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Pour mesurer l’évolution des connaissances concernant le DC, on peut commencer par mentionner la notice rédigée par Hervé Bouchitté pour le Dictionnaire des sciences philosophiques, dans le volume publié en 1847224. Il n’en connaît d’abord que trois manuscrits, dont il en a consulté deux à la

bibliothèque de Saint-Victor. Launoy, dont il tire sa source225, les présentait comme deux ouvrages

222 Stefano Caroti, « Configuratio, ymaginatio, atomisme et modi rerum dans quelques écrits de Nicole

Oresme », in Méthodes et statuts des sciences à la fin du Moyen Âge, éd. par Christophe Grellard, 2004, 127– 140, p.139.

223 Ibid., p.140.

224 Franck, A. (Ed.). Dictionnaire des sciences philosophiques, par une société de professeurs de philosophie,

(Paris : Hachette) 6 volumes, 1844-1852.

225 Launoy est l’auteur d’une histoire du Collège de Navarre publiée en 1677. Il y précise qu’Oresme, « par sa

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distincts, l’un intitulé De configuratione qualitatum, l’autre De uniformitate et difformitate

intentionum : Bouchitté les identifie comme un seul et même ouvrage, où Oresme discute des

« problèmes physiques ou géométriques ». Sa lecture ne semble pas avoir été des plus attentives, puisqu’il estime devoir traduire « intentio » par « étendue »226. Dix ans plus tard, dans sa thèse

publiée en 1857, Françis Meunier ne dit guère plus à ce sujet, et décrit sobrement le DC comme un « traité contre l’astrologie »227. Bouchitté décrivait déjà Oresme comme « l’un des plus intraitables

ennemis des astrologues », et Oresme devra d’être célébré en grande partie pour sa réputation de pourfendeur de l’astrologie, réputation dont on verra qu’elle doit être rectifiée.

Nicole Oresme émerge comme précurseur de la science moderne en 1868, avec la description par Maximilien Curtze d’un manuscrit de la Gymnasialbibliothek de Toruń qui contient entre autre

l’Algorismus proportionum et le traité De latitudinibus formarum attribué alors à Oresme228. Curtze

décrit à nouveau brièvement le traité dans une bibliographie mathématique d’Oresme publié en 1870, Die Matematischen Schriften des Nicole Oresme229, où il signale en outre 4 manuscrits du DC

(qu’il appelle Tractatus de uniformitate et difformitate intensionum) sans décrire en revanche le contenu des trois parties. C’est donc paradoxalement sur un texte dont il est certain qu’il n’est pas d’Oresme que les premières idées concernant le DC vont se former. En effet, Curtze identifie la figuration des qualités à l’invention d’un système de coordonnées : il fait de longitudo et latitudo des synonymes d’abscisse et ordonnée, suggérant qu’Oresme n’eut pas l’idée des abscisses négatives pour expliquer son refus de former sur la ligne de base un angle plus grand que le droit. Le concept de latitude des formes lui apparaît dès lors comme « précurseur de la géométrie de Descartes »230.

L’idée de Curtze n’est pas « superficielle »231 : elle consiste au contraire à identifier sous une

apparence classiquement géométrique un fond latent – les coordonnées. Un peu plus tard, polémiquant avec Chasles pour qui Descartes était l’inventeur absolument original de la méthode des coordonnées232, et jugeant au contraire que toute découverte est progressivement préparée par

Jean de Launoy et al., Joannis Launoii Constantiensis, Parisiensis theologi, Regii Navarrae gymnasii Parisiensis

historia. Pars prima, 2 vol. (France, 1677) p.69.

226 « (…) ce terme, intentio, qui supporte en scolastique tant de sens divers, signifie, dans ce petit traité,

l’étendue », écrit-il.

227 Francis Meunier, « Essai sur la vie et les ouvrages de Nicole Oresme ». Thèse, Faculté des lettres, 1857, p.31. 228 Curtze, M (1868), Über die Handschrift R.4° 2 Problematum Euclidis Explicatio der König.

Gymnasialbibliothek zu Thorn, in „Zeitschrift für Mathematik und Physik“, XIII, suppl. 45-104. Le traité est décrit

pp.92-7.

