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La Bourse et la vie. Destin collectif et trajectoires individuelles des marchands français de Cadix, de l’instauration du comercio libre à la disparition de l’empire espagnol (1778-1824)

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Texte intégral

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Université Aix-Marseille 1 – Université de Provence UFR Civilisations et Humanités

Formation doctorale : Espaces, Cultures, Sociétés

Arnaud BARTOLOMEI

La Bourse et la vie.

Destin collectif et trajectoires individuelles

des marchands français de Cadix, de l’instauration du

comercio libre

à la disparition de l’empire espagnol

(1778-1824)

Thèse de doctorat d’histoire

sous la direction de M. le professeur Gérard Chastagnaret Soutenance prévue le 17 novembre 2007

Jury

Monsieur Michel Bertrand, professeur à l’Université Toulouse II Monsieur Gilbert Buti, professeur à l’Université Aix-Marseille I Monsieur Gérard Chastagnaret, professeur à l’Université Aix-Marseille I

Monsieur Carlos Martínez Shaw, professeur à la Universidad Nacional de Educación a Distancia Monsieur Olivier Pétré-Grenouilleau, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris

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Remerciements

Je tiens à remercier très sincèrement tous ceux qui m’ont aidé et soutenu dans l’élaboration de ce travail. Je pense d’abord à Gérard Chastagnaret, qui l’a dirigé. Il m’a accompagné chaleureusement tout au long de ces cinq années et m’a fait bénéficier, avec confiance et disponibilité, de sa clairvoyance, de son expérience et de sa culture historique. Je veux lui exprimer toute ma gratitude. Je tiens également à remercier personnellement Michel Bertrand, Gilbert Buti, Carlos Martínez Shaw et Olivier Pétré-Grenouilleau, qui ont bien voulu siéger dans mon jury de thèse.

Ce travail n’aurait pas été possible sans le soutien de l’Université de Provence, de l’UMR Telemme et de la Casa de Velázquez qui m’ont non seulement donné les moyens de l’entreprendre et de le mener à son terme, mais m’ont également offert un cadre scientifique privilégié. Je tiens plus particulièrement à remercier les membres du groupe de recherches « Pratiquer l’échange » de l’UMR Telemme, qui m’ont chaleureusement accueilli en leur sein et m’ont guidé dans la découverte d’un champ historiographique en plein renouveau, Eric Caroll, l’ingénieur-informaticien de l’UMR Telemme, qui m’a apporté un concours incomparable pour la réalisation de la base de données sur laquelle ce travail repose, et Xavier Huetz de Lemps, le directeur d’études de la Casa de Velázquez pour les époques modernes et contemporaines, dont l’aide et les conseils ont toujours été précieux. Merci également aux archivistes des différents centres dans lesquels j’ai travaillé et notamment à Manuel Ravina, Martín qui a généreusement mis à ma disposition son immense connaissance des fonds de l’Archivo Histórico Provincial de Cádiz et à José María Diaz Rodríguez qui m’a amicalement ouvert les portes de la paroisse du Rosario.

Manuel Bustos Rodríguez, González Butrón Prida et Guadalupe Carrasco Gónzalez, de la Universidad de Cádiz, Pierre Jeannin, Jacques Bottin, Didier Ozanam, Michel Zylberberg et Carlos Alvárez Nogal ont tous fait preuve de la plus grande disponibilité pour me recevoir et m’orienter dans mes recherches. Je les en remercie sincèrement. Les discussions informelles que j’ai eues avec Zacharias Moutoukias, Jean-René Aymes, Emilio de la Parra, Robert Chamboredon, Eloy Martín Corrales, Brigitte Marin, Jean-Pierre Dedieu, Roland Caty, Jean-Philippe Priotti, Giorgia Cerriani, Sébastien Lupo, Charlotte Vorms et Frédérique Morand m’ont aidé à préciser ma démarche méthodologique et mon approche du sujet. Je leur suis reconnaissant de m’avoir accordé ces précieux instants.

Je tiens enfin à exprimer toute ma gratitude à Gilbert Buti, Xavier Huetz de Lemps, Wolfgang Kaiser, Jean Guyon, mes beaux-parents Annie et Christian, mes parents Christine et Louis, qui ont bien voulu relire la totalité, ou partie, des épreuves. C’est cependant envers Hélène, mon épouse, que ma dette est la plus grande : son soutien, son écoute permanente et ses relectures attentives ont été mes plus précieux alliés au cours de mes recherches.

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Avertissements

L’orthographe et la ponctuation des citations d’époque ont été modernisées afin d’en permettre une meilleure compréhension.

L’orthographe des patronymes des 1236 marchands français de Cadix, qui sont à la base de notre travail, a été unifiée selon la forme qui apparaissait le plus fréquemment dans les sources françaises. Nous n’avons pas détaché les particules des patronymes chaque fois que les individus concernés ne le faisaient pas eux-mêmes dans leurs autographes : ainsi, nous avons écrit, entre autres, François Demellet pour François de Mellet et Lecouteulx ou Lenormand au lieu de Le Couteulx et Le Normand. Concernant les prénoms, nous les avons systématiquement employés dans leur forme francisée pour tous les individus nés en France, dans leur forme espagnole, pour ceux qui étaient nés en Espagne. Nous avons notamment appliqué cette règle dans le cas des enfants des marchands français, nés à Cadix.

En revanche, pour tous les autres marchands et compagnies, espagnols et européens, qui sont cités dans ce travail, nous avons conservé l’orthographe des noms, prénoms et raisons sociales telle qu’elle nous apparaissait dans les sources.

Nous avons en outre choisi de ne pas traduire en français les termes de Carrera de Indias, Casa de Contratación et Consulado, les deux premiers en raison du caractère approximatif des traductions parfois employées (Carrière des Indes, Route des Amériques) et le troisième pour éviter tout risque de confusion avec l’expression de « consulat » que nous avons fréquemment employée, par commodité, pour désigner le consulat de France à Cadix.

Enfin, nous avons choisi de ne pas traduire les noms des trois principales monnaies espagnoles que nous avons utilisées (reales [de plata], pesos [sencillos] et reales de vellón), sans les souligner par des italiques afin de ne pas gêner la lecture du texte.

Les normes de conversion des monnaies adoptées pour unifier, chaque fois que cela était utile, l’unité monétaire dans laquelle sont exprimées les valeurs, sont les suivantes :

- 1 peso = 8 reales = 15 5/8 reales de vellón

- 1 peso fuerte = 10 5/8 reales = 20 reales de vellón - 1 doublon = 32 reales

- 1 ducat = 11 reales - 1 livre tournois = 2 reales - 1 livre sterling = 50 reales

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Introduction

En 1986, Jacques Le Goff intitulait un essai consacré à la figure de l’usurier dans l’Europe médiévale La bourse et la vie, résumant par cette formule le dilemme auquel étaient confrontés les marchands souhaitant faire fructifier leurs fonds par le prêt à intérêt, une pratique très fermement condamnée par les théologiens de l’époque : il leur fallait choisir entre le profit immédiat et la vie éternelle1. Cette prohibition fut-elle dissuasive ? Assurément non, si l’on considère que l’époque de la scolastique est celle de l’essor du premier capitalisme et des échanges commerciaux dans une Europe en pleine croissance économique. Or cet essor commercial n’aurait pas été possible sans un recours généralisé et massif au crédit. De fait, les marchands, tirant profit de la tolérance dont bénéficiaient certaines pratiques bancaires comme le change, se livraient couramment au prêt à intérêt sans s’exposer à la condamnation canonique2. Devant l’injonction « la bourse ou la vie » que leur renvoyaient les exempla des prédicateurs, décrivant les malheurs qui attendaient dans l’Au-delà celui qui enfreindrait la prohibition de l’usure, les marchands répondirent en inventant des formes de prêts licites dans leur apparence : ils choisirent la bourse sans renoncer à la vie éternelle.

