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Le modèle d’Orlikowski de pratiques collaboratives dans le cadre intra-

Chapitre 2. État de l’art

2.3. Les pratiques supports à une collaboration client-fournisseurs

2.3.1. Le modèle d’Orlikowski de pratiques collaboratives dans le cadre intra-

Les pratiques collaboratives tendent à décrire les activités et les tâches d’un projet au jour le jour. De par sa définition relative à la collaboration, une pratique collaborative est exécutée par plusieurs participants : elle représente donc une action collective ayant un but précis. Pour cette raison, une pratique collaborative peut être vue comme un acte de connaissance (act of knowing) (Hsiao et al., 2012; Orlikowski, 2002). La connaissance se retrouve dans les actions menées16 (Schön, 1983) ; c’est pourquoi la perspective de connaissance collaborative se

construit jour après jour au travers de pratiques collaboratives.

Les pratiques collaboratives ont été initialement étudiées dans un cadre intra-organisationnel, c'est-à-dire au sein d’une même organisation. Orlikowski (2002) a proposé une classification de cinq catégories de knowing in practice, que l’on traduira dans notre projet par le terme de pratiques collaboratives. Nous choisissons ce modèle en particulier car il a été largement reconnu et validé par la communauté scientifique. Comme nous l’avons défini précédemment, l’idée d’une pratique collaborative est de décrire les actions menées au jour le jour par les membres d’une équipe dans un projet de développement de nouvelle offre. Les cinq catégories de pratiques sont les suivantes : la pratique de partage de l’identité (practice of sharing identity), la pratique d’interactions (practice of interacting face to face), la pratique d’alignement des efforts (practice of aligning effort), la pratique d’apprentissage par l’action (practice of learning by doing) et la pratique de support de la participation (practice of supporting participation). Chacune de ces cinq pratiques collaboratives a été détaillée en trois activités. Ces

16 Citation originale : “knowing is in our action”

Orlikowski (2002) a défini cinq catégories de pratiques collaboratives (knowing in practices) dans le cadre d’un projet collaboratif au sein d’une seule et même entreprise : la pratique liée au partage de l’identité, la pratique d’interactions, la pratique d’alignement des efforts, la pratique d’apprentissage par l’action et la pratique de support de la participation. Ces pratiques collaboratives représentent les interactions entre les participants d’un projet appartenant à une même entreprise et décrivent ce qui passe au jour le jour dans le projet.

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activités permettent de mieux comprendre l’objet porté par chaque pratique. Enfin, Orlikowski (2002) a défini une connaissance portée par chaque pratique. Le concept de connaissance se rapporte ici à ce qui est apporté, par la mise en œuvre de la pratique, au niveau du projet. Le Tableau 2-4 reprend les cinq pratiques collaboratives définies par cette auteure, chacune d’elle illustrée par trois activités et à laquelle se rattache une connaissance apportée. Orlikowski (2002) a défini les cinq pratiques collaboratives à partir de l’étude de projets de développement de produits nouveaux dans une seule et même entreprise. L’auteure a mené 78 entretiens auprès d’ingénieurs, de managers, mais aussi de responsables de l’entreprise. Elle les a interrogés sur les projets de développement en cours et sur les pratiques menées au jour le jour pour mener à bien les différents projets en cours dans l’entreprise. C’est ainsi qu’Orlikowski a défini cinq pratiques collaboratives synthétisant les diverses actions menées par les équipes projet dans leur quotidien. L’auteure a également illustré chacune de ces pratiques par des activités (activities comprising in the practices, Tableau 2-4). Nous proposons par la suite de décrire ces cinq pratiques collaboratives.

