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La création du Certifi cat d’obtention végétale

De même qu’elle nécessitait une harmonisation des normes de qualité des semences et variétés, l’internationalisation des marchés posait la question de la reconnaissance des droits des obtenteurs avec une nouvelle acuité. Dès 1934, lors de la révision de la convention de Paris sur la propriété industrielle (1883) à Londres, les droits de propriété industrielle furent étendus « au domaine des industries agricoles et

fruits, bestiaux, minéraux, eaux minérales, bières, fleurs, farines. »34 Plusieurs lectures avaient été faites de cet article : certains considérèrent qu’il était possible de déposer des brevets sur une nouvelle variété, d’autres, au contraire, continuèrent de penser que le processus de sélection ne pouvait pas rentrer dans le cadre des brevets car il ne correspondait pas à une invention stricto sensu. Aux États-Unis, le Plant Patent

Act de 1930 permettait déjà de breveter les variétés-clones d’espèces à multiplication

végétative (Bugos G., et Kevles D., 1992). Nous avons vu qu’en 1922 puis en 1928, une proposition de loi permettant le brevet d’obtentions horticoles était déposée au Parlement français mais n’aboutît pas du fait de conceptions conférant un caractère non appropriable à la nature, des difficultés à démontrer l’identité des matériaux vivants, et du poids économique et politique encore faible des obtenteurs. Ne se résignant pas, les entreprises de sélection fondent en 1938 l’Assinsel (Association internationale des sélectionneurs professionnels pour la protection des obtentions végétales). Estimant que « toute plante présentant des caractères stables, définissables

et nouveaux est brevetable35 », l’Assinsel œuvre jusque dans les années 1950, au sein de l’International Association for the Protection of Industrial Property (Aippi), pour faire entrer pleinement les obtentions végétales dans le cadre de la propriété industrielle par brevet. Tout en estimant délicat d’accorder « un droit à une personne,

sur des plantes ayant une utilité primordiale pour l’humanité (blé, riz, par exemple) »,

Raymond Braconnier, directeur de l’Inra estime lui aussi que « la protection du droit

du sélectionneur peut être obtenue par une application appropriée de la loi sur les brevets d’invention » (Braconnier R., 1951, 186 et 189). Mais l’Assinsel n’obtient pas gain

de cause lors des congrès de Vienne en 1952, et de Bruxelles en 1954 (Plasseraud Y., et Sauvignon F., 1986 ; Rangnekar D., 2000, 263-265)36.

Prenant acte des résistances à la brevetabilité des variétés (tant en provenance des acteurs de la propriété industrielle réticents à intégrer un vivant fluctuant que de certains acteurs du monde agricole), l’Assincel change son fusil d’épaule lors de son congrès à Vienne-Semmering en 1956 : faute de brevet industriel, il faut inventer une protection spécifique pour les variétés. Elle demande instamment la création d’une convention internationale pour garantir le droit des obtenteurs dans un contexte d’essor du commerce international des nouvelles obtentions. C’est sous la pression de cette association internationale, et dans le but d’établir un régime favorable à l’essor

34 Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, 20 mars 1883, article 1.3 introduit lors de la conférence de Londres du 2 juin 1934.

35 Position de l’Assinsel citée par Nottin dans Brétignière et al., 1952, 241.

36 Une conférence internationale sur la certifi cation et l’harmonisation du commerce des semences tenue à Stockholm en 1954 aboutit cependant à un texte proposant, au nom de la qualité, que l’importation de semences dans un pays soit soumise au consentement de l’obtenteur de la variété. La proposition consistait à donner une sorte de monopole à l’exportation aux obtenteurs au détriment d’autres acteurs comme les agriculteurs sélectionneurs de variétés-population (pour les fourragères) ou les négociants, qui jouaient un rôle important dans le commerce transnational de semences (Rangnekar D., 2000, 242-243).

des exportations semencières françaises, que le Gouvernement rebondit sur cette demande et prend l’initiative de réunir une conférence internationale en 1957, sur la base d’une lettre d’invitation qui reconnaît implicitement que les variétés ne sont pas brevetables, et que la reconnaissance d’un droit spécifique des obtenteurs doit passer par la prise en compte des particularités de l’innovation variétale37.

