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À la rude école de la réforme britannique

Soldes Bonus-Malus qualité en 2004

4.5. L’émergence d’un petit nombre d’opérateurs à l’échelle européenne, voire mondiale

4.5.1. À la rude école de la réforme britannique

La réforme ferroviaire du Royaume-Uni ne saurait être assimilée à une régionalisation au sens où nous l’entendons ici car, même s’il y a eu changement de l’échelle de gestion du fait de la fragmentation du réseau national initial des British Railways, on ne trouve pas d’autorité organisatrice à l’échelle régionale à l’exception notable du Grand Londres (mais cette entité territoriale n’est pas compétente pour les chemins de fer)165. C’est une entité nationale qui procède aux appels d’offres et qui découpe les sous-réseaux en fonction de critères qui lui sont propres. Une opération de « remapping » est ainsi en cours depuis 2004, au fil des échéances des contrats antérieurs, pour réduire le nombre de franchises de 25 à 18. Et il y en a eu d’autres auparavant (en 2000 par exemple). Par ailleurs, les titulaires des nouvelles franchises n’opèrent pas tous à l’échelle régionale ou font à la fois du régional et de l’interrégional sur leur « territoire ». Si Southern, qui gère le réseau du sud-est de l’Angleterre, peut être assimilée à une franchise de trafic banlieue et régional pur, il n’en est pas de même pour Greater Northern ou Greater Western, qui assurent à la fois de la banlieue de Londres, du régional dans d’autres comtés et surtout des liaisons intercités à grande distance en attendant une grande vitesse qui tarde à se concrétiser. Enfin, un opérateur comme CrossCountry (Virgin) n’opère que des services transversaux d’échelle nationale à arrêts relativement fréquents, comparables aux InterRegio allemands ou aux Corail Intercités de la SNCF.

D’une façon générale, les titulaires de franchises n’opèrent pas sur des blocs homogènes de réseau ou de territoire : l’imbrication de leurs services demeure forte, comme le montre bien l’extrait de la carte générale des franchises en 2007 (figure 4.51).

Cette réforme a initié des pratiques nouvelles en termes de négociation, d’attribution et de suivi des contrats à des candidats assez nombreux, qui se sont livrés à une compétition très âpre. L’idée est de minimiser la subvention publique (voir aussi 1.3.2 pour les principes généraux de la réforme) tout en obtenant des exploitants le plus haut niveau de prestations possible, avec le plus haut niveau de qualité. Les contrôles sont donc continus, les possibilités de sanction nombreuses et il n’est pas rare que des franchisés soient déchus

165 Pour être vraiment complet sur cette question, il faudrait ajouter que le Railways Act de 2005 a introduit un nouvel acteur dans le jeu : les Passenger Transport executives (PTEs), responsables de la planification à long terme sur leur territoire, qui doivent désormais être consultées sur la nature ou l’agencement des franchises. Mais il n’y en a que six, qui ne couvrent que les zones de plus fortes densités : Merseyside (hormis le réseau Merseyrail), Greater Manchester, Tyne and Wear, West Midlands (Centro), West Yorkshire et South Yorkshire.

de leurs droits avant l’échéance. C’est ce type de mésaventure qui est arrivé à Connex en 2000.

Figure 4.51. Extrait de la carte des franchises ferroviaires britanniques ; état en février 2007 (source : National Rail Enquiries)

On pourra aussi noter qu’un contentieux important s’est développé au sein du triangle exploitants / État / gestionnaire de l’infrastructure, et que le droit des franchises a notablement évolué durant les dix premières années d’existence de ce système. La situation est désormais en voie de stabilisation, tant pour ce qui concerne les règles du jeu que pour le nombre d’acteurs.

Il a émergé de cette période un petit nombre d’opérateurs puissants, presque toujours « shortlistés »166 lors des appels d’offres, dont une partie importante est allée chercher fortune dans d’autres pays qui ouvraient le marché des transports ferroviaires régionaux mais aussi celui des transports urbains.

