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Importateurs de marchandises manufacturées, « placeurs » de ces marchandises sur le marché gaditan, les négociants français de Cadix étaient aussi des exportateurs, chargés par leurs correspondants de les approvisionner en produits coloniaux. On sait que l’essentiel des cargaisons revenant des Indes à Cadix était composé, en valeur, par les métaux précieux extraits des mines du Pérou et du Nouveau-Mexique. Les « fruits », terme générique pour désigner l’ensemble des denrées coloniales, occupaient une position très en retrait mais qui ne cessa de se consolider dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Parmi ces fruits, les matières tinctoriales produites en Amérique centrale (cochenille, indigo et bois de Campêche) occupent une place prépondérante, devant les cuirs de Buenos Aires, le cacao de Caracas et diverses plantes médicinales (quinquina, jalap, salsepareille). En revanche, le sucre, le café et le coton constituent des postes très modestes comparés aux volumes qui étaient importés des possessions françaises ou anglaises. La reconstitution de la conjoncture des importations coloniales a donné lieu à moins de controverses que celle des exportations vers les colonies. Les chiffres avancés par J. Fisher, M. Morineau et A. Garcia-Baquero González concordent tous pour décrire la très forte croissance qui s’est produite dans les années 1780 et qui s’est maintenue sans fléchir jusqu’en 1796, croissance à laquelle participèrent notamment les

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Notons cependant que sur les vingt registres de la correspondance adressée par l’administration centrale à la douane de Cadix que nous avons dépouillés, pas un seul courrier n’évoque une affaire de corruption. De même, Robert Chamboredon n’a rencontré aucune preuve de la corruption de douaniers (op. cit., p. 177).

181 Ainsi, les frères Fornier utilisent un commis unique et expérimenté pour les relations avec la douane (CHAMBOREDON R, op. cit., p. 180.).

182 Divers témoins ont rapporté que la contrebande des piastres se faisait par le biais des « metedores », des jeunes gens, pouvant être issus de bonnes familles, qui étaient chargés de faire passer les piastres la nuit par dessus les remparts. (BUSTOS RODRIGUEZ M., Cádiz en el sistema atlántico, op. cit., p. 401).

183 En ce qui concerne les relations entre les négociants et les représentants des autorités françaises et espagnoles, nous renvoyons à notre article traitant de la question : BARTOLOMEI A., « Les relations entre les négociants français de Cadix et le pouvoir : comportements collectifs et stratégies individuelles (fin XVIIIe siècle) », contribution au colloque « Individuos, familias y grupos : prácticas mercantiles y poderes en la Monarquía hispaníca (ss. XV-XVIII) », Madrid, Casa de Velázquez, 26 et 27 janvier 2006 (à paraître dans les actes du colloque).

retours en fruits qui connurent alors un réel envol184. Dans la mesure où seule une petite partie de ces retours était consommée à Cadix et en Andalousie, l’essentiel était réexporté vers les riches marchés urbains européens et redistribué à partir de centres comme Londres, Amsterdam ou Marseille vers l’ensemble du continent.

Ces produits devaient donc constituer l’essentiel des cargaisons que les négociants français destinaient à leurs correspondants européens, même si nous ne disposons d’aucune statistique permettant d’évaluer le chiffre global de ce commerce ou la part qu’ils représentaient dans les exportations de Cadix. Le dépouillement des 94 connaissements conservés dans le fonds Roux pour la période 1778-1790 offre cependant un premier exemple qui ne manque pas d’intérêt185

. Il donne une vision précise de la diversité des produits expédiés par douze compagnies de Cadix, françaises dans leur très grande majorité (9 sur 12), à une compagnie marseillaise de premier niveau :

Tableau 3 : Le commerce entre Cadix et Marseille d’après les connaissements du fonds Roux Produits Nombre de connaissements Quantité Cochenille 45 2217 surons Piastres 13 423 000

Vin 12 20 barils + 50 bouteilles

Bois 8 18 009 bûches de Campêche + 100 quintaux de Brasilete Sucre 4 12 sacs Cacao 3 22 sacs Cuirs 2 1006 pièces Laines 2 54 balles Jalap 2 24 surons Quiquina 1 12 caisses Vanille 1 2 paquets Toiles 1 2 ballots Source : ACCIM, Fonds Roux, LIX-1139

184 Partant d’un indice 100 pour la période 1747-1778, les valeurs des retours se situent à l’indice 170 d’après les chiffres relevés par J. Fisher et 190 d’après ceux d’A. García-Baquero González, dans GARCIA-BAQUERO GONZALEZ A., « Los resultados del comercio libre », op. cit., p. 316.

