• Aucun résultat trouvé

La régionalisation allemande, une réforme à la carte

Soldes Bonus-Malus qualité en 2004

4.3. La régionalisation allemande, une réforme à la carte

Cette réforme est un sous-produit de la réunification allemande, la fusion des deux compagnies (DB et DR) héritées de la période antérieure donnant l’occasion de redéfinir les règles de fonctionnement du secteur ferroviaire. Elle a été énoncée en 1993 par les mêmes textes que l’ouverture du marché du fret ferroviaire et la réorganisation de la nouvelle DB, rebaptisée DBAG (cf. supra, 3.1.1.2), avec une entrée en vigueur début 1996. L’objectif poursuivi par le législateur était double : abaisser les coûts de production des services en recourant si nécessaire à la concurrence et relancer le transport ferroviaire régional en suscitant un minimum d’innovation dont le transporteur en place ne semblait plus en mesure de faire preuve.

4.3.1. Un système caractérisé par sa souplesse

Depuis le 1er janvier 1996, les Länder, équivalents allemands de nos Régions, ont la possibilité de mettre en appel d’offres tout ou partie des services dont ils ont la responsabilité. Ils peuvent également passer des contrats de gré à gré avec l’opérateur historique (DBAG Regio), ou avec tout autre opérateur qui se manifesterait spontanément. Il existe en effet depuis 2003 la possibilité pour un exploitant de faire une proposition spontanée de contrat à un Land qui, en cas d’acceptation, lierait les deux partenaires pour dix ans. C’est donc un système très souple, où la possibilité est donnée aux Länder d’opérer des choix au mieux de leurs intérêts, contexte fédéral oblige.

La souplesse s’exprime aussi par la possibilité pour les Länder de déléguer à une société de droit privé (de type SARL) dite d’organisation, qui est leur émanation, la gestion des appels d’offres et de la vie des contrats (incluant le versement des subventions et le contrôle de l’exécution du service). Le schéma ci-dessous donne une idée des organisations qui ont pu être conçues. Une délégation de compétence à des syndicats intercommunaux -ou similaires à nos syndicats mixtes- gérant des communautés tarifaires (qui associent l’ensemble des modes de transport collectif dans un ressort territorial donné) est également possible. On peut citer par exemple le Rhein-Main Verkehrsverbund (Communauté tarifaire Rhin – Main) dans le Land de Hesse (région de Francfort).

L’avantage des sociétés d’organisation est la légèreté de leurs structures. Michel Quidort (2005) cite l’exemple de celle du Schleswig-Holstein (à l’extrême Nord du pays), la LVS : elle emploie 13 personnes qui gèrent un budget de 250 millions d’€, et elle a mené à bien entre 1996 et 2005 huit vagues d’appels d’offres concernant 12 millions de trains.km, soit 50 % du réseau du Land.

Figure 4.31. Schéma institutionnel de la régionalisation des transports en Allemagne incluant une Société d’organisation (source : Veolia Transport)

159 Pour plus d’éléments sur un bilan raisonné de la régionalisation, voir Ollivier-Trigalo, 2007 et CHAUVINEAU, 2003.

4.3.2. Une réforme largement financée par l’État fédéral

Parallèlement, un transfert de ressources s’est opéré entre l’État fédéral (Bund) et les Länder : à la dotation versée antérieurement à la DB a été ajouté un bonus confortable (baptisé « moyens plus x ») destiné à développer l’usage des transports à courte distance (Nahverkehr). On notera que le total des montants transférés s’établit entre 5 et 6 fois l’effort consenti actuellement par l’État français pour les TER, même si ce cruel constat doit être relativisé par une différence de niveau d’offre non négligeable.

Tableau 4.31 : Moyens financiers transférés par l’État fédéral aux Länder au titre de la régionalisation des transports ferroviaires (source : VDV, Quidort & Buddruss, 1995)

Année Transfert destiné à maintenir

le niveau de service de 1993 Ressource spécifique (« moyens plus x ») Total transféré

1996 1997 1998 1999 2000 2001 4,43 6,11 6,416 6,77 7,13 7,485 3,20 1,67 1,67 1,67 1,67 1,67 7,63 7,78 8,086 8,44 8,80 9,155

Montants en milliards d’€ (convertis des sommes exprimées initialement en DM selon le taux officiel de 1,96384 DM pour 1 €) Au bout de deux années de réforme, les résultats étaient plus qu’encourageants avec une hausse globale des kilomètres-trains de l’ordre de 10 %, à pondérer du fait de politiques d’offre très diverses (Buddruss, 1998). La Rhénanie-Palatinat avait ainsi augmenté son volume d’offre exprimé en km.trains de 31 % sur deux ans, instaurant un cadencement quasi-intégral de l’offre (Rheinland-Pfalz Takt). La Thuringe et la Bavière arrivaient respectivement en seconde et troisième position avec +25,6 % et +19,1 %. À l’opposé, le Land du Schleswig-Holstein avait maintenu son offre au niveau de 1993.

Dix ans après l’ouverture du marché (données 2004), l’augmentation globale est de 27,5 % des trains.km, soit en valeur absolue 135,6 millions de trains.km. La Rhénanie-Palatinat reste la plus active avec une hausse de l’offre de 56,8 %. Sur le long terme, les Länder les moins audacieux en matière d’évolution de l’offre sont la Saxe-Anhalt (+0,8 %) et surtout la Saxe (-4,2 %).

Land

Autorité des transports

Landesnahverkehrsgesellschaft

Société d’organisation des transports

Contrats régionaux DB Regio Exploitant local Exploitant local délégation Villes Syndicats intercommunaux Communautés de transport

-

Transports Urbains

-

Bassins de population

La fréquentation globale a pour sa part progressé de 30 % (Quidort, 2005).

4.3.3. Une ouverture réelle du marché régional allemand

On peut considérer que presque tous les Länder allemands ont ouvert à la concurrence au moins une fraction des réseaux dont elles ont la charge. La figure 4.32 montre que l’ont trouve aussi bien des Länder entiers (comme le Schleswig-Holstein avec sa société d’organisation LVS que des entités plus restreintes comme la ZVON en Haute-Lusace (autorité organisatrice du Lausitz Bahn) ou la VGS en Sarre.

Figure 4.32. Les 33 entités territoriales ayant ouvert à la concurrence des services ferroviaires en 2005 (source : Veolia Transport)

Les collectivités se sont progressivement enhardies en augmentant la taille des lots ouverts à la concurrence (l’allotissement a été largement pratiqué). Si le marché du Bayerische Oberland Bahn (BOB), remporté en 1998 par la Deutsche Eisenbahn Gesellschaft (DEG) (rachetée l’année précédente par CGEA, devenue ensuite Connex puis Veolia Transport), portait sur 120 km de lignes, des lots plus importants en kilométrage et en volume de trains.km produits ont été mis depuis sur le marché. On peut citer :

-le NordWestBahn (Basse-Saxe) : 318 km, 3,5 millions de trains.km ; -Le réseau OME (Mecklembourg-Poméranie) : 360 km :

-La ligne Hambourg – Sylt / Westerland (Marschbahn) : 243 km, 4,1 millions de trains.km ; -S-Bahn Rhein-Neckar (région de Mannheim) : 6 millions de trains.km. Il s’agit à ce jour du lot le plus important ouvert à la concurrence.

Dès 1997, les nouveaux entrants avaient réussi à capter 11 millions de km.trains annuels, ce qui est peu par rapport aux 500 millions offerts au total, mais déjà hautement symbolique de l’ouverture du marché. Parmi ces derniers, des compagnies NE déjà évoquées pour le transport de fret (cf. supra, 3.1.1.2), mais aussi des entreprises détenues par des groupes étrangers, à l’image de la DEG déjà citée. S’y sont ajouté à partir du début des années 2000 des acteurs locaux issus des transports urbains comme certaines

interposées : Hamburger Hochbahn (HHB) ou Erfurter Bahn par exemple. Les acteurs étrangers se sont multipliés avec l’arrivée du groupe Keolis à travers sa filiale Rhenus, puis des anglais d’Arriva et des français d’Eurailco (co-entreprise Transdev-RATP). Le marché allemand constitue un formidable terrain d’expérimentation pour ces grands groupes en attendant l’ouverture d’autres marchés...

Le graphique ci-dessous donne une idée de l’évolution de la part de marché des nouveaux entrants. Elle se situe au-dessus des 10 %, avec des fluctuations liées aux gains ou aux pertes à chaque vague d’appels d’offres. La DB Regio a appris à se battre avec les mêmes armes que ses concurrents, ce qui lui permet de mieux résister voire à reconquérir ponctuellement des parts de marché. Cependant, il existe une tendance « lourde » à la baisse qui a été intégrée par la société fédérale : on prévoyait en son sein que sa part de marché soit ramenée à 74 % à l’horizon 2010...

Figure 4.33. L’évolution des parts de marché respectives de l’opérateur historique et des nouveaux entrants entre 1993 et 2004 (source : VDV, 2005)

Cette évolution s’accompagne d’une réelle augmentation de la qualité de service et d’un recours accru à l’innovation. On peut surfer sur Internet pendant son trajet sur certaines lignes, se restaurer ou boire un café, commander un taxi, etc. Les matériels roulants ont été largement renouvelés, y compris par la DBAG qui a multiplié les « commandes du siècle », achetant automotrices et autorails par centaines160. Les opérateurs régionaux multiplient les initiatives tarifaires et les opérations-séduction pour attirer de nouveaux clients. Les structures légères permettent une certaine souplesse et de la réactivité. Au final, des évolutions spectaculaires de la fréquentation ont pu être notées, comme sur le réseau Nord Ostsee Bahn (NOB) en Schleswig-Holstein : 30 % d’augmentation du trafic en un an, malgré une offre inchangée en volume par rapport à celle de DB Regio.

Ces évolutions de l’offre s’accompagnent d’une réduction des coûts unitaires de production, de l’ordre de 20 % par rapport à l’exploitation DBAG antérieure à la mise en appel d’offres. Les gains sont réinvestis dans l’amélioration de l’offre.

160 Un appel d’offres portant sur 321 rames a été très récemment (février 2007) remporté par le groupe canadien Bombardier, qui réalise ainsi selon ses propres termes le « grand chelem » sur les commandes récentes de matériel régional après les 670 autorails à grande capacité TER (AGC) et les 243 Nouvelles automotrices Transilien (NAT) commandés par la SNCF, sans oublier un marché concernant la fourniture de rames au Métro de Londres. 97,0% 90,8% 89,9% 88,4% 3,0% 9,2% 10,1% 11,6%

0%

50%

100%

1993/1994 2002 2003 2004

621 Mio. Zkm* 623 Mio. Zkm* 625 Mio. Zkm* 498 Mio. Zkm

* Schätzung VDV + 25 %

NE

4.3.4. Des contrats faisant reposer l’essentiel du risque commercial sur

l’exploitant

La durée des contrats dépend généralement de la prise en charge ou non de l’investissement en matériel roulant par l’exploitant. Si le Land fournit le matériel, les contrats sont courts : 4 à 8 ans. Si le Land demande à l’exploitant d’investir, il doit lui laisser le temps de procéder à une part importante de l’amortissement des rames acquises : on se situe dans des durées supérieures à 10 ans, avec un maximum de quinze ans. C’est ce que l’on a observé par exemple en Bavière, dans le Schleswig-Holstein ou en Mecklembourg-Poméranie.

Dans la mesure où l’effort d’investissement pourrait dissuader des entreprises de postuler, laissant la voie libre aux « poids lourds » du marché comme la DBAG, Veolia ou Arriva, certains Länder se sont préoccupés de mettre à disposition du matériel roulant par le biais de sociétés de location analogues aux Rolling Stock Companies (Roscos) britanniques. Ces dernières arrivent de plus en plus massivement sur le marché allemand, qui les intéresse en premier lieu pour le parc important de locomotives vouées au Fret à financer. Le Land de Basse-Saxe se singularise en créant sa propre Rosco, propriétaire de 129 caisses en 2003. Les avantages sont de trois ordres : ouverture maximale du marché, matériel conforme aux spécifications de la collectivité, mais aussi acquisition d’une compétence ferroviaire utile pour la négociation avec les exploitants. Par ailleurs, on se prémunit contre le risque d’une défaillance de l’exploitant du fait d’une sous-estimation de la charge du poste matériel roulant, comme ce fut le cas en 2005 avec la faillite de l’opérateur FLEX (ligne Hambourg – Flensbourg).

Le risque commercial a été d’une façon générale logé chez l’exploitant, que ce soit dès le début du contrat ou de manière progressive. Dans ce dernier cas, le risque migre en trois ans de l’autorité organisatrice vers le transporteur. Ce dernier est donc responsable de l’évolution des recettes commerciales, d’où son intérêt de développer la fréquentation de son réseau, et d’où les résultats parfois spectaculaires enregistrés. Des clauses de bonus-malus ou des clauses incitatives ont pu être introduites en complément sur des points précis.

Un tendance plus récente (depuis 2003) consiste à évaluer les offres des candidats à l’exploitation, non seulement sur la base des coûts de production, mais aussi sur le niveau d’engagement sur le développement des recettes. La société d’organisation LVS a procédé de la sorte pour la ligne du Marschbahn déjà citée.

Le système actuel paraît désormais viable. Les services se sont largement développés et diversifiés, la fréquentation a progressé, la DBAG a été bousculée mais pas évincée du marché (au prix d’efforts importants d’adaptation à la nouvelle donne) par des nouveaux entrants imaginatifs. Il reste à assurer la pérennité du financement de l’État fédéral, régulièrement remis en cause du fait des difficultés budgétaires actuelles. Le poids des charges d’infrastructures, qui peuvent représenter 40 à 50 % des fonds publics consacrés à une desserte, est jugé trop important : il y a lieu d’attendre des initiatives des autorités organisatrices dans ce domaine comme la mise en appel d’offres des prestations d’entretien du réseau en lieu et place de DB Netz (idée caressée par le Schleswig-Holstein). Mais cette réforme de la réforme ferroviaire ne peut se décider à leur échelle... On notera pour terminer que, dans le système de marché ouvert actuel, les prestataires ont trouvé des solutions pour améliorer l’intermodalité entre transports urbains, interurbains et transports régionaux en créant des co-entreprises avec des exploitants urbains et des transporteurs routiers. Un tiers des postulants aux appels d’offres sont des alliances stratégiques, et 44 % de ces alliances associent des transporteurs ferroviaires à des exploitants d’autres types de services.