En France, en l’absence de protection particulière, les obtenteurs de variétés de céréales avaient parfois recours au dépôt de marques déposées (selon la loi de 1857)38. S’ajoutait à cette protection par la marque, un effet de réputation faisant que les agriculteurs exigeants accordaient une plus grande valeur à des semences achetées directement à une maison de sélection (Vilmorin, Desprez…) qu’à d’autres intermédiaires. Ces maisons assuraient alors la multiplication des semences avec des agriculteurs contractuels. On a vu toutefois dans le chapitre 1 combien ces mécanismes de protection étaient poreux avant 1940. Ce n’est qu’après-guerre que s’instaura un mécanisme national efficace de protection des droits de l’obtenteur. La répartition des fruits de l’innovation entre obtenteurs est alors réglée par les épreuves de DHS avant toute inscription au catalogue, ce qui permet de rejeter les variétés « copiées » (démarquage) sur une variété déjà inscrite39. La répartition des fruits du « progrès génétique » entre obtenteurs, multiplicateurs et distributeurs de semences, est assurée au sein de la profession sous l’égide de l’État dans le cadre d’une nouvelle division du travail dans la filière. La fonction de multiplication et de distribution des semences est confiée aux coopératives sous l’égide le l’Onic avec l’exigence d’une grande pureté des semences. En échange, celles-ci s’acquittent de droits de licences élevés qui sont versés aux obtenteurs par l’intermédiaire de la caisse de gestion des licences végétales (créée en 1947), puis dans le cadre des accords « Lequertier » en 1962. L’intéressement des coopératives céréalières au développement des semences sélectionnées, l’organisation de la profession au sein du Gnis et le contrôle professionnel de la qualité et de l’origine des semences exercent un très fort effet de dissuasion des coopératives qui tenteraient de se soustraire au paiement d’une redevance variétale à l’obtenteur originel. Mais ces deux dispositifs restent des arrangements infra juridiques qui ne tiennent qu’à une autodiscipline des acteurs de la filière variétés et semences. Une majorité d’agriculteurs continuent d’autoproduire par eux-mêmes des semences (éventuellement issues de variétés sélectionnées achetées occasionnellement) et ces « semences de ferme » ne

37 « Invitation à la conférence adressée par le ministère des Aff aires étrangères de la République fran-çaise », Actes des conférences internationales pour la protection des obtentions végétales 1957-1961-1972, Upov n° 316, Genève, 1974, 14.

38 Les obtenteurs de rosiers déposaient des brevets d’invention mais sans que ce système ne possède une réelle valeur juridique (Heitz A., 1987).

39 Couplé éventuellement avec la protection par marque déposée, ce dispositif fonctionna très vite effi cacement pour les céréales mais pour d’autres espèces, comme les plantes potagères, la diversité des caractères était telles que les critères DHS se montraient insuffi sants à préserver les intérêts de l’obten-teur sans encombrer le catalogue (Pécaut P. et Friedberg L., 1961, 158 ; commentaire de Noilhan à la communication de Bustarret, 1962, 50).

sont alors pas vues comme une infraction aux droits des obtenteurs par les planistes et Bustarret, préoccupés avant tout de diffusion du progrès, et concevant de ce fait la variété améliorée comme un bien semi-public (Bustarret J., 1947). En revanche, la faible intégration des négociants au dispositif sectoriel d’encadrement génère tensions et infractions qui obligent les obtenteurs français à intenter de nombreux procès à des négociants vendant des semences de leur variété sans avoir obtenu de licence régu-lière (Bustarret J., 1961b, 187). En outre, ce dispositif ne fonctionne qu’à l’échelle nationale et ne répond pas aux besoins de protection des obtenteurs dans un marché qui s’internationalise. En 1951, le ministère de l’Agriculture charge alors l’Inra de travailler à la protection des obtenteurs en lien avec l’Office national de la propriété industrielle. C’est Bustarret, inspecteur général de l’agriculture et n° 2 de l’Inra, qui prend le dossier en main. Il est l’instigateur de l’initiative française de 1957.

En 1957, le ministère français des Affaires étrangères invite en effet la RFA, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse, ainsi que les Birpi (Bureaux inter-nationaux réunis pour la protection de la propriété intellectuelle et de la propriété littéraire et artistique, ancêtre de l’Ompi), la FAO (Organisation des nations unies pour l’agriculture et l’alimentation) et l’OECE (Organisation économique de coopé-ration européenne) à examiner les questions de protection des obtentions végétales. Ce processus débouchera en décembre 1961 sur la création de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (Upov).

Quelques pays ne disposaient d’aucune protection des obtentions végétales ni par brevet industriel, ni grâce aux règlementations d’inscription dans un catalogue national des variétés ou encore par les organismes de contrôle de qualité des semences (Danemark, Suisse, Norvège, Espagne…), Certains, comme l’Italie, recouraient aux brevets industriels pour protéger les intérêts des sélectionneurs. Enfin d’autres, dis-posaient d’une protection spécifique aux végétaux, la plupart du temps grâce à une combinaison des règles d’inscription au catalogue et des règles de contrôle et de certi-fication des semences qui assuraient à l’obtenteur un prix plus élevé pour les semences de reproduction, et de dépôt de marque (Autriche, Belgique, Pays-Bas, France). Enfin, l’Allemagne (mais aussi la France et l’Italie sur certaines plantes ornementales) avait recours à la fois à une législation spécifique aux obtentions végétales et aux brevets sur les inventions industrielles (Rangnekar D., 2000, 263).

