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Le processus décennal de l’Union Européenne

Bibliographie du chapitre 1

Chapitre 2 : La déréglementation du transport aérien

2.1. Des processus menés sur des durées différentes en Amérique du Nord et en Europe

2.1.3. Le processus décennal de l’Union Européenne

Nous avons déjà décrit les principes de cette libéralisation (cf. supra, 1.3.3) qui a donné lieu à une jurisprudence abondante, et qui ne se stabilise que très progressivement. Nous nous focaliserons donc ici sur les modalités pratiques de la réforme et son appropriation par les différents États membres. L’Union Européenne présente en effet la particularité d’être une fédération de pays souverains, qui transigent difficilement sur la maîtrise de leur ciel, et qui avaient tous à l’origine une compagnie nationale dont il convenait de protéger les intérêts. Cela peut expliquer la progressivité de la réforme (il s’agit de « préparer » les compagnies nationales au choc de la libéralisation, c’est à dire bien souvent de leur conférer une rente de situation la plus confortable possible), mais aussi la réticence de certains États membres à aller plus loin encore, notamment avec la mise en place d’un espace aérien communautaire.

L’idée d’une déréglementation du secteur aérien est apparue progressivement suite à l’expérience des États-Unis. Le Royaume-Uni a logiquement poussé pour qu’une réforme similaire soit menée en Europe, mais assez prudemment, le gouvernement conservateur de l’époque ayant également parmi ses objectifs la privatisation de British Airways, dont la valeur aurait été mécaniquement diminuée en cas d’intrusion trop rapide de concurrents sur sa chasse gardée d’Heathrow ! (Dobruszkes, 2007). En attendant de convertir les autres pays membres, le gouvernement a tenté d’assouplir un maximum d’accords bilatéraux avec les autres membres de l’UE avec le soutien de la Commission Européenne. Cette dernière tente en vain de convaincre le Conseil des Ministres en 1984 au moyen d’un Mémorandum40 préconisant l’adoption d’une réforme moins radicale que ce qui avait été pratiqué aux États-Unis, avec un retrait plus progressif des réglementations d’État et un encadrement strict de la concurrence. Elle reçoit le soutien d’un certain nombre de grandes compagnies aériennes, qui se sentent assez solides pour affronter davantage de concurrence (British Airways et KLM notamment).

40 Mémorandum n· 2 sur l'aviation civile: État d'avancement des travaux en vue du développement d'une politique

C’est l’Acte Unique de 1986 qui constitue le texte fondateur de la libéralisation du marché des transports en Europe, celle-ci constituant désormais un objectif explicite de la politique communautaire. S’y ajoute la même année, heureux hasard du calendrier, l’arrêt de la Cour de Justice européenne, dit arrêt Nouvelles Frontières, qui étend au domaine des transports les dispositions du Traité interdisant notamment les mesures concertées de fixation des prix et/ou du niveau de production, et qui rappelle que la Commission dispose d’un droit d’enquête sur les accords qui ne lui paraîtraient pas conformes à cette règle. Cette dernière ne s’en prive pas, ce qui met les États en porte-à-faux et qui rend la réforme inéluctable.

Celle-ci se décompose en trois « paquets » successifs :

-le premier paquet (1987, effet immédiat) assouplit légèrement les règles du jeu dans un premier temps : il étend les possibilités d’application des troisième, quatrième et cinquième libertés entre les États membres, et il autorise des répartitions des capacités entre compagnies dans le cadre des accords existants différentes de la stricte parité. Les positions dominantes doivent être combattues et tous pouvoirs sont donnés à la Commission pour mener des enquêtes et pour infliger des amendes si néccessaire.

-le deuxième paquet (1990, entrée en vigueur de la grande majorité des mesures au 1er novembre de la même année) approfondit la réforme en s’appuyant sur un nouvel arrêt de la Cour de Justice d’avril 1989. Les 3ème et 4ème libertés sont presque complètement libéralisées, les possibilités d’user de la cinquième liberté sont élargies, celles de moduler les tarifs sont étendues. En revanche, les règles d’accès au marché sont précisées : allocation des créneaux, exigences en matière de sécurité, respect de l’environnement, etc. La possibilité pour les États de définir et d’imposer des obligations de service public (OSP) est énoncée et encadrée.

