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Le modèle nord-américain et ses interprétations européennes

Bibliographie du chapitre 1

Chapitre 2 : La déréglementation du transport aérien

2.3. Le cas singulier des compagnies « low cost »

2.3.1. Le modèle nord-américain et ses interprétations européennes

La première compagnie low cost nord-américaine est Southwest Airlines. Créée en 1971, basée à Dallas et initialement cantonnée, comme l’indique sa raison sociale, à une partie du territoire des Etats-Unis, elle finit par irriguer les principales villes. À l’heure actuelle, 30 États sont desservis. D’autres compagnies ont suivi : America West, Jet Blue, Air Tran, etc. Toutes sont des créations ex nihilo.

Nous nous intéresserons dans un premier plan à la structure actuelle de leurs réseaux, qui n’a rien à voir, comme nous le verrons, avec le modèle initial toujours cité en référence. Puis nous nous intéresserons aux niveaux de service offerts, avec là aussi de réelles différences avec les standards de qualité et d’offre à bas prix en Europe.

2.3.1.1. Des structures de réseau classiques à l’exception de Southwest Airlines

La déréglementation du transport aérien aux Etats-Unis avait vu la naissance de structures originales en « hub and spokes » destinées à optimiser l’occupation des vols tout en permettant le maximum de relations entre les différents points desservis par le réseau. Divers auteurs ont étudié en leur temps ces structures novatrices d’une efficacité certaine59. Elles constituaient la réponse des compagnies en place soumises à une vive concurrence et condamnées à rationaliser leurs opérations. Un géant comme American

Airlines a totalisé jusqu’à cinq plaques tournantes opérant simultanément. Delta Airlines en aligne toujours sept, dont une il est vrai prédominante : Atlanta.

Assez étrangement, la littérature60 reste bloquée sur les structures de réseaux originales des nouveaux entrants, faisant souvent état d’un « modèle Southwest » de dessertes « point à point », excluant toute correspondance, modèle repris d’ailleurs par la plupart des compagnies low cost européennes. Or, l’étude des réseaux actuels des quatre principales compagnies nord-américaines à bas prix montre que leurs réseaux se différencient très peu de ceux des autres compagnies pour ce qui concerne les principes de desserte (tableau 2.31). Seule l’échelle peut être différente, les grandes compagnies sachant mobiliser davantage de compagnies régionales pour alimenter leurs hubs.

Tableau 2.31 : Comparaison des structures de réseaux de compagnies classiques et low cost aux Etats-Unis (source : sites Internet des compagnies, consultation en février 2004).

Compagnie Catégorie Nombre de hubs Nombre total

d’escales aux

États-Unis61

Lignes point à point

Southwest Low Cost 5 principaux

(Baltimore Washington, Chicago Midway, Houston Hobby, Las Vegas, Phoenix)

57 Oui (navettes au Texas,

en Floride et en Californie)

JetBlue Low Cost 2 (JFK, Long Beach) 23 2 seulement

AirTran Low Cost 1 (Atlanta) 41 30

(Nord-Est - Floride) America

West Low Cost 2 (Las Vegas, Phoenix) 105/21 4 seulement (de New-York et Boston

à Los Angeles et San Francisco)

Northwest Classique 3 (Detroit, Memphis, Minneapolis) 184/68 Oui, très minoritaires

Delta Classique 7 (Atlanta, Cincinnati, Salt Lake

City, New York JFK, Orlando, Dallas DFW, Los Angeles LAX)

104/108 Oui, très minoritaires

La structure de hub permet d’aller de n’importe quel point du réseau à n’importe quel autre. Ce n’est pas qu’une possibilité anecdotique ainsi que nous avons pu le constater en effectuant un certain nombre de requêtes sur le système de réservations de Southwest : l’ensemble des propositions (vol direct ou passage par les différents hubs de la compagnie) représente en général quatre à cinq possibilités quotidiennes les jours ouvrés, mais il peut y en avoir bien davantage62. Southwest se distingue de ses consœurs par un système de hubs hiérarchisés (deux niveaux) et par une politique d’itinéraires très originale.