Les opérateurs originaires du Royaume-Uni sont les suivants :

-First Group : titulaire de quatre franchises en Grande-Bretagne après le rachat de GB Railways (soit 15 % du marché), le groupe demeure un puissant autocariste (20 % du marché national). Il se déploie désormais en Amérique du Nord, notamment dans le domaine du transport scolaire (22000 autocars scolaires exploités sous la raison sociale First Student) et des services urbains, et déploie actuellement une stratégie pour conquérir de nouveaux marchés en Europe. Son chiffre d’affaires annuel s’établit à 3,7

166 Terme usuellement employé pour désigner les finalistes d’un appel d’offres, avec lesquels un dialogue compétitif s’engage.

milliards de £ (soit environ 5,476 milliards d’€167) et il emploie 74000 personnes. First Group est également le seul opérateur britannique à combiner voyageurs et fret (avec le rachat de GB Railfreight) et le seul à avoir développé un service en open access sur la liaison Londres – Hull (Hull Trains).

-Stagecoach : D’origine routière (et écossaise) comme First Group, Stagecoach est le titulaire d’importantes franchises ferroviaires qui lui permettent de contrôler 25 % du marché : directement avec Southwest, East Midlands (à compter du 1er novembre 2007), mais aussi via une participation de 49 % dans Virgin Rail Group qui détient deux franchises (West Coast Main Line et CrossCountry). Stagecoach et Virgin sont candidats à la franchise de la East Coast Mail Line, pour une prise en charge à l’automne 2007 également. Ils ont créé une joint venture détenue à parts égales. Le groupe exploite également des autocars en Grande-Bretagne (14 % du marché) et aux États-Unis (1 %). Employant 27000 personnes, il annonce un chiffre d’affaires 2006 de 1,568 milliard de £ (soit environ 2,320 milliards d’€). Stagecoach avait tenté une expansion internationale tous azimuts entre 1998 et 2002, avant de se replier sur les marchés britannique et nord-américain : le groupe a compté des activités africaines, australiennes, chinoises, néo-zélandaises et suédoises.

-Arriva : Autocariste d’origine, passé par les franchises ferroviaires en Grande-Bretagne, ce groupe est le seul à s’être durablement implanté en Europe continentale sur plusieurs marchés du transport ferroviaire régional : Allemagne, Danemark, Pays-Bas et Suède. Fin 2007, Arriva fera son entrée sur le marché polonais avec l’exploitation de trains dans le nord-Ouest du pays. Au Royaume-Uni, Arriva est titulaire de la franchise Arriva Trains Wales (Pays de Galles), et a postulé à deux appels d’offres en 2007. C’est aussi un important autocariste, présent dans neuf pays européens (Allemagne, Danemark, Espagne, Italie, Suède, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Tchéquie), et en position notable en Italie (premier exploitant privé du pays), au Danemark (30 % du marché) et au Royaume-Uni (dans les trois premiers). Le chiffre d’affaires 2006 s’établit à 1,729 milliard de £ (équivalant à 2,559 milliards d’€) et le groupe emploie 13000 salariés.

-National Express : Cet exploitant a pour point commun avec les trois précédents d’avoir débuté son ascension dans le secteur routier interurbain, avant de s’intéresser au ferroviaire, de s’internationaliser (avec des implantations significatives en Australie et aux États-Unis), puis de revendre une partie de ses activités internationales. La Grande-Bretagne représente 80 % du chiffre d’affaires du groupe, qui est leader dans l’interurbain longue distance et qui est titulaire de sept franchises ferroviaires (C2C, Central Trains, Gatwick Express, Midland Mainline, One, Silverlink et Stansted Express). L’activité transports scolaires aux États-Unis a été conservée (374 contrats avec des collectivités, 3ème rang national), et le groupe a opéré une acquisition significative en 2005 en prenant le contrôle du premier autocariste espagnol Alsa. Le chiffre d’affaires 2006 s’établit à 2,525 milliards de £ (soit approximativement 3,737 milliards d’€) pour 43000 employés.