De 1957 à 1961, un système proche du modèle français réussit peu à peu à s’im-poser. Dès l’invitation du Gouvernement français, un « aide-mémoire » est proposé aux différentes délégations comme base de travail. Celles-ci sont notamment invitées à réfléchir sur le type de création variétale qui devait être protégé : doit-on considérer comme seules véritables créations variétales celles qui résultent directement « d’un

processus dirigé agissant sur le patrimoine héréditaire de la plante ou devait-on étendre cette

notion ? » Upov, 1974, 16). Refuser d’étendre c’est ouvrir la porte à d’interminables

discussions sur la différence qui pouvait exister entre une obtention par sélection dirigée ou une obtention obtenue par sélection « naturelle » ; inversement, étendre

la définition de la création variétale reviendrait à protéger par brevet industriel un processus ne correspondant pas à une définition de « l’invention » en s’éloignant trop de la convention de Paris sur le brevet. Se trouve donc posée la question de la spécifi-cité juridique des obtentions végétales par rapport aux inventions industrielles. Lors de la première session de la conférence de 1957, les parties s’entendent (art. 4) pour comprendre le terme de nouveauté végétale dans son sens large (i.e. sans présupposé sur son mode d’obtention, et sur l’origine naturelle ou artificielle de la variation).

L’aide-mémoire demande aussi s’il est possible de définir des critères permettant de considérer une variété comme nouvelle afin d’asseoir solidement un droit de protec-tion, en s’appuyant sur « le degré admissible de fluctuation ou de variation à l’intérieur

de la variété, le degré de stabilité au cours des reproductions successives » (Upov, 1974,

16). Cette question introduit les normes DHS et le paradigme fixiste de la variété cher à Bustarret, qui offrent de la variété une définition aux contours nets permettant de la faire entrer facilement dans l’univers des droits de propriété industrielle. Si cette culture de la pureté stable imprègne, on l’a vu, la naissance de la génétique moderne au croisement de nouvelles normes de preuves et d’un mouvement d’inscription du vivant dans la rationalisation industrielle et des marchés en expansion, la norme DHS à la française ne fait pourtant pas l’unanimité. La délégation suédoise s’y oppose en avançant qu’appliquer strictement ces trois critères « conduirait à ne protéger que les

lignées pures, les clones, et peut-être certains types de variétés F1 » (Upov, 1974, 25).

« The concept of a variety is different in different countries. France, for example, claims

that a new variety should be practically a pure line, while Scandinavian varieties are often populations consisting of a number of lines » estime un sélectionneur suédois

(Weibull G., 1955, 118). Les représentants suédois dénonçaient alors « l’usage de

normes exagérées en matière d’homogénéité comme un moyen de limiter les importations de variétés étrangères pour protéger les obtenteurs nationaux » (Akerman et Tedin, 1955,

cités par Rangnekar D., 2000, 274). Mais l’acte final de la première session de la conférence conforte finalement les positions françaises : l’article 5 stipule que pour être protégée, une variété doit répondre aux trois critères de distinction, d’homogénéité et de stabilité (Upov, 1974, 27).

À l’issue de la première session de 1957, c’est cependant un accord a minima qui est signé. Seul le principe général de la nécessité de mettre en place un système de protection fait vraiment l’unanimité et ne souffre d’aucune discussion, ainsi il est clairement affirmé à l’article 6 que « la protection d’une variété nouvelle doit avoir pour

effet de soumettre à l’autorisation de l’obtenteur toute mise au commerce du matériel de reproduction ou de multiplication de cette variété » (Upov, 1974, 28). En revanche

entre obtenteurs, une approche plus mutualiste s’affirme. La dimension incrémen-tale de l’entreprise d’amélioration des plantes, où chacun s’appuie sur les avancées des autres, est reconnue par un principe de limitation du droit de l’obtenteur en cas d’utilisation d’une de « ses » variétés pour une innovation ultérieure. L’article 7 de l’acte final de 1957 précise qu’« il n’est pas nécessaire d’obtenir l’accord de l’obtenteur pour utiliser une nouveauté végétale comme géniteur dans un travail d’amélioration »

(Upov, 1974, 28). Mais cette « liberté d’utilisation des nouveautés comme géniteurs pour l’obtention de variétés nouvelles est contraire au droit des brevets » et chagrine les partisans de l’extension du brevet industriel aux végétaux (Upov, 1974, 29). Des réserves sont également émises dans les cas où les géniteurs doivent être régulièrement utilisés dans les processus de multiplication, c’est-à-dire dans le cas des lignées qui sont utilisées pour l’obtention d’hybride F1.

