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Essor de la génétique quantitative, faiblesse de la génétique des populations

Un grand nombre de plantes allogames ou partiellement allogames ne peuvent cepen-dant pas être pliées ni à la formule variétale « lignée pure » (du fait de la dépression consanguine) ni à la formule variétale « hybride F1 » (du fait des obstacles à l’indus-trialisation de la fécondation croisée à 100 % qu’exige la production de semences F1 à bas prix). On tolèrera alors dans le catalogue des aménagements du critère de DHS pour ces espèces (avec des fourchettes de variation autorisée). C’est le cas pour la plu-part des plantes fourragères. Pour ces plantes, une troisième formule variétale est alors privilégiée : les variétés synthétiques ou encore composites, plus homogènes que les variétés populations ordinaires, mais ayant en commun avec elles la caractéristique de posséder une variabilité intra-spécifique plus grande que les lignées-pures et hybrides F1. Les semences proposées aux agriculteurs sont en effet des populations issues de la multiplication sexuée, pendant quelques années, de la descendance d’un mélange de plusieurs lignées. Les plantes aux génomes recombinés à partir des génomes des lignées initiales continuent alors à se croiser au champ pour exploiter le phénomène de vigueur hybride. Cette voie dite poly cross en anglais a notamment été développée par Corkill en Nouvelle-Zélande (Corkill L., 1956). Elle exploite la vigueur hybride dans une formule variétale plus hétérogène, donc évolutive, et moins coûteuse pour l’agriculteur, du fait de la rapidité de la création variétale et de la possibilité de re-semer la récolte.

C’est par cette voie d’amélioration que les généticiens de l’Inra vont contribuer à la révolution fourragère de l’agriculture française, qui consistait, comme en Grande-Bretagne, à remplacer les prairies permanentes par des prairies ensemencées. Les plantes fourragères au sortir de la guerre occupaient 70 % des surfaces agricoles en France et les très faibles rendements de ces prairies ne fournissaient que la moitié des besoins du cheptel français (Mayer R., 1962, 57). Plusieurs équipes de l’Inra sont

3 Nous parlons aussi dans le chapitre suivant des hybrides « 3 voies » et « 4 voies » qui diff èrent un peu de ce schéma.

chargées d’étudier les modalités permettant de substituer aux prairies permanentes des prairies temporaires cultivées avec des plantes fourragères améliorées associant légumineuses et graminées. Comme les chercheurs français avaient pu le constater lors de missions d’études en Angleterre et en Europe du Nord, l’amélioration de ce type de production végétale, à la différence des plantes de grande culture, s’appuyait sur une connaissance de l’écologie des plantes prairiales. Elle nécessitait l’élaboration d’une méthode d’étude de la composition de la flore issue de la sociologie végétale mais répondant aux besoins des agronomes, par exemple pour obtenir, à l’intérieur d’une variété composite de graminées, une période d’épiaison la plus longue possible (Rebischung J., et Demarly Y., 1961).

De par leur résistance à se plier aux structures variétales lignées-pures ou hybride F1 et du fait de leur génome polyploïde se prêtant mal à une génétique mendélienne simple, les espèces fourragères deviennent le terrain de prédilection de l’essor de la génétique quantitative d’une jeune génération de généticiens de l’Inra formée autour de Jean Rebischung à Versailles. Ainsi, le caractère tétraploïde de la luzerne, du dac-tyle, de la fléole ou de la fétuque élevée rendait bien plus long l’obtention de lignées pures et faisait que la vigueur hybride ne s’exprimait pas à la première génération (Demarly Y., 1962). Chez ces espèces tétraploïdes, les systèmes de disjonction étaient beaucoup plus complexes que dans la génétique mendélienne classique et supposait de recourir à des modèles théoriques plus élaborés et au calcul matriciel pour construire les méthodes de sélection. Les jeunes chercheurs du laboratoire Rebischung devien-nent rapidement les plus solides en mathématiques et statistiques. À une époque où les enseignements des écoles d’agronomie « n’allaient guère au-delà de la présentation

de la loi de Gauss et de la définition des écarts-types », ils assimilent avec appétit les

dispositifs statistiques d’expérimentation avec essais randomisés issus des travaux de Fisher, découvrent « les charmes de l’analyse de variance », dévorent les travaux de génétique quantitative animale et les publications américaines sur la prédiction de l’aptitude en recombinaison des lignées de maïs ou sur la sélection récurrente, et fondent l’école française de génétique quantitative (Y. Demarly, Archorales, 3, 137). Robert Mayer et Jean Bustarret ne comprennent pas tout, mais soutiennent ces jeunes en leur donnant des moyens d’expérimentation étendus et des recrues, comme André Gallais à la nouvelle station de Lusignan. Ces approches débouchent sur des applica-tions dès le début des années cinquante : les études de la biologie florale des crucifères fourragers à Rennes permettent notamment l’amélioration de différentes lignées en vue de leur aptitude à la combinaison afin d’exploiter le phénomène d’hétérosis lors des croisements au champ. Pour la luzerne, le trèfle violet, les ray-grass, les fléoles et les fétuques le même type de schéma de sélection est mis au point. Ces plantes pluriannuelles à fleurs hermaphrodites nécessitent cependant le développement de techniques d’autofécondation forcées plus complexes que le maïs, plante monoïque. La découverte de stérilités mâles cytoplasmiques permettra de dépasser dans quelques cas cette difficulté. L’amélioration des plantes fourragères contribuera au développement de la cytologie et de la cytogénétique au sein de l’Inra. Signalons enfin, qu’apparues

