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Le mot peut être utilisé en astronomie ou astrologie, par exemple dans l’expression « siderum

configuratio » ou « stellarum configuratio », pour désigner la position relative (« l’aspect ») des

astres – errants ou non – en un instant donné. En ce sens, une table astronomique sert à calculer la configuration des planètes en un jour passé ou à venir. Dans le DC, Oresme utilise au moins une fois le mot en ce sens astrologique, pour indiquer qu’une maladie est plus fréquente en certaines périodes qu’en d’autres, parce qu’elle suit la « configuration du ciel en cette période (ex

configuratione celi in aliquo tempore) ».167 Encore dans un contexte astrologique relatif à l’influence

des cieux sur la terre, il utilise le mot français « configuracion » dans l’une des gloses du LCM, mais dans un sens différent, peut-être assez proche de celui du Traité des configurations : « item, le solleil et la lune et les estoilles par la concurrence et configuracion de leurs lumières et de leurs influences sont causes des choses de cy bas. Et donques une conjonction de telz corps du ciel telle que onques

164 La version A du traité, édité par Emmanuel Poulle, aurait été composé vers 1380, date supposée de

l’achèvement de l’astrarium. Voir Giovanni Dondi dall’Orologio et Jacopo Dondi dall’Orologio, Johannis de

Dondis Paduani Civis Astrarium: édition critique de la version A, éd. par Emmanuel Poulle (Padova, Italie,

France: Edizioni 1+1, 1988)

165 Emmanuel Poulle traduit d’ailleurs tout par figure.

166 Sur les 6 occurrences de configuratio, 4 montrent une agregatio de pièces ou un tout agregatus. Ces deux

expressions étant elles-mêmes assez rares dans l’ouvrage, cette association semble suffisamment significative.

167 DC, II.27, p.342. « Figuratio » dans le manuscrit G. L’idée que la cause ultime (mais non la « cause basse »,

comme dit Oresme) d’une épidémie comme la peste est la configuration astrale est assez commune en médecine, et semble s’originer dans le Canon d’Avicenne.

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ne fut semblable puet estre cause d’aucune qualité ou substance telle que onques ne fut semblable (…) ».168 « Concurrence » semble renvoyer à la concentration du rayonnement, laquelle

traditionnellement renforce une action. En revanche, « configuration » doit ici signifier une disposition relative des rayons, causée par la disposition même des astres.

A la différence des figures qui se déterminent nécessairement en une espèce, comme triangulaire ou

circulaire, une configuration astrale ne peut pas être spécifiée, sinon dans les cas très particuliers des

conjonctions et oppositions. En revanche, elles peuvent être analogiquement déterminées comme « images célestes (ymagines celestes) », c’est-à-dire les « signes ». Néanmoins, ces positions relatives sont souvent désignées simplement du nom de « figura ». Dans la traduction du Tetrabible de Ptolémée, dont l’attribution à Nicole Oresme est controversée169, ces positions relatives nommées

tantôt « σχηματισμόν », tantôt « συσχηματισμὸν »170 par Ptolémée, sont traduites presque toujours

par « figure », et occasionnellement par « figuration »171. Un fait renforce l’impression qu’Oresme

s’est inspiré du concept astrologique : non seulement, selon Ptolémée, les astres diffusent leur puissance jusqu’aux corps terrestres, comme le soleil qui fait les saisons ou la lune qui fait la marée, mais leurs positions relatives (οἱ πρὸς ἀλλήλους αὐτῶν συσχηματισμοί, eorum figuras ad invicem, « la participation des planetes et estoilles es figures qu’il font l’une vers l’autre »)172 exerce aussi une

influence propre. Par exemple, si la puissance du soleil domine en général celle des autres astres, néanmoins ceux-ci peuvent aider son action ou au contraire s’y opposer selon leur aspect, comme la lune selon qu’elle est nouvelle, en quartier ou pleine. Ptolémée décrit la puissance ou vertu de chacun des astres en I.4, mais en I.8 il indique la variation de leur puissance selon leur position relative au soleil,173 c’est-à-dire la puissance des figures elles-mêmes : « La lune et trois planètes

positionnées à l’égard du soleil subissent une diminution et une augmentation dans leurs forces propres, c’est-à-dire selon les figures qu’ils forment dans leur composition avec le soleil »174. La

détermination des forces des planètes doit donc tenir compte non seulement de leur nature propre, mais aussi de leur signe ou de la figure qu’elles forment dans leur composition avec le soleil, selon qu’elles sont orientales ou occidentales, selon la direction de leur mouvement, etc.175

168 LCM, p.242.

169 Max Lejbowicz, Guillaume Oresme, traducteur de la « Tétrabible » de Claude Ptolémée (Toulouse, France: : ,

1983).

