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En France : des variétés de pays pour une culture domestique

En France, à la même époque, rien de comparable à la situation américaine. Les surfaces cultivées en maïs ne cessent de reculer, de 631 000 ha en 1840 à 217 000 ha en 1944 (Jonard P., Benoist C., Alabouvette L., 1950, 188). Les rendements sont faibles, passant de 8,5 à 14 quintaux à l’hectare en un siècle (Gay J.-P., 1984, 86). La production annuelle oscille autour de 550 000 tonnes, pendant tout l’entre-deux-guerres, et ne répond pas à la consommation intérieure. La France est contrainte d’importer 600 000 à 700 000 tonnes par an, surtout en provenance des ses colonies et de l’Europe de l’Est. La culture du maïs est le plus souvent une culture jardinée, combinée au haricot, intensive, activité féminine et domestique pour la nourriture des porcs, des volailles ou de la famille (Carraretto M., 2005, 113-155). Les prix faibles, dus à l’absence de protection – à la différence du blé – contre la « concur-rence étrangère » d’un maïs qui prend place dans l’économie impériale (le prix du quintal chute de 50 % dans les années trente ; Alabouvette L., 1951, 16), combinés au manque de main-d’œuvre lié à l’exode rural d’avant-guerre, pénalisent cette culture qui réclame plus de 200 heures de travail à l’hectare. La récolte à la main et

le dépanouillage réclament tout particulièrement une main-d’œuvre abondante, et familiale si possible, qui fait peu à peu défaut (Lerat S., 1961, 105). Dans les régions où la culture se maintient, comme le Béarn et le Pays Basque, la petite taille des exploitations n’est pas favorable aux transformations des méthodes de culture, pas plus que dans les Landes, où les grands propriétaires terriens sont très présents, et où les métayers sont pauvres dans des structures également très petites.

Le maïs reste donc la céréale du pauvre. Peu cultivé dans les régions riches, aucune grande maison de sélection du Nord ne s’y est intéressée. Dans le Sud-Ouest, où le recul des cultures est le moins important, l’amélioration des semences reste l’affaire de chaque ferme, de chaque famille (Carraretto M., 2005, 123-125). Il n’existe donc pratiquement pas de marché de semences pour le maïs grain ; et la semence, ainsi que les savoirs et sociabilités qui lui sont associés, relèvent de la « cité domestique » caractérisée par Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991). Les variétés utilisées, Grand roux basque, Blanc des Landes, Blanc de Chalosse, Doré de Gomer, etc. sont des variétés-populations possédant une très grande variabilité et produisant des maïs très différents d’une vallée à une autre. La sélection massale, efficace pour améliorer la précocité, la structure de l’épi ou la couleur du grain, a permis la création de variétés adaptées aux conditions locales, mais elle aurait débouché, selon certains auteurs, sur une « stagnation des rendements et de la productivité » (Gay J.-P., 1984, 88). Des cercles d’études agricoles créés par le Père Barjallé, en 1930, commencèrent, cependant, à étudier les différents facteurs d’amélioration de la culture du maïs. Ils se donnèrent pour mission d’organiser l’entraide paysanne et de diffuser un ensei-gnement agricole par correspondance dans un monde de petits paysans propriétaires soucieux de moderniser leurs techniques. Ce mouvement fut ainsi à l’origine de la création d’un premier syndicat des jeunes maïsiculteurs, présidé par Henri Campagne à Orthez. Ce dernier semble avoir produit sur son exploitation des Dorés de Gomer « sélectionnés », selon la méthode de « l’épi à la ligne » qu’il aurait apprise grâce aux cours par correspondance de l’École agricole de Purpan. Rien n’indique qu’il ait commercialisé ces semences, il semble plutôt qu’il les ait distribuées dans le canton de Sainte-Suzanne. De mémoire de paysan, on ne se souvient finalement pas avoir vu des sacs de semences de maïs en magasin avant 19453. Les stations d’amélioration des plantes existantes dans l’entre-deux-guerres ne semblent pas avoir comblé cette lacune. L’éphémère Ira, créé en 1921, démantelé dès 1934, n’a pas eu le temps de mener des travaux très poussés sur l’amélioration du maïs.

