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DEVANT LE TEMPS

PLANS-SEQUENCES ET ELLIPSES

II. Bresson : la stase de l’immanence et la diastase de la transcendance

3. L’Argent ou Le Faux Coupon

Seule la non-violence peut arrêter le Mal, le neutraliser en l’absorbant en elle.

Léon Tolstoï

Ce qui m’avait frappé dans la nouvelle, c’est la contagion du Mal.

Et aussi, vers la fin, la rencontre de la Révolte avec l’Acceptation.

Robert Bresson

L’Argent est un « film somme » plus que testamentaire. De fait, Bresson projetait de réaliser une ultime Genèse qui restera définitivement en souffrance. Tourné en 1983, ce dernier long-métrage récapitule et concentre tous les thèmes de l’univers bressonien : l’innocence brisée par l’orgueil, la cruauté et le mal, la toute-puissance de l’argent, la jeunesse corrompue, la spirale de la délinquance, le milieu carcéral, la rédemption in extremis par l’amour… Mais ici, tout semble ramassé avec une telle densité, une telle nervosité et une telle violence que le radicalisme de l’écriture et l’actualité du propos confèrent au film une extraordinaire modernité. Comme le note justement Serge Toubiana dans les Cahiers du Cinéma lors de la présentation du film à Cannes : c’est à la fois un « bilan philosophique » et un « précipité esthétique » de tous les films précédents, d’Un condamné à mort au Diable probablement, en passant par Mouchette346.

Dans le cas de L’Argent, on a non seulement affaire à la transposition de la Russie de la fin du XIXe siècle dans le Paris du début des années quatre-vingt, mais à une complète réécriture qui va, comme d’habitude chez Bresson, bien au-delà de la simple adaptation. Si le roman décline deux parties d’égale longueur — la première décrivant la contagion du mal, la seconde, qui lui est symétrique, celle du bien347 —, le film ne fait surgir ce dernier qu’in fine, donnant au récit une couleur éminemment plus tragique. S’il importait à l’écrivain russe de montrer comment la parole de l’Évangile peut transformer une société de fond en comble, Bresson semble s’attacher essentiellement au salut d’un protagoniste que tout accable, y compris sa propre persévérance dans le mal. De même que Bresson ampute le récit original de sa seconde partie, il condense en Yvon deux personnages, Stéphane et Ivan, le premier ayant tué le second après que ce dernier l’ait volé. Il tue à son tour Maria (la « dame aux cheveux gris » chez Bresson) dont il ne sait rien, sinon qu’elle venait de toucher sa pension.

Mais le mécanisme du récit est essentiellement le même. À l’injustice et à la haine

346 « L’Argent et son théâtre », Cahiers du Cinéma, n°347, mai 1983, p. 24.

347 Pour une description exhaustive de l’intrigue, se référer à l’ouvrage déjà cité de Jean-Louis Provoyeur, pp. 46-51.

répondent la révolte et la violence, à l’amour et au renoncement répondent le pardon et la paix.

Le film se compose néanmoins de deux parties distinctes aux rythmes relativement différents. La première, urbaine, montre la « propagation vertigineuse du Mal348 ». La seconde, rurale, celle « où le Bien surgit349 », montre un net ralentissement, avant de connaître un ultime crescendo. Bresson se concentre sur un seul personnage, use de raccourcis, fait des amalgames. Le Dieu des Évangiles — particulièrement présent dans la nouvelle à travers la lecture, par tel ou tel protagoniste, du Sermon sur la Montagne, du Jugement dernier ou de la mort de Jésus sur la Croix — est ici apparemment absent, si ce n’est à l’occasion d’une messe dite dans la prison, de la prière d’un codétenu (référence à la communion des saints) et lors de la rencontre de la

« petite dame aux cheveux gris » qui illumine la fin du film350. Par-delà le sujet, on imagine aisément combien Bresson dut apprécier le rythme de cette nouvelle composée de très courts chapitres — de deux ou trois pages maximum — autant que la nervosité des scènes décrites et le côté quasi-cinématographique des enchaînements351. Bien entendu, L’Argent donnera l’occasion à Bresson de souligner tel ou tel élément visuel, de pratiquer les asyndètes et les ellipses dont il a le secret, manière de nous renvoyer à l’essentiel, autrement dit à l’invisible.