Ce rappel de l’essai de Jacques Le Goff ne vise cependant pas à introduire une histoire de l’interdiction de l’usure durant l’époque moderne, mais plutôt à rappeler une évidence négligée par la science économique classique et mise en exergue par un courant récent des sciences sociales : l’action économique ne relève pas de décisions strictement déterminées par le calcul des coûts et des profits, mais elle est, au contraire, insérée dans un tissu de réalités politiques, sociales et culturelles qui définissent l’environnement en fonction duquel l’agent se détermine3. De fait, l’exemple du marchand du Moyen Age, stigmatisé dans un monde

1 La bourse et la vie : économie et religion au Moyen Age, Paris, 1986. 2

LE GOFF J., Marchands et banquiers au Moyen âge, Paris, 1956. LAPEYRE H., « Contribution à l’histoire de la lettre de change en Espagne du XIVe au XVIIIe siècle », Anuario de Historia Económica y Social, n° 1, 1968, p. 107-125.

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Nous aurons l’occasion de revenir plus en avant sur les objections qui ont été émises à l’encontre des deux postulats centraux de la science économique classique : le marché et la rationalité de l’agent économique (cf.

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dominé par l’Eglise et les interdits canoniques, illustre de la façon la plus explicite le rôle que peuvent jouer les conditions « non-économiques » dans la prise de décision économique, tout autant que leurs limites puisque, en l’occurrence, les marchands parvinrent à composer avec les interdits sociaux et culturels susceptibles d’entraver leurs pratiques.

L’environnement social et culturel de la fin du XVIIIe

siècle est naturellement très différent de celui du XIIIe siècle. Dans un monde profondément sécularisé, le profit a été légitimé voire même posé en modèle de réussite sociale4. Si la préoccupation de la vie éternelle demeure réelle, l’homme des Lumières ne conçoit plus sa réussite temporelle comme un obstacle pour y parvenir. Le cadre de l’échange a également évolué comme en témoigne la multiplication des Bourses au sein des places marchandes : banquiers, marchands et courtiers s’y retrouvent quotidiennement et échangent, au vu et au su de tous, des marchandises et des lettres de change5. Plus qu’un simple lieu d’échange, la Bourse est d’abord un symbole : celui d’un capitalisme commercial fondé sur le calcul rationnel et la recherche du profit. Le commerce des lettres de change illustre au plus haut point ces deux aspects. Pour dégager des profits a priori minimes, mais qui, répétés de multiples fois, sont à l’origine de bien des fortunes marchandes, il faut procéder à des calculs extrêmement sophistiqués, nécessitant à la fois une solide maîtrise de la technique cambiaire et une information abondante et fréquemment actualisée sur les cours des autres places européennes. Le banquier apparaît donc, dans le cadre de la société d’Ancien Régime, comme la figure la plus aboutie de l’agent économique rationnel qui prend, chaque jour, des dizaines de décisions après avoir déterminé le coût et le profit de chacune d’entre elles. Mais si le calcul occupe indéniablement une place centrale dans les arbitrages monétaires auxquels il se livre, en est-il de même pour toutes les autres décisions de nature économique qu’il est amené à prendre ? Se détermine-t-il nécessairement de la sorte lorsqu’il décide de créer une filiale dans une autre place européenne, lorsqu’il ouvre une autorisation de découvert à un client qui lui a été recommandé, lorsqu’il accepte de prendre un neveu comme apprenti dans son établissement ou lorsqu’il marie sa fille à un avocat réputé de la ville ? En d’autres termes, si la recherche du profit, celui qui s’exprime en espèces sonnantes et trébuchantes ou encore celui que révèlent les bilans comptables, est devenue ouvertement un but essentiel dans la vie de ces

infra, p. 309). Mentionnons cependant, dès à présent, deux ouvrages qui se sont plus particulièrement faits l’écho

de ces objections : DEMEULENAERE P., Homo œconomicus. Enquête sur la constitution d’un paradigme, Paris, 1996 et GRANOVETTER M., Le marché autrement : les réseaux dans l’économie, Paris, 2000 (ce dernier ouvrage est un recueil d’articles parus initialement dans diverses publications).

4 En témoignent les centaines de négociants qui ont été anoblis au XVIIIe siècle (RICHARD G., La noblesse

d’affaires au XVIIIe

siècle, Paris, 1997 [1ère éd. : 1974]).

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hommes, peut-on pour autant considérer qu’elle constitue le seul fondement de leurs prises de décision tant en matière économique que dans les autres domaines de leur vie sociale ?

Posée en ces termes, la question semble nécessairement devoir appeler une réponse négative. La science économique, elle-même, considère la figure de l’homo œconomicus – cet être rationnel dont les choix ne sont déterminés que par la volonté d’augmenter son profit et de diminuer les coûts qu’ils induisent – comme un modèle abstrait qu’elle a volontairement dégagé de toutes contingences afin de pouvoir mener une réflexion théorique sur les comportements des agents. Comme le rappelle Pierre Demeulenaere la créature a cependant eu tendance à s’émanciper des précautions prises par ceux qui l’avaient engendrée et à s’affirmer comme un paradigme central, parfois un dogme, non seulement au sein des sciences économiques et sociales mais plus généralement dans l’ensemble de la sphère intellectuelle et politique contemporaine6. La réalité mise en évidence empiriquement est pourtant très différente : le calcul du profit immédiat et chiffré auquel se livrent les individus avant d’agir est certes un élément incontournable dans leurs prises de décision, mais il s’efface le plus souvent devant la notion d’intérêt qui recouvre une réalité plus large et se fonde sur des considérations à la fois économiques, sociales et humaines.

C’est cette notion d’intérêt que nous souhaitons explorer dans la présente étude, non pour mettre en évidence une quelconque hiérarchie des priorités à laquelle se réfère l’individu au moment de faire des choix, mais plutôt afin d’analyser la façon dont s’articulent les différentes considérations qu’il prend en compte dans ses décisions. Pour cela, nous avons choisi de porter notre attention sur un groupe d’acteurs à bien des égards représentatifs de la quête du profit qui animait le capitalisme commercial dans l’Europe moderne – les marchands français de Cadix – et nous avons observé les comportements qu’ils adoptèrent lorsqu’ils furent confrontés à une crise majeure : la disparition du commerce colonial espagnol qui avait suscité leur installation en Andalousie et sur lequel s’était fondée leur prospérité.

Cadix, à la fin du XVIIIe siècle, ne vivait que pour et par le commerce des Indes. Fondé dans l’Antiquité lointaine par des marins phéniciens, le port avait connu une première prospérité durant l’époque impériale en s’affirmant comme le centre des échanges commerciaux entre les façades méditerranéenne et atlantique de l’Empire romain. Son site –

6 Pierre Demeulenaere remarque : « par un glissement de sens …, la rationalité tend à être associée à la recherche de certains intérêts limités, dits égoïstes, comme l’argent, le pouvoir ou la richesse. La rationalité est donc transférée vers les fins de l’action, et certaines actions sont jugées rationnelles parce qu’elles poursuivent des fins qui sont jugées telles. Or, fondamentalement, il n’y a aucune raison à cela : il n’est pas plus rationnel de rechercher l’argent que de se soumettre à une norme éthique » (Homo œconomicus. Enquête sur la constitution