Le premier congrès international du maïs, réuni à Pau en 1930, constitue cepen-dant une étape importante. Il est organisé par la compagnie des chemins de fer du Sud-Ouest qui espère, en favorisant le redressement de cette culture, dynamiser ses propres activités (Guyonnet G., Penic Ch., 1930). La raison sociale de l’organisateur confirme l’absence d’une communauté organisée de maïsiculteurs. Toutefois, cette

3 Entretien avec J. Etchebarne, membre de la mission maïs aux États-Unis en 1949 et directeur de l’AGPM de 1947 à 1978.

rencontre donne l’occasion aux professionnels, aux représentants du ministère et à quelques chercheurs de plusieurs pays d’Europe d’échanger leurs idées sur l’amé-lioration du maïs. Sont notamment présents le sélectionneur Jacques de Vilmorin, Vital Ducomet, professeur à l’École de Grignon, et Luc Alabouvette de l’Institut des recherches agronomiques. Il est beaucoup question d’introduction de variétés étrangères pour augmenter les rendements, avec notamment les communications de Ducomet et de Alabouvette soucieux d’introduire des variétés populations venues d’Amérique du Nord ou du Sud, d’Europe de l’Est ou d’Asie. La seule communi-cation faisant état de la voie hybride développée aux États-Unis est celle de Carles de Carbonnières, notable et gros exploitant dans le Tarn, membre de l’association internationale des sélectionneurs de plantes de grande culture. Il participe au congrès comme simple auditeur et ne devait pas y faire de communication. Cependant, à la suite de son intervention dans une discussion, le président du congrès, le prie de présenter ses travaux à la séance du lendemain. Carles de Carbonnières commence son exposé en ces termes : « Lorsque l’on croise deux variétés pures de maïs, les semences

obtenues donnent en première génération (F1) des plantes d’une vigueur et d’une produc-tivité exceptionnelle et d’une uniformité d’épis au moins égale à celle des races les mieux sélectionnées. Ce phénomène, dû à l’union de cellules reproductrices hétérogènes a reçu le nom d’hétérosis » (Carbonnières C., 1930, 7). Il connaît bien son sujet et retrace les

étapes de cette découverte aux États-Unis, en citant les travaux de l’USDA, et les noms d’East, Shull et Jones… Il explique encore très clairement que cette méthode de sélection implique de « renouveler annuellement le croisement des deux géniteurs purs

de l’hybride pour avoir la semence de l’année suivante » (Carbonnières C., 1930, 8). Il

termine en disant qu’il produit lui-même sur son exploitation ce type de variétés en croisant une lignée Nicaragua et des lignées de populations de pays et affirme obtenir d’excellents résultats en F1.

Cette communication bien que singulière passe inaperçue. Jacques de Vilmorin affirme qu’elle montre bien « l’importance qu’il y a à avoir des hybridations fréquentes

sur la même plante » (Vilmorin, 1930, 15), réduisant plus ou moins l’hybridation

à la première phase du schéma d’amélioration par sélection généalogique que ses illustres ancêtres avaient codifiée. Le professeur Ducomet rend mieux compte de la nouveauté de la méthode qui « a conduit les Américains à des résultats si remarquables » que « dans le cas spécial du maïs, on peut fonder de grands espoirs sur les croisements avec

seule multiplication des produits F1 » (Ducomet V., 1930, 111). Cependant, comme

Jacques de Vilmorin, il soutient l’idée que l’obtention d’hybrides à forte vigueur F1 devrait être poursuivie par une sélection généalogique jusqu’en F5, génération où « l’influence déprimante de l’autofécondation ne sera plus à redouter » (Ducomet V., 1930, 115). On reste donc dans le schéma classique d’un croisement pour recombiner suivi d’une sélection généalogique, paradigme qui empêche de concevoir l’hybridation autrement que comme une opération produisant de la variabilité qu’il s’agit ensuite de fixer. L’hybridation ne peut donc être conçue comme un croisement de lignées homozygotes permettant de créer une combinaison précise utilisable uniquement

en première génération. L’heure n’est pas encore à la voie hybride et le rapport final du congrès ne fait pas mention de la communication de Carles de Carbonnières (Lubre, 1930).

