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DEVANT LE TEMPS

PLANS-SEQUENCES ET ELLIPSES

II. Bresson : la stase de l’immanence et la diastase de la transcendance

2. Lancelot du Lac ou Le Graal

Pas d’occultisme dans le film, mais vase dans lequel a été recueilli le sang du Christ sur la croix et dont la possession procurerait un pouvoir surnaturel.

Comment m’a inspiré la légende, c’est le film qui le dit.

Robert Bresson

Faut-il le rappeler, Bresson porta longtemps en lui le projet du Lancelot. Un premier découpage fut en effet écrit vers les années 1949-1950. La réalisation du film devait donc suivre de près celle du Journal d’un curé de campagne. Finalement tourné en 1973, il fut présenté en 1974 à Cannes « hors festival». Le Lancelot de Bresson, qui s’appela d’abord Le Graal, s’inspire de deux sources principales : d’une part les poèmes de Chrétien de Troyes, Le Chevalier à la charrette (ou Lancelot) et Perceval (ou Le Roman du Graal) écrits aux alentours de 1170, et le cycle du Lancelot-Graal, composé de cinq romans anonymes du XIIIe siècle, dont La Quête du Saint-Graal et La Mort du roi Arthur. La Quête du Saint-Graal identifie pour sa part le précieux vase au calice de la sainte Cène et au ciboire dans lequel Joseph d’Arimathie recueillit le sang du Christ à la croix. Selon la légende, le Graal accorderait des pouvoirs exceptionnels aux chevaliers qui s’en empareraient. Mais c’est La Mort du roi Arthur, narrant la fin des Chevaliers de la Table Ronde, qui semble le plus inspirer Bresson. De ces divers cycles, le cinéaste ne garde d’ailleurs que le choc frontal des passions, mettant de côté toute dimension féerique et magique323.

De même que c’est au cœur de vies brisées qu’il nous faudra trouver le Saint-Graal qui échappe aux protagonistes, c’est au cœur de l’écriture cinématographique que se cache, une fois encore, l’invisible. De fait, avec Lancelot du Lac, Bresson porte au plus haut niveau son travail de fragmentation. Son souci du rythme, obtenu par la scansion des motifs visuels et sonores, n’a jamais été aussi grand : ainsi peut-on considérer ce film à l’instar d’une véritable partition musicale ! Jamais il n’a poussé plus loin la pratique de l’asyndète. Enfin, son sens aigu de l’ellipse, lié à la mise en valeur des jointures, ouvre le film sur un indicible qu’il nous reste à interpréter.

323 « On a brodé sur le Graal pendant plusieurs siècles. Le Graal veut dire vase, coupe. Il semble qu’un mythe occulte se cachait à l’origine dans ce Graal. Pas d’occultisme dans le film, mais vase dans lequel a été recueilli le sang du Christ sur la croix et dont la possession procurerait un pouvoir surnaturel.

Comment m’a inspiré la légende, c’est le film qui le dit. » Robert Bresson à Yvonne Baby, « Du fer qui fait du bruit », Le Monde, 26 septembre 1974.

Changement de rythmes

Nous avons souligné l’importance que revêtait pour Robert Bresson « la toute puissance des rythmes ». Lors de la sortie de Lancelot, il s’exprimait ainsi dans les colonnes du Monde : « Là encore, des rythmes. Ils sont tout-puissants. C’est quand elles sont prises dans les rythmes que les choses frappent et se fixent dans la mémoire.324 » Corrélat du fragment qui grave les choses dans l’esprit du spectateur, le rythme est une autre manière d’aller au-delà de la stase. Lancelot frappe par son travail exceptionnel sur les tempi que d’aucuns diront proches de ceux de la musique répétitive325. Première scansion qui porte l’ensemble du film : l’alternance de la nuit et du jour. Pour Gilles Deleuze, cela correspond à l’opposition entre le Bien et le Mal, Lancelot faisant partie de ces « hommes gris de l’incertitude326 » qui balancent continuellement entre le vice et la vertu, la tentation et le devoir, les passions et la foi. Tantôt, un long travelling semble suspendre le temps et conduire au silence, comme dans cette scène où Lancelot rend Guenièvre à Artus. Tantôt, des séquences entières sont bâties sur des rythmes particulièrement nerveux comme le prologue, le tournoi et l’épilogue qui disent (même en sourdine) le bruit et la fureur de ce monde.

