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Le poids croissant des péages d’infrastructures

Bibliographie du chapitre 2

Chapitre 3 : Les réformes du transport ferroviaire fondées sur l’open access

3.1. L’évolution du cadre général

3.1.2. Le poids croissant des péages d’infrastructures

Les péages que doivent verser les exploitants aux gestionnaires d’infrastructures sont devenus un enjeu majeur des stratégies d’acteurs dans les systèmes ferroviaires déréglementés. Ils représentent une charge qui vient s’ajouter à celles normalement générées par l’exploitation, sans qu’il y ait un service supplémentaire en contrepartie. Les tarifications adoptées traduisent des objectifs politiques parfois très différents d’un pays à l’autre, ce qui ne facilite pas forcément le développement des trafics internationaux. Enfin, la tendance à taxer plus lourdement les services subventionnés par la puissance publique constitue une méthode d’augmentation des contributions publiques à la

maintenance du réseau assez discutable, surtout si les lignes sur lesquelles les péages sont prélevés ne voient pas l’ombre d’un investissement en contrepartie...

3.1.2.1. Aperçu de la diversité des pratiques de tarification au sein de l’Union

Européenne

La séparation entre infrastructure et exploitation ferroviaires introduite par la réforme européenne se traduit, pour les opérateurs, par le paiement de redevances d’accès pour pouvoir circuler. La question de la structure et du niveau des redevances s’est rapidement posée, compte tenu de la variété des trafics enregistrés sur les voies : trains de voyageurs à longue distance, services locaux et régionaux, convois de fret...

Une étude diffusée par la Conférence Européenne des Ministres des Transports (CEMT) à la fin de 2005 (CEMT, 2006) montre la disparité des redevances perçues par les gestionnaires d’infrastructures. Ainsi, pour l’ensemble de l’Europe, on relève trois grandes familles de pays : les adeptes de la tarification au coût (parfois à peine) marginal, avec un taux de couverture variant de 5% à 30%, comme la Suède ou les Pays-Bas ; un autre groupe pratique une tarification couvrant de 50 à 65% des coûts d’infrastructure, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la France ; et enfin une troisième catégorie récupère (presque) l’ensemble de ses coûts avec un taux de couverture de 80 à 100%, comme la Pologne ou la Hongrie. Autant dire que, d’un pays à l’autre, les transporteurs sont loin d’être logés à la même enseigne. Lorsque l’on sait que les redevances d’accès peuvent représenter jusqu’à 50% du budget d’exploitation d’une entreprise ferroviaire, la question de l’harmonisation n’est pas neutre.

Si l’on rapporte les péages perçus au train.km, comme l’a fait Claude Gressier (2005), on retrouve ces fortes disparités, qui peuvent être ensuite déclinées par catégories de services. Cette comparaison doit être faite avec précautions dans la mesure où ce ratio ne reflète pas forcément les spécificités de chaque tarification.

Tableau 3.16. Péages ferroviaires exprimés en €/train.km dans plusieurs pays européens en 2002 (d’après Gressier, 2005).

Réseau France R.-U. Allemagne Suisse103 Suède Autriche Belgique Italie Moyenne Péage global 3,6 € 5,2 € 3,5 € 1,7 € 0,4 € 2,4 € 1,9 € 1,1 € 2,475 € Péage voyageurs 4,5 € 5,9 € 3,6 € 1,5 € Gratuité 2,0 € 1,8 € NC 3,22 € Péage fret 1,1 € 1,5 € 2,9 € 2,0 € 0,5 € 3,1 € 1,3 € NC 1,77 € Entre le Royaume-Uni (où l’on a pris en considération la moyenne des péages négociés entre les Train operating companies et la Strategic Rail Authority104) et la Suède, le rapport est de 1 à 13 si l’on rapporte la totalité des péages perçus à la totalité des trains.km effectués. Dans cet ensemble, la France et l’Allemagne se situent dans la partie supérieure de la fourchette, l’Autriche dans la moyenne et tous les autres pays étudiés au-dessous.