-le troisième paquet (1992, entrée en vigueur au plus tard le 1er avril 1997) parachève le processus en ouvrant complètement le marché intracommunautaire (liaisons domestiques comprises) aux seules compagnies communautaires. Le cabotage intégral (neuvième liberté) est autorisé, les tarifs sont libérés.

Les principales mesures du « troisième paquet » relatif au transport aérien (1992)

1/Le marché ouvert est accessible à toutes les compagnies munies d'une licence de transporteur

aérien communautaire (règlement n° 2407/92). Afin de l'obtenir, la majorité de leur capital doit être

aux mains d'États membres ou de ressortissants de l'Union européenne. Ces derniers doivent par ailleurs effectivement contrôler la compagnie. Les aptitudes techniques et la capacité financière des compagnies sont sanctionnées par des certificats nationaux. Les compagnies doivent soumettre aux autorités un plan de développement sur deux ans et apporter la preuve qu'elles seront capables de faire face à leurs coût d'exploitation pendant trois mois sans encaisser aucun revenu.

2/La liberté d'accès au marché a été établie par le règlement n° 2408/92. Ce texte a ouvert sans restrictions, dès le 1er janvier 1993, toutes les liaisons internationales à l'intérieur de l'Union européenne à toutes les compagnies munies d'une licence communautaire. Depuis avril 1997, l'accès inconditionnel de tous les marchés domestiques a été accordé à toutes les compagnies aériennes de l'Union européenne.

3/La liberté tarifaire, jugée indissociable du libre accès au marché communautaire, a été instaurée. Le règlement n°2409/92 stipule que les compagnies aériennes ne sont plus tenues de soumettre leurs tarifs à l'approbation des autorités nationales. Tout au plus doivent-elles les en informer vingt-quatre heures avant d'appliquer le nouveau tarif sur le marché. Le règlement prévoit néanmoins le rétablissement de mécanismes de contrôle, dans des circonstances exceptionnelles.

Interviendra par la suite une réglementation de l’attribution des créneaux aéroportuaires (règlement n° 95/93 du 18 janvier 1993) et une libéralisation des services aéroportuaires (directive n° 96/67 du 15 octobre 1996). Les droits des passagers, notamment vis-à-vis des surréservations, ont été renforcés bien au-delà des indemnisations standard de l’IATA, lesquelles ne s’appliquaient de toute façon qu’à ses membres. Or, la plupart des compagnies à bas prix qui ont émergé à partir ses années 1990 n’ont pas adhéré à l’IATA.

Le règlement 261/2004 vise donc à protéger davantage les voyageurs aériens, en imposant une indemnisation et une assistance qui n’étaient pas toujours proposées par les compagnies.

La suite logique des réformes déjà engagées devrait être une implication plus systématique de la Commission dans la négociation des accords bilatéraux ou multilatéraux avec les pays tiers. La règle de l’ordre dispersé reste toujours valable, notamment pour ce qui concerne les relations avec les États-Unis. Or ces derniers tentent systématiquement d’imposer des ouvertures asymétriques des marchés, en interdisant aux compagnies européennes d’user de la huitième liberté (cabotage consécutif) alors que des compagnies nord-américaines peuvent la pratiquer de fait au sein de l’UE (entre pays distincts, il est vrai), et en limitant le nombre d’aéroports des États-Unis ouverts au trafic international direct.

Dans le cadre d'une procédure remettant en cause les accords de « ciel ouvert » conclus avec les Etats-Unis par huit pays membres, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a rendu le 5 novembre 2002 plusieurs arrêts déclarant la clause de nationalité type de ces accords aériens bilatéraux contraire au principe de liberté d'établissement établi par l'article 43 (ex. 52) du Traité de Rome qui dispose que « les

restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État-membre dans le territoire d'un autre État-membre sont interdites (....). La liberté d'établissement comporte (....) la constitution et la gestion d'entreprises ». Ces arrêts s'inscrivent donc

tout à fait dans le cadre des réflexions de la Commission.

