Cadix, 240-2, 27/06/1785) et à celle de son frère Pierre, qui est mentionné dans divers documents des années 1790 et qui déclare, lors du recensement des étrangers de 1808, résider à Cadix depuis 1776 (« Juramientos de fidelidad de los nacionales franceses y otras naciones agregadas », 1808, dans AHMC,

Padrones, livres 6973-6975). En 1779, on retrouve Jean Champagne à Charleston, comme consignataire de

43 876 reales de marchandises que la maison Sahuc Guillet lui a expédiées (CADN, Cadix, 238-71, 30/09/1779) mais on perd ensuite sa trace, sans savoir si les liens commerciaux noués avec Cadix ont perduré. L’autre comptoir français identifié aux Etats-Unis (Baltimore) est celui qui court sous la raison sociale Poey frères, un nom également porté par un boutiquier français présent à Cadix entre 1777 et 1791, Jean Poey. Nous ne connaissons pas les liens unissant les deux établissements, ni la nature des opérations commerciales de la compagnie Poey frères. Mais celle-ci est désignée comme fondée de pouvoir des trois maisons gaditanes intéressées dans les affaires de Lacaze et Mallet et on peut donc supposer qu’elle entretenait des relations avec la colonie française du port andalou.

existait des liens familiaux entre Venturat Séré et la famille malouine des Séré, qui compte des membres à Cadix (Luc Hippolyte) et à l’Ile de Bourbon282

, le document atteste que la maison Jugla Solier possédait des intérêts dans la jeune république. Enfin, au moins une autre maison française de Cadix travaillait avec des partenaires américains. Il s’agit de la compagnie Lecouteulx Desportes qui a été consignataire de presque tous les navires américains reçus à Cadix par des négociants français au début des années 1790283. On ne sait malheureusement pas dans quelle mesure la fonction strictement maritime du consignataire de navire pouvait donner lieu à la mise en place de liens commerciaux plus étroits284.

La très grande majorité des affaires étudiées, tant avec les Antilles qu’avec les Etats- Unis, correspond à la période de la guerre d’Indépendance d’Amérique pendant laquelle Cadix s’est trouvée en situation de plaque-tournante des échanges entre la France et l’Amérique, en raison de l’entrée tardive de l’Espagne dans le conflit et de la présence anglaise à Gibraltar qui perturbait la traversée du détroit285. Il n’est pas toujours possible de se prononcer sur la nature exacte du rôle joué par les maisons françaises de Cadix lorsque les cargaisons arrivaient des Antilles ou des Etats-Unis. Si elles apparaissent le plus souvent comme de simples consignataires, assurant la rupture de charge des marchandises réexpédiées ensuite vers Marseille et l’Europe du nord sur des navires neutres par la voie de terre, il leur arrive également d’assumer des fonctions commerciales (vente des cargaisons à Cadix ou ailleurs en Europe), voire d’être intéressées financièrement dans ces opérations. De plus, il est difficile d’établir le prolongement de ces contacts noués à la faveur de la guerre d’Indépendance d’Amérique. En effet, les témoignages deviennent beaucoup plus rares après 1783 et la faillite de la maison Mercy Lacaze a pu dissuader les maisons gaditanes de maintenir des intérêts sur un marché devenu beaucoup plus concurrentiel avec la reprise des liaisons entre l’Angleterre et ses anciennes colonies. Les travaux que mène actuellement Guadalupe Carrasco González sur les échanges entre Cadix et les Etats-Unis devraient nous éclairer sur cette question. Retenons pour l’heure que le boom de la navigation américaine dans la baie de Cadix à la fin des années 1780286, semble témoigner de l’installation dans la durée de ce circuit commercial, auquel quelques maisons françaises de la place étaient parvenues à s’intégrer.

282 Une procuration de 1787 révèle que deux frères de Luc Hippolyte y résident (Jean Alain et François), dans AHPC, Cadix, 240-512, 10/06/1787. 283 cf. infra, p. 139. 284 cf. infra, p. 133. 285 cf. infra, p. 135-136. 286 cf. infra, p. 128-129.

Le dernier horizon offert aux négociants français de Cadix, c’est l’océan indien et l’Asie, deux espaces avec lesquels l’élite de la colonie était en contact par le biais des navires reliant la France aux Indes orientales. Le cas des maisons Magon et Lecouteulx qui alimentaient en piastres les navires de la Compagnie des Indes a déjà été évoqué 287. Le meilleur exemple de la participation de compagnies françaises de Cadix à ce commerce est cependant celui des expéditions armées à Marseille par les compagnies Solier et Rabaud que Louis Dermigny a étudiées dans Cargaisons indiennes288. Les gérants de ces deux maisons marseillaises disposaient en effet à Cadix, en la personne de Jacques Jugla, d’un partenaire de premier ordre puisqu’il était à la fois leur parent et leur coreligionnaire. L’investissement de Jugla dans ces expéditions est d’abord financier. Au cours des années 1780, il prend 98 000 livres tournois d’intérêts sur cinq expéditions pour les Indes et 37 000 livres tournois sur deux expéditions dirigées vers l’Amérique289

. En 1789, il acquiert une action dans la compagnie Rabaud et Senn Biderman valant 30 000 livres tournois et une autre de 2500 livres tournois dans la compagnie fondée par Jacques Solier en 1792, toujours pour le commerce des Indes290. Enfin, il employait une partie des fonds qui lui étaient confiés par son ami le marquis