Effet de réel, gros plan et arrêt sur image

Comme le nota si justement Alain Bergala, tout se passe, dans l’Argent, comme si l’on voyait les choses pour la première fois. Objets et gestes revêtent une présence nouvelle, inédite, à nulle autre semblable :

« On ne peut manquer d’être frappé, devant l’écran de L’Argent, par tous ces objets et ces gestes que l’on a l’impression de n’avoir jamais “vus” auparavant au cinéma : une mobylette, un distributeur de billets, le geste d’enlever une étiquette sur un appareil photo ou de tendre un billet. Si on ne les a jamais vus, c’est parce qu’ils sont partout, dans la publicité, dans tous les films, à la télévision et qu’ils sont toujours filmés comme des éléments du décor ou pour leur transitivité, parce que le cinéaste en a besoin pour faire avancer son film.352 »

348 « Entretien avec Robert Bresson », Cahiers du Cinéma, n°348/349, juin-juillet 1983, p. 13.

349 « Bresson ou l’obstinée rigueur », Nouvel Observateur, 6 mai 1983.

350 Nous reviendrons sur le rôle central et sacrificiel de la « dame aux cheveux gris » dans la partie suivante…

351 Pour une comparaison plus systématique voir Jean-Louis Provoyeur, op. cit., pp. 43-61.

352 « Bresson, L’Argent et son spectateur », Cahiers du Cinéma, n°348/349, juin-juillet 1983, p. 8.

Intransitivité des objets pour Bergala, images dénarrativisées pour Provoyeur353,

« déconnectées et fragmentées » pour Deleuze, « non signifiantes » pour Bresson. Les objets ne servent pas directement de vecteur à l’action, comme dans un film standard : ils prennent d’emblée une tout autre signification, bien au-delà de leur signifié immédiat. Ils sont là pour eux-mêmes — c’est l’« effet de réel »354 —, comme abstraits par le gros plan du continuum narratif dans lequel tout est normalement censé rouler de cause en effet. Le gros plan suscite ainsi une sortie du temps, impression que renforce le découpage de l’espace imposé par le cadre.

Nombre de scènes de L’Argent ménagent de telles suspensions, de telles attentes… et un même étonnement ! Outre la séquence emblématique de l’écumoire précédemment décrite355, la première apparition d’Yvon (dont nous ne connaissons pas encore le nom), ou son arrivée dans la cour de la prison, se révèlent du même ordre.

Pour ne s’en tenir qu’à la première scène citée, que voyons-nous ? La caméra légèrement de biais — comme l’a si bien souligné Michel Chion356 —, saisit en surplomb deux mains gantées de caoutchouc en train de revisser un tuyau. L’homme, en combinaison verte, n’est perçu qu’en partie, accroupi, au bord du cadre. Ce sont ces gestes, ainsi que la matérialité des outils utilisés, qui frappent d’abord le spectateur.

Dans le plan suivant, Yvon range le tuyau sur le côté du camion-citerne, enlève ses gants et rédige une facture. Il est saisi de trois-quarts, puis de dos, toujours en légère contre-plongée. Le dernier plan de cette séquence d’exposition voit la main d’Yvon ouvrir la porte du magasin de photo, avant qu’un plan moyen ne dévoile enfin son visage, toujours en profil perdu, et qu’il ne donne la facture à Lucien, l’employé de la maison357.

353 Cf. supra note 282. Ainsi glisse-t-on insensiblement de l’objet vers l’image qui le contient.

354 C’est en des termes fort similaires que Roland Barthes décrit l’« effet de réel » en littérature :

« Sémiotiquement, le “détail concret” est constitué d’une collusion directe d’un référent et d’un signifiant ; le signifié est expulsé du signe, et avec lui, bien entendu, la possibilité de développer une forme du signifié, c’est-à-dire en fait la structure narrative elle-même (…) Autrement dit, la carence même du signifié au profit du seul référent devient le signifiant même du réalisme : il se produit un effet de réel… » R. Barthes, « L’effet de réel », Communications n°11, 1968, pp. 87-88.

355 Cf. supra, p. 110.

356 « On pourrait (…) presque résumer la “grammaire” minimale de l’image de Bresson à trois partis pris : premièrement cet angle de prise de vue en biais “léger” ; ensuite ne montrer que partiellement les corps, les objets, les lieux (…) ; enfin, le choix d’une focale unique, le 50mm, qui donne toujours le même type de perspective. » Libération. Pour M. Chion, c’est cette « grammaire » qui distingue essentiellement le cinématographe du « théâtre filmé » dénoncé par Bresson.