-Go Ahead : Partenaire désormais habituel de Keolis pour les franchises ferroviaires à travers leur filiale commune GoVia168, ce groupe détient également en propre des exploitations routières et s’est développé dans les services aéroportuaires. Son chiffre d’affaires s’établit à 1,463 milliard de £ (environ 2,165 milliards d’€), et il emploie 24000 salariés. À l’heure actuelle, GoVia, qui avait été constituée initialement en 2003 pour concourir avec succès à la reprise des franchises dont Connex avait été déchue, est titulaire des franchises Southern et South Eastern, récemment regroupées en Integrated Kent Franchise, avec ajout des services régionaux à grande vitesse sur la ligne nouvelle Londres – Tunnel sous la Manche (service « Javelin », opérationnel en 2009). Elle vient de remporter la nouvelle franchise West Midlands, au détriment de National Express qui

167 Nous avons retenu un taux moyen de conversion GBP/Euro de 1,48 € pour 1 £, qui correspond à la période allant du 1er octobre 2006 au 30 juin 2007, et qui relativise la forte baisse de l’Euro par rapport à la Livre Sterling intervenue en toute fin d’année 2006, et effacée au 1er trimestre 2007.

perdra à l’échéance ses franchises Silverlink et Central Trains, intégrées dans le nouvel ensemble.

À ces quatre acteurs majeurs d’origine britannique, il convient d’ajouter des acteurs étrangers passés par la Grande-Bretagne, qui a pu leur servir de tremplin pour entrer ensuite sur d’autres marchés.

Le premier à avoir tenté une incursion est le français CGEA Transport en 1996. En avril puis en août de cette année-là, il est adjudicataire de deux franchises : Network South Central et South Eastern, avec des contrats de sept ans pour le premier et de quinze ans pour le second. Ces deux succès ont eu pour effet d’augmenter le chiffre d’affaires de CGEA Transport de 87,6 % en année pleine (Allain, 2000) ! Le groupe a changé de dimension, réalisant désormais deux tiers de son chiffre d’affaires à l’étranger. Mais les choses ne se passent pas aussi bien que prévu. La ponctualité n’est pas au rendez-vous, ce qui provoque un contentieux avec le gestionnaire d’infrastructures privatisé Railtrack. Connex peine à augmenter suffisamment ses recettes pour équilibrer ses comptes. Enfin, la demande de prorogation du contrat initial de la franchise South Central, malgré la proposition d’effectuer un investissement supplémentaire de 564 millions d’€, est rejetée en 1998 par l’Office des franchises (OPRAF), désireux de monnayer le renouvellement en 2003 bien plus cher que ce qui avait été obtenu en 1996 (Allain, 2000). Cette demande a eu le malheur de tomber au moment de la victoire du Parti Travailliste, à l’époque opposé à la privatisation des chemins de fer : il n’était pas politiquement opportun de reconduire un gestionnaire privé pour huit ans supplémentaires... En décembre 1999, la Strategic Rail Authority désigne le réseau South Central parmi les trois dont elle souhaite renégocier les contrats de concession, avec remise en appel d’offres prématurée, sans toutefois remettre en cause la date d’échéance. Trois entreprises sont pré-qualifiées : Stagecoach, GoVia et Connex. Au final, c’est GoVia qui l’emporte, le 24 octobre 2000 (Allain, 2001). Connex tente le tout pour le tout en soumissionnant pour trois franchises, en partenariat avec Arriva pour deux d’entre elles, mais en vain, malgré trois pré-qualifications. La société décide alors de se retirer de South Central avant la fin de son contrat, et négocie la reprise de ce dernier par GoVia au 23 juillet 2001 en échange d’un dédommagement de 30 millions de £ (soit 50 millions d’€).

Les choses ne se passent pas mieux pour la franchise South Eastern, perdue avant son terme, toujours au profit de GoVia. Le 26 juin 2003, la SRA annonce son intention de retirer à Connex sa franchise avec effet au 31 décembre de la même année. Cette décision est officiellement motivée par l’incapacité de l’exploitant à améliorer la situation en termes de qualité de service, alors même qu’il demande une augmentation des subventions publiques pour la période 2004-2006. De nombreux exégètes ont tenté de percer les motivations profondes de cette décision perçue comme injuste par l’opérateur qui n’estimait pas être le pire de tous les franchisés, loin de là. Jean-Pierre Allain (2007, p. 183) va même jusqu’à dire que « Connex, entreprise française, constituera une cible de

choix pour cristalliser les mécontentements et assouvir l’opinion publique », ce qui lui

aurait conféré un rôle de bouc émissaire payant pour les autres les errements de la privatisation première manière des chemins de fer britanniques. Le 8 novembre 2003, le groupe s’efface définitivement du paysage ferroviaire britannique, laissant le champ libre à son concurrent français Keolis.