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la ville est installée à l’extrémité d’une longue presqu’île sablonneuse qui ferme une large baie abritée7 – comme sa situation, au croisement des routes maritimes empruntant le détroit de Gibraltar, avaient en effet contribué à faire de Cadix l’un des principaux emporiums du monde romain. La perte de cette vocation commerciale pendant l’Antiquité tardive et le Moyen Age entraîna naturellement le déclin de la ville qui, parce qu’elle ne disposait ni d’un terroir fertile ni de ressources en eau douce, ne pouvait se développer que dans un contexte économique favorable au commerce maritime. Il fallut donc attendre la découverte du continent américain et sa conquête par la monarchie espagnole pour qu’elle trouve un nouvel essor. La renaissance de Cadix n’allait cependant pas de soi. Au XVIe siècle, la ville, qui ne comptait guère plus de 2500 habitants, avait peu d’atouts pour revendiquer la première place dans le système colonial espagnol face aux autres ports de la côte atlantique andalouse, Huelva, Sanlúcar de Barrameda et El Puerto de Santa María qui, tous, la dépassaient par l’importance de leur population, et surtout face à Séville, la puissante métropole régionale, forte de ses 40 000 habitants et de son infrastructure commerciale sans égal en Andalousie8. Logiquement, c’est cette dernière qui hérita, dans un premier temps, des fonctions d’animation et d’administration de la Carrera de Indias, que la monarchie espagnole avait souhaité voir réunies en un seul lieu et il fallut près de deux siècles d’une lutte acharnée pour que Cadix devienne officiellement la tête de pont du commerce colonial espagnol (1680), puis le centre directionnel de la Carrera de Indias (1717)9. En fait, ces transferts consacrèrent une situation déjà établie plus qu’ils ne la créèrent car, tout au long du XVIIe siècle, la position de Cadix n’avait cessé de se renforcer. Le port s’était en effet imposé comme le point de rencontre le plus approprié entre, d’une part, les Flottes et les Galions destinés au Nouveau Monde et, d’autre part, l’imposante noria des caboteurs européens transportant depuis les ports de la Méditerranée, de la Manche et de la mer du Nord, les produits manufacturés que

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cf. annexe 69.

8 En 1534, la population de Cadix se limitait à 671 vecinos alors que Huelva et Sanlúcar en comptaient près de 900 et qu’El Puerto de Santa María en totalisait 1500 (BUSTOS RODRIGUEZ M., Cádiz en el sistema

atlántico. La ciudad, sus comerciantes y la actividad mercantil (1650-1830), Cadix, 2005, p. 46).

9 La Carrera de Indias est le nom qui désignait, initialement, les routes maritimes reliant l’Europe aux « Indes », c’est-à-dire au continent américain. Par extension, l’expression désigne l’ensemble du système commercial unissant l’Espagne à son empire. Ce système était fondé sur le principe de l’exclusif colonial : seuls les sujets de la monarchie castillane (puis espagnole) pouvaient être habilités à pratiquer ce commerce. Son administration était principalement assurée par deux institutions : la Casa de Contratación (créée en 1503), organe public notamment doté de compétences en matière maritime (organisation des flottes), fiscale (recouvrement des taxes) et judiciaire (règlement des litiges) et le Consulado. A partir de 1543, en effet, les marchands habilités au commerce des Indes, les cargadores, furent autorisés à former la Universidad de cargadores a Indias, dite communément Consulado, Consulado de Indias ou encore Real Tribunal del Consulado. Il s’agissait initialement d’une institution corporative dont le rôle ne cessa pas de s’affirmer tout au long de l’histoire de la

Carrera de Indias. Au XVIe siècle, ces deux institutions avaient leur siège à Séville, qui était, par ailleurs, le seul port espagnol autorisé à armer des navires pour les Indes. Cadix hérita de ce monopole à partir de 1680. La Casa

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réclamaient les marchés coloniaux américains et que l’Espagne ne parvenait plus à fabriquer, depuis longtemps, en assez grande quantité. La date de 1717 ne constitue donc qu’une étape dans l’essor spectaculaire que connut Cadix qui, porté par la croissance des échanges transatlantiques, passa de 23 000 habitants en 1650 à 41 000 en 1700, avant de franchir le seuil des 70 000 habitants dans la seconde moitié du XVIIIe siècle pour totaliser 77 500 habitants en 179110. Ni la « crise » de la seconde moitié du XVIIe siècle, ni la disparition du monopole pendant la guerre de Succession d’Espagne (1700-1713), ni les guerres maritimes qui interrompirent à trois reprises, au XVIIIe siècle, les échanges atlantiques (1739-1748, 1762-1763, 1779-1783), ni enfin les réformes du comercio libre qui, en 1778, supprimèrent le monopole exclusif dont bénéficiait Cadix en l’élargissant à douze autres ports péninsulaires, n’entravèrent donc durablement l’essor du port andalou qui connut, au cours des années 1780, la décennie la plus prospère de son histoire, en termes quantitatifs tout du moins11.

Au cœur de cette réussite, les marchands étrangers qui affluaient des quatre coins de l’Europe occupent une position centrale. De même que la présence à Séville de riches colonies de marchands génois et flamands avait fortement influencé le choix de la capitale andalouse pour accueillir le siège de la Carrera de Indias, de même leur migration vers Cadix au XVIIe siècle, où ils furent rejoints par les Hollandais, les Anglais et les Français, joua un rôle majeur dans l’inversion du rapport entre les deux villes. Bien qu’ils n’aient pas été autorisés à commercer directement avec les colonies, les marchands étrangers, pourvoyeurs des marchandises exportées aux Indes et des capitaux nécessaires au financement des armements, s’étaient en effet révélés indispensables aux cargadores. Les marchands français, en dépit de l’importance qu’occupaient les marchandises hexagonales dans les cargaisons expédiées aux Indes (notamment les fameuses « bretagnes », ces toiles de lin produites dans l’Ouest, et les soieries de Lyon et de Nîmes), avaient été pénalisés dans leurs affaires, pendant toute la seconde moitié du XVIIe siècle, en raison des nombreuses guerres franco-espagnoles qui émaillèrent le règne de Louis XIV12. La guerre de Succession d’Espagne provoqua cependant un renversement des alliances. Les marchands malouins furent les premiers à tirer profit du nouveau contexte politique en expédiant directement des navires vers l’empire espagnol et en assurant ainsi, le temps de la guerre, l’essentiel des expéditions coloniales

10 BUSTOS RODRIGUEZ M., Cádiz en el sistema atlántico, op. cit., p. 37.

11 Concernant la « crise » du XVIIe siècle, qui fut probablement moins aigüe qu’il ne l’a longtemps paru, cf. MORINEAU M., Incroyables gazettes et fabuleux métaux. Les retours des trésors américains d’après les

gazettes hollandaises (XVIe-XVIIIe), Cambridge, 1984. La question de l’impact des réformes de 1778 sera

abordée plus précisément au chapitre 1 (cf. infra, p. 29). 12

GIRARD A., Le commerce français à Séville et à Cadix au temps des Habsbourg. Contribution à l’étude du

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réalisées dans la Carrera de Indias13. La signature du traité d’Utrecht et l’alliance franco-espagnole mirent cependant rapidement un terme à cette expérience qui s’était faite aux dépens de l’exclusif colonial espagnol. Dès les années 1720, les exportateurs de toiles bretonnes renoncèrent à leur commerce direct et ouvrirent des comptoirs à Cadix pour réaliser leur commerce, sinon en toute légalité, tout du moins à l’intérieur du monopole dont jouissait la ville. Ils furent suivis par les marchands de Paris, de Lyon, de Bayonne et de Nîmes. Rapidement, la colonie française, qui bénéficiait d’un contexte politique favorable et de liens privilégiés avec les marchands des principales villes approvisionnant la Carrera de Indias en biens manufacturés, occupa une place prépondérante au sein du monde mercantile gaditan. En 1753, l’enquête fiscale menée dans le cadre du cadastre de Ensenada, attribua aux marchands français près de la moitié des bénéfices commerciaux réalisés au sein de la place14 et, en 1777, le consul de France recensait 385 négociants, boutiquiers et commis français exerçant dans les établissements de commerce placés sous sa protection, auxquels il faudrait encore ajouter les nombreux marchands français qui avaient renoncé à cette protection ou ne l’avaient jamais sollicitée15. Quatorze ans plus tard, en dépit des nombreuses réformes mises en œuvre tout au long des années 1780 afin de réduire la domination qu’exerçaient les marchands français sur le commerce de la ville, la matrícula de extranjeros, réalisée dans toute l’Espagne en 1791, permet de dénombrer encore 307 Français exerçant le commerce et ce chiffre est largement sous-estimé puisque nous évaluons à 500 le nombre des marchands français alors installés dans la ville16. La colonie française était donc puissante et prospère lorsque la révolution française éclata et entraîna dans son sillage une succession de crises politiques et militaires qui, en trois décennies, anéantirent la prospérité de la ville et, avec elle, la présence marchande française.