Le réseau Southwest actuel : un modèle de complexité

Il s’agit d’une structure à deux étages (figure 2.31). Au sommet, sept plaques tournantes offrent des correspondances systématiques à la fois vers leur environnement immédiat, d’autres plaques tournantes équivalentes ou de niveau inférieur et quelques destinations ciblées (les plus grandes villes ou des espaces touristiques). Au niveau immédiatement inférieur, on trouve des étoiles moins étoffées, qui n’offrent pas systématiquement des correspondances et dont le choix de destinations est plus limité, mais qui permettent des redistributions intéressantes à l’échelle régionale. En général, une destination Southwest est desservie au départ d’au moins deux étoiles, quel que soit leur niveau dans

60 Deux exemples émanant d’institutions françaises faisant référence dans le transport aérien ignorent l’évolution ultérieure des réseaux nord-américains : ENAC, 2002 et STBA, 1999.

61 Le premier chiffre est celui des escales desservies en direct par la compagnie et/ou par des compagnies franchisées. Le second chiffre est celui des destinations desservies en partage de code par une autre compagnie.

62 Une requête pour un trajet d’Oakland à Baltimore donne neuf possibilités par jour de semaine courant : trois avec une escale (sans changement d’avion), une avec deux escales, deux combinaisons via Phoenix, deux via Chicago (Midway) et une via San Diego.

la hiérarchie. La clientèle se voit proposer des combinaisons avec au plus un changement d’avion, pas toujours au même hub, mais parfois jusqu’à trois stops, les appareils pouvant effectuer du cabotage au long cours, avec des temps d’escale limités à 25-30 minutes (figure 2.32).

Cette organisation originale permet d’offrir un maximum de combinaisons en jouant sur la connectivité du réseau : l’horaire de février-mars 2004 ne comptait pas moins de 114 pages très serrées. On est bien loin de la stratégie de refus de l’organisation en hub and spokes évoquée dans de nombreuses sources européennes sur les compagnies low cost…

Figure 2.31 : Structure du réseau Southwest (février-mars 2004).

Figure 2.32 : Deux exemples de vols de cabotage au long cours de Southwest (février-mars 2004)

En termes de couverture territoriale, les compagnies low cost les plus développées se différencient de moins en moins des majors. On observe le même phénomène de partenariat (franchise ou partage de codes) avec des compagnies locales assurant des rabattements sur certaines escales voire sur l’un des hubs de la low cost. C’est notamment

Hub de 1er rang Hub secondaire

Desserte systématique sur un État (navettes à fortes fréquences) Nombre de vols directs journaliers / nombre de destinations desservies. 50/12 Nashville Kansas City Birmingham Baltimore Washington (BWI) Chicago Midway Dallas Love Field Houston Hobby Austin Las Vegas Oakland

Los Angeles Albuquerque

Phoenix St-Louis 68/21 161/35 134/29 27/12 47/14 130/13 143/22 70/21 184/44 109/18 86/28 122/18

Le hub de premier rang se définit selon deux critères cumulatifs :

-plus de 100 vols directs par jour ouvrable, -plus de 20 destinations desservies.

N

Orlando 64/24 185/38

58/19

Escale simple Hub de second rang Hub de premier rang Vol 1985 Vol 1599 Las Vegas Phoenix Austin Burbank S.Jose Nashville BWI Albany 7.25 9.10 8.35 /9.00 10.20 /10.45 13.35 /14.00 15.30/15.55 16.50 10.00/10.25 12.45/13.15 14.20

N

le cas d’Air Tran qui travaille en partenariat avec Air Wisconsin, et d’America West qui travaille avec Hawaiian Airlines, Mesa Airlines, Freedom Airlines, Air Midwest (franchisés sous la marque America West Express). Southwest ne recourt en revanche à aucun type de partenariat.

2.3.1.2. Un niveau d’offre et de prestations de plus en plus comparable à celui

des compagnies classiques

Les compagnies européennes low cost et les analystes du marché font un lien quasi-organique entre les prix bas, un service de qualité non garantie (le client prend toujours un risque) et un niveau minimal de prestations tant au sol qu’à bord (« no frills »), tout en se référant au modèle Southwest. Assez curieusement, ce lien n’a plus lieu d’être au pays des pionniers du transport aérien à bon marché. Il suffit pour s’en convaincre de visiter les sites Internet des quatre compagnies nord-américaines déjà citées : la qualité de service est au centre de leurs préoccupations. Des « awards » sont mis en exergue dans beaucoup de domaines : qualité de service, ponctualité, accueil, etc. Les appareils, généralement neufs, sont dotés d’équipements dernier cri, notamment en matière de télévision individuelle ou de programmes de jeux à bord. Des classes Affaires sont disponibles pour un supplément modique chez Air Tran (de l’ordre de 50 USD) et chez America West, JetBlue et Southwest restant fidèles pour leur part à la cabine unique. Les consommations non alcoolisées sont généralement gratuites, le reste étant payant.