Second aspect intéressant, l’existence ou non d’une inégalité de traitement entre trains de voyageurs et trains de marchandises. L’Allemagne, la Belgique et la Suisse restent à un niveau d’écart de tarification acceptable. Il en est de même pour les Pays-Bas où la ristourne accordée au fret n’est que de 20 %. En revanche, la France et le Royaume-Uni se caractérisent pour leur part par une surtaxation des services voyageurs au profit du fret. Seules la Suisse et l’Autriche demandent un peu plus au fret qu’aux voyageurs, ce qui laisse transparaître leur situation de territoires de transit marqués par le passage de flux

103 Tarif hors consommations électriques.

importants qui coûtent davantage qu’ils ne rapportent105. Enfin, le cas particulier de la Suède traduit une politique plus favorable aux voyageurs, avec la gratuité des péages pour les trains en acheminant. Cela dit, la tarification des sillons de fret est tout sauf dissuasive, dans la mesure où c’est la plus avantageuse de notre échantillon !

On peut supposer que de telles disparités pourraient entraîner des reports de trafic sur des pays tiers si un choix d’itinéraires concurrents est possible. Il est par exemple tout en fait envisageable entre le port d’Anvers et l’Italie du Nord de passer par la France ou de faire un léger détour par l’Allemagne et la Suisse. En l’occurrence, un train de fret aurait intérêt à prendre la route directe en faisant le plus de kilomètres possibles sur le réseau français. En revanche, un train de voyageurs aurait plutôt intérêt à passer par l’Allemagne et la Suisse...

La tarification des péages obéit prioritairement à des considérations politiques et financières. Les péages faibles sont compensés par un taux de subvention de la part des pouvoirs publics élevé. Ainsi, Prorail, gestionnaire du réseau ferré néerlandais, ne couvre que 20% de ses charges d’exploitation avec les péages perçus (Raffarin, 2005). À l’opposé, l’ancienne Railtrack devait percevoir de quoi couvrir ses frais de fonctionnement courant plus une partie des investissements, ce qui renchérissait fortement les taux pratiqués sur les chemins de fer britanniques avant 2004. Le fait de privilégier (relativement) une catégorie de trains par rapport à d’autres prend en compte le niveau de la concurrence intermodale : la Norvège s’est ainsi refusée à percevoir un péage sur les trains de trafic combiné, dans la mesure où les transports routiers n’étaient pas soumis de leur côté à une redevance d’usage des infrastructures. Il ne fallait donc pas pénaliser le mode ferroviaire dans un contexte de concurrence déjà difficile.

Les péages peuvent également intégrer dans leur tarification une dimension environnementale. On ne peut pas en effet promouvoir du report modal et pénaliser en même temps le mode cible de cette politique. C’est pour cela que le Danemark a décidé d’annuler une partie du péage perçu par les trains de fret au moyen d’une subvention plafonnée à 50 % du montant de ce péage. La traction thermique, moins respectueuse de l’environnement que la traction électrique, est légèrement surtaxée en Finlande.

L’ensemble des modalités de tarification est encadré par la directive 2001/14 du premier paquet ferroviaire. En principe, les gestionnaires d’infrastructures doivent placer les redevances perçues au niveau des coûts directement imputables à l’exploitation du service ferroviaire (coût marginal privé). Des modulations à la hausse sont cependant possibles pour tendre vers le coût marginal social : compensation des coûts environnementaux, des coûts de congestion, etc. Il est également possible de percevoir un droit de réservation, même en cas de non-utilisation du sillon réservé.

3.1.2.2. Le cas français et ses implications potentielles sur la consistance des

dessertes

La séparation organique intervenue en 1997 entre la gestion du réseau d’infrastructures, confiée à Réseau Ferré de France (RFF) et celle des services dévolue à la SNCF a conduit à poser autrement la question du financement de l’entretien et de la modernisation des infrastructures.

Deux problèmes se posent, générant la même crainte de répercussions à moyen terme sur la consistance des services ferroviaires : l’élévation rapide du niveau des péages perçus, que nous analyserons dans un premier temps, et la forte taxation des trains de voyageurs, notamment ceux qui assument des missions de service public compensées par l’État et les collectivités, à commencer par les régions.

105 Le même raisonnement a été appliqué aux transports routiers avec l’instauration d’une taxation des poids lourds en transit dès le début des années 2000.