Ce cycle de crises débuta par la guerre franco-espagnole de 1793 qui eut pour conséquence l’expulsion immédiate de la majeure partie des marchands français de la ville. Dès 1795 cependant, la paix fut signée et, l’activité du port ayant peu souffert d’un conflit essentiellement terrestre, la colonie se reconstitua rapidement. C’est donc l’année 1796 qu’il faut retenir pour dater le début de la crise qui allait provoquer la disparition de la Carrera de Indias et le déclin du commerce de Cadix. Désormais alliée à la France, l’Espagne fut

13 MALAMUD C.D., Cádiz y San Malo en el comercio peruano (1698-1725), Jerez, 1986 et LESPAGNOL A.,

Messieurs de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis XIV, Saint-Malo, 1997.

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BUSTOS RODRIGUEZ M., Los comerciantes de la Carrera de Indias en el Cádiz del siglo XVIIIe, Cadix, 1995, p. 198.

15 OZANAM D., « La Colonie française de Cadix au XVIIIe siècle », Mélanges de la Casa Velázquez, 1968, p. 311-347.

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précipitée dans la guerre opposant cette dernière à l’Angleterre et, dès l’automne 1796, elle assista, impuissante, à la destruction de sa puissance navale et de son commerce maritime. En effet, après avoir vaincu la flotte espagnole, les Britanniques soumirent Cadix à un blocus maritime dès 1797, isolant ainsi le port qui assurait les quatre cinquièmes du commerce colonial espagnol de ses partenaires. A l’exception des trois années de la paix d’Amiens (1802-1804), cette situation se perpétua jusqu’au début de la guerre d’Indépendance (1808). A partir de cette date, Cadix se retrouva dans le camp anglais et put reprendre son commerce avec l’Amérique. La ville fut cependant très vite coupée de son arrière-pays par l’avancée des troupes napoléoniennes et subit un siège de trente mois entre les mois de février 1810 et d’août 1812. De leur côté, les colonies américaines, gagnées une à une par le mouvement d’émancipation, bafouaient de plus en plus ouvertement l’exclusif colonial : elles avaient obtenu, pendant les conflits maritimes contre l’Angleterre, l’autorisation de commercer librement avec les pays neutres et n’acceptaient pas le rétablissement du monopole espagnol. Aussi, le traité de Vienne n’offrit aucun répit à l’Espagne qui dut aussitôt s’engager dans une guerre de reconquête de son empire, laquelle se solda par la défaite d’Ayacucho (1824) au cours de laquelle disparurent les espoirs de tous ceux qui pensaient qu’un retour à la situation antérieure était encore possible.

Pendant trente ans, à l’exception des trois années de la paix d’Amiens qui furent marquées par une très forte reprise des échanges, le commerce colonial de Cadix fut donc, au mieux très diminué, au pire totalement anéanti. Pourtant, les marchands français ne quittèrent pas massivement la ville sauf lorsqu’ils y furent contraints par les conflits franco-espagnols (en 1793 et en 1808). Ils revinrent nombreux en 1796, étaient encore plus de deux cents à exercer le commerce dans la ville en 1808 et, même après 1815, la présence marchande française demeura importante et ne déclina que progressivement pendant les décennies qui suivirent. Ainsi, la colonie française fit preuve d’une exceptionnelle résistance face à une succession d’événements qui lui étaient défavorables. Plus que l’histoire de sa décadence qui, sur le temps long, apparaît comme la conséquence logique du déclin de Cadix, c’est donc l’étude de sa résistance que nous souhaitons entreprendre, en cherchant à comprendre les raisons pour lesquelles les marchands français, qui n’avaient a priori plus aucun intérêt à demeurer en Andalousie, s’y maintinrent aussi longtemps.

Cette histoire des dernières décennies de la présence marchande française à Cadix ne pouvait se limiter à l’étude de la « nation française » de la ville. En effet, bien qu’une large partie des marchands français aient exercé leur activité dans le cadre du « Corps de la nation

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française de Cadix », une institution chargée de les représenter et d’assurer la défense de leurs intérêts, la présence marchande française ne s’est jamais limitée à cette corporation à la disparition de laquelle elle a d’ailleurs survécu. C’est ainsi que le terme de colonie, plus souple que celui de nation, nous a paru le plus approprié pour désigner ce groupe de marchands qui étaient unis par des intérêts communs, des liens étroits et une conscience identitaire propre, mais qui jouissaient par ailleurs d’une large autonomie et se déterminaient, d’abord, par la recherche de leur intérêt particulier17. L’étude du destin collectif de la colonie

française de Cadix passe donc nécessairement par la reconstitution de la trajectoire individuelle de chacun de ses membres18, puisque ceux-ci disposèrent toujours d’une marge de décision substantielle lorsqu’ils furent confrontés aux événements marquants qui affectèrent la ville – les réformes de 1778, l’expulsion de 1793, le blocus maritime britannique, la guerre d’Indépendance, l’émancipation des colonies. On imagine cependant qu’ils ne furent pas totalement insensibles aux décisions prises par leurs confrères et qu’ils purent donc, à plus d’une reprise, être influencés par la dynamique collective du groupe auquel ils appartenaient. L’histoire du groupe et celle des individus qui le composent sont donc intimement liées et l’on ne peut écrire l’une sans se référer constamment à l’autre.

Il fallait pour écrire ces histoires parallèles et interdépendantes disposer d’un outil qui permette d’étudier la trajectoire suivie par chaque marchand afin d’en saisir la cohérence et d’identifier les logiques qui y présidèrent. Cet outil devait également rendre possible la confrontation des différentes expériences individuelles, nécessaire pour distinguer les comportements les plus fréquemment adoptés de ceux qui tranchent par leur singularité et, finalement, pour constater l’existence ou l’absence de normes collectives qui rendraient compte de la totalité des parcours observés ou tout du moins de la majorité d’entre eux. Le recours à l’informatique a rendu possible cette double lecture, longitudinale et transversale, des trajectoires des marchands français. La saisie dans une base de données prosopographique

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Concernant l’emploi du concept de « colonie » pour désigner les « communautés de fait » que formaient les marchands étrangers en dehors de tout cadre institutionnel, cf. JEANNIN P., « Les pratiques commerciales des colonies marchandes étrangères dans les ports français (XVIe-XVIIIe siècles) », dans Négoce et industrie en

France et en Irlande, CULLEN M.L., BUTEL P. (dir.), Paris, 1980, p. 9. Les termes de « marchands » et de

« français » posent également des problèmes de définition sur lesquels nous reviendrons plus en détail (cf. infra, p. 304 et suivantes). Soulignons seulement ici que nous avons choisi, dans un premier temps, d’ouvrir le plus largement possible le champ de notre recherche et d’inclure dans notre objet d’étude la totalité des « marchands », qu’ils soient négociants, boutiquiers ou commis, et que nous avons également inclus dans notre étude les Français qui ne jouissaient plus du statut privilégié de ressortissant étranger, parce qu’ils y avaient renoncé, parce qu’ils avaient obtenu la nationalité espagnole ou parce qu’ils étaient nés en Espagne.

18 En ce sens, nous rejoignons la démarche de Jacques Bottin qui, dans son étude de la colonie flamande de Rouen, se propose de « suivre une cohorte de trajectoires individuelles et, à travers elles, saisir un destin collectif » (« La présence flamande à Rouen : l’hôte, l’auberge, la maison », dans BOTTIN J., CALABI D. (dir.),

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unique de la totalité des informations tirées de notre corpus a permis de reconstituer sur un temps long, celui d’une vie, parfois de deux, les biographies des marchands français présents à Cadix durant la période considérée et de réaliser des analyses statistiques permettant de faire le point, à un moment donné, sur la situation géographique, professionnelle et sociale de l’ensemble des individus concernés19

.