357 Il faut souligner que le personnage d’Yvon ne permet aucune projection ou identification. Il apparaît délibérément opaque, mutique et minéral.

L’Argent

Dans d’autres séquences, c’est le geste même qui est abstrait de l’action, et donc comme suspendu, arrêté dans le temps. Dans la scène qui suit celle que nous venons de décrire, Yvon rentre dans un restaurant pour déjeuner. Alors qu’il veut payer son repas, le restaurateur constate que ses billets sont tous faux. Il refuse de les lui rendre afin de le dénoncer à la police. Yvon se lève faisant face à son accusateur. L’image cadre en gros plan la main d’Yvon. On ne voit plus les visages, seulement la violence du geste de la main qui repousse vigoureusement le restaurateur. Pendant quelques instants, comme ce sera le cas plus tard avec l’écumoire, la main déployée reste comme suspendue à l’écran. Le plan suivant montre, de nouveau en contre-plongée, l’homme s’abattre sur une table qu’il renverse. C’est elle, et sa toile cirée qui tombe à terre lentement, qui clôt la courte scène. L’insistance sur le geste d’Yvon n’est pas seulement une mise en valeur du couple classique action/réaction, fût-il psychologique, mais donne une dimension quasi-métaphysique à cette révolte contre l’injustice. Une plus value considérable s’ajoute à l’apparente inutilité de cette epochè sensible. Un écart se creuse entre ce que l’on voit et ce que l’on pense. Comme le note Jean-Louis Provoyeur, « Il y a un trop d’image pour un trop peu de récit.358 »

Corrélat de l’« effet de réel » et de cette forme particulière d’« arrêt sur image », le gros plan donne aux objets et aux gestes, comme autrefois aux visages chez Bresson, le statut particulier d’Entité qu’enveloppe une parure d’éternité. Autant que l’écumoire, le verre de vin blanc ou la hache de la seconde partie de L’Argent s’auréolent du statut de signe et accèdent à un niveau métaphysique. Deleuze l’a bien saisi, lui qui écrivait :

« le gros plan n’arrache nullement son objet à un ensemble dont il ferait partie, dont il serait une partie, mais, ce qui est tout à fait différent, il abstrait de toutes ses coordonnées spatio-temporelles, c’est-à-dire l’élève à l’état d’Entité. Le gros plan n’est pas un grossissement et s’il implique un changement de dimension, c’est un changement absolu.359 »

Les objets et les gestes deviennent ainsi des signes de la révolte, de la trahison, de l’amitié retrouvée, du Mal qui rôde ou du sacrifice à venir — y compris de la Passion à laquelle Bresson fait directement référence dans un entretien avec Hervé Guibert360. Ils nous permettent ainsi de passer du visible à l’invisible, du réel à son au-delà, ménageant

358 Op. cit., p. 116.

359 L’image-mouvement, p. 136. Déjà J. Mitry écrivait dans son Esthétique et psychologie du cinéma :

« Le gros plan est d’autant plus abstrait sur le plan intellectuel que son contenu est plus sensiblement perçu. Rien n’est plus concret que ce qu’il montre, mais rien n’est plus abstrait que ce qu’il laisse entendre (…). L’objet, qui se trouve ainsi “intériorisé”, est éprouvé et ressenti ; Il n’a pas à être compris.

L’intellection n’est que du concept qu’il figure. D’autre part, la mise en valeur du détail est toujours le résultat d’une vision personnelle. » Tome I. Les Structures, chapitre X, p. 359.

360 « Le bruit ravissant des noisettes », Le Monde, 19 mai 2003.

par-delà l’intelligible, puisque l’intelligence est comme saisie et un instant bloquée, un véritable saut hors de l’ontologique.

Enfin, si pour le philosophe Clément Rosset, « le détail compte plus que l’ensemble, la matérialité du plan plus que ce qu’il est censé signifier361 », il est indubitable, comme nous l’avions souligné à propos d’Un condamné à mort ou de Lancelot du Lac, que la partie renvoie systématiquement à un Tout absent, comme nombre de scènes l’attestent. Pour ne prendre que deux exemples : le meurtre du couple d’hôteliers, résumé par cet extraordinaire plan de mains qui se lavent, ou le massacre de la famille de « la dame aux cheveux gris », réduit à une hache qui tombe.