De nombreuses réserves pourraient être émises sur l’information ci-dessus reproduite186, la réalité qui s’en dégage rejoint cependant les autres témoignages dont nous disposons sur la composition des retours qui étaient faits par les maisons françaises de Cadix : les piastres arrivent largement en tête en ce qui concerne les valeurs et parmi les denrées, la cochenille occupe le premier rang, devant le bois et les cuirs alors que le cacao et le sucre sont très en retrait ; enfin, les produits andalous occupent une position tout à fait marginale, les quelques barils de vin expédiés à l’unité depuis Cadix relevant plutôt de la consommation personnelle des destinataires que de réelles spéculations commerciales.

Ainsi, en dépit des limites de notre documentation, le recours croisé aux archives d’entreprises qui ont été exploitées dans des études monographiques ou que nous avons consultées et à des échantillons d’actes commerciaux constitués à partir des dépouillements des archives consulaires et notariales, permet de compléter le tableau des circuits empruntés par ces retours et de multiplier les portraits des acteurs qui jouaient un rôle significatif dans cette branche du commerce de la ville. Etant donné les spécificités du commerce des piastres et leur importance, il convient de les aborder en priorité.

Le commerce des piastres

Les circuits empruntés par les piastres gaditanes après leur déchargement, ou transbordement, dans la baie de Cadix, sont bien connus. Le rôle de villes comme Bayonne ou Marseille dans la redistribution des piastres tant vers les marchés européens (Paris, Lyon, Londres, Amsterdam) que vers des destinations plus lointaines (le Levant, les Indes orientales, voire les Antilles) a été mis en valeur par de nombreux travaux187. Pour Marseille, l’ouvrage de Marcel Courdurié et Ferréol Rebuffat consacré aux années 1785-1790 propose par exemple un apport d’une très grande valeur sur la question, en fournissant des informations tant sur la conjoncture locale des arrivées de piastres que sur les acteurs de leur commerce, leurs réseaux et leurs pratiques. Au total, Marseille aurait reçu trois millions de piastres au cours de ces six

186 Il est fort probable que la série des connaissements soit incomplète et elle ne nous livre au total que les marchandises consignées à une compagnie marseillaise.

187 Pour Marseille, cf. CARRIERE C., Négociants marseillais au XVIIIe siècle, Marseille, 1973, vol. 2, p. 825-

826 et 980), COURDURIÉ M., REBUFFAT F. Marseille et le négoce monétaire international (1785-1790), Marseille, 1966 et les mémoires de maîtrise de Jacques Blanc (Négociants marseillais, Cadix, l’Amérique

espagnole, op. cit.) et Sébastien Lupo (Du commerce erratique d’un réseau négociant, op. cit.), tous deux basés

sur le dépouillement de la correspondance du fonds Roux. Le cas bayonnais a été en revanche moins étudié. D’une manière générale, M. Zylberberg livre une excellente synthèse sur la question dans Une si douce

années, avec des variations très fortes d’une année sur l’autre188

, entraînées tant par la conjoncture gaditane que par les freins que les autorités espagnoles opposaient aux exportations de métaux. En effet, si les exportations de piastres étaient officiellement soumises à l’octroi de permis officiels que les négociants devaient solliciter auprès du Banco de San Carlos, elles échappaient en partie à cette contrainte, en raison du rôle que jouait la contrebande très active dans ce secteur. La « voie économique », le terme employé dans la correspondance pour désigner les exportations illégales, était largement empruntée soit pour contourner l’absence d’obtention des permis dont l’attribution était soumise au « caprice » des autorités189, soit plus prosaïquement en raison des 0,75 % d’économie qui résultaient de la différence entre les droits de sortie et le paiement des commissions aux contrebandiers190. Cependant, même en ce qui concerne le commerce des piastres, il n’est pas sûr que la contrebande ait eu le caractère généralisé qui lui a habituellement été prêté comme en témoignent les cas des compagnies Fornier et Lenormand que nous développerons ci-après.