Pour l’essentiel, notre information provient des actes notariés établis à Cadix20

, des actes privés et commerciaux enregistrés à la chancellerie du consulat de France21 et, plus généralement, de tous les corpus de sources identifiant nominativement les marchands français de Cadix ou leurs compagnies22. Pour les personnes physiques, nous avons systématiquement retenu les informations relatives à leur ville d’origine, leur métier, leur état civil, l’identité de leur épouse, celle de leurs partenaires proches, leur patrimoine et enfin, les dates de leur arrivée à Cadix et de leur départ de la ville, ou celle de leur décès lorsqu’ils y sont morts. Concernant les compagnies, nous nous sommes plus précisément intéressé aux divers secteurs d’activité dans lesquels elles opéraient (commerce, banque, armement, assurance, course, finance), aux circuits commerciaux auxquels elles étaient intégrées et aux

19

Nous avons utilisé pour cela le logiciel de base de données relationnelles Microsoft Access qui permet de lier entre elles des tables de données autonomes. Toutes les informations relevées dans les documents ont ainsi été saisies simultanément dans une table intitulée « DOCUMENT », dans laquelle chaque document est conservé sous la forme d’un formulaire unique, et dans deux tables, intitulées « INDIVIDUS » et « COMPAGNIES », qui comprennent un formulaire concernant chaque personne physique ou morale, dans lequel sont stockées, chronologiquement, les informations civiles et commerciales contenues dans les documents. A partir de la table « DOCUMENT », il est ainsi possible d’analyser des corpus cohérents (les testaments, les procurations, les protêts de lettres de change) alors que les deux autres tables permettent de confronter les informations tirées de l’ensemble des documents à l’échelle d’un individu ou d’une compagnie. Nous avons reproduit des exemples de ces formulaires en annexe (cf. annexes 1 à 6).

20 A la fin du XVIIIe siècle, trente études notariales étaient actives à Cadix. Ne pouvant naturellement pas consulter en intégralité l’ensemble des registres produits chaque année, nous avons procédé par sondages. Les études n° 19 (Ramón García de Menenses) et n° 13 (José Cazorla) ont été entièrement consultées pour l’ensemble de la période et ont fait l’objet de dépouillements ciblés : les protêts de lettres de change contenus dans la première ont été entièrement dépouillés pour les années 1778-1780, 1793, 1796 et 1808, et tous les documents de ces deux études, présentant un intérêt particulier, ont été saisis dans la base de données (contrats de formation de compagnie, inventaires après décès, …). Pour le reste, nous avons procédé à des relevés systématiques de la documentation concernant les marchands français dans l’ensemble des protocoles des années 1778, 1785, 1796, 1800, 1815 et 1825. Enfin, grâce à l’index des testaments enregistrés à Cadix, qui est disponible à l’Archivo Histórico Provincial de Cádiz, nous avons relevé les références (type d’acte, date, nom de l’octroyant, lieu de naissance de l’octroyant) de la totalité des actes enregistrés par les marchands français durant la période 1750-1850 et procédé au dépouillement de près de 200 testaments (cf. infra, p. 496).

21 La richesse des fonds consulaires conservés au Centre des Archives diplomatiques de Nantes est considérable. Mentionnons seulement ici que nous avons intégralement dépouillé les 18 registres d’actes de chancellerie, couvrant la période 1778-1840. La chancellerie était utilisée par les marchands français au même titre qu’une étude notariale. Ils y faisaient authentifier des documents civils ou commerciaux devant servir à préserver leurs intérêts devant une juridiction française.

22 Parmi ces corpus, il faut notamment retenir les livres de courtiers de l’année 1796, qui conservent la trace de la totalité des transactions réalisées par l’intermédiaire des courtiers gaditans de la ville (Archivo General de Indias), les collections du Parte oficial de la Vigía de Cádiz, le bulletin maritime du port dans lequel apparaissent les noms des consignataires des navires entrés dans la baie, les registres de cartas de naturaleza (Archivo General de Indias), et naturellement les cinq recensements des étrangers résidant à Cadix relatifs aux années 1791, 1794, 1808, 1819 et 1837 qui sont conservés à l’Archivo Municipal de Cádiz.

(18)

réseaux marchands au sein desquels elles évoluaient. Chaque fois que cela a été possible, nous avons complété ces informations avec celles tirées des quelques fonds privés de négociants français de Cadix qui ont été déposés23.

Les informations réunies dans cette base de données pouvaient être abordées et traitées dans deux perspectives différentes, l’une envisageant un individu donné ou une compagnie, et l’autre l’ensemble des individus et des compagnies composant la colonie. Il en résulte que le « jeu d’échelles » est au cœur de notre méthode de travail. Nous n’avons, en effet, privilégié aucun des deux points de vue, préférant les inscrire dans un dialogue permanent : les phénomènes constatés sous un angle flou à l’échelle de la colonie, s’affinent et se précisent dès lors qu’ils sont abordés sous l’angle d’études micro-historiques, alors que la dimension collective permet à tout moment de relativiser ou de généraliser les expériences singulières qui, par le hasard des sources, nous sont mieux connues24. Ni monographie d’une place, ni monographie d’une compagnie marchande, deux approches auxquelles l’historiographie française du négoce doit tant et envers lesquelles notre dette est évidente25, notre travail s’inscrit donc dans la lignée des études menées sur des « milieux socio-professionnels » considérés dans un temps long, comme ceux de Serge Chassagne sur le patronat du coton,

23 Nous ne connaissons que deux fonds privés de compagnies de commerce françaises de Cadix : celui de la maison Simon et Arnail Fornier et Cie, qui a constitué la base documentaire de la thèse de Robert Chamboredon (Fils de soie sur le théâtre des prodiges du commerce. La maison Gilly-Fornier à Cadix au XVIIIe siècle (1748-1786), 3 tomes, thèse de doctorat, Université de Toulouse, 1995) et celui des maisons Rivet neveux et Cie, qui

est conservé aux Archives de la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille. Presque tous les fonds de négociants du XVIIIe siècle contiennent cependant des corpus plus ou moins importants de correspondances échangées entre les négociants français de Cadix et leurs partenaires de l’Hexagone. Le plus célèbre est naturellement le Fonds Roux conservé aux Archives de la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Marseille, qui comprend plusieurs centaines de liasses de lettres reçues de Cadix. On en trouve cependant également aux archives départementales du Rhône (maison Rey Magneval, banque Guérin), d’Ile-et-Vilaine (maisons Magon et Apuril de Kerloguen) et de la Loire-Atlantique (maison Delaville). Parmi ces derniers, nous n’avons consulté que les fonds lyonnais, les autres ayant déjà fait l’objet de diverses publications scientifiques.

24 Dans les faits, l’apport de l’échelle micro-historique dépasse donc de très loin la simple fonction d’illustration des réalités dégagées à partir d’un angle d’observation plus large : elle révèle des phénomènes qu’il serait impossible de distinguer autrement. Nous rejoignons cependant Jacques Revel pour refuser d’accorder une primauté à l’échelle micro-historique et, comme il y invite, nous avons eu recours de façon pragmatique aux changements d’échelle, selon la plus ou moins grande richesse des corpus à notre disposition et les caractéristiques des phénomènes que nous avons eu à observer (Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’épreuve de

l’expérience, REVEL J. (dir.), Paris, 1996, cf. notamment REVEL J., « Introduction », p. 13 et « Micro-analyse

et construction du social », p. 19).