Afin d’aboutir à un niveau de qualité maximum, la motivation du personnel est une autre préoccupation des compagnies : intéressement du personnel aux résultats, polyvalence compensée par des salaires plus élevés, promotion de l’actionnariat des salariés, etc. La fidélité de la clientèle est également recherchée : les quatre compagnies précitées ont des programmes de fidélisation63. Ils sont de surcroît innovants : dématérialisation complète, affichage à l’avance des jours où il est impossible d’avoir des billets primes, primes sur des allers simples seulement, etc.

Les résultats en termes de trafic sont à l’avantage des compagnies low cost. Southwest est devenue en 2001 la quatrième compagnie nord-américaine par son trafic avec 71,6 milliards de PKT (passagers.kilomètres), soit un peu plus de 10 % du marché, ce qui la place juste devant Northwest. Les compagnies low cost ont représenté en 2003 46 % du trafic. À elle seule, Southwest a contribué à 37 % de la croissance totale du marché aérien à prix réduits ces cinq dernières années (USDoT, 2004). Southwest et JetBlue ont dégagé des bénéfices sans interruption depuis 2001 alors que les compagnies classiques (Continental, American, US Airways, …) subissaient de plein fouet la crise consécutive aux attentats du 11 septembre 2001, puis à l’épidémie de SRAS en 2003.

2.3.1.3. Les compagnies low cost européennes se différencient très nettement

de ces caractéristiques

Nous ne traiterons ici que de leurs caractéristiques communes, les choix stratégiques – divergents- en termes de desserte étant abordés plus loin en 2.3.2.

Les compagnies européennes se sont constituées à partir des années 1990, soit plus d’une décennie après leurs consœurs nord-américaines. C’est dans les îles britanniques (Royaume-Uni et Irlande) que sont apparues les pionnières comme Ryanair (création en 1985 mais transformation en low cost en 1990), Virgin Express (1994) ou Easyjet (1997). Certaines compagnies nationales réagissent en créant des filiales positionnées sur le segment low cost : Go pour British Airways, Buzz pour KLM. L’Europe continentale s’éveille plus tardivement, l’essentiel des créations se produisant entre 2002 et 2003, comme le montre le tableau 2.32.

Tableau 2.32 : Les principales compagnies low cost européennes par pays d’origine

Pays ou groupe

de pays Royaume-Uni Allemagne Scandinavie Irlande Italie

Compagnies Easyjet (1997) FlyBe (2002)64 Bmibaby (2002) Flyglobespan (2002) My Travel Lite (2002) Thomsonfly (1962)65 Air Berlin (1979)66 Deutsche BA (1992) Germanwings (2002) Hapag Lloyd Express (2002) Intersky (2002) Germania Express (2003) Sterling (Danemark, 2002) Flynordic (Suède, 2001)67 Fly Me (Suède, 2004) Norwegian (Norvège, 2004) Ryanair (1985) Aer Arann (1970)68 Budget Air (2003) My-Air (2005)69 Windjet (2003) Evolavia (2002)

Le tableau 2.33 donne une idée de la croissance du marché entre avril 2004 et septembre 2005. Le nombre de nouveaux entrants représente 60 % de celui des compagnies en place en début de période. Ces nouveaux acteurs sont de petite taille et exploitent peu de lignes. Leur durée de vie n’est pas forcément appelée à être longue : le taux de renouvellement reste non négligeable. Ainsi, l’année 2004 a vu la disparition en Italie d’une compagnie considérée comme importante au mois d’avril de la même année, Volareweb70. Une autre compagnie jugée prometteuse, la néerlandaise V-Bird, basée à Niederrhein (Allemagne), a disparu en janvier 2005.

Tableau 2.33 : Évolution des compagnies à bas prix et de leurs réseaux en Europe entre 2004 et 2005

Période Avril 2004 Septembre 2005 Évolution

Nombre de compagnies 17 27 +170 %

Nombre de liens

Origine-Destination (OD) 800 1508 +88,5 %

Nombre de bases 70 120 +71,4 %

Si l’on raisonne par pays d’origine, force est de constater que l’Europe du Nord-Ouest domine largement : les îles Britanniques, l’Allemagne et la Scandinavie fournissent à elles seules 19 acteurs sur 27. L’Italie est le seul pays d’Europe du Sud à aligner trois compagnies. Les autres pays européens hébergent au mieux une compagnie. Ce n’est plus le cas de la France, qui avait perdu en 2003 à la fois Air Lib et Aeris (après six mois d’existence pour la seconde), et qui a vu apparaître en 2005 puis disparaître l’année suivante une micro-compagnie basée à Reims et titulaire d’un seul appareil, Air Turquoise. Les points communs avec les compagnies équivalentes aux États-Unis sont essentiellement, outre l’échelle des opérations (court et moyen-courrier), l’adoption du même mode de fonctionnement : usage massif de la vente par correspondance (téléphone, Internet),