229 Curtze, M (1870), Die mathematische Schriften des Nicole Oresme (circa 1320-1382) : Ein mathematisch-

bibliographischer versuch, Berlin.

230 Curtze (1868), p.97. 231 Le mot est de Caroti.

232 « Cette doctrine de Descartes, dont aucun germe ne s'est trouvé dans les écrits des géomètres anciens, et la

seule peut-être dont on puisse dire, comme Montesquieu de son Esprit des lois, PROLEM SINE MATRE CREATAM ». Chasles, Aperçu historique sur l'origine et le développement des méthodes en géométrie, Bruxelles, 1837, p.94, lin. 8–11, cité dans Günther (1877).

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des phases antérieures, Sigismund Günther – s’appuyant sur Curtze – fit d’Oresme (et du DLF) l’apogée du moment médiéval de cette longue découverte, moyen terme entre l’antiquité et la modernité cartésienne.233 La découverte du journal scientifique d’Isaac Beckmann en 1905, dans

lequel on peut reconnaître une influence (directe ou non) de la théorie de la latitude des formes, vint à l’époque donner une pertinence historique à l’hypothèse.

Il faut attendre 1913 et une étude de Heinrich Wieleitner pour que soit au contraire mise en évidence toute la distance qui sépare au contraire les figures du DLF, toujours attribué à Oresme, et les systèmes de coordonnées cartésiennes234. Il note par exemple que la base de la figure ne

représente pas une variable, mais le sujet même informé par une qualité dont la ligne sommitale décrit la variation de l’intensité. Mais ce rejet de l’Oresme-cartésien va s’accompagner chez Wieleitner d’une analogie de substitution. En effet, c’est dans la démonstration géométrique du théorème de la valeur moyenne concernant le mouvement uniformément accéléré qu’il voit la contribution la plus importante du DLF à la science moderne. C’est donc lui qui introduit un motif historiographique qui deviendra désormais récurrent, la similarité de cette démonstration avec celle exposée par Galilée dans ses Discorsi. A l’Oresme précurseur de Descartes répond donc désormais l’Oresme précurseur de Galilée. Pierre Duhem va synthétiser ces deux motifs historiographiques, l’Oresme cartésien et l’Oresme galiléen.

Toutes les études ultérieures sur Nicole Oresme ont été produites sur la base des thèses de Pierre Duhem, exposées dans différents articles et ouvrages. Mais sa grande œuvre, le Système du Monde,

Histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic, ne fut publiée que progressivement après

sa mort235. Les volumes 7 et 8, consacrés à la « physique parisienne au XIVe siècle » et qui

contiennent donc ses analyses détaillées concernant aussi bien la latitude des formes en général qu’Oresme en particulier, n’ont été publiés qu’en 1956 et 1958.

La thèse centrale de Pierre Duhem était que les condamnations prononcées par l’évêque de Paris Etienne Tempier étaient le véritable acte de naissance de la science moderne : en opposant aux limites de la physique aristotélicienne l’omnipotence divine, il aurait mit les artiens devant l’obligation d’ajuster les principes de la philosophie naturelle à la foi chrétienne, ouvrant la voie vers

233 Voir Sigismund Günther, « Le origini ed i gradi di svilupo del principio delle coordinate », Bullettino di

Bibliografia e di storia delle Scienze mathematiche e fisiche, X (1877), pp.363-406. Il s’agit de la traduction italienne d’un original allemand intitulé « Die Anfänge und Entwicklungsstadien des Coordinatensprincipies », qui n’avait pas encore été publié. Dans son hommage à Curtze de 1903, Günther reconnaît encore en Oresme une étape essentielle dans l’élaboration de la géométrie analytique (Voir Günther, S., « Maximilian Crutze », Bibliotheca mathematica 3. Folge, 4. Band (1903).

234 Wieleitner, « Der Tractatus de latitudinibus formarum’ des Oresme. » Bibliotheca mathematica (3), XIII

(1913), 115-45.

