• Aucun résultat trouvé

Section I : Le principe de l’incompétence du juge et l’efficacité de la convention arbitrale

B. Le contenu du principe d’incompétence du juge étatique

Conformément aux articles 2638 C.c.Q. et 622 C.p.c., en principe, les tribunaux sont incompétents en ce qui concerne les litiges au sujet desquels les parties ont convenu d’un arbitrage75.

Dans un souci d’efficacité, il faut que la convention d’arbitrage produise deux effets, à savoir un effet négatif et un effet positif. On constate l’effet négatif de la convention d’arbitrage lorsqu’il y a la possibilité d’écarter les juridictions étatiques. L’effet négatif de la convention d’arbitrage est l’incompétence des juridictions étatiques à statuer sur le fond du litige. Il suppose l’efficacité prima facie de la convention d’arbitrage. Cet effet a été consacré comme l’un des principes de l’arbitrage par plusieurs conventions internationales et législations nationales76

De plus, dans les commentaires du ministre de la Justice sur l’article 2638 du Code civil du Québec, il est apparu que l’essence même de la convention d’arbitrage est l’exclusion des tribunaux. Le ministre confirme que la convention d’arbitrage « … est un contrat dont

l’essence est d’écarter l’intervention des tribunaux dans le règlement des litiges, nés ou éventuels ». L’incompétence du juge étatique n’est pas constatée dès lors que les parties ont

conclu un accord. Théoriquement, le dessaisissement du juge s’appuie sur l’effet négatif de la

75 C.c.Q., préc., note 57, art. 2638.

76 Protocole de Genève en lien avec les clauses arbitrales, 23 septembre 1923. l'art. 4 de ce protocole dispose

que : « Les tribunaux des Etats contractants, saisis d’un litige relatif à un contrat conclu entre personnes visées à l’article premier et comportant un compromis ou une clause compromissoire valable en vertu dudit article et susceptible d’être mis en application, renverront les intéressés, à la demande de l’un d’eux, au jugement des arbitres. Ce renvoi ne préjudicie pas à la compétence des tribunaux au cas où, pour un motif quelconque, le compromis, la clause compromissoire ou l’arbitrage sont devenus caducs ou inopérants ». Ensuite, c’était au tour de la Convention de New York de 1958, préc., note 4, d’appuyer ce principe, et plus tard, la Loi type de la CNUDCI l’adopta également. Toutes ces conventions ont reconnu l’effet négatif de la convention d’arbitrage.

convention d’arbitrage. Lorsque la convention d’arbitrage est valablement constituée, elle attribue la compétence aux arbitres, qui sont investis d’une compétence juridictionnelle en raison de leur mission. Cette attribution exclut d’office la compétence juridictionnelle des juges77.

Le dessaisissement du juge au profit du tribunal arbitral vise à assurer l’exécution de la convention dans son effet négatif. Il constitue donc un mécanisme d’exécution en nature de la convention d’arbitrage. Ce mécanisme ressort des textes de l’article II (3) de la Convention de New York de 1958 et de l’article 8 de la Loi type de la CNUDCI. En effet, il s’agit de : « l’existence d’une obligation conventionnelle incombant aux parties d’arbitrer un litige qui

provoque le dessaisissement du juge »78. Ce principe est respecté par les juges canadiens. Par exemple, dans l’affaire Burlington Northern Railroad Co. c. Canadian National Railway Co., la Cour suprême a mis en évidence l’importance d’un tel principe ainsi que le lien entre l’existence d’une obligation conventionnelle incombant aux parties de soumettre leur litige à l’arbitrage et le dessaisissement du juge79.

Au niveau international, la constatation de l’effet négatif de la convention d’arbitrage est régie par les dispositions sur la compétence internationale des tribunaux québécois. Ces dispositions sont prévues par le Code civil dans son titre III et successivement par ses articles 3148 à 3150

77 C.c.Q., préc., note 57, art. 2638.

78 F. BACHAND, préc., note 9, p9. 183. 278.

79 Burlington Northern Railroad Co. c. Canadian National Railway Co., [1997] 1 R.C.S. 5. Dans cette affaire, la

convention l’arbitrage invoquée dans la demande de renvoi à l’arbitrage du litige contenait certaines modalités relatives à la mise en branle d’une instance arbitrale exprimées comme suit : « the party demanding such arbitration shall give to the other party notices such demand, stating specifically the question to be submitted for decision and nominating a person who has the required qualifications to act as one arbitrator ». La partie demanderesse s’opposait au renvoi du litige à l’arbitrage au motif qu’une instance arbitrale n’avait pas encore été mise en place, donc que les tribunaux étaient compétents. Deux des trois juges ont été convaincus, mais le juge dissident a affirmé que le motif de la demanderesse était nul et ne pouvait pas constituer une condition d’intervention des tribunaux. En effet, selon lui, que la convention d’arbitrage ait été mise en œuvre ou non, la volonté des parties consignée devrait être respectée conformément à l’art. 8 de la Loi type, puisque le texte est clair et sans ambiguïté. Contrairement à Burlington Northern Railroad Co. c. Canadian National Railway Co., dans l’affaire Décarel Inc. c. Concordia Project Management Ltd., la volonté des parties n’est pas la seule cause du dessaisissement du juge en présence d’une convention d’arbitrage, encore faut-il que le litige pour lequel ils vont en arbitrage soit arbitral.

