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Du contrôle des semences à « l’amélioration des plantes »

C’est dans les interstices laissés entre la sélection variétale privée et la chimie agricole des stations agronomiques publiques que la recherche publique en amélioration des plantes va se développer. La mise à l’agenda réglementaire de la lutte contre les fraudes dans le commerce, non plus des engrais, mais des semences, va constituer le levier de l’émergence d’une recherche publique en génétique et amélioration des plantes. Après la victoire de 1888, une nouvelle génération d’agronomes plus biologistes que chimistes a en effet besoin de nouveaux terrains de conquête : ce sera la lutte contre les maladies et les insectes nuisibles pour les phytopathologistes et entomologistes (avec tout un dispositif international de contrôle des frontières, quarantaines et accords internationaux), le contrôle et l’amélioration des vins, des fromages et des bières pour les microbiologistes, et la police du marché des semences pour les phytogénéticiens.

Entomologie, phytopathologie, microbiologie, amélioration des plantes, mais aussi physiologie sont autant de domaines qui s’affirment dans l’agronomie française et internationale qui effectue au tournant du siècle un virage de la chimie vers la biologie (Jas N., 2002, 331-334).

L’un des jeunes artisans de ce tournant biologique est Émile Schribaux . Soucieux d’affranchir les sciences agronomiques de la « tyrannie » de la chimie (Schribaux É., et Nanot J., , 1903, VI), il s’étonne que la plante soit de loin le facteur le plus important dans la production agricole et pourtant qu’elle soit, « par une étrange contradiction », celui dont « les agronomes s’occupent le moins ». L’enjeu est bien « l’amélioration de la

machine végétale » (Schribaux É., 1911, 17). Lauréat du concours de sortie de l’Institut

agronomique en 1881, Émile Schribaux passe plusieurs mois dans les laboratoires de Julien Vesque et de Pierre-Paul Dehérain , foyers de la physiologie végétale, puis part trois ans observer l’enseignement et la recherche agronomique en Europe du Nord, Allemagne et Europe centrale. À son retour, il se voit confier la direction de la station d’essais des semences créée le 15 avril 1884. Sa première mission est de contrôler l’identité et la qualité des semences vendues. La station dispose de champs d’essais à Joinville-le-Pont puis de locaux à l’Institut agronomique à Paris, rue Claude Bernard , où Schribaux est nommé professeur d’agriculture générale et spéciale à 33 ans en 1890. Schibaux multiplie les enquêtes et analyses destinées à connaître l’état du commerce des semences, et les impuretés des lots de semences commercialisés. Ces problèmes sont particulièrement criants dans le commerce des semences fourragères, marché alors le plus important en grande culture avec celui des semences de betterave. Schribaux estime que les réticences des agriculteurs à développer les prairies artificielles ou « prés de champ » résultent de mécomptes avec les semences utilisées : il dénonce l’addition par les négociants aux semences de trèfles et luzernes français, de trèfles et de luzernes d’Amérique, moins coûteux mais mal adaptés. Ces contaminations apportent la grosse cuscute, fort indigeste pour le bétail, qui colonise les prairies semées françaises et déprécie la réputation de la luzerne de Provence. Rapports et analyses de la station conduisent à des mesures de police telles l’obligation de des-truction de la cuscute dans les champs (loi du 24 décembre 1888 qui ne sera guère appliquée) et le rejet des lots de semences contaminés par les services des douanes (décret du 21 février 1908) (Schribaux É, 1911). Si la quête de la pureté relève pour Schribaux d’une police des marchés, elle s’inscrit dès la fin du xixe siècle, chez une grande maison comme Vilmorin, dans une logique de rationalisation industrielle (Bonneuil C., 2008). Schribaux se heurte toutefois souvent à une franche hostilité de la part des marchands grainiers, aussi hostiles à un contrôle de l’État sur leurs activités que l’étaient les producteurs d’engrais. Il perfectionne aussi les tests et les méthodes d’analyse en mettant au point un « diaphanoscope Schribaux » pour l’observation visuelle des grains, une « étude Schribaux à température uniforme » pour standardiser les tests de valeur germinative et un test de pureté spécifique. Il participe aussi à la standardisation internationale des méthodes, suscitée par l’internalisation du marché des semences : avant guerre, la France exporte annuellement pour 50 millions de

francs de semences et en importe pour 20 millions, avec un excédent massif sur les fourragères et un fort déficit sur la betterave et la pomme de terre (Schribaux É., 1917, 4).

Une étape supplémentaire dans la lutte contre la fraude et la falsification des den-rées alimentaires et des produits agricoles est franchie par le vote de la loi de 1905 qui donne naissance au service de répression des fraudes2. Si cette loi ne porte pas directement sur le commerce des semences, elle va néanmoins constituer un cadre juridique de référence auquel la réglementation sur les semences sera par la suite rattachée. Elle va aussi étendre les missions de la station d’essais des semences, qui se voit dotée d’un service spécial sanitaire et scientifique pour analyser les échantillons prélevés dans toute la France par les agents du service de la répression des fraudes. Les effectifs de la station ne cessent alors d’augmenter, un nouveau bâtiment et une serre lui sont attribués en 1908, le nombre d’analyses de semences demandées passe de 745 en 1889, à 2 805 en 1905, et 8 475 en 1910 (Schribaux É., 1911, 21).