Tableau 2-4. Les pratiques collaboratives définies par Orlikowski (2002, p.257)

La pratique de partage de l’identité (practice of sharing identity) (Tableau 2-4) consiste à maintenir de la cohérence, de l’engagement mais aussi de la continuité entre les participants impliqués dans les projets de développement en interne. En effet différentes fonctions sont impliquées dans le projet, les membres peuvent être géographiquement répartis à travers le monde, chaque membre a ses propres intérêts dans le projet, sa propre

Practice Activities comprising the practice Knowing constituted in the practice Engaging in common training and socialization

Using common orientation to do development work

Identifying with the organization

Gaining trust, respect, credibility, and commitment

Sharing information

Building and sustaining social networks

Using common model, method, and metrics Contracting for expertise annually

Using standard metrics

Investing in individual development Mentoring employees in their careers Rewarding not punishing effort

Globally distributing product development work Involving participants in project decisions Initiating and supporting overseas assignments

Learning by doing Knowing how to develop capabilities

Supporting participation

Knowing how to innovate

Sharing identity Knowing the organization

Interacting face to face

Knowing the players in the game

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expérience et ses propres valeurs. C’est pourquoi la pratique liée au partage de l’identité insiste sur la nécessité que chaque membre connaisse l’entreprise et puisse s’identifier à elle. Une première illustration de cette pratique consiste à faire participer les nouveaux membres de l’entreprise à une formation initiale commune et à des travaux de groupe pour apprendre la façon de faire de l’entreprise (engaging in common training and socialization). Les nouveaux membres découvrent ainsi les fondements du développement de produits nouveaux dans l’entreprise et peuvent ainsi comprendre leur place dans cette organisation. Orlikowski (2002) précise que cette activité contribue à connecter et à calibrer (connecting and calibrating, p.257) les membres en partageant les valeurs, les objectifs et les attendus de l’entreprise à propos de ce qui est important pour elle et pourquoi. L’auteure note également que cette activité est réalisée lors d’une formation initiale, mais est aussi effectuée tout au long de la vie des projets de développement et ce, quel que soit le niveau hiérarchique des nouveaux membres. Une seconde illustration d’activité concerne l’appropriation et l’utilisation d’une dynamique commune de développement de produits nouveaux (using common orientation to do development work). L’objectif est que les membres de l’entreprise comprennent l’organisation du développement de produits nouveaux (les différentes activités à mener), qu’ils puissent s’y identifier et qu’ainsi que leurs efforts contribuent au développement de nouvelles offres, mais également au développement de l’entreprise. Ainsi les membres peuvent partager au travers de cette activité les valeurs de leur identité commune qui les aideront par la suite à établir des connections, où qu’ils soient situés géographiquement. Cette activité est fortement liée à la troisième illustration de pratique proposée par Orlikowski (2002) : identyfing with the organisation. Au travers du renforcement de la connexion qu’a chaque membre avec l’entreprise, chacun d’eux doit se sentir appartenir à la même entreprise, à une même famille.

Au travers de la pratique de partage de l’identité, Orlikowski a cherché à identifier comment chaque membre, qu’il soit ou non nouveau, connaisse puis s’identifie à l’entreprise, à sa manière de fonctionner, à son organisation, à sa culture, à sa façon de développer des produits nouveaux, en un mot, à son identité.

La pratique d’interactions (practice of interacting face to face) (Tableau 2-4) a pour objectif que les membres d’une équipe projet se connaissent. Comme l’explique Orlikowski (2002) dans son étude, les projets de développement de nouveaux produits intègrent parfois plusieurs centaines de personnes réparties à travers le monde. L’auteure précise qu’il y a de considérables frontières sociales (social boundary) à franchir pour ces participants (frontières géographiques, culturelles, expérience). L’un des moyens pour y arriver est de faciliter les interactions entre les participants. Orlikowski illustre cette pratique en montrant qu’en faisant passer du temps ensemble aux participants du projet, ces derniers apprennent à se connaître et à se comprendre. Cela contribue à créer de la confiance, du respect, de la crédibilité mais aussi de l’engagement entre eux (activity of gaining trust, respect, credibility and commitment). La pratique d’interactions se traduit entre les membres d’une équipe projet en partageant des informations au jour le jour. L’auteure note l’importance au sein d’une même équipe de s’échanger des informations (activity of sharing information). En effet le développement d’un nouveau produit complexe