64 Ex- Jersey European (compagnie de troisième niveau).

65 Ex-Euravia et Britannia, devenue Low cost au printemps 2004 en plus d’une activité charter ancienne, Thomsonfly est une filiale du groupe allemand TUI AG.

66 Cette compagnie est d’abord spécialisée dans les vols charter avant de passer à une stratégie low cost en 2002.

67 Créée au départ pour du trafic intérieur suédois, cette compagnie a été rachetée par Finnair en 2003 et transformée en Low cost.

68 Initialement compagnie de troisième niveau spécialisée dans la desserte des îles d’Aran, transformée en 2002.

69 Ex-Volareweb (2003-2004).

dématérialisation des titres de transport, simplification du service offert et des prestations à bord, rotation très rapide des appareils et utilisation intensive du personnel. Le choix d’aéroports où les frais d’escale sont moins élevés est aussi une constante, encore que les compagnies se rabattent sur les grandes plates-formes lorsque cela est nécessaire. On notera que les plates-formes « bis » utilisées sont presque systématiquement plus proches des centres villes et donc plus commodes pour la clientèle aux États-Unis71. Les prix sont évidemment plus bas que ceux des compagnies classiques mais avec une logique identique de gestion prix-capacité (Yield management) : plus la date de départ approche, plus les prix augmentent.

Les structures de réseaux sont résolument innovantes par rapport à celles des compagnies nationales. Si les acteurs low cost ont concentré dans l’espace leurs vols sur un nombre variable d’étoiles, ils ne les ont pas concentrés dans le temps comme leurs concurrents classiques72, ce qui rend les correspondances au niveau des étoiles difficiles voire impossibles. Elles sont d’ailleurs parfois explicitement déconseillées. Cette focalisation sur le « point à point » est source d’une meilleure régularité : les avions repartent dès que possible, sans s’attendre mutuellement et il n’y a pas de problème de bagages en transit à gérer au niveau de l’étoile. Par ailleurs, les programmes de desserte peuvent être modifiés plus souvent, au gré des opportunités du marché. Ce parti pris correspond bien aux offres non régulières dans le temps et aux fréquences peu étoffées caractéristiques des compagnies à bas prix.

L’offre à bas prix n’est pas destinée à alimenter les hubs des grandes compagnies : les bases des compagnies low cost coïncident exceptionnellement avec ces derniers. Tout aussi exceptionnels peuvent être des accords passés entre ces deux catégories d’acteurs. Il n’y pas à notre connaissance de programmes de fidélisation partagés. Les réseaux low cost sont mono-scalaires et vivent indépendamment les uns des autres.

Les choix de desserte majoritaires sont également originaux. Les lignes des compagnies à bas prix sont marquées par une forte saisonnalité : on dessert les rives et les îles de la Méditerranée ou de l’Adriatique l’été et le massif alpin l’hiver, au départ de l’Europe du Nord et de l’Europe centrale. On constate également un investissement important sur des petits flux qui ont jusque-là peu intéressé les compagnies classiques : desserte de villes moyennes au départ des capitales et flux internationaux entre aéroports secondaires. Les compagnies à bas prix offrent des alternatives peu onéreuses au passage par les hubs constitués par les compagnies nationales. Elles sont susceptibles de favoriser des déplacements interrégionaux ne touchant pas les capitales et d’irriguer davantage les territoires sans pâtir de la saturation des abords des grandes plates-formes aéroportuaires. En revanche, la stratégie « point à point » est dominante en Europe alors qu’elle est devenue marginale aux Etats-Unis. Faut-il en conclure qu’elle n’est qu’un état du réseau avant évolution ultérieure vers une structure en hub and spokes ? Cela reste à démontrer. On notera toutefois qu’un acteur majeur du marché européen, en l’occurrence Easyjet, tend à se muer en compagnie « middle cost » en visant spécifiquement une clientèle d’affaires73 : desserte plus coûteuse des grandes plates-formes aériennes européennes, élargissement des possibilités d’échange, diversification des services offerts.

2.3.2. Des stratégies de desserte apparemment divergentes en Europe