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Alors que les échanges entre le port andalou et les colonies américaines ont suscité de nombreux travaux, aucune statistique sur l’activité d’ensemble du port de Cadix n’a jamais été publiée. Pourtant, un « bulletin maritime » consignant chaque semaine les entrées et les sorties du port est paru tout au long du XVIIIe siècle et, chaque année, le premier numéro du mois de janvier incluait un état du trafic portuaire de l’année précédente. Les quelque deux cents exemplaires que nous avons trouvés dans la correspondance du consul français de

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ZYLBERBERG M., « Un centre financier périphérique : Madrid dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle »,

Cadix, nous ont permis de recueillir les données relatives aux années 1779, 1788, 1789, 1790, 1791, 1792, 1795 et 1796391. Nous disposons en outre de deux « états généraux » établis par le consul de France à Cadix, certainement à partir de la même source, pour les années 1784 et 1785392. A partir de ces documents, il est donc possible de retracer l’évolution du trafic maritime à Cadix au moment où la place est à son apogée393.

Graphique 1 : Navires entrés dans le port de Cadix (1784- 1795) 0 200 400 600 800 1000 1200 1400 1600 1784 1785 1786 1787 1788 1789 1790 1791 1792 1793 1794 1795 Total des navires entrés dont navires provenant des colonies

Source : Parte oficial de la Vigía de Cádiz (AN, AE, BI, 349 et 353)

Le port reçoit en moyenne 1000 navires au long cours par an durant cette période avec des valeurs extrêmes en 1789 (1386) et en 1795 (837). Ces chiffres situent Cadix à un niveau très proche de celui de Marseille qui accueillait un nombre de navires similaire dans les années 1780394. Ils permettent également d’apprécier la part du trafic colonial dans le

391 Le bulletin maritime de Cadix, intitulé Parte oficial de la Vigía de Cádiz, est une « feuille mercantile » publiée hebdomadairement par un imprimeur local qui y relève les entrées et sorties de navires de la semaine ainsi que l’identité des navires mouillant dans la baie. Les informations fournies sont succinctes : pour les navires qui arrivent dans le port, sont mentionnés le type de navire, son tonnage, son pavillon, le nom de son capitaine, son port d’origine, une description sommaire de sa cargaison et le nom de son consignataire. Pendant la durée du mouillage, seules les cinq premières informations sont reprises chaque semaine et le port de destination du navire est mentionné dès qu’il est connu par l’éditeur. Lors du départ du navire, le port de destination est systématiquement mentionné, mais aucune information n’est fournie sur la cargaison. Notre échantillon comprend 207 bulletins maritimes : 203 exemplaires couvrant inégalement la période 1788-1796 ont été relevés dans les archives consulaires (AN, AE, BIII, 353 ), trois exemplaires datés de 1779 l’ont été dans la correspondance de Edouard Boyetet, le chargé des affaires commerciales de France à Madrid (AHN, Estado, 4008) et le dernier exemplaire, daté de 1795, provient de la correspondance du gouverneur de Cadix (AHN,

Estado, 555).

392 AN, AE, BI, 349.

393 Les documents ne fournissent pas les données du trafic colonial pour les années 1784, 1788 et 1789. En outre, il est précisé en note, au dessous des statistiques globales publiées annuellement par les bulletins maritimes de Cadix, que « Ademas de los Buques expresados, han entrado mayor numero de Embarcaciones menores Españolas, de diferentes Especies, con frutos de las Costas de Africa, Levante y Poniente ». Les chiffres fournis excluent donc l’activité de cabotage réalisée par de petites embarcations espagnoles.

mouvement du port, qui oscille entre 10 et 20 %. Ainsi, bien que les négociants français aient été exclus des armements coloniaux, il est manifeste que l’activité du port était suffisamment diversifiée pour leur permettre de jouer un rôle d’importance dans le secteur maritime. Les données sont en revanche trop partielles pour dégager une tendance nette au cours de la période et on se contentera de relever que si la contraction du trafic constatée en 1795 – moins 30 % par rapport à 1792, tant pour le trafic global que pour le trafic colonial – reflète les difficultés que traverse la navigation européenne à partir de la généralisation de la guerre maritime en 1793, la crise apparaît beaucoup moins prononcée à Cadix que pour d’autres ports continentaux395.