235 Pierre Duhem, Le système du monde: histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic, 10 vol.

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un éclatement du cosmos fini et ordonné hérité de cette antiquité et la position moderne d’un univers infini et pleinement géométrisable. Dans le contexte des lois françaises sur la laïcité, c’était un pied de nez au rationalisme puisque c’était faire de l’église catholique non pas l’obstacle de la science moderne, mais sa source profonde. C’est sans doute aussi la raison pour laquelle Duhem fut aussi enclin à voir dans la discussion théologique touchant la latitude de la charité l’origine scolastique de la théorie mathématique de la latitude des formes, idée qu’il est le premier à avoir introduit et qui s’est jusqu’à aujourd’hui maintenue avec une étonnante persévérance236.

Dans le troisième volume de ses Etudes sur Léonard de Vinci, intitulé Dominique Soto et la scolastique

parisienne237 et publié en 1909, Duhem livre au public les premiers extraits en français du DC, et

propose une synthèse sur la latitude des formes et sur Oresme, dont il multiplie le statut de « précurseur » : ce dernier anticipe, avec Buridan et Albert de Saxe, la dynamique moderne en participant à l’élaboration de la notion mécanique et anti-péripatéticienne d’impetus ; il est le précurseur de Copernic, non seulement parce qu’il défend la possibilité mathématique du mouvement diurne de la terre plutôt que celui du ciel, mais du fait de son explication « mécanique » de la pesanteur ; il invente la « géométrie analytique » cartésienne ; il découvre la loi galiléenne des espaces parcourus par un mobile en mouvement uniformément varié. Ces deux derniers points seraient les deux contributions théoriques principales du DC.

C’est avant tout dans le LCM que Pierre Duhem va chercher les bases théoriques d’une mécanique du mouvement. Il mentionne la description du mouvement fictif d’une pierre lâchée à travers un « pertuis » qui traverserait le monde, mouvement supposé oscillatoire autour du centre du monde et d’amplitude décroissante et qu’Oresme justifie par l’effet de l’acquisition d’une impétuosité au cours de la chute. Cette analyse, et bien d’autres, vise à détruire la théorie aristotélicienne des lieux naturels, et par conséquent à diminuer la portée de la distinction entre mouvement naturel et mouvement violent, le mouvement étant déterminé non par sa fin mais par le rapport entre la puissance de sa qualité motive et la résistance du milieu. Autre exemple du même ordre qui retient l’attention de Duhem, la comparaison par Oresme du mouvement céleste à celui d’une horloge mécanique, de sorte que le mouvement des sphères dépend non d’Intelligences motrices angéliques, mais de l’impetus initial attribué par Dieu aux mouvements célestes lors de leur création. Oresme tend donc à déterminer mécaniquement un mouvement par ses causes motrices aveugles plutôt que par sa destinée supposée. On peut penser que c’est cette interprétation mécanique du LCM qui a détourné Duhem des explications physiques du DC, dont non seulement le caractère mécanique est

236 Un historien soviétique comme Zoubov était moins enclin à voir dans la théologie l’origine de la question. 237 Pierre Duhem, Études sur Léonard de Vinci. Ceux qu’il a lus et ceux qui l’ont lu. 3 Vol. (Paris : Hermann, 1906-

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moins évident, mais qui cherchent à expliquer en outre typiquement des faits qui rebutent a priori la mécanique, des effets occultes ou magiques, des sympathies et des antipathies, des phénomènes psychophysiques.

Avec Duhem, le DC commence à être nettement séparé du DLF, dans lequel Duhem ne voit qu’une « imitation médiocre » du premier. Prenant résolument pour objet d’étude le DC, il va au-delà de Curtze, qui se contente d’assimiler la figuration à un système de coordonnées. Pour lui, Oresme est plus proche encore de la géométrie analytique qui suppose également l’affirmation d’une « équivalence qui fait correspondre l’une à l’autre une certaine représentation graphique et une certaine relation algébrique entre la valeur simultanément variables de la longitude et de la latitude. »238 Oresme aurait ainsi fait « les premiers pas » concernant ce problème. C’est le chapitre

I.xi qui retient toute son attention. Après avoir exposé le modèle purement géométrique de l’uniformité et de la difformité, Oresme propose soudain ce qu’il appelle une autre « description », où la figure géométrique n’est plus que l’expression de ses rapports internes.