170 Sur ce mot, qui signifie littéralement « con-figuration », voir plus bas.

171 « la figuration du cours des étoiles », f.4r. La version latine que j’ai consultée ne semble employer que

« figura ».

172 I.2, f.3va pour la traduction latine ; f.8r pour la traduction française.

173 Le titre latin en est : « In fortitudinibus figurarum que formantur secundum solis positionem », f.6vb.

174 « Luna item et tres erratice stelle soli supraposite, diminutionem et augmentum in suis propriis viribus

assumunt, scilicet figuras quas in collatione solis effingunt. ».

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Ainsi, l’idée de Ptolémée, que la force propre d’un astre est renforcée, affaiblie ou modifiée par sa position relative aux autres astres, en particulier au soleil, est très proche de l’idée oresmienne de puissance des configurations. Néanmoins, Ptolémée semble comprendre ces variations de puissance comme des effets presque mécaniques de la seule composition des puissances propres à chaque astre. Sa dynamique de l’influence céleste semble reposer sur les mêmes principes naturels que sa dynamique générale, celle qu’on entre-aperçoit dans son optique. En particulier, il ne tient pas compte des interactions entre les configurations elles-mêmes : quand il y a opposition, c’est entre deux astres, pas entre deux configurations astrales. De même, les figures de Ptolémée sont toutes simultanées, alors que l’idée d’une variation selon la durée du mouvement est essentielle au Traité

des configurations. Si Ptolémée a très certainement inspiré Oresme, fait d’autant plus vraisemblable

qu’Oresme en serait le traducteur français, les principes physiques mis en évidence par Oresme sont différents.

La référence à ces configurations célestes n’est pas réservée aux ouvrages d’astronomie. Dans son commentaire au De somno et vigilia, Jean de Jandun fait référence à ces configurations dans explication déterministe des visions oniriques176. D’un côté, il existe une relation causale certaine

entre les formes terrestres et les configurations célestes qui les causent : « il n’y a pas de forme spécifique dans ce monde qui ne possède une configuration dans le ciel qui lui corresponde comme sa première cause corporelle »177. Comme le soutiendra Oresme plus tard, ce déterminisme ne

s’accomplit que par lumière et mouvement, et comme l’esprit confère aux organes du corps la vertu qui leur est requise pour qu’ils exercent leur nature, de même « la lumière céleste diversement figurée (lumen coelestum diversimode figuratum) » achemine vers nous les vertus des orbes célestes. De l’autre, la vision du rêveur est le produit de sa faculté imaginative qui représente la disposition interne de son corps, raison pour laquelle un médecin peut comprendre la cause d’une maladie en interprétant les rêves du malade. Ainsi, parce que la configuration céleste agit également sur le corps du rêveur, et qu’il existe une similitude entre tous les effets d’une même cause, son rêve peut naturellement servir de signe de la réalité occulte ou à venir causée par cette même configuration céleste. En soutenant cela, Jean de Jandun prétend expliquer la physique sous-jacente à une pratique d’astrologues : quand les « astrologi » veulent interpréter un rêve, ils se tournent vers la configuration d’étoiles dominante à l’heure du sommeil, ainsi que vers le lever et le coucher des signes, et alors interprètent les rêves comme prononçant les réalités occultes ou de vrais jugements sur l’avenir. Oresme fait manifestement référence à une thèse de ce genre dans le DC

176 Pour le texte de Jean de Jandun, voir JEAN DE JANDUN, Quaestiones super Paruis Naturalibus, Venise, 1589, q.

22, fol. 44b. Voir également à ce sujet Grellard, Christophe. La réception médiévale du De somno et vigilia :

Approche anthropologique et épistémologique du rêve, d’Albert le grand à Jean Buridan In : Les Parva naturalia d’Aristote : Fortune antique et médiévale. Paris : Éditions de la Sorbonne, 2010.

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lorsqu’énumérant les causes susceptibles de produire un rêve prophétique, il suggère entre autres l’influence du ciel sans la tenir pour la plus vraisemblable178.

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