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amène les différents participants à discuter, à négocier, à questionner des choix techniques par exemple et ce, au quotidien. Orlikowski souligne que ce besoin d’échanger est facilité par des rencontres physiques entre les participants. L’activité de partage de l’information est couplée à celle de construction des relations sociales entre les participants. En effet l’auteure explique que chaque participant développe tout au long du projet son réseau social en créant des contacts personnels avec d’autres acteurs et en communiquant directement avec eux. Ce développement de relations sociales contribue à la création d’une équipe commune et certains participants développent entre eux des relations interpersonnelles qui peuvent dépasser le cadre du projet de développement (des amitiés peuvent par exemple se former).

La pratique d’interactions (Orkilowski, 2002) cherche donc à caractériser la manière dont les participants à un même projet de développement font pour se découvrir, se connaître dans l’objectif de créer une et même équipe projet.

La pratique d’alignement des efforts (practice of aligning effort) (Tableau 2-4) regroupe les activités mises en œuvre au jour le jour pour coordonner les participants du projet (Orlikowski, 2002). En effet les produits développés sont complexes car ils sont composés d’une multitude de sous-systèmes et de multiples technologies. Ces éléments sont développés en parallèle à travers le monde et, au niveau du projet, il est nécessaire de s’assurer que ces développements sont coordonnés et qu’ils s’intégreront bien dans le produit final. Une illustration de cette pratique d’alignement des efforts renvoie à l’utilisation d’un modèle de management de projet commun pour tous les développements, d’un même outil de planification et de méthodologies de développement structurées. Ainsi les participants sont alignés sur le processus de développement du produit commun (ses phases, ses jalons), sur un planning commun et ils utilisent le même système d’information pour gérer les données du projet. D’après l’auteure, cela aide à manager le projet. Orlikokwski définit également deux autres activités qui contribuent à l’alignement des efforts. Ces activités, que l’auteure a séparées, mais qui sont pourtant dépendantes l’une de l’autre concernent la négociation et la contractualisation pour chacun des participants envers le projet et ce, en définissant des métriques standards pour assigner et allouer la charge de travail. L’intérêt ici est de lier chaque participant au projet par un contrat annuel. Les participants ne sont pas donc pas liés au projet pour une durée indéterminée et peuvent annuellement renégocier leur contrat, voire quitter le projet. Au niveau du projet, cela permet d’ajuster le nombre de ressources en fonction de la charge de travail. L’utilisation de standards métriques (Orlikowski prend l’exemple des kilomanhours, c'est-à-dire un millier d’heures homme) permet au responsable du projet de demander aux responsables de chaque fonction le nombre de ressources nécessaires dont le projet a besoin pour être mené.

La pratique d’alignement des efforts permet d’aligner les participants sur la dynamique de développement du projet, de s’assurer que chacun d’eux est aligné sur un processus de développement commun et sur un planning

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commun, que les mêmes méthodologies sont utilisées et ce, n’importe où dans le monde. Ainsi, le développement du produit est coordonné temporellement et géographiquement.

La pratique d’apprentissage par l’action (practice of learning by doing) (Tableau 2-4) cherche à traduire l’évolution des compétences des participants tout au long du projet. En effet le projet est constitué d’une multitude de personnes représentant de multiples fonctions et chacun d’eux a sa propre expérience, ses propres formations, son propre niveau d’expertise. Au niveau de l’entreprise il lui faut maintenir les compétences de chaque employé et les faire évoluer pour répondre aux besoins des projets de développement. L’apprentissage par l’action nécessite pour l’entreprise d’investir dans des formations pour maintenir et développer les compétences de chaque participant. Par compétences, Orlikowski fait référence aux compétences techniques, professionnelles, des affaires (business) mais aussi humaines de chaque participant. L’auteure précise que cette dynamique d’apprentissage passe par la gestion spécifique, l’anticipation et la planification de l’évolution de carrière de chacun. Par exemple un expert technique peut se voir confier de plus en plus de responsabilités jusqu’à devenir responsable d’un projet de développement. Enfin l’auteure note un élément important dans l’apprentissage par l’action au jour le jour, c’est de récompenser les efforts et de ne pas critiquer ou punir les erreurs que les participants ont pu faire au cours du projet. En effet chaque participant a droit à l’erreur, mais doit apprendre de son expérience. L’entreprise est là pour supporter ses employés et non pour les critiquer ou les punir lorsque ces derniers ont fauté.