25 Nous nous contenterons de citer ici quelques-unes des grandes monographies de places marchandes qui ont été pour nous des références permanentes : MEYER J., L’armement nantais dans la deuxième moitié du XVIIIe

siècle, Paris, 1969, BUTEL P., La croissance commerciale bordelaise dans la deuxième moitié du XVIIIe, Lille, 1973, CARRIERE C., Négociants marseillais au XVIIIe siècle. Contribution à l’étude des économies maritimes ,

Marseille, 1973 et BERGERON L., Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire, Paris, 1978), auxquelles il faudrait naturellement joindre les travaux, plus récents, d’André Lespagnol (Messieurs

de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis XIV, Saint-Malo, 1997) et de Gérard Gayot (Les draps de Sedan, 1648-1870, Paris, 1998).

(19)

d’Olivier Pétré-Grenouilleau sur les négriers nantais ou de Jesús Cruz Valenciano sur les élites madrilènes26.

Le temps long a précisément constitué la principale difficulté à l’heure d’exposer les résultats de nos recherches. Si certains processus ne peuvent s’appréhender que sur de longues périodes et perdent à être artificiellement segmentés par un découpage chronologique (l’insertion des compagnies dans des réseaux marchands ou l’intégration des individus à la société locale par exemple), dans d’autres cas, les césures de l’histoire revêtent une importance capitale pour saisir les inflexions qu’elles introduisent dans la vie des hommes. L’objet même de notre recherche, l’étude des comportements adoptés par les marchands français de Cadix face à la disparition du commerce colonial espagnol, nous a cependant amené à donner la priorité à cette dernière perspective et à respecter le découpage chronologique dicté par les événements. La période 1796-1808 se situe au cœur de notre problématique, puisque c’est durant ces douze années que demeurèrent à Cadix des centaines de marchands français en dépit d’un contexte très défavorable. Il nous a cependant paru indispensable de porter notre attention sur les périodes situées en amont et en aval afin de connaître les conditions dans lesquelles les marchands français de Cadix vivaient et exerçaient leur métier lorsque commença le démantèlement du monopole commercial espagnol (1796) et ce qu’ils devinrent après avoir été expulsés de Cadix en 1808.

L’étude débute donc par une étude des « assises de la colonie française » durant les deux dernières décennies de prospérité que connut la Carrera de Indias (1778-1796). L’année 1778 a été retenue par commodité car nous verrons que les réformes du comercio libre ne changèrent pas substantiellement les conditions d’exercice du commerce à Cadix. Il s’avérait cependant impossible de remonter plus en amont dans l’histoire de la colonie française, compte tenu de la richesse de la matière. En outre, le recensement consulaire de 1777, intégralement publié par Didier Ozanam27, nous permettait de disposer d’un solide point de départ pour identifier les individus qui exerçaient alors le commerce à Cadix et pour entreprendre une nécessaire comparaison avec la matrícula de extranjeros réalisée quatorze ans plus tard, en 1791. Les trois années de la guerre de la Convention, qui portent un coup d’arrêt brutal à la présence marchande française à Cadix, n’ont pas été dissociées de ce cycle,

26

CHASSAGNE S., Le coton et ses patrons en France, 1760-1840, Paris, 1991, PETRE-GRENOUILLEAU O.,

L’argent de la Traite. Milieu négrier, capitalisme et développement : un modèle, Paris, 1996 et CRUZ

VALENCIANO J., Gentlemen bourgeois and revolutionaries. Political change and cultural persistance among

the spanish dominant groups, 1750-1850, Cambridge, 1996.

(20)

parce que le retour des marchands français, dès le rétablissement de la paix, et les bases sur lesquelles ils reprirent leurs affaires, inscrivaient résolument l’année 1796 dans la continuité de la période précédente. Au total, l’observation de la colonie durant ces deux décennies nous a permis, à travers l’étude des activités des maisons françaises, de leur rôle dans le système colonial espagnol et de leurs profits, de mettre en évidence les raisons qui entraînèrent l’installation et l’enracinement de plusieurs centaines de marchands français à Cadix.

La deuxième partie s’attache plus particulièrement à étudier les conditions dans lesquelles les marchands français vécurent et travaillèrent à Cadix entre 1796 et 1808, afin de mieux comprendre les motifs qui les incitèrent à demeurer en Andalousie durant cette période de crise. Après avoir souligné la résistance de la présence marchande française à Cadix, nous avons envisagé trois hypothèses susceptibles de l’expliquer : le décalage existant entre la dimension macro-économique de la crise et sa perception par les contemporains, l’apparition de nouvelles opportunités de profit liées au contexte de guerre (la course par exemple) et enfin, l’intégration à la société locale d’individus souvent présents en Espagne depuis plusieurs décennies.

Le début de la guerre d’Indépendance provoque en revanche un départ massif et contraint des marchands français de Cadix en 1808. L’étude, sur le long terme, des trajectoires géographiques, professionnelles et sociales qu’ils ont suivies après cette date (retour à Cadix, installation ailleurs en Europe, maintien dans le négoce ou pas), permet de souligner leurs difficultés à s’adapter au nouveau contexte du XIXe

siècle et, plus généralement, offre la possibilité de réfléchir aux obstacles à la mobilité et à la reconversion professionnelle d’acteurs économiques, en fin de compte largement déterminés par leur expérience et leur histoire personnelle.

Ainsi, ces marchands, qui étaient entrés dans le métier dans les dernières décennies du « beau XVIIIe siècle » et qui en sortirent trente ou quarante ans plus tard dans un contexte radicalement différent, ont assisté au cours de leur carrière à deux transformations majeures : une succession inédite de crises et de conflits d’une part, et l’émergence d’un monde nouveau caractérisé par la révolution industrielle et la fin des monopoles coloniaux d’autre part. L’étude de leurs comportements, c’est donc l’étude de l’homme face au changement, aussi bien lorsqu’il revêt la forme de la crise, soudaine, violente mais remédiable, que celle de la mutation, lente, profonde et plus difficilement perceptible.

(21)

Première partie. Les assises de la colonie

française de Cadix à la fin du XVIII

e

siècle (1778-1796)

La « liste des négociants, boutiquiers, artisans, domestiques et autres sujets du roi établis et résidents présentement à Cádiz, sous la protection de sa majesté », dressée par le consul de France en 1777, révèle l’importance, à cette date, de la présence marchande française à Cadix28. Avec 119 négociants, répartis en 70 maisons de commerce de gros, 76 boutiquiers et marchands détaillants et 175 commis employés dans ces divers établissements, la colonie française est la plus importante de la ville et elle constitue certainement aussi la principale communauté de marchands étrangers qu’ait connue l’espace européen et méditerranéen à cette époque29. Elle s’était formée dans la seconde moitié du XVIIe siècle, au moment où Cadix devenait la tête de pont du commerce colonial espagnol et, en 1700, elle comptait déjà une trentaine d’établissements30. L’arrivée de la dynastie des Bourbon en

28 Le document a été publié intégralement par Didier Ozanam dans l’article suivant : « La Colonie française de Cadix au XVIIIe siècle », Mélanges de la Casa Velázquez, 1968, p. 311-337.

