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Clagett semble croire que la source est musicale A mon avis, Solin dit simplement que le niveau d’eau monte quand on joue de la flute.

Les témoignages

lines 10-12). Clagett semble croire que la source est musicale A mon avis, Solin dit simplement que le niveau d’eau monte quand on joue de la flute.

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ponctuelle, un corps agit selon tout son volume, et la structure dynamique de son action, dans l’espace comme dans le temps, a un rôle causal naturel. En langage moderne, les forces agissent, mais aussi leur structure, la manière dont s’étend leur intensité dans l’espace et le temps.

Néanmoins, « l’expérience » apparaît sous différentes formes lexicales. L’experientia renvoie généralement à une expérience vécue, en elle-même naturelle et non contrôlée, comme on vient de le voir. De la même manière, c’est une telle experientia qui enseigne qu’une musique est encore embellie par une bonne variation de la puissance sonore, experientia subjective qui suffit à démontrer une efficience objective. Peut-être est-ce encore ainsi qu’il faut comprendre l’experientia concernant l’effet intensif d’une condensation : une substance chaude matériellement condensée agit plus fortement sur ce qu’elle réchauffe qu’avant condensation, note-t-il.445 Cela signifie-t-il

qu’Oresme a objectivement estimé la variation de l’effet de la chaleur induite par condensation ? L’effet d’une loupe est évidemment bien connu, et la combustion est interprétée comme un pur effet de la condensation. Mais le réchauffement est également éprouvé en soi et ressenti. Remarquons encore cet usage de experior : pour nier l’efficience des formules magiques, Oresme remarque que certains ont une complexion telle qu’ils n’ont jamais réussi à faire l’expérience (experiri) des démons que ces formules sont supposées forcer à venir : c’est la vision elle-même qui est recherchée et invoquée comme garantie. Généralement, l’experientia renvoie donc à une expérience ordinaire et commune, une observation ou une sensation éprouvée.

Cette expérience sentie est démonstrative et sert de preuve. Que le son possède une double dimension intensive, en hauteur et en puissance, et que ces deux dimensions soient mutuellement indépendantes, c’est l’audition qui le prouve : « Le son possède également une double intensité : l’une en hauteur, l’autre en puissance, dont on prouve la différence par expérience, puisque le son grave d’un cornet ou d’un tambour ébranle plus fortement l’oreille que le son aigu d’un chalumeau ou d’une petite fistule. »446 Elle peut également produire une illusion, mais alors une autre sensation

peut la détruire, soutenue par une réflexion causale : la sensation des vibrations d’un corps contredit celle de la continuité du son, mais la première est jugée authentique, la seconde illusoire, par une troisième expérience, celle de la toupie, nous démontre comment le discret peut sembler continu. Cette foi dans une expérience sensible subtile explique le recours aux hommes de métier. Oresme affirme que certaines réalités sont inaccordables à d’autres parce qu’en désaccord avec elles-mêmes, et il en trouve une confirmation chez cytharistes professionnels qui, dans leur métier, ont affaire à de telles cordes qu’ils nomment « fausses ».447 Lui-même d’ailleurs a une telle expérience : seul cas où

445 DC, III.5. 446 DC, II.15. 447 DC, II.18.

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Oresme convoque sa propre vie, il a fait cette expérience chez les hommes, au point d’en avoir composé un vers : « C’est pourquoi une fois j’interpellai quelqu’un qui perturbait la paix domestique par le nom d’une telle corde dans ce vers : « Corde discordante, concorde désaccordée, corde accordée448 à nos cordes, corde en accord avec toi-même. » »449

Inversement, de telles expériences ne sont qu’empiriques et peuvent être prises en défaut : les chantres n’ont pas l’habitude d’appeler pausa un silence de moins d’un temps, parce qu’elle est trop courte pour être sensible au point de rompre l’unité apparente son. Ils ont tort, mais c’est qu’ils ne vont pas jusqu’au fond causal de la nature. Oresme, lui, les appelle donc « pauses mineures », et identifie encore des pauses plus courtes et totalement insensibles en elles-mêmes, les « minimes ». Il y a d’ailleurs des hommes dont la sensibilité est trop rude pour saisir ces subtilités sensibles à d’autres : c’est l’une des raisons pour laquelle certains goûtent si peu la musique nouvelle et contemporaine. Quand la théorie, et en particulier la théorie mathématique, entre en conflit avec l’expérience, c’est la théorie qui l’emporte.

Face aux expériences sensibles, il y a encore les experimenta. L’un des usages de ce terme correspond à ce qu’Oresme traduit par « experimens »450 : ce sont les expérimentations, voire les

substances expérimentalement fabriquées, que l’on trouve décrites dans les traités magiques comme la Vacca platonis. Le mot est encore associé aux facultés occultes, effets merveilleux et « experimenta dont autrement les causes sont inconnues ».451 Dans son Livre de divinacions,

« experimens » désigne une science divinatoire, au même titre que la géomancie ou l’hydromancie. Oresme appelle encore experimenta les faits surprenants décrits par Avicenne au livre 6 de son

Canon concernant les stigmates et autres effets de l’imagination sur le corps.452 Ces experimenta ne

renvoient plus à des observations communes ou des expériences subjectives ordinaires, mais au contraire à des effets rares, complexes, d’apparence incompréhensible et occulte. Elles ne semblent pas nécessairement artificielles, puisqu’Oresme parle également sans précision d’experimenta

naturalia.453

En revanche, experior au participe passé semble renvoyer à l’experientia en tant que démonstrative, dans la formule caractéristique « experimento probatur ». C’est ainsi experimento que l’on est assuré de l’indépendance des deux paramètres du son, la hauteur intensive et la puissance, « puisque le son grave d’une trompette ou d’un tambour ébranle plus fortement l’oreille que le son aigu d’un

448 Concorda : l’expression corda nostris concorda cordis est problématique. 449 II.28.

450 LD, p.54. 451 DC, I.25. 452 II.37. 453 I.28.

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chalumeau ou d’une petite canne ».454 Là encore, l’expérience est sensorielle plutôt

qu’objectivement mesurée : c’est le comportement naturel de l’oreille qui garantit cette indépendance des variables. De même, c’est experimento que l’on sait que certaines idées sont obsessionnelles.455

Ainsi, les experimens ne semblent pas avoir de valeur démonstrative : ce sont au contraire des problèmes, des phénomènes obscures, à la limite de l’occulte et du magique qu’il est important de ramener causalement dans le cours commun de la nature. Au contraire, l’experientia est invoquée pour démontrer une existence, une efficience, une indépendance de variables. Mais elle ne fait appelle qu’à une observation somme toute facile à faire, mais qui requiert éventuellement une attention subtile aux effets sensibles éprouvés par la peau dans le contact, par l’oreille dans l’audition, par l’intellect dans la cogitation. Sans doute est-ce la raison pour laquelle la principale application concrète de sa théorie concerne la musique : les découvertes d’Oresme concernent en fait d’abord la sensation elle-même. Finalement, l’une des thèses principales d’Oresme, la potentia des configurations, n’est pas du tout une hypothèse incertaine : c’est une vérité démontrée par l’expérience sensible. Ce qui a un effet sur ma sensibilité ne peut manquer d’avoir des effets objectifs.

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