Le dépouillement systématique de la correspondance échangée entre les maisons Roux et Magon Lefer de Cadix à laquelle Jacques Blanc s’est livré permet de préciser la nature des échanges entre Marseille et Cadix. Dans les années 1730, la maison de Cadix a expédié 74 000 piastres soit en compte à demi avec Roux, soit en participation avec un troisième partenaire, la banque Tourton Baur de Paris. Dans les années 1770-1780191, les modalités ont changé : en 1774-1776, les 200 000 piastres exportées le sont toutes pour le compte de Claude Aimé Vincent de Lyon, en 1776-1777, la compagnie Roux reçoit 30 000 piastres pour son propre compte et les 36 000 piastres expédiées en 1785 sont pour le compte de Magon Lefer de Cadix avec ordre de les vendre à Marseille et d’en remettre la valeur en lettres de change à la banque Vandenyver de Paris, moyennant une commission d’un 1/3 pour l’intermédiaire marseillais192. Par ailleurs, à la même époque, la maison Magon procédait à d’autres envois d’importance pour le compte de maisons parisiennes mais elle utilisait pour cela un autre consignataire que Roux. Le fonctionnement du compte à demi entre les compagnies Roux et Verduc, très actif dans les années 1730-1760 (169 affaires répertoriées), avant d’être délaissé dans les années 1760, fournit une autre illustration du fonctionnement de ce commerce : la société Verduc achète les piastres à Cadix et les expédie à Marseille où son correspondant est

188 On distingue nettement des pics en 1786, 1788 et 1791 et des années creuses en 1785, 1787 et 1789.

189 « La permission pour l’extraction dépendant du caprice de la Banque, on ne peut statuer sur rien de fixe et par conséquent déterminer des envois à l’avance » (correspondance de Magon Lefer frères et Cie à Roux frères, Cadix, 29 novembre 1785, citée dans COURDURIÉ M., REBUFFAT F. , op. cit., p. 17).

190 CHAMBOREDON R., op. cit., p. 554.

191 La coupure des années 1740, 1750 et 1760 est liée aux lacunes de la correspondance et non à une interruption des liaisons entre les deux maisons.

chargé de les réceptionner, de les vendre à un bon prix sur un marché constamment déficitaire et d’acquérir des lettres sur Cadix, Madrid ou Paris pour lui rembourser son demi d’intérêt193

. La procédure est très similaire dans cette affaire également tirée de la correspondance Roux : le 30 mai 1786, le négociant espagnol Mendoza et la maison française Dubernad Jaureguiberry expédient des piastres à Marseille, à la consignation de la compagnie Roux frères qui retire 66 920 livres tournois de leur vente ; pour rembourser ses correspondants gaditans, cette dernière les invite à tirer des traites sur elle, payables à Paris194. Un autre exemple bien documenté est celui des frères Fornier qui ont des comptes en participation très actifs tout au long des années 1750-1760 avec leurs correspondants de Londres (Thellusson, Muilman), Paris (Arnail Fornier, Thellusson Necker puis leurs successeurs Germany Girardot), Lyon (Auriol, Scherer, André, Pomaret Rillet et Couderc Passavant) et Amsterdam (Vernède)195. Notons que les frères Fornier prétendaient « répugner » à pratiquer la contrebande et ne s’y livrer qu’en raison des pressions exercées sur eux par leurs partenaires européens196. Quant à la compagnie de Simon Lenormand, elle pourrait avoir été le principal exportateur de piastres parmi les maisons françaises de la place. Le dépouillement de l’intégralité de la correspondance entre cette maison gaditane et la compagnie Roux frères permet d’avoir une connaissance précise des modalités d’envoi des 234 000 piastres qu’elle a consignées à ses correspondants marseillais entre 1785 et 1790197. Les opérations sont menées pour le compte de la compagnie gaditane (48 000 pesos en 1785), pour le compte de correspondants parisien (100 000 pesos pour Pierre Lalanne en 1788) ou madrilène (8000 pesos pour Cabarrus et Lalanne en 1785) ou, à partir de 1789, dans le cadre d’un compte à demi liant les deux partenaires de Marseille et de Cadix (48 000 pesos en 1789-1790). Comme dans tous les autres exemples évoqués, les maisons de Cadix et Marseille agissent donc, tantôt en tant que simples commissionnaires, tantôt en prenant des intérêts dans les envois. Dans l’ensemble, les gérants de Cadix semblent peu satisfaits de ce commerce qui est soumis à l’octroi des permis d’extraction par le Banco de San Carlos (ils déclarent en effet refuser d’avoir recours à la contrebande198

) et qui offre le plus souvent un « bénéfice bien

193 LUPO S., op. cit., p. 47. 194

ACCIM, Fonds Roux, LIX-855, 30/05/1786. 195 CHAMBOREDON R., op. cit., p. 551. 196 ibidem, p. 554.