Les nombreuses questions qui restent en suspens sont confiées à un comité d’experts ayant pour mission la préparation de la deuxième session40. Bustarret, président de ce comité d’experts, réussit alors à démontrer qu’il existe deux limites à l’usage pur et simple du brevet en matière d’obtentions variétales. D’une part, la création d’une variété nouvelle ne peut être assimilée à une invention car on a fort peu de chance de reproduire l’invention en utilisant les procédés de l’inventeur, compte-tenu que « les

lois de la génétique montrent (...) qu’il est hautement improbable que deux obtenteurs procédant au même croisement aboutissent à la même variété » (Bustarret J., 1961, 188).

Ce qui doit être protégé est donc le produit commercialisé lui-même, combinaison génétique partiellement fruit du hasard, plutôt que l’idée inventive.

Comment la question du droit des paysans à produire leurs propres semences est-elle abordée lors de ces négociations ? On s’accorde facilement sur « une

for-mule qui ne permette pas d’inquiéter les agriculteurs qui [font leurs semences de ferme mais] n’exploitent pas commercialement la variété » (Upov, 1974, 34). L’article 5 de

la convention n’accorde donc la protection à l’obtenteur que pour la « production à des fins d’écoulement commercial » de semences (Upov, 1974, 135). Si les parties veulent donner des garanties sûres aux obtenteurs en vue d’encourager leurs efforts de recherche, et favoriser une division du travail entre obtenteurs et agriculteurs, elles prennent garde à ce que cette reconnaissance de leurs droits ne soit pas un obstacle à la croissance de l’agriculture dans son ensemble. En témoigne également l’article 9 de la convention, qui prévoit très explicitement, à l’instar de clauses similaires du droit du brevet, la possibilité pour les États d’imposer aux obtenteurs des licences obligatoires pour favoriser la diffusion de nouvelles variétés en cas de défaillance de l’obtenteur dans la commercialisation de son obtention et au nom de l’intérêt général. L’innovation variétale possède donc un caractère de bien public indéniable, justifiant que l’autorité publique limite éventuellement les droits de l’obtenteur pour en optimiser la diffusion vers les systèmes productifs agricoles.

La mise en place de Certificat d’obtention variétale (COV) résulte donc d’un compromis entre les représentants des instituts de recherche agronomiques, comme l’Inra, ayant pour objectif la diffusion du « progrès génétique » aux cultivateurs et les représentants des obtenteurs et des Bureaux internationaux pour la protection de la propriété industrielle qui entendent défendre plus directement l’intérêt des obtenteurs. Ce compromis est clairement exprimé dès le préambule de la convention

40 Ce comité d’experts se réunit quatre fois à Paris entre avril et septembre 1958, une fois à Munich en juillet 1959, et une dernière fois à Rome en février 1960 où fut fi nalisé le projet de convention.

dans lequel les États contractants se déclarent être « convaincus de l’importance que

revêt la protection des obtentions végétales tant pour le développement de l’agriculture sur leur territoire que pour la sauvegarde des intérêts des obtenteurs » et se disent également

« conscients des problèmes particuliers que soulèvent la reconnaissance et la protection du

droit de l’obtenteur et notamment des limitations que peuvent imposer au libre exercice d’un tel droit les exigences de l’intérêt public » (Upov, 1974, 133).

On peut finalement parler d’une profonde empreinte de Bustarret sur le contenu de la Convention internationale, sur la protection des obtentions végétales, signée à Paris le 2 décembre 1961. C’est en effet sa conception de la variété qui s’impose puisqu’une variété pour être protégée par la convention « doit pouvoir être

distin-guée par un ou plusieurs caractères importants (…) qui doivent pouvoir être décrits et reconnus avec précision » (art.6-1-a) ; elle doit être « suffisamment homogène, compte tenu des particularités que présente sa reproduction sexuée ou sa multiplication végétative »

(art. 6-1-c) ; et « être stable dans ses caractères essentiels » (art. 6-1-d).

Peut-être parce que les accords « Lequertier » suffisaient à une bonne protection des obtentions sur le marché national tout en permettant de démarquer les variétés étrangères (ce que l’Upov ne permettait plus), la France, pourtant initiatrice du projet, ne ratifie la convention Upov qu’en 1971 ! Cette même année, le décret d’application institue le Comité de protection des obtentions végétales (Cpov), organisme national chargé de mettre en place la convention Upov. Le Cpov se concentre alors sur les aspects juridiques de défense des droits des obtenteurs de variétés, non sans influencer à son tour les règles d’inscription au catalogue et de contrôle des semences.

Conclusion : un nouveau régime

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