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Le texte d’Evrart de Conty nous montre qu’il s’est opéré un changement radical dans la conception de l’altération : le modèle de l’activation a été remplacé par un modèle de l’acquisitio et deperditio de degrés de qualités. Oresme utilise lui-même ces expressions quand, dans les premiers chapitres de la dernière partie, il étudie l’acquisitio (le gain) et la deperditio qualitatis (la perte). Comment expliquer ce changement de paradigme ?

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Il est bien connu que la discussion sur la nature ontologique de l’altération et de l’intensification a trouvé un terrain d’entrainement dans la question théologique de l’augmentation de la charité. J’aurai l’occasion de revenir à différentes reprises, et me contenterai ici de rappeler les éléments connus depuis les travaux de Pierre Duhem73 puis Anneliese Maier74.

Pour une raison qui reste à déterminer, cette question d’ordre ontologique s’est trouvée liée au motif de la « charité (caritas) », et c’est au sujet de la charité que les théologiens du XIIIe siècle ont discuté la nature ontologique de la variation intensive intra-spécifique. Dans la deuxième épitre de Paul aux Thessaloniciens, on lit : « Εὐχαριστεῖν ὀφείλομεν τῷ θεῷ πάντοτε περὶ ὑμῶν, ἀδελφοί, καθὼς ἄξιόν ἐστιν, ὅτι ὑπεραυξάνει ἡ πίστις ὑμῶν, καὶ πλεονάζει ἡ ἀγάπη ἑνὸς ἑκάστου πάντων ὑμῶν εἰς ἀλλήλους. » Il est donc entendu que la charité ou l’amour des uns pour les autres peut s’accroitre. Dans ses Sentences75, le père de la théologie scolastique Pierre Lombard juge nécessaire de gloser