Ce premier congrès du maïs à Pau n’en reste pas moins important. C’est l’acte de naissance d’une communauté organisée de maïsiculteurs. En 1932, les chambres d’agriculture des Landes et des Basses-Pyrénées créent alors la première station de génétique du maïs à Saint-Martin-de-Hinx. Sur proposition d’Alabouvette, la direction de la station est confiée à Jean Piat. Ce dernier expérimente entre 1935 et 1939 des croisements à partir de matériels américains et canadiens, il met également en place l’inventaire d’une collection de variétés françaises et européennes rassemblées lors du congrès de Pau. Dès cette période, les sélectionneurs de Saint-Martin-de-Hinx attirent l’attention sur ce que l’on peut attendre de la sélection d’hybrides industriels selon la voie de sélection mise au point aux États-Unis4. En 1938, Jean Piat affirme qu’il ne serait pas très difficile d’organiser en France la production de semences de maïs hybrides : « Espérant bien que l’on arrivera à démontrer de façon certaine aux

maïsi-culteurs français l’intérêt qu’il y aurait à cultiver des hybrides de première génération, elle se préoccupe dès maintenant d’isoler, dans les nombreuses populations locales, des lignées qui après autofécondation, seront susceptibles de permettre la réalisation d’hybrides de valeur » (Piat J., 1938, 115). Cependant, faute de moyens, aucun programme de

mise au point systématique d’hybrides F1 n’est mis en place et l’essentiel du travail réalisé à la station sera d’améliorer deux variétés de pays, le Grand roux basque et le

Blanc des Landes, selon un schéma d’amélioration qui relève d’une « voie population »,

consistant à améliorer des pools pour quelques caractères qu’on laisse se recroiser librement au champ. Après la guerre, Luc Alabouvette, devenu professeur à l’École nationale d’agriculture de Montpellier, affirmera que la station de Saint-Martin-de-Hinx consacrait l’essentiel de ses efforts à l’introduction de variétés étrangères qui se révélèrent toutes être des échecs (Alabouvette L., 1949). Bustarret note aussi qu’« en

1944, il a fallu repartir de zéro » (Bustarret J., 1951, 10).

La création de l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM) en 1934, est aussi une conséquence du congrès de Pau. Sous l’impulsion de Samuel de Lestapis, elle rassemble trois cents producteurs de maïs présidés par Hubert de Baillenx, un important exploitant des Landes. L’AGPM revendique sans succès – les maïsiculteurs n’ayant pas alors le poids politique des grands producteurs de blé – un soutien de la production métropolitaine et œuvre à la structuration du secteur et de la filière maïs (Bidau L., 1973). Si l’AGPM se propose de rassembler les informations techniques et scientifiques, les hybrides américains y restent inconnus ou hors sujet5. Quelle que soit la modestie des résultats obtenus, cet embryon d’organisation professionnelle n’attend plus qu’un contexte favorable. Samuel de Lestapis va chercher cette opportunité sous

4 Archives départementales de Mont-de-Marsan, station de génétique et de culture du maïs. Rapport sur les travaux de la station pendant l’année 1932, par Lecat directeur scientifi que.

le régime de Vichy et ainsi s’engager dans l’organisation du corporatisme semencier. Profitant de la transformation de l’Onib en Onic, la coopérative de blé du bassin de l’Adour étend sa collecte aux céréales secondaires et tout particulièrement au maïs (Lascaray T., 1992). La guerre est donc à l’origine du « tournant maïs » de la coopérative, virage qui deviendra une évidence pour la jeune génération, issue de milieux plus modestes, comme Jacques Etchebarne et Louis Bidau qui trouveront dans le contexte d’après-guerre l’occasion de faire entrer la production du maïs dans l’ère des variétés industrielles.

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