Indépendamment de la question de l’ellipse, la synecdoque nous invite à remonter à la cause invisible — ce Mal qui déboule et dont nous ne voyons que les terribles effets. Ce n’est plus l’esprit « qui souffle où il veut » guidant les gestes de Fontaine ou ce

« précieux sang », source de Rédemption et de Salut, qui coule à l’insu des protagonistes de la quête du Graal, c’est le Mal qui tire les ficelles, œuvrant par les trous et les béances que ménage le montage. C’est à ce Mal que répondra le sacrifice final, subi et accepté, de « la dame aux cheveux gris ». Là où le péché a proliféré, la grâce n’a-t-elle pas surabondé (Rm 5, 20) ?

Rythmes : ce Mal qui déboule et ce Bien qui surgit

Comme nous le soulignions dans l’introduction, L’Argent est divisé en deux grandes parties. La première, urbaine (d’une heure environ), est soumise à une perpétuelle accélération. La seconde, plus rurale (moins d’une demi-heure), marque le pas, s’achevant sur une soudaine montée en puissance lors du massacre final.

Cependant, rien de rigide dans cette bi-polarisation, car autant le premier mouvement connaît des ralentissements, autant le second subit des embardées. Dans un premier temps, le mal se déchaîne au gré des rencontres et des péripéties du récit362, dans la droite ligne du roman de Tolstoï — « Pour une petite faute — passer un faux billet, qu’est-ce pour des enfants ? —, le démon surgit ». Nous allons très vite d’un appartement bourgeois au magasin de photos, d’un restaurant à un cabinet d’avocat, en passant par l’appartement d’Yvon, la prison, etc. En prison, les lieux sont aussi nombreux et variés : jamais on ne se repose… De fait, le mal suscite un perpétuel mouvement et ne s’arrête jamais ! Les plans sont secs, le montage nerveux. Nous avons affaire à un parfait film d’action.

Une fois sa dernière proie repérée, le récit s’épanouit d’une manière toute différente. Un seuil est franchi — en l’occurrence une rivière — et un calme relatif fait

361 Nouvelle Revue Française, n° 369, 1er octobre 1983.

362 Propos recueillis par Jacques Drillon, Nouvel Observateur, 6 mai 1983.

suite à l’agitation forcenée du début. Pourtant, là aussi, la « petite dame aux cheveux gris » s’active, passe d’une pièce à l’autre, range et nettoie telle une humble servante.

En son absence, Yvon cherchera frénétiquement l’argent. Cependant, les plans se font plus larges et plus longs, ils gagnent en sérénité — magnifique scène de la cueillette des noisettes —, la tragédie semble momentanément repoussée. De cette seconde partie, il faut particulièrement retenir le bruit de la rivière. Nous avions signalé l’importance des sons dans Le journal ou dans Un condamné363. Ici, où la musique est quasiment absente, si ce n’est lorsque le père joue la Fantaisie chromatique de Bach, l’eau joue sa propre partition. Elle est présente dans chaque scène tournée en extérieur jour. Par sa présence visuelle et sonore, l’eau unifie, apaise et adoucit, rappelant à sa façon les « courants invisibles », symbolisés par les sifflements du train, qui œuvraient dans Un condamné.

N’oublions pas que dans la religion chrétienne, comme dans nombre d’autres traditions, l’eau purifie. Un autre signe de la grâce, à n’en pas douter. N’est-ce pas la rivière qui accueillera la hache après le massacre final ?

Comme nous le suggérions à l’instant, chaque séquence a son propre rythme, passant brusquement du lent au rapide, puis du rapide au lent. Les accélérations et les décélérations sont continuelles, comme dans le cas de la scène du hold-up sur laquelle nous reviendrons. Pourtant, le spectateur garde l’impression d’une séquence unique, tant le rythme est soutenu. Comme le souligne Jean Semolué : « Le film équilibre continuité et tension : de la vie d’Yvon et des autres personnages, il efface les temps morts ; en même temps, il amortit les temps forts.364 » Ne prenons pour exemple que la scène du commissariat qui suit immédiatement le hold-up manqué. Elle vient rompre un brutal crescendo, une course-poursuite en voiture, et, après un moment d’attente, d’abattement et de suspension, laisse la place au délibéré du jury qui tombe comme un couperet. À ceux qui lui demandent si l’on peut considérer L’Argent comme un film banque, ni la prise d’otage (point aveugle autour duquel toute la séquence s’articule), ni