L’importance de la ville dans les échanges européens apparaît également lorsqu’on observe la diversité des pavillons présents dans le port. Le graphique suivant offre un aperçu synthétique de la part de chacune des grandes nations maritimes dans le trafic du port pour les huit années retenues.

Source : Parte oficial de la Vigía de Cádiz (AN, AE, BI, 349 et 353)

Le pavillon espagnol, avec 2669 navires, occupe la première position, sans atteindre cependant le tiers du trafic relevé ici (8424). L’Angleterre et la France occupent les deuxième

395 L’exemple le mieux connu est celui de Marseille. Avec un trafic global de 1800 entrées de navires en 1791 (cabotage exclu), le trafic portuaire passe à 1400 en 1792 avant de s’effondrer à 200 en 1793 et 50 en 1794. L’évolution est la même si l’on ne retient que le commerce atlantique du port : les 500 navires accueillis en 1791, ne sont plus que 400 en 1792 et 120 en 1793. En 1794 et 1795, on compte seulement 10 et 15 entrées de navires ayant effectué la traversée de l’Atlantique (CARRIERE C., « Les entrées de navires dans le port de Marseille pendant la Révolution », Provence historique, t.VII, jan-mars, 1957, p. 207 et 209).

et troisième places avec respectivement 1563 et 1069 unités. L’écart entre les deux nations rivales est cependant moins important lorsqu’on se place dans une perspective chronologique396. La France, à égalité avec l’Angleterre durant les années 1780, la dépasse même en 1784 et 1790, avant de s’effondrer durant la guerre de la Convention (1793-1795), au cours de laquelle aucun navire français n’a pu entrer dans la baie de Cadix397

. Viennent ensuite les anciennes grandes puissances maritimes, le Portugal et les Provinces-Unies : avec respectivement 835 et 515 navires, ces deux pays ont conservé des rôles non négligeables dans la navigation européenne et, à Cadix, ils se maintiennent devant les royaumes scandinaves du Danemark (476) et de la Suède (298), et devant une puissance maritime en plein essor, les Etats-Unis d’Amérique (471)398. En revanche, les états italiens sont totalement marginalisés au cours de la période, Gênes, Venise et Naples qui totalisaient encore 61 entrées en 1784 et 54 en 1785 s’effondrent à 9 et 11 en 1791 et 1792. La situation est la même pour le pavillon impérial qui disparaît littéralement au début des années 1790 (une seule entrée en 1789-1791) alors qu’il représentait une trentaine d’entrées annuelles en 1784-1785.

Par l’importance et la diversité de son trafic, Cadix apparaît donc bien comme une place maritime de premier ordre dans le système atlantique du XVIIIe siècle. Ainsi, les négociants de la ville, de la même manière qu’ils tiraient profit de son statut de place commerciale ou de place de change, pouvaient obtenir des revenus substantiels dans l’animation de cette activité maritime. Deux corpus de sources se prêtant à un traitement sériel et prosopographique, les bulletins maritimes et les actes de chancellerie, permettent d’étudier le rôle des négociants français dans ce secteur et d’identifier ceux qui, au sein de la colonie, étaient parvenus à occuper les premières places.

En effet, les 207 bulletins maritimes de notre échantillon, parce qu’ils mentionnent les noms des consignataires locaux des navires entrant dans la baie, permettent de dresser la liste de la totalité des compagnies françaises qui jouaient un rôle dans ce secteur. Ils permettent également d’évaluer la part du marché qu’elles s’étaient attribuées et d’analyser les caractéristiques de la navigation sur laquelle se fondait leur activité. A cette source homogène, qui se prête à un traitement sériel systématique, s’ajoutent les actes de chancellerie qui nous

396 cf. 320. 397

Il est entendu que nous raisonnons ici à partir d’une information limitée : le nombre de navires. La prise en compte du tonnage des navires amènerait certainement à nuancer nos constats, les navires anglais étant en général plus gros que les navires français et, a fortiori, que les navires espagnols.

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Les entrées de navires américains passent de 19 en 1784 et 29 en 1785 à 55 en 1790 et 1791, avant de culminer, loin devant la France, à 142 en 1792.

procurent une information plus qualitative, qui laisse entrevoir la réalité de la fonction de consignataire de navire et la nature des liens existant entre ce dernier et ses commettants.

Le rôle des négociants français dans l’activité maritime du port : davantage des