Keolis, qui s’appelait encore VIA GTI, est entré sur le marché britannique début 1997, avec l’obtention de la franchise Thameslink, sorte de RER Nord-Sud traversant l’agglomération londonienne de part en part sur 162 km, et desservant les aéroports de Gatwick et de Luton. L’opérateur français a eu la prudence de s’associer dès le départ à une entreprise autochtone, Go Ahead, et de lui laisser la majorité du capital de la co-entreprise. Le risque est ainsi limité, mais l’effet d’image peut être tout aussi important que si Keolis avait été seule à postuler. De son côté, Go Ahead apprécie l’expérience du groupe français en termes de délégation de service public. Par la suite, il aura de surcroît la possibilité de vanter l’expérience ferroviaire unique de la SNCF en matière ferroviaire, une fois celle-ci

devenue actionnaire de référence de Keolis169 : un atout de poids pour rafler la desserte régionale de la ligne à grande vitesse Londres – Tunnel en 2006. Entre temps, GoVia aura succédé à Connex sur ses deux franchises, avec de meilleurs résultats tant en termes de qualité de service que de fréquentation.

Keolis ne se contente pas de s’allier avec Go Ahead : en 2003, elle crée une co-entreprise avec First Group pour répondre à l’appel d’offres concernant la franchise Transpennine, qui regroupe des liaisons régionales du Nord de l’Angleterre totalisant 866 km. Il s’agit de FGK (First : 55 %, Keolis : 45 %). La franchise est remportée courant 2004, au détriment du sortant Arriva.

En 2005, GoVia connaît son premier revers en étant exclue de l’appel d’offres pour le renouvellement de la franchise Thameslink. Mais cet échec est largement compensé par l’attribution de la méga-franchise Integrated Kent, qui se substitue à Southern et à South Eastern en y ajoutant comme nous l’avons vu plus haut la future desserte à grande vitesse du Kent. Avec une recette annuelle estimée de 800 millions d’€, c’est le plus gros contrat jamais décroché par un groupe français au Royaume-Uni (Allain, 2007, p. 120).

Quelle qu’ait été l’issue de leur engagement, les deux groupes français ont beaucoup appris de leur expérience anglaise, ce qui leur a permis de partir à l’assaut du marché mondial et de retrouver sur d’autres compétitions une partie de leurs concurrents britanniques. Il faut y ajouter une implication différente de leur confrère Transdev, qui a essentiellement cherché à s’implanter sur le marché des transports urbains, prenant le contrôle d’exploitants en place comme London United (9 % du marché des transports publics londoniens) ou obtenant des contrats d’exploitations de nouvelles lignes de TCSP comme le tramway express de Nottingham (1997). En 2000, la maison-mère de Transdev170 a lancé une OPA sur Go Ahead : elle se heurte en premier lieu aux actionnaires de la société, indignés par le niveau très modéré du prix proposé au regard de ses perspectives de croissance. Mais c’est la SNCF qui réagit en second lieu, de façon compréhensible, Go Ahead étant associée à sa filiale VIA : cette dernière n’exclut pas une contre-offre. Finalement, C3D retire son offre le 25 octobre 2000. À partir de 2001, suite à l’entrée de la RATP dans son capital, Transdev présente des offres dans le cadre de leur structure commune ad hoc, Eurailco UK. Cette dernière se présente sur des appels d’offres concernant des franchises ferroviaires comme Merseyrail (réseau régional de Liverpool) et Northern Rail, mais sans succès. En revanche, elle développe ses exploitations tramway en obtenant la seconde ligne de Nottingham et les deux premières d’Edimbourg en 2004, tout en rachetant plusieurs entreprises de transport routier. En 2005, la Grande-Bretagne constitue de loin la première source de recettes de Transdev à l’international avec 180 millions d’€, soit 22,5 % du CA global du groupe et plus de la moitié du CA réalisé hors de France.

4.5.2. Une mondialisation croissante du marché au profit d’exploitants