29 Sur les 418 commerçants étrangers dénombrés à Cadix dans le recensement de 1773, plus de la moitié sont français (213), ce qui place la colonie française loin devant les colonies italienne (91 individus), irlandaise (49), flamande (11), impériale (19) et britannique (11), dans BUSTOS RODRIGUEZ M., Los comerciantes de la

Carrera de Indias en el Cádiz del siglo XVIII, Cadix, 1995, p. 99. En ce qui concerne les colonies françaises

installées dans les autres villes péninsulaires, nous avons relevé les quelques exemples suivants : 30 à 50 établissements à Lisbonne au XVIIIe siècle (LABOURDETTE J.F., La nation française à Lisbonne de 1699 à

1790. Entre colbertisme et libéralisme, Paris, 1988), 50 commerçants à Madrid en 1764 (OZANAM D., « Les

Français à Madrid dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle », dans S. MADRAZO, V. PINTO (éd.), Madrid en

la época moderna : espacio, sociedad y cultura, Madrid, 1991, p. 195-196) et 42 comerciantes à Malaga en 1764

(VILLAR GARCIA M.B., Los extranjeros en Malaga en el siglo XVIII, Cordoue, 1982, p. 73). Parmi les colonies françaises installées en Méditerranée, on retiendra le cas de Livourne qui compte 14 négociants et 8 marchands en 1774 (FILIPPINI J.-P., « La nation française de Livourne (fin XVIIe-fin XVIIIe siècle) », dans

Dossiers sur le commerce des français en Méditerranée orientale au XVIIIe siècle, Paris, p. 242.) et celui de La

Canée, en Crête, où résidaient 11 négociants français en 1743 (SABATIER D., « Les relations commerciales entre Marseille et la Crète dans la première moitié du XVIIIe siècle », dans Le commerce français au XVIIIe

siècle, Paris, 1976, p. 187.). Pour les colonies issues des autres nations européennes, nous disposons des

exemples des ports de Marseille et de Livourne réputés pour leur cosmopolitisme : à Marseille, Charles Carrière a identifié 124 négociants étrangers à la fin du XVIIIe siècle (Négociants marseillais au XVIIIe siècle, Marseille,

1973, p. 280) et à Livourne, 143 firmes étrangères, dont 44 maisons juives, ont été dénombrées en 1793 (MAURO F., « Merchant communities, 1350-1750 » dans The Rise of Merchants Empires. Long-Distance Trade dans the Early Modern World, 1350-1750, James D. Tracy (éd.), Cambridge, 1990, p. 268).

30

Albert Girard a relevé les noms de 27 négociants présents à l’assemblée de la nation française réunie le 9 décembre 1700 à la suite du décès de Pierre Catalan, le consul français de Cadix (Le commerce français à Séville

(22)

Espagne, la restauration du monopole de la Carrera de Indias à la suite de la conclusion de la guerre de succession d’Espagne et la croissance des échanges coloniaux enregistrée tout au long du XVIIIe siècle contribuèrent à pérenniser la présence marchande française à Cadix et à assurer la prospérité des négociants qui étaient venus y pratiquer le commerce. Lors de l’enquête fiscale menée dans le cadre du cadastre de Ensenada en 1753, les maisons de commerce françaises déclarèrent plus de 710 450 pesos d’« utilidades », soit 46 % des profits commerciaux réalisés à Cadix cette année, ce qui les plaçait au premier rang des colonies étrangères de la ville et loin devant le groupe des marchands espagnols31. Les négociants français assuraient alors l’essentiel de l’approvisionnement des flottes destinées aux colonies en produits manufacturés, finançaient les expéditions coloniales en octroyant aux cargadores les célèbres prêts à la grosse aventure, recevaient en retour d’énormes quantités de métaux précieux et de denrées coloniales qu’ils se chargeaient d’acheminer en Europe et dominaient le marché local du change.

Cette domination heurtait cependant les projets de redressement national élaborés par les ilustrados espagnols et l’un des principaux objectifs des nombreuses réformes du commerce colonial qui furent adoptées tout au long du règne de Charles III fut d’y remédier. Ces réformes visaient en effet à redéfinir les règles de fonctionnement de la Carrera de Indias afin de faire profiter plus largement la bourgeoisie marchande espagnole de la manne financière découlant du monopole. Ainsi, les décrets de février et octobre 1778, point culminant de cette politique réformiste, s’articulaient autour de deux axes : d’une part, l’élargissement du monopole dont jouissait exclusivement Cadix à une dizaine de ports de la péninsule32 ; d’autre part, l’adoption d’une nouvelle politique douanière d’inspiration clairement protectionniste, visant à favoriser les productions « nationales » et à pénaliser les marchandises importées d’Europe, françaises en premier lieu33

. Les deux volets du

et à Cadix au temps des Habsbourg. Contribution à l’étude du commerce des étrangers en Espagne aux XVIe

-XVIIe siècles, Thèse principale, Paris, 1932, p. 550).

31

Les marchands espagnols déclarèrent 261 444 pesos et la colonie anglaise, 238 100 pesos (BUSTOS RODRIGUEZ M., Los comerciantes de la Carrera de Indias, op. cit., p. 198).

32 Le monopole exercé par Cadix n’a jamais été total du fait de la création au cours du XVIIIe siècle, à Saint-Sébastien, Barcelone et La Corogne, de compagnies privilégiées bénéficiant chacune d’un commerce exclusif avec une région particulière de l’Empire. A partir de 1765 en outre, le commerce fut déclaré libre entre dix ports péninsulaires et les Antilles. Ce sont cependant les réformes de 1778 qui sont habituellement retenues pour dater le début de la période du comercio libre en raison de l’ampleur des territoires coloniaux dorénavant ouverts à la concurrence des ports péninsulaires (Río de la Plata, Chili, Pérou, Nouvelle-Grenade). Le Vénézuela et le Nouveau-Mexique ne furent intégrés à ce programme qu’à partir de 1789 et tout au long des années 1780, Cadix conserva donc le monopole du commerce des piastres mexicaines (IZARD M., « Comercio libre, guerras coloniales y mercado americano », dans NADAL J. et TORTELLA G. (éd.), Agricultura, comercio colonial y

crecimiento ecónomico en la España contemporanea, Madrid, 1974, p. 294-321).

33

En effet, les deux principaux produits du commerce français, les toiles de lin et les étoffes de soie, furent directement touchés par la nouvelle réglementation douanière : l’uniformisation des droits perçus sur les toiles

(23)

programme visaient donc clairement à affaiblir la prépondérance française dans le commerce de Cadix et la politique commerciale mise en œuvre tout au long des années 1780 multiplia encore les contraintes exercées à leur égard.

L’impact des réformes de 1778 sur le commerce de Cadix a été largement débattu par les historiens de la Carrera de Indias et le bilan que l’on peut retenir des vingt dernières années de recherches sur la question est nuancé : le monopole commercial dont jouissait Cadix n’a été que très marginalement remis en cause et, si la conjoncture du commerce colonial des années 1780 ne fut pas aussi florissante que ce que l’on avait avancé dans un premier temps, cette décennie apparaît cependant comme l’une des plus prospères de l’histoire de la Carrera34

. En ce qui concerne la situation de la colonie française de Cadix, les connaissances actuelles ne permettent pas de dégager une synthèse aussi nette. En effet, si de multiples témoignages attestent de la « crise » du commerce français à Cadix35, force est de constater que la présence marchande française y est demeurée très importante puisque le padrón de extranjeros réalisé en 1791 révèle la présence de 307 Français del comercio dans le port andalou et que le rôle de cotisation dressé par le consulat français cette même année recense 80 établissements commerciaux – 63 maisons de négoce et 17 boutiques36. La reconstitution très rapide de la colonie après la parenthèse de la guerre franco-espagnole de 1793-1795 qui avait conduit à l’expulsion de Cadix de la totalité des ressortissants français, apporte une autre preuve de la solidité des positions françaises dans la ville. C’est donc à la solidité de ces assises de la présence marchande française à Cadix que nous souhaitons nous intéresser dans cette première partie en analysant, pour cela, les raisons qui ont amené des négociants, réputés peu intégrés et uniquement mus par la recherche d’un prompt enrichissement, à demeurer dans un lieu ne leur offrant plus les conditions avantageuses dont ils avaient bénéficié avant les réformes de 1778.

pénalisa la production française qui était moins compétitive que la production silésienne et ne s’était maintenue qu’en vertu d’avantages tarifaires ; quant aux articles de luxe, ils furent l’objet de prohibitions visant à protéger les manufactures espagnoles (STEIN S.J., « Política mercantil española y el comercio con Francia en la época de Carlos III », dans Actas del Congreso Internacional sobre « Carlos III y la Ilustración », Madrid, 1989, p. 219-280).