essentiellement autour des plantes fourragères, ces approches de génétique quantitative diffusent vers d’autres espèces dès qu’un caractère agronomique souhaité (le rende-ment, la résistance au froid, la précocité, voire parfois le niveau de résistance à une maladie, etc.) semble reposer, non pas sur un ou quelques gènes, mais sur un nombre important de gènes4 : sont alors mis en place des plans de sélection visant à utiliser au maximum le grand nombre de combinaisons entre des génotypes hétérozygotes. Cette approche probabiliste inspirée des techniques de sélection récurrente mises au point à l’université de Iowa sur le maïs sera non seulement appliquée aux allogames, mais aussi aux autogames (entretien avec M. Rives, 16 septembre 2002).

Cependant, à la différence du rôle des perspectives de génétique évolutive d’un Robert Allard dans le développement de l’amélioration des plantes aux États-Unis, la génétique des populations et les perspectives évolutionnistes et écologiques n’auront qu’une place limitée dans les premières décennies de l’Inra.5 Plusieurs éléments d’explication peuvent être mis en avant. Une génétique des populations centrée sur l’amélioration des populations, malgré ses apports à la sélection récurrente (développée à l’Inra dans les années 1970), semblait peu pertinente aux responsables de l’Inra marqués par le paradigme industriel de la variété lignée pure. À la différence des États-Unis et de la Grande-Bretagne, la génétique des populations végétales cultivées peinera à prendre un véritable essor en France, coincée entre une amélioration des plantes prise dans le paradigme fixiste de la variété, une école « naturaliste » hostile aux approches mathématisées et modélisatrices, et une école naissante de génétique quantitative autour du certificat puis DEA de « génétique quantitative et appliquée » à l’université de Paris VI (Georges Tessier, Maxime Lamotte, puis en lien avec Jean Genermont à Paris 11)6. Le seul pôle de génétique évolutive et des populations du moment est la chaire de Georges Valdeyron nommé à l’Ina-PG en 1957. Valdeyron a pour élèves des chercheurs clé de la génétique des populations en France tels Jean-Claude Mounolou, Pierre-Henry Gouyon ou Isabelle Oliviéri, mais aucun ne restera à l’Inra, où l’environnement est alors peu favorable à la biologie des populations. La mésentente entre Valdeyron et Bustarret (Valdeyron est écarté au début des années 1960 des recherches de génétique forestière de l’Inra et reproche à Bustarret d’avoir fait pour l’Inra le choix de semences chères privilégiant l’intérêt des sélectionneurs sur les agriculteurs7), puis celle de Yves Demarly avec André Cauderon (voyant ses projets de génétique quantitative et populationnelle et de culture in vitro repoussés, Demarly

4 Pour le cas du blé, cf. Bustarret J., 1966.

5 Après quelques recrutements tardifs et isolés (I. Olivieri) dans les années 1980, elles ne se développeront véritablement qu’à la fi n des années 1990 avec l’arrivée de Marianne Lefort à la tête du département et l’accent mis sur la gestion de la diversité génétique.

6 Y enseignent des drosophilistes, des généticiens humains (Lejeune), des généticiens animalistes (Poly, Vissac) et des végétalistes comme Yves Demarly. Soutenu par Jacques Poly, ce DEA forme les trois-quarts des généticiens de l’Inra de cette génération (surtout animalistes), (entretien avec Yvette Dattée, le 28 mars 2003).

préférera quitter l’Inra pour l’université d’Orsay8) vont cantonner les approches de génétique des populations à la marge de l’Inra. Au-delà des problèmes de personnes, dans ces deux épisodes, l’approche « populationnelle », où la gestion de la diversité génétique suppose des recherches plus fondamentales, se heurte à la priorité donnée à une ingénierie du progrès génétique appuyée sur un paradigme variétal fixiste et sur une vision de la modernisation agricole hérités de Jean Bustarret : « dans les

motivations du départ de Demarly de Lusignan (puis de l’Inra) il y avait un problème de relation avec Cauderon, se souvient André Gallais. C’était une opposition complète de conception de ce que devait être le département. Demarly voulait un bon équilibre entre recherche et obtention variétale et Cauderon était clairement pour un département de création variétale. Cauderon avait en tête pour le DGAP le projet qu’il avait mis en place pour le maïs. » (Entretien avec A. Gallais, 19 juillet 2002).

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