Pendant cette période d’essor, Schribaux œuvre aussi à la promotion de variétés étrangères intéressantes (tel le blé italien Riéti précoce), tente de réfuter la mauvaise réputation boulangère des blés récents plus productifs, et entreprend la réalisation de croisements de variétés de blé pour combiner certains caractères des parents dans certains descendants selon les méthodes développées par les Vilmorin . En terme d’objectifs de sélection pour le blé, il joue la complémentarité avec les sélectionneurs privés en privilégiant la recherche de la précocité pour les régions méridionales et la résistance au froid pour les régions orientales car « les excellents blés créés par la

maison Vilmorin , par exemple, gèlent dans l’Est de la France et échaudent dans le Midi »

(Schribaux É., 1917, 20). Un nouveau souffle de la recherche agronomique après-guerre va lui permettre de poursuivre son projet. En 1922, la station d’essais des semences est rattachée à l’Ira et Schribaux dirige peu après le nouveau « service de phytogénétique » établi à l’Ira en 1923. Schribaux réussit aussi à fédérer dans ce service les quelques lieux d’amélioration des plantes qui existaient dans les Écoles nationales d’agriculture comme à Grignon, Montpellier et Rennes dont l’Ira subventionne les activités. L’ancêtre du département de génétique et d’amélioration des plantes de l’actuel Inra est né. Sa mission est de constituer des collections de variétés, d’en étu-dier les mérites et les défauts, et enfin, éventuellement, d’en créer de meilleures. En 1924, la station d’amélioration des plantes de Clermont-Ferrand est créée. Charles Crépin , ancien élève de Vital Ducomet à Grignon, en devient le directeur. En 1928, à l’occasion du transfert de la station centrale de l’Ira de Noisy-le-Roi à Versailles, Émile Schribaux abandonne la direction de la station d’essais de semences pour se consacrer exclusivement à l’organisation de l’amélioration des plantes à Versailles. La même année, Charles Crépin quitte la station de Clermont-Ferrand, dont il confie la direction à Camille Schad , pour organiser la station de Dijon construite avec l’aide de l’Ira par la compagnie des chemins de fer PLM. Au même moment Luc Alabouvette

arrive à la station centrale de Versailles dont il assumera rapidement la direction alors que Schribaux prépare sa retraite, tandis que Georges Méneret prend la tête de la station d’amélioration des plantes de Colmar. Enfin en 1930, le jeune Jean Bustarret , frais émoulu de l’Ina-PG est engagé par Crépin à la station de Dijon. En quelques années – Charles Crépin, Luc Alabouvette, Camille Schad, Georges Méneret, Jean Bustarret, Robert Diehl … –, ce sont tous les futurs protagonistes de l’amélioration des plantes du jeune Inra qui sont ainsi recrutés, grâce à l’essor de l’Ira.

La suppression de cet établissement en 1934 met un coup de frein à ce développe-ment. Les stations de phytogénétique sont rattachées à la direction de l’Agriculture du ministère, sous le nom de stations d’amélioration des plantes. Le réseau de stations d’amélioration des plantes est toutefois préservé. En 1936, la nationalisation des che-mins de fer ramène la station de Dijon dans l’escarcelle du ministère. Charles Crépin quitte alors la direction de Dijon, en 1937, et succède à Luc Alabouvette à la tête de la station centrale de Versailles, qui est nommé professeur à l’Éna de Montpellier. À la tête de la station centrale de Versailles, Crépin va devenir le grand organisateur de la génétique et de l’amélioration des plantes, en plaçant à la tête de stations déjà existantes un certain nombre d’hommes qu’il a lui même formés. C’est ainsi qu’il confie à Jean Bustarret la direction de Dijon et à Robert Diehl celle de Rennes.

Émile Schribaux a donc réussi, à partir de la fonction essentiellement réglementaire de la station d’essais des semences, à construire un espace pour la recherche publique en amélioration des plantes. Les efforts de Schribaux et de ses collaborateurs de la station d’essais des semences puis de l’Ira débouchent sur la création de plusieurs nouvelles variétés. S’ils délaissent la betterave, les potagères et florales où règne la création variétale des maisons privées, ils mettent au point quelques nouveaux blés comme Blé Gattelier (vers 1895), Hybride à courte paille (1899), Préparateur Étienne

(1922), institut agronomique (1925), Bon Fermal (1928) ainsi que le célèbre Florence-Aurore que Bœuf expérimente en Tunisie et qui sera largement cultivé dans toute

l’Afrique du Nord. Ils se consacrent aussi à l’amélioration d’autres espèces comme la pomme de terre, le trèfle et le ray-grass, encore peu travaillées par les obtenteurs privés, avec qui Schribaux entretient d’excellentes relations (Mayer R. , 1962, 14). Les sélectionneurs privés n’ont donc guère à se plaindre de la concurrence des rares « variétés publiques » : celles-ci se concentrent sur les espèces moins travaillées par eux ou bien, dans le cas du blé, n’occupent qu’une part infime du marché variétal, et visent plutôt « à la constitution de collections, à la recherche de caractères (…) et à

l’étude de certains problèmes spéciaux tels que la résistance au froid et aux rouilles, la détermination de facteurs de qualité du blé, etc. » (Alabouvette L. , 1936, 61). Ainsi,

soucieux que des expérimentations publiques permettent de mieux évaluer les variétés dans différentes régions afin d’étendre les débouchés des variétés sélectionnées au-delà des bastions du Nord et le Bassin parisien, Jacques de Vilmorin estime indispensable d’« encourager les recherches techniques, organiser l’expérimentation locale avec toute la

perfection possible ; ne pas craindre d’y consacrer des crédits importants » (Vilmorin J. ,

L’amélioration des plantes et l’introduction

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