F D A B E G K C H

Ainsi, l’uniforme difformité de la qualité figurée par le triangle ABC peut être décrite au moyen d’une analyse de la figure. En choisissant arbitrairement deux points du sujet, D et F, et en élevant perpendiculairement les lignes intensives DE, FG et BC, on observe que « le rapport de l’excès du premier point sur le second à l’excès du second sur le troisième en intensité est le même que le rapport de la distance du premier au second point à la distance du second au troisième, et il en va de même quels que soient les trois points qu’on choisisse. »239 Autrement dit, les triangles ADE, EHG et

GKC sont tous semblables, quels que soient les points choisis D, F, B : 𝐶𝐾

𝐺𝐻= 𝐺𝐾 𝐸𝐻

238 Duhem, Léonard de Vinci, p.385. 239 DC, I.11.

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Dans cette équivalence entre la figuration géométrique et l’égalité des rapports, Duhem lit « la mise en équation de la ligne droite, sous une des formes les plus usitées en notre moderne Géométrie analytique » : la droite est définie comme une variation constance, constance mesurée par une proportionnalité. Cette affirmation va s’avérer structurante et être abondamment discutée, critiquée ou confirmée jusqu’à nos jours.

Précurseur de la géométrie analytique, Oresme l’est aussi de la cinématique galiléenne : Oresme ne formule pas la loi galiléenne de la chute des corps, mais il démontre d’une manière semblable son présupposé, la loi du mouvement uniformément varié. C’est d’abord la proposition formulée en III.7 qui intéresse Duhem, celle qu’on nomme depuis « théorème du degré moyen », ou « Règle de Merton », et qu’il appelle lui-même « Règle d’Oresme » : un mobile dont la vitesse augmente continument parcourt la même distance que celle qu’il parcourrait si sa vitesse était constante de degré moyen. On sait aujourd’hui que ce théorème était démontré avec Oresme au Merton College, par Kilvington ou Heytesbury, et généralement la chronologie de Duhem est inversée entre les travaux d’Oxford et de Paris : au lieu d’interpréter le DC comme la géométrisation de raisonnements déjà en partie existant, il en fait une nouveauté qui dégénère par la suite dans les travaux anglais. Ainsi, certain de la postériorité du Liber calculationum de Swineshead, il ne voit dans les raisonnements de l’Anglais que « l’œuvre d’une science sénile et qui commence à radoter ».

Si Duhem avait connu les QSGE, il aurait pu également, pour confirmer son intuition historique, invoquer les questions 13 et 14 des QSGE qui approfondissent encore cette même idée. Dans la question 13, Oresme montre ceci : « Pour tout sujet uniformément difforme jusqu’au non-degré, le rapport de la qualité du tout à la qualité de la partie qui se termine au non-degré est comme le rapport de tout le sujet à cette partie, rapport doublé. »

Q1 Q3 Q2 A B C D 1 3 5

Par exemple, soit un sujet CBA divisé en deux parties égales CB et BA, et une qualité ou un mouvement uniformément difforme commençant au non-degré en A. Alors, le rapport de la qualité totale (Q1 + Q2) à la qualité partielle Q1 est comme le rapport de la partie du sujet CA à BA, rapport

doublé. On voit géométriquement que les surfaces des triangles qui représentent ces qualités sont effectivement dans le rapport de 4 à 1, qui est le rapport doublé du rapport des bases, de 2 à 1. Au

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lieu d’employer les rapports, un lecteur moderne transposera en termes de fonction, et préférera dire que les surfaces varient comme le carré des bases, et en posant d pour les surfaces variables, et t pour les bases variables, il notera d = t², instance de ce qu’on appelle depuis Galilée la loi des espaces qui expose la relation de la distance parcourue au temps de parcours dans le cas d’un mouvement uniformément accéléré. Du moins, à cette remarque près qu’Oresme ne l’affirme pas d’un mouvement qui accélère, mais plutôt qui ralentit uniformément : non-gradum n’est pas la rapidité initiale, mais finale : je n’ai renversé cet ordre que pour faciliter la lecture. Ce qui frappe Duhem, c’est qu’Oresme comprend que la surface représente la distance parcourue par le mobile, bien qu’il ne le démontre nulle part. Du point de vue de la cinématique classique, une telle démonstration générale suppose le calcul intégral et l’idée de vitesse instantanée.