La pratique d’apprentissage par l’action peut se résumer par cette phrase : c’est en faisant qu’on apprend. L’entreprise a la responsabilité de développer les compétences de ses employés, de prévoir leur carrière, mais aussi de les supporter en cas de difficultés. L’apprentissage au sein d’un projet se fait ainsi quotidiennement.

La pratique de support de la participation (practice of supporting participation) (Tableau 2-4) décrit le besoin pour une entreprise de développer des produits toujours plus innovants (Orlikowski, 2002). L’auteure illustre cette pratique par le fait de répartir le développement du produit de manière globale dans l’entreprise. Cela peut même amener diverses entités de l’entreprise à entrer en compétition pour développer un sous-système de meilleure qualité et avec une plus grande productivité. La répartition du travail dans les équipes à travers le monde permet au projet de capter de nouvelles perspectives et de nouvelles idées pour le produit. En effet les participants au projet sont de cultures différentes, ont leurs propres formations et leurs propres expériences et peuvent ainsi proposer davantage d’idées innovantes. La répartition du développement de manière internationale contribue également, d’après l’auteure, à ce que les participants échangent des bonnes pratiques (cross-fertilization). De plus la pratique de support de la participation se réalise lorsque tous les participants ont voix au projet. Orlikowski précise que chaque acteur du projet est intégré dans le processus de décision du projet. Ainsi les personnes se sentent impliquées et entendues dans le projet car elles participent au dialogue et aux discussions au jour le jour liées au développement du produit. Enfin, l’auteure souligne une dernière activité qui consiste à favoriser les

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expatriations des employés de l’entreprise. En effet, l’étude de l’auteure montre que les employés qui ont réalisé des missions à travers le monde possèdent davantage de connaissances et d’expérience. Ainsi ils sont plus pertinents dans leurs propositions d’innovation et cela est bénéfique pour le projet et donc pour l’entreprise. La pratique de support de la participation permet à chaque participant de se sentir impliqué et écouté dans le projet. Les multiples participants avec leurs diverses cultures sont une richesse pour l’entreprise (et pour le projet). Cette dernière favorise les échanges et les discussions entre ces personnes afin de capter des perspectives et des idées toujours plus innovantes pour le produit.

Nous venons de présenter les cinq catégories de pratiques collaboratives définies par Orlikowski (2002). Cette auteure s’est appuyée sur l’étude de nombreux projets au sein d’une seule entreprise internationale pour décrire ce qui est mis en œuvre au jour le jour par les participants pour mener à bien le développement d’un produit. Ainsi les aspects organisationnels d’alignement des efforts, de coordination aussi bien qu’humains sur la capacité des participants à apprendre, à interagir et à proposer des idées innovantes ont été soulevés. Ces cinq pratiques collaboratives ont été largement saluées et reconnues par la littérature de gestion comme étant un modèle robuste pour décrire les pratiques collaboratives (article cité plus de 2500 fois17). Nous considérons dans le cas de notre

projet de recherche ces cinq pratiques collaboratives comme une base solide pour décrire ce qui se passe au quotidien dans un projet de développement. Néanmoins, d’autres auteurs ont eux aussi étudié les pratiques collaboratives dans les contextes intra- mais aussi inter-organisationnels. C’est pourquoi nous proposons par la suite de questionner le modèle d’Orlikowski.

2.3.2.

Proposition d’un modèle de pratiques collaboratives dans un contexte inter-