34 Pour une analyse détaillée de la conjoncture du commerce colonial, cf. infra, p. 29.

35 Ces témoignages sont avant tout des mémoires rédigés par les fabricants français ou par le consul de France à Cadix, mais aussi des statistiques telles que la balance du commerce de Cadix, étudiée par Michel Zylberberg, que nous présenterons ci-après (cf. infra, p. 31).

36 Archivo Histórico Municipal de Cádiz (désormais AHMC), section Padrones, livre 1000, Padrón de los

extranjeros, 1791. Centre des Archives diplomatiques de Nantes, section Cadix, registre 258, folio 134

(24)

Pour mener cette étude, le choix a été fait de donner la primauté aux sources directes émanant de la pratique commerciale plutôt qu’aux témoignages qui offrent trop souvent une image de la réalité déformée par les motivations de leurs auteurs ou, plus simplement, par les limites de leurs points de vue. Si ces sources directes, protocoles notariaux et actes de chancellerie principalement37, apparaissent peu exploitables lorsqu’elles sont analysées ponctuellement, elles révèlent en revanche tout leur intérêt lorsqu’elle sont exploitées de façon sérielle, traitées statistiquement, confrontées les unes aux autres et mises en perspective à partir des fonds privés de maisons de commerce qui nous sont parvenus38. A la base de notre démarche se situe donc la collecte de documents permettant d’établir un nombre de faits suffisamment significatif pour offrir, sinon un reflet exact de la réalité commerciale de la centaine d’établissements français, du moins une meilleure connaissance de leurs activités, des circuits marchands auxquels ils étaient intégrés et de leur évolution au cours de la période. A partir de la trame factuelle ainsi reconstituée, nous avons exploré quatre champs susceptibles de fournir autant d’éclairages sur la situation commerciale des établissements français de Cadix durant la période du comercio libre. Dans le premier chapitre, nous nous sommes intéressé à la participation des Français au commerce colonial espagnol et nous avons cherché à comprendre, à travers la description des circuits commerciaux dans lesquels ils étaient insérés, comment les négociants français de Cadix avaient pu s’adapter à la crise du commerce français à Cadix. Nous avons ensuite choisi d’élargir l’analyse en intégrant à notre étude, les trois branches annexes du négoce : la banque, l’armement et l’assurance. Trop souvent négligés par des observateurs avant tout préoccupés par les flux de marchandises, ces secteurs pouvaient cependant jouer un rôle essentiel dans l’activité et la rentabilité des compagnies marchandes, notamment celles de l’élite de la colonie qui occupaient une place centrale dans l’animation des circuits de lettres de change et de navires qui liaient Cadix à l’Europe. Le rôle d’intermédiaires que jouaient les marchands français entre les cargadores et les négociants européens intéressés dans le commerce de Cadix et les profits qu’ils tiraient de cette fonction constituent l’objet des troisième et quatrième chapitres.

37 L’intégralité des actes de chancellerie enregistrés au consulat français a été dépouillée pour la période 1779-1840 (CADN, Cadix, registres 238 à 254). Dans les fonds de l’Archivo histórico provincial de Cádiz, qui conservent l’intégralité des protocoles notariaux enregistrés dans la trentaine d’études gaditanes, nous avons procédé à divers sondages que nous préciserons dans le cours de notre travail.

38

Outre les divers fonds d’archives qui ont déjà fait l’objet de publications spécifiques (cf. infra, p. 27), nous avons effectué d’importants dépouillements dans les fonds Roux, Rivet et Solier, conservés aux Archives de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Marseille (désormais ACCIM) et dans les fonds Banque Guérin et Rey Magneval, conservés aux Archives départementales du Rhône (ADR, section ancienne, 4 J, Fonds Banque Guérin et 8 B 1173, Fonds Rey Magneval).

(25)

A travers ces quatre études, il s’agit donc de mieux cerner les atouts dont disposaient les marchands français à Cadix pour faire face aux changements introduits dans la Carrera de Indias par les réformes de 1778 et les raisons qui les poussèrent à demeurer nombreux en Andalousie jusqu’en 1796, en dépit d’un contexte politique devenu défavorable après 1789. Au-delà, cette étude des assises de la colonie française doit nous permettre de mieux comprendre les attitudes qui furent adoptées à partir du moment où la guerre entre l’Espagne et l’Angleterre provoqua l’interruption des échanges maritimes entre Cadix et et les Indes et, à moyen terme, la disparition du monopole sur lequel s’était fondée la prospérité de la ville.

(26)
(27)

Chapitre 1. La participation des marchands français au

commerce de Cadix à l’époque du comercio libre

En l’absence d’une grande synthèse sur l’activité commerciale des négociants français de Cadix au XVIIIe siècle, comparable à la thèse qu’Albert Girard a consacrée à l’époque des Habsbourg39, la bibliographie sur la question demeure très lacunaire. On dispose pourtant maintenant d’une série de travaux monographiques suffisamment importante permettant de tirer des conclusions de portée générale. Les articles d’Henri Sée et François Dornic, fondés sur la correspondance des maisons Magon et Granjean, l’ouvrage de Louis Dermigny sur la compagnie Solier et la thèse de Robert Chamboredon, qui a étudié les sociétés dirigées par les frères Fornier, offrent en effet des éclairages de premier intérêt sur ces différentes compagnies40. De même, les nombreux travaux qui ont été menés à partir du fonds Roux conservé à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Marseille permettent d’observer le commerce de Cadix à travers le prisme d’un négociant marseillais qui y détenait de nombreux intérêts et maintenait une correspondance suivie avec une dizaine de maisons de la place41. Quant à la synthèse que Michel Zylberberg a proposée sur la question des relations commerciales entre la France et l’Espagne à la fin du XVIIIe

siècle, elle se distingue par la richesse de l’information qu’elle apporte sur les établissements français de la place42

. Plus que les exemples, ce sont donc la toile de fond et la vision d’ensemble qui font défaut à une meilleure compréhension de la participation des négociants français au commerce colonial à l’époque du comercio libre.

La toile de fond du commerce de Cadix demeure en effet méconnue puisque, si l’on connaît relativement bien maintenant les volumes de marchandises qui transitaient dans le cadre de la Carrera de Indias43, les échanges entre la ville et l’Europe ou les autres marchés

39 GIRARD A., Le commerce français à Séville et à Cadix au temps des Habsbourg, op. cit.

40 SEE H., « Notas sobre el comercio francés en Cádiz y particularmente sobre el comercio de las telas bretonas en el siglo XVIII, Anuario de Estudios del derecho espanol, n°2, 1925, p. 179-195. DORNIC F., « Le commerce des Français à Cadix d’après les papiers d’Antoine Granjean », Annales ESC, 1954, p. 311-327. DERMIGNY L.,

Cargaisons indiennes. Solier et Cie (1781-1793), Paris, 1960. CHAMBOREDON R., Fils de soie sur le théâtre des prodiges du commerce. La maison Gilly-Fornier à Cadix au XVIIIe siècle (1748-1786), thèse de doctorat,

Université de Toulouse, 1995.

41 CARRIERE C., « Renouveau espagnol et prêt à la grosse aventure », RHMC, 1970, p. 221-252. BLANC J.,

Négociants marseillais, Cadix, l’Amérique espagnole : les Magon Lefer d’après le fonds Roux (1729-1789),

mémoire de maîtrise, Aix-en-Provence, 1970. LUPO S., Du commerce erratique d’un réseau négociant. Les

relations de négoce entre Cadix et Marseille à partir de la correspondance entre les maisons Verduc et Roux (1733-1772), mémoire de maîtrise, Aix-en-Provence, 2002.

42 ZYLBERBERG M., Une si douce domination. Les milieux d’affaires français et l’Espagne vers 1780-1808, Paris, 1993.

43

Relativement seulement, car les chiffres proposés par les divers historiens ne concordent encore qu’imparfaitement. Un point satisfaisant sur la question peut cependant être établi à partir de l’article suivant :

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