197 ACCIM, Fonds Roux, LIX-826. La correspondance comprend 111 pièces, elle n’est cependant pas complète et d’autres envois ont eu lieu comme en témoigne le dépouillement des connaissements qui révèle que 332 000 piastres ont été expédiées par Simon Lenormand et Cie (ACCIM, Fonds Roux, LIX-1139).

198 « Nous n’avons jamais eu et n’aurons jamais dans l’idée de les [les piastres] exposer au risque de contrebande », ibidem, 26/08/1785. Un tel principe expose les partenaires à des frais supplémentaires et à l’incertitude de la politique monétaire du gouvernement espagnol. Ainsi, en 1785, les expéditions de piastres sont interrompues car les dirigeants du Banco de San Carlos exigent d’être payés en vales reales, ce qui en

mince ou peu engageant »199. Aussi, dès le mois de février 1790, le compte à demi ouvert en 1789, qui n’a laissé « guère plus de bénéfice qu’une commission » au cours de sa première année200, est délaissé au profit d’un compte à demi portant sur des arbitrages papier qui absorbe la totalité de leurs opérations en 1790.

A travers ces exemples et d’autres fournis par la bibliographie201

, il est donc aisé d’identifier les maisons françaises de Cadix qui étaient les plus actives dans ce secteur : Magon Lefer, Lenormand, Lecouteulx, Cayla Solier, Fornier, Macé, Casaubon Béhic, Verduc, Prasca Arboré, Quentin. Presque toutes ces compagnies appartiennent à l’élite de la colonie. Cette première liste d’acteurs, tirée des correspondances commerciales, rend-elle compte cependant de la totalité des maisons qui opéraient dans ce secteur ? Le recours aux archives locales permet, en changeant d’optique, de s’en assurer.

Les dix-neuf opérations d’exportation de piastres que nous avons relevées pour la période 1778-1791 dans nos divers dépouillements confirment les constats tirés de la correspondance, aussi bien pour ce qui concerne l’identité des acteurs qui tiennent ce marché que pour leurs pratiques202. Sur les 29 898 369 reales de piastres exportées, 86 % l’ont été par trois maisons : Magon Lefer (11 898 336 reales), Lecouteulx Desportes (11 156 250 reales) et Lenormand (2 613 750 reales)203. Ces compagnies appartenant à l’élite de la colonie se trouvaient impliquées dans ces vastes mouvements de numéraire en raison des liens étroits qu’elles entretenaient avec le pouvoir français, au sein duquel elles disposaient de relais

renchérit le coût (ibidem, 18/11/1785) et en mai 1790, les tensions entre l’Espagne et l’Angleterre provoquent l’interruption des octrois de permis d’exportation pendant une durée de trois mois (ibidem, 25/05/1790 et 03/08/1790).

199

ibidem, courrier du 19/05/1786. 200

ibidem, courrier du 26/03/1790

201 En 1750 par exemple, sur les 2 131 000 piastres dont l’exportation a été autorisée par le marquis de Ensenada, trois maisons françaises obtiennent plus de la moitié des permissions : Macé (500 000), Magon Lefer (330 000) et Cayla Solier Cabannes Jugla (300 000). L’année suivante, la compagnie Casaubon Béhic, correspondante à Cadix de la Compagnie des Indes, reçoit des permis pour 2 500 000 piastres (ZYLBERBERG M., op. cit., p. 79). On peut compléter cette liste avec les noms de Lecouteulx, Dechegaray, Sylvestre Chambovet et Prasca Arboré qui sont mentionnés parmi les principaux acteurs du secteur dans la correspondance des frères Fornier (CHAMBOREDON R., op. cit., p. 559-561).

202 Quatre opérations ont été identifiées dans la correspondance passive d’Edouard Boyetet, agent français des affaires commerciales à Madrid et, à ce titre chargé de la négociation des permis d’extraction auprès des autorités (AHN, Estado, 555, courriers du 12/02/1779, 29/01/1779 et 18/05/1779). Treize opérations ont été relevées dans les actes de chancellerie du consulat, cf. CADN, Cadix, 238-121 (04/01/1780), 240- 241(08/05/1786), 241-36 (26/09/1787), 241-422 (03/02/1789), 241-467 (08/04/1789), 242-224 (16/09/1790), 242-281 (19/11/1790), 242-290 (01/12/1790), 242-300 (16/12/1790), 242-351 (15/02/1791), 242-392 (05/04/1791). Enfin, deux affaires sont évoquées dans la correspondance de la douane de Cadix (AHPC,