Régulièrement des motifs visuels se succèdent avec rapidité, comme lors du départ au tournoi où une série de plans assez courts sur les jambes des chevaliers qui enfourchent leurs chevaux suggère une brusque accélération du récit, ou lors du départ pour la bataille finale contre les hommes de Mordred, lorsque les chevaux sont successivement préparés et enfourchés, et les visières des heaumes baissées. Ces séquences illustrent parfaitement ce que Bresson écrivait dans ses Notes : « Tous ces effets que tu peux tirer de la répétition (d’une image, d’un son).327 »

324 Idem.

325 Cf. l’étude détaillée d’André Targe : « Ici l’espace naît du temps… », Caméra/Stylo, Janvier 1985, pp. 87-99. L’auteur cite comme exemple Philip Glass et son Einstein on the beach, voir note 9, p. 99.

326 Cf. L’Image-mouvement, op.cit., p. 161. Déjà Michel Estève signalait : « À l’image de Lancelot — âme déchirée entre l’ombre et la lumière, visage tour à tour sombre et lumineux au cours des dialogues avec Guenièvre — le récit fait alterner les séquences nocturnes et les séquences diurnes, où l’auteur joue sur des contrastes naturels entre des registres sombres (la forêt) et lumineux (le tournoi). » Robert Bresson, La passion du cinématographe, op. cit., p. 80.

327 Op. cit., p. 57. Pour ne rien dire de la répétition dans le film des hennissements, croassements, etc.

Lancelot du Lac : images répétitives.

Pour certains il s’agit non seulement de rythme, mais de véritables rimes328 qui couronnent des vers alternativement courts et longs, à la manière de ceux qui composent les textes dont le film s’inspire. Courts lorsque l’affrontement approche et s’engage, longs lorsque les chevaliers sont au repos au campement. Ici, la frénésie qui précède et accompagne l’action — lors de l’entraînement, du tournoi ou des batailles — là, la maturation d’un temps plus intérieur — lors des échanges entre les hommes sous les tentes ou lors des rencontres entre Lancelot et Guenièvre dans la masure entourée d’arbres. De fait, sous des habits bien différents, nous retrouvons l’alternance qui structurait fondamentalement Un condamné, l’accélération du temps succédant à la suspension et l’attente.

Outre la musique singulière que le cinéaste veut conférer à son film et offrir au spectateur, on peut lire à travers ces changements de rythme l’aventure spirituelle de Lancelot et de ses compagnons. L’accélération (et la jouissance parfois morbide) dans lesquelles les précipite l’action autant que les lentes macérations pendant lesquelles couve l’évolution des personnages, notamment celle de Lancelot. Ici encore, se combinent le temps étiré d’une quête souterraine (avec ses brisures, ses volte-face et ses abandons) avec le temps fragmenté et saccadé d’un agir qui est toute extériorité, mais dont la source première reste cachée. C’est le temps de l’être — qu’il soit intérieur ou collectif.

Fragmentation et synecdoques

Revenons un instant sur la question du fragment, de ses diverses fonctions et de ses possibles significations. D’un côté, et nous le soulignions dans l’introduction de ce chapitre, le fragment est une manière pour Bresson de mieux faire advenir le réel et de mieux échapper à la représentation et à son paradigme théâtral : c’est le susmentionné

« effet de réel »329.

« En ce qui concerne l’image : fragmentation, faire voir les choses dans leurs fragments séparés comme nous les voyons quand nous sommes les plus réalistes. C’est un poitrail, un arrière-train musclé, un coup qui traduit l’impression de puissance qu’ils me

328 Dans son ouvrage Le cinéma de Robert Bresson, Jean-Louis Provoyeur s’interroge : « qu’est-ce que cette accumulation verticale de fragments, cette répétition de signifiants quasiment identiques, sinon une rime ? D’autre part, la répétition des plans identiques crée un rythme. C’est ce qui permet en particulier, en raccourcissant la durée des plans au cours d’une séquence, de produire un effet d’accélération : crescendo dans la violence, rapidité des gestes dans l’urgence de l’action… » Op. cit. p. 92. Comme le note justement Michel Estève à propos de Lancelot : « le temps est devenu harcelant ». Op. cit. p. 80.

329 Plus que jamais, on pense aux toiles de la première Renaissance, de Fra Angelico à Pierro della Francesca. Voir en particulier Le Christ aux outrages du bienheureux Dominicain, fresque du couvent San Marco à Florence, où les mains et les visages, comme abstraits de la réalité, se détachent sur un fond uni autour du Christ humilié.

donnaient au galop. À l’arrêt, des frappements de sabots sur le sol. Autrement on tombe dans la représentation (cheval tout entier avec son cavalier, paysages, etc.).330 »

Là où tel cinéaste appliqué — disons hollywoodien pour simplifier — aurait méticuleusement filmé un plan d’ensemble, un plan moyen puis un gros plan, Bresson préfère filmer l’œil du cheval en gros plan pour suggérer l’inquiétude de la bête qui pressentait, disait-on au Moyen Âge, le sort de son maître, nous indiquant par là le spectre invisible de la mort qui rôde hors-champ. De même Bresson fait-il avec les sons qu’il isole comme ces réguliers coups de trompette dans l’enceinte du camp, ou le croassement récurrent d’un corbeau que nous ne verrons jamais, lorsque Lancelot rejoint Guenièvre dans la masure entourée d’arbres.

Mais c’est lorsqu’ils sont pris dans le tourbillon des rythmes que ces fragments frappent plus encore. Ils entrent dès lors dans « une nouvelle dépendance » que Bresson appelle de ses vœux. Exemplaire est, à cet égard, le « Tournoi de la Pentecôte ». Il convient de nous y arrêter. La séquence, qui est au cœur du film, ne dure pas plus de six minutes. À la manière des partitions de Steve Reich ou d’Arvo Pärt, le rythme se développe à partir d’une unité de base qui ne sera perturbée que par l’arrivée de Lancelot et qui est composée uniquement de plans rapprochés (aucun plan d’ensemble n’y figure).

Nous avons successivement : un plan sur l’étendard du chevalier que l’on hisse et auquel se superpose le son de la cornemuse ; un plan du musicien et d’un chevalier — tous deux tronqués ; un plan en contre-plongée des pattes du cheval qui frappent sur le sol ; un plan de la tribune avec Artus et Gauvain, et le départ du cheval que l’on entend hors-champ ; premier choc que l’on ne voit pas… Puis la séquence recommence : cornemuse, étendard, cheval et galop, tribune, choc hors-champ… jusqu’à ce que Lancelot arrive. Première interruption. À la séquence initiale, Bresson ajoute un plan de Lancelot levant sa lance par défi et auquel répond parfois son adversaire, le choc de la joute (point de vue de Lancelot) et la chute systématique du concurrent qui tombe à terre en plan moyen, Gauvain (ou Artus) s’exclamant « Lancelot ! » (nouvelle rime) après chaque victoire.

Brillant art de la variation et de la permutation, puisqu’il n’y a pas deux plans de tribune ou de cavalier qui soient identiques, faisant à l’occasion l’économie de tel ou tel élément, d’abord le choc lui-même, ensuite le plan du musicien, et ne se laissant jamais prévoir puisque l’ordre initial est régulièrement renouvelé. À partir de l’irruption de

330 Robert Bresson à Yvonne Baby, « Du fer qui fait du bruit », Le Monde, 26 septembre 1974. Et dans les Notes, ce passage souvent cité : « DE LA FRAGMENTATION. Elle est indispensable si on ne veut pas tomber dans la REPRESENTATION. Voir les êtres et les choses dans leurs parties séparables. Isoler ces parties. Les rendre indépendantes afin de leur donner une nouvelle dépendance. » NC, p. 95.

Lancelot, l’action va se recentrer sur ces victoires successives avant de retomber dans le silence de la forêt où le chevalier servant de Guenièvre s’abat à son tour.

Ici, la continuité s’obtient à travers la fragmentation et jamais le montage ne donne, comme dans le cinéma traditionnel, un effet de transparence, de coulée harmonieuse. Au contraire, Bresson met en évidence les collures et les jointures.

Comme Roland Barthes le soulignait à propos du discours chez Flaubert, nous avons affaire à une « asyndète généralisée ». Pas de liaison, mais une scansion, avec, comme dans le jazz, une manière unique de jouer la note pointée, comme dans un staccato.

Constamment nous allons de la partie au tout dans une lecture ascendante et anagogique, puisqu’une croupe vaut pour un cheval, les pattes d’un cheval pour un cavalier, un cavalier pour une joute, une joute pour un tournoi…

Cette pratique systématique de la synecdoque (la partie pour le tout) finit par prendre une valeur métaphorique, voire mystique. D’abord, elle rappelle que l’essentiel du film est au-delà du visible. Comme le fait la métonymie (l’effet pour la cause), cette autre figure stylistique déployée par Bresson, la synecdoque nous invite constamment à remonter à la cause des causes331. Mais ici, il y a plus : comme le souligne Guy Bedouelle dans Du spirituel au cinéma : « Le fragment vaut pour le tout, exactement comme dans l’économie sacramentelle où la parcelle consacrée contient le corps tout entier.332 » Et de préciser ailleurs : « Reconnaître et surtout recevoir le tout dans le fragment, c’est entrer dans l’économie sacramentelle, eucharistique, dans laquelle le pain et le vin, transsubstantiés (…), non seulement deviennent le Corps du Christ tout entier et son Sang, mais nous y intègrent.333 »

Ceci nous renvoie à la première partie de cette thèse où nous avions abondamment exploré la dimension indicielle du signe. Nous avions en effet souligné comment l’âne d’Au hasard Balthazar se faisait porteur de Dieu, suggérant la

« présence réelle » du Christ parmi les hommes. Ici, c’est le fragment lui-même qui se fait Eucharistie. Et ce n’est plus l’un des protagonistes parmi les autres qui s’en trouve transfiguré, mais tout le réel ! Ici, le fragment ne désigne pas seulement un Tout absent, invisible, comme le note si justement Gilles Deleuze, mais la présence même du Dieu incarné. Pour nous, l’« effet de réel », si souvent souligné par les commentateurs, renvoie au corps mystique du Christ.

331 Cf. l’analyse d’Un condamné à mort dans la première partie « Signes et symboles ».

332 Du spirituel dans le cinéma, Cerf, Paris, 1985, p. 38.

333 « Le tout est dans le fragment », Communio, revue catholique internationale, XXV, 3, mai-juin 2000, p. 112.

Jointures et ellipses

Bien entendu, c’est le montage qui unifie le divers. Il dérobe autant à nos yeux l’invisible, grâce à une pratique systématique de l’ellipse, qu’il met en exergue ces brisures (ces jointures). Il tisse enfin des liens entre certains motifs, comme les sons ou les éléments visuels qui reviennent ponctuellement, telle cette écharpe, signe de l’abandon de Guenièvre à Lancelot, de la trahison de Mordred et de la fidélité que Gauvain voue à sa reine…

Pour l’heure, revenons sur les nombreuses ellipses qui ponctuent l’action de Lancelot. Parmi les plus visibles, soulignons l’attaque lors de laquelle Lancelot tue Agravain et l’escarmouche pendant laquelle il blesse Gauvain. Chaque fois, c’est l’œuvre même du Mal qui est biffée, en tout cas dans sa dimension la plus spectaculaire, comme nous le remarquions déjà à propos d’Un condamné à l’occasion du meurtre de la sentinelle. Ici, cependant, c’est toute la scène qui est absente, comme soustraite au cours « normal » du récit — relevons qu’un film d’action « standard » ne nous aurait jamais épargné de tels épisodes dramatiques. Dans d’autres cas, et il convient d’y insister, c’est tout une séquence qui est tissée d’ellipses, comme c’est le cas lors de la bataille finale. On le sait, Mordred s’est soulevé contre son oncle Artus.

N’écoutant que sa fidélité pour son roi, Lancelot, qui vient de lui remettre Guenièvre, se jette avec ses hommes dans la bataille. Que voyons-nous ? Un art consommé de la litote qui met souvent en œuvre la métonymie sous le signe de laquelle Bresson a placé l’ensemble de son film dès le commencement : « Celui dont on entend les pas avant de le voir, il mourra dans l’année. »

La bataille finale ne dure pas plus de quatre minutes mais ne contient pas moins de trente-sept plans. À l’orée de la séquence, un plan fixe d’une forêt au-dessus de laquelle tournoient d’épaisses volutes de fumée. Un plan de sous-bois, accompagné par le coassement de grenouilles. Un cheval se fait entendre avant que n’apparaisse à l’écran une monture galopant sans cavalier. Même plan, mais en panoramique. Un chevalier — Mordred ? — saigne à quatre pattes. De nouveau, plan d’arbre et de cheval au galop sans cavalier. Même plan, qu’un roulement de tambour et un fifre accompagnent.

Comme sortie de nulle part, une escouade de fantassins semble onduler dans le sous-bois, traversant le cadre de part en part. Cachés dans la cime des arbres, des archers tirent leurs flèches (avec un bruit prononcé !).

Des cavaliers passent encore et disparaissent en plan panoramique. La caméra s’arrête : bruits d’épées sur fond d’arbres. De nouveau des archers et des bruits de chevaux au galop. Les flèches se fichent dans les troncs des arbres. Cheval sans cavalier au galop — panoramique — Artus est à terre, ensanglanté. De nouveau, les archers tirent dans les arbres. Gros plan d’un cheval à terre — celui de Lancelot ! — une flèche plantée dans la tête. Plan d’un oiseau qui vole très haut. Lancelot se lève — plan sur ses jambes —, puis s’appuie sur un arbre — croassement de corbeaux. Le cheval sans cavalier passe au galop. Lancelot se dirige vers une dizaine d’hommes en armure

entassés par terre, puis s’effondre en murmurant : « Guenièvre ». Plan de l’oiseau qui tournoie dans le ciel. Plan des armures enchevêtrées. Lancelot meurt après un dernier sursaut. Silence.

Plusieurs éléments de cette séquence sont de première importance : d’abord, l’usage systématique de la métonymie, autrement dit « l’effet avant la cause ». Des colonnes de fumée pour indiquer la bataille — dont on ne voit jamais le choc de front, ni les engagements successifs —, un cheval au galop — nouvelle rime visuelle — pour évoquer une mort omniprésente, à l’instar des croassements de corbeaux ou de l’oiseau de proie qui tournoie dans le ciel. Jamais nous ne verrons comment Mordred a été blessé, de même pour Artus ou Lancelot. Pour suggérer qu’un ordre disparaît (clin d’œil à la tradition selon laquelle la Chevalerie française aurait été défaite par les archers anglais à Azincourt ?), des flèches fichées dans des troncs d’arbres. Pour dire le fracas de la violence, seulement du sang qui coule à flot, la mort de Chevaliers dont nous ne verrons jamais le visage, des armures entassées. Comme le note justement Jean-Louis Provoyeur : « Chaque image, indépendante des autres, constitue une métonymie de la guerre. Répétées avec d’infimes variantes, elles s’organisent en paradigmes qui décrivent une guerre mais ne la raconte pas.334 »

Comme dans le cas du prologue ou du tournoi de la Pentecôte, il faudrait insister sur le rythme de ces séquences. Mais ce qui est ici le plus frappant, c’est que le mal et la mort restent toujours hors-champ. C’est entre les images qu’ils s’abattent. L’action a disparu dans « la béance des ellipses335 ». Mais ce n’est pas tant qu’il faille imaginer ce que ces trous dérobent à notre regard, puisque ce qui est oblitéré est, pour Bresson, proprement l’irreprésentable. Comme le souligne l’universitaire français déjà cité :

« l’ellipse secrète de l’abstrait, quelque chose qui ne se laisse ni réduire à la représentation ni à la description psychologique… » Et Provoyeur de convoquer Eisenstein ou Godard à la barre des précurseurs ou des disciples du montage signifiant.

Ce que Bresson ajoute à ces diverses pratiques et théories du montage (une image plus

Ce que Bresson ajoute à ces diverses pratiques et théories du montage (une image plus