363 À Serge Daney et Serge Toubiana, Bresson ne déclarait-il pas : « J’ai dit et écrit, il n’y a pas tellement longtemps, que les bruits devaient devenir musique. Aujourd’hui, je crois qu’un film tout entier doit être musique, une musique, la musique de tous les jours, et je me suis surpris, dans ce film, L’Argent, lorsqu’il était projeté au montage, ne percevant que les sons, ne percevant pas les images qui défilaient devant mes yeux. » Cahiers du Cinéma, n°348/349, juin-juillet 1983, p. 14.

364 Bresson ou l’acte pur des métamorphoses, op. cit., p. 254

365 Cahiers du cinéma, n°348/349, juin-juillet 1983, p. 14.

l’arrestation d’Yvon. À l’instar du piéton qui traverse l’écran et la scène, nous restons à la périphérie. Que voyons-nous ? Dans un premier temps, une série de voitures de police remontent à toute vitesse la ruelle au bord de laquelle Yvon stationne.

Soulignons l’importance des bruits omniprésents qui, plus encore que l’image, suggèrent une accélération. Par contraste, Yvon reste, imperturbable, au volant de sa voiture. Le lecteur du Figaro s’avance à pas régulier, enfoui dans sa lecture. Il lève la tête et aperçoit un, puis deux policiers en civil, un quatrième enfin en uniforme, avant de disparaître en courrant derrière une estafette. Mais la scène s’est comme figée — véritable bloc de temps hors du temps. Apparaissent ensuite le preneur d’otage et sa victime qui, chose rare dans ses films, sont filmés de loin — Bresson jouant rarement sur la profondeur de champ —, manière de nous dire que l’essentiel est ailleurs.

Échange de tirs et coups de sifflets se succèdent, hors champ. Puis la course-poursuite dont nous ne verrons, en plan serré, que les pieds d’Yvon accélérant, avant l’accident et l’immobilisation définitive.

Tout se passe donc en trois temps, trois mouvements : d’abord l’accélération des voitures, le hold-up où l’action a l’air comme figée, puis la fuite d’Yvon. La composition qui en résulte est véritablement musicale. Autour d’un noyau dur et d’un climax étonnamment amorti (la prise d’otage qui fait suite à l’attaque de la banque), nous trouvons premièrement un temps « faible » qui amorce la scène, suivi d’une fuite où l’on vérifie pleinement l’adage bressonnien : « Films lents où tout le monde galope et gesticule ; films rapides où l’on bouge à peine.366 » Soulignons enfin que, fidèle à ses préceptes, Bresson monte pendant le tournage : « Monte ton film au fur et à mesure que tu tournes. Il se forme des noyaux (de force, de sécurité) auxquels s’accroche tout le reste.367 » Ce qui lui permet de retourner des plans des semaines après, afin de peaufiner le rythme de la séquence368. Ainsi les images semblent s’agréger les unes aux autres dans une continuité remarquable, alors qu’elles sont tout sauf anodines : quel film d’action se permettrait de montrer un hold-up d’une telle manière, évacuant les scènes de bravoure à la périphérie369 ?

Tout se passe donc en trois temps, trois mouvements : d’abord l’accélération des voitures, le hold-up où l’action a l’air comme figée, puis la fuite d’Yvon. La composition qui en résulte est véritablement musicale. Autour d’un noyau dur et d’un climax étonnamment amorti (la prise d’otage qui fait suite à l’attaque de la banque), nous trouvons premièrement un temps « faible » qui amorce la scène, suivi d’une fuite où l’on vérifie pleinement l’adage bressonnien : « Films lents où tout le monde galope et gesticule ; films rapides où l’on bouge à peine.366 » Soulignons enfin que, fidèle à ses préceptes, Bresson monte pendant le tournage : « Monte ton film au fur et à mesure que tu tournes. Il se forme des noyaux (de force, de sécurité) auxquels s’accroche tout le reste.367 » Ce qui lui permet de retourner des plans des semaines après, afin de peaufiner le rythme de la séquence368. Ainsi les images semblent s’agréger les unes aux autres dans une continuité remarquable, alors qu’elles sont tout sauf anodines : quel film d’action se permettrait de montrer un hold-up d’une telle manière, évacuant les scènes de bravoure à la périphérie369 ?