Immédiatement après la publication de l’essai de Pierre Duhem, Wieleitner publie un second article, cette fois centré sur ld DC et non plus le DLF. Tout en tenant compte de l’analyse de Duhem, il maintient et approfondit les positions élaborées pourtant à partir du DLF240. Surtout, il édite de larges

extraits de la version latine du traité. Comme on s’en doute, ce sont les chapitres mathématiques qu’il publie : les 21 premiers chapitres de la première partie (certains ne sont publiés qu’en partie, d’autres seulement résumés), les 9 premiers de la seconde (seulement par extraits), puis les chapitres 6 à 13, en entier ou par extraits, c’est-à-dire la section proprement métrique du traité, les premiers chapitres consacrés au gain et la perte d’une qualité étant là encore très brièvement résumés. Du reste du traité, il ne donne que les titres, permettant néanmoins au lecteur d’avoir pour la première fois une vision d’ensemble du DC, mais qu’il n’ait lui-même eût accès qu’aux parties qu’il publie.

C’est la notion de fonction qui est centrale pour Wieleitner : dès l’article de 1913, il estime que le DLF assimile les anciennes formes accidentelles à des fonctions de l’étendue spatiale ou temporelle. Pour autant, cette idée fonctionnelle n’implique pas l’émergence d’une géométrie analytique. Pourquoi Wieleitner conteste-t-il l’assimilation des figures oremiennes à l’invention d’un système de coordonnées ?241 Un système de coordonnées est avant tout un système de localisation : plusieurs

dimensions étant distinctes, un point est localisé selon sa distance à une origine selon chacune de ces dimensions. Au contraire, Oresme ne se soucie que de distances relatives et de différences mutuelles. A vrai dire, Wieleitner concède à Duhem que la description d’Oresme pour le cas de la droite équivaut à l’équation de la droite, tout en rejetant l’idée qu’il crée alors la géométrie analytique, dont l’histoire n’est pas liée simplement à la formulation d’une telle équation. Dans

240 Wieleitner, « Ueber des Funktionsbegriff und die graphische Dastellung bei Oresme.” Bibliotheca

Mathematica (3), XIV (1914), 193-243.

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l’ensemble, Wieleitner ne se faisait pas une grande idée du contenu mathématique du traité, au point qu’il éprouve le besoin d’excuser son auteur : « Et concernant le contenu mathématique, on ne doit pas oublier qu’Oresme n’était pas vraiment un mathématicien. Pour lui, comme pour ses pairs, les mathématiques n’étaient qu’une science auxiliaire. »242 Il ne nie pas l’influence de la figuration

géométrique sur l’œuvre de Descartes, qu’il juge au contraire certaine et manifeste dans ses recherches sur la chute des corps, mais rejette toute influence sur sa méthode analytique : figuration géométrique et méthode analytique sont deux problèmes distincts. En revanche, le statut de précurseur de Galilée lui semble consolidé, et Emile Borchert va prolonger cette interprétation d’un Oresme pré-galiléen dans un article consacré à sa théorie du mouvement et de l’impetus en 1934243.

A partir de 1929, une vision plus profonde du rôle d’Oresme dans l’histoire de la pensée savante se fait jour. Hugo Dingler propose une étude plus générale et philosophique de la doctrine d’Oresme, sans se centrer strictement sur les passages géométriques244. Dingler structure toute l’histoire de la

pensée scientifique comme transition d’une science de l’être à une science du devenir245. Si pour lui,

il n’est pas question de système de coordonnées, Oresme joue néanmoins un rôle central, parce qu’avec lui apparait pour la première fois une science de la variation : alors que les Grecs n’étudiaient le changement que comme le passage d’une constante à une autre, la variation elle- même devient un objet mathématique.246Dans un nouvel article publié en 1952, Dingler expose très

clairement ce qui le sépare des préoccupations de Duhem247 : « On a souvent pensé (Duhem

également, et notre inoubliable Wieleitner) que la contribution d’Oresme devait être conçue comme un premier pas en direction de la géométrie analytique de Descartes. Ce n’est assurément pas le cas.

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