Son interprétation de ces arrêts est naturellement maximaliste puisqu'elle prévoit que l'ensemble des compagnies communautaires puissent bénéficier depuis l'Union européenne des mêmes possibilités d'accès au marché des pays tiers. Dans cette optique, la Commission a publié en février 2003 une communication41 concernant les relations entre la Communauté et les pays tiers dans le domaine de l'aviation où elle plaide pour une politique extérieure de l'aviation européenne, « en vue de traiter les principaux problèmes

auxquels est confrontée l'industrie communautaire et l'Union européenne dans son ensemble ». Elle plaide notamment pour la mise en place d'un espace aérien

transatlantique commun (TCAA), dans le but de créer un « marché unique » qui remplacera les différents accords bilatéraux conclus entre les États-membres et les États-Unis. La Commission plaide enfin pour être la voix des États-membres dans les instances internationales de l'aviation civile.

Lors du Conseil européen des ministres des transports du 5 juin 2003, la Commission a obtenu mandat de négocier l'espace aérien commun transatlantique évoqué ci-dessus. Ce mandat est fondamental étant donné l'importance du marché concerné. Dans ce cadre, à terme, toute compagnie communautaire devrait pouvoir exploiter des lignes entre n'importe quel point d'Europe et les États-Unis. La Commission a également obtenu mandat pour modifier les accords bilatéraux de transports aériens des États-membres sur des points mineurs (clause de propriété et de contrôle, tarifs intracommunautaires, etc.) ne touchant pas aux droits de trafic.

Des pays membres ont pu anticiper les évolutions de la réglementation communautaire. Ainsi, le Royaume-Uni et l’Irlande libéralisent leur ciel dès 1986 et la compagnie nationale British Airways est privatisée en 1987. Cette avance aura été déterminante pour le développement de compagnies déjà rodées à la concurrence, et prêtes de ce fait à s’implanter sur d’autres marchés au fur et à mesure de leur ouverture. Il n’est pas étonnant que les acteurs majeurs du marché des compagnies à bas prix soient issus de ces deux pays : Ryanair, Easyjet, bmibaby, etc. Cette évolution peut être mise en parallèle avec ce qui s’est produit dans le domaine du transport public terrestre de voyageurs (voir

infra, 4.5.1).

41 Proposition concernant la négociation et la mise en œuvre d'accords relatifs à des services aériens entre les

La France s’est trouvée obligée pour sa part d’ouvrir son marché par anticipation, en contrepartie du rachat d’Air Inter et d’UTA par Air France en 1990. Au 1er mars 1991, 61 lignes au départ de Paris devaient être ouvertes progressivement à la concurrence en autorisant d’autres compagnies à s’y implanter. Huit liaisons nationales totalisant 60 % du marché intérieur français étaient concernées (dont les six lignes « millionnaires » : Paris – Toulouse, Paris – Nice, Paris – Marseille, Paris – Strasbourg, Paris - Montpellier et Paris – Bordeaux). Cette ouverture n’a été effective, du fait de multiples manœuvres dilatoires du gouvernement français sanctionnées par des rappels à l’ordre de Bruxelles, qu’au 1er janvier 1995 sur deux lignes seulement (Orly – Marseille, Orly - Toulouse), et au 1er janvier 1996 sur l’ensemble des lignes intérieures pour les seules compagnies battant pavillon français. En rachetant les compagnies Air Liberté et TAT, British Airways a pu s’inviter sur le marché hexagonal, avec 25 escales et 20 % des créneaux horaires à Orly, mais elle n’a pu s’implanter durablement : c’est Swissair qui a récupéré la mise en 2000, avant de sombrer deux ans plus tard pour des motifs extérieurs au contexte français... Air France, pour sa part, avait eu largement le temps de se préparer à l’ouverture du marché, restructurant par avance son réseau, créant de très efficaces navettes sur les segments les plus fréquentés, et consolidant son union avec l’ex-Air Inter (Zembri, 2000 & 2003).

2.2. Une mise en difficulté généralisée, mais avec des impacts