Hacienda, livre 37, 08/01/1782 et livre 38, 06/08/1783).

fiables en la personne des banquiers parisiens qui les commanditaient204. Ainsi, il n’est pas surprenant qu’elles aient été chargées d’effectuer les envois de piastres destinés à l’administration coloniale des îles sous domination française205

. Le commerce des Indes orientales constitue un deuxième circuit d’extraction des piastres gaditanes. Notre échantillon en témoigne, tant à travers des affaires de grande envergure – ainsi les permis de 430 000 piastres obtenus par la maison d’origine nantaise Delaville et la maison franco-flamande Dewulf Morel Sorhaits206 – qu’à travers des opérations beaucoup plus modestes tels les prêts à la grosse aventure que la maison Magon Lefer octroie à des capitaines naviguant pour le compte de la Compagnie des Indes (170 369 reales en quatre contrats)207.

Ce qui est le moins bien représenté dans notre échantillon, ce sont finalement les exportations banales de piastres, celles qui transitent entre les mains des maisons de Marseille, de Perpignan, d’Oloron ou de Bayonne. Les 167 500 reales consignés à Jean Payan de Marseille, les 40 000 qui le sont en 1780 par Verduc Jolif Séré et les 127 500 reales en 1787 exportés par Magon Lefer, ou encore les 423 000 piastres recensées dans les connaissements du fonds Roux, ne nous donnent qu’un petit aperçu des trois millions de piastres reçues à Marseille pour les seules années 1785-1791. Il faut donc se reporter aux archives privées pour identifier les autres acteurs de ces « flots blancs » qui se sont déversés sur la France dans les années 1780208. Nous avons mentionné les partenaires de la compagnie Roux, Magon, Quentin et Lenormand, ce qui amène à penser que ce sont les mêmes maisons qui alimentent les énormes flux de la finance et du commerce des Indes orientales et ceux, plus modestes,

204 Simon Lenormand est receveur général des finances et il a été titulaire du monopole de l’importation des piastres en France entre 1785 et 1790. Les banquiers Lecouteulx qui avaient joui de ce droit avant 1785 évoluent également dans les hautes sphères de la finance et de la banque parisienne, ainsi que Jean-Baptiste Magon de la Balue. Pour plus d’informations sur le versant français du commerce des piastres, nous renvoyons à Michel Zylberberg qui a consacré une étude très précise à la question (ZYLBERBERG M., op. cit., p. 317-342).

205 C’est le cas des 2 613 750 reales expédiés en 1790 par Lenormand à la Martinique et des 2 125 000 reales chargés par Magon pour l’Ile de France en 1791. Quant aux permis d’exportation de 700 000 piastres (7 437 500 reales) qui sont accordés à la compagnie Lecouteulx en 1779 et ceux de 500 000 piastres (5 312 500 reales) qui le sont à la maison Magon en 1783, ces derniers « en vertu des instances de l’ambassadeur de France et du désir de donner au roi de France un signe d’amitié » – « un señal de amistad » dans le texte – on devine que ces deux affaires répondent également à des logiques économiques de nature financière plus que commerciale (AHPC, Aduana, 38, 06/08/1783). En ce qui concerne, les permis qu’elles ont obtenus par le biais de Boyetet, il est plus difficile d’identifier cette logique financière mais les montants en jeu le suggèrent cependant (200 000 piastres pour Lecouteulx et Cie et 400 000 piastres pour Magon Lefer et Cie).

206

Les piastres doivent être chargées sur le navire impérial le Prince de Kaunitz qui, armé par le comte de Proly d’Anvers à Lorient, a pour destination la Chine et dont le retour est prévu à Trieste.

207 Les consignataires de la Compagnie des Indes ont été successivement les maisons Béhic, Magon et Lecouteulx. Nous avons relevé dans les actes de chancellerie, quatre contrats de grosse signés par les capitaines du Dauphin, du Necker, du Maréchal de Duras et du Reyne, en faveur de Magon Lefer entre 1786 et 1789, pour un montant total de 107 915 reales. Ces documents témoignent du fait que les consignataires officiels de la Compagnie des Indes à Cadix, dont la mission centrale était de procurer aux navires y faisant relâche, les précieuses piastres destinées à la Chine ou à l’Inde, arrondissaient leurs commissions en prêtant à la grosse, pour leur propre compte, aux capitaines ou aux membres des équipages

destinés à l’Europe. Qu’en est-il des maisons plus humbles qui composent le gros de la colonie française ? On ne peut que supposer que les nombreuses maisons béarnaises et