C.c.Q. Dans l’article 3148 C.c.Q.80, on trouve la règle qui exclut la compétence des juridictions québécoises lorsque les parties ont choisi de soumettre leur différend né ou à naître à un arbitre.

Sur le plan procédural, certaines dispositions imposent au tribunal étatique de se déclarer incompétent face à un litige au sujet duquel les parties ont conclu à un arbitrage. Aux termes de l’article 622, al. 2, du C.p.c.81, le tribunal doit, à la demande de l’une des parties, renvoyer les parties à l’arbitrage. Il s’agit d’une disposition impérative, dont l’application est subordonnée à certaines conditions : d’abord, la présence d’une clause compromissoire; ensuite, la cause ne doit pas être inscrite; le renvoi doit être demandé par l’une des parties; et enfin, le tribunal ne doit pas constater la nullité de la convention d’arbitrage. Ces conditions établies pour écarter l’intervention du tribunal dans l’arbitrage nous obligent à poser la question suivante : le caractère inopportun du recours à l’arbitrage peut-il faire obstacle à l’effet négatif de la convention d’arbitrage? La réponse à cette question est affirmative au regard des termes de l’article précité.

En résumé, retenons que le principe selon lequel les juges sont incompétents en présence d’une clause compromissoire « parfaite » est consacré par des dispositions de la loi type de la CNUDCI82. Cependant, ces mêmes lois et cette même volonté des parties qui établissent ce

80 J-L. BAUDOUIN et Y. RENAUD, préc., note 54, art.3148. Dans cet article 3148, le législateur définit les critères

de compétences internationales des juridictions étatiques dans les actions personnelles à caractère patrimonial. Dans l'hypothèse où les parties ont soumis leur différend à un arbitrage, les tribunaux ne sont pas compétents, à moins que le défendeur reconnaisse la compétence des juridictions pour connaître le litige. Cette incompétence est aussi constatée dans certains litiges concernant le droit de la consommation, le droit du travail.

81 L. CHAMBERLAND et al., préc., note 44, Art 622 al.2. Dans ses commentaires, M. Dalphond explique que ce cas

de renvoi existe lorsque le différend assujetti à une convention d'arbitrage est présenté au tribunal qui, faute de celle-ci, serait compétent pour l'entendre. Dans ce cas, le tribunal doit, mais uniquement à la demande de l'une des parties, renvoyer les parties à l’arbitrage. On en vient toutefois à recourir au tribunal, car si dans ce cas d'espèce l'autre partie ne fais pas prévaloir le respect de la convention d'arbitrage dans un délai de 45 jours suivant la demande introductive d'instance, le tribunal sera déclaré compétent et cela présumera la renonciation des parties à l'arbitrage, ce qui est plutôt rare. Voir à cet effet l'affaire opposant Telus Mobilité c. Comtois, [2012], C.A. La cour d'appel affirme qu'en présence d'une convention d'arbitrage liant les parties, toutes des entreprises, un renvoi doit être ordonné, malgré l'existence d'un recours collectif sur le même objet, même impliquant des consommateurs.

principe se contredisent lorsque certains événements ébranlent l’espoir des parties de voir leur litige tranché par un tribunal arbitral. En effet, certaines situations relativisent ce principe de l’incompétence, cette incompétence qui est le pendant de l’efficacité de la convention d’arbitrage. Dès lors, la seule question qu’elle soulève vise à savoir quels sont les cas dans lesquels ce principe est relatif, ou du moins, de quelles exceptions ce principe relève.

Sous-section II : Les exceptions au principe de l’incompétence : une possible compétence du juge étatique

En proclamant formellement l’incompétence des tribunaux judiciaires en présence d’une convention d’arbitrage, le législateur québécois a prévu des situations dérogatoires pouvant attribuer la compétence aux juges étatiques. Ainsi, dans un premier contexte, le juge est compétent s’il constate la nullité de la convention d’arbitrage (A), et dans un second contexte, si les parties ne formulent pas la demande de renvoi à l’arbitrage dans le délai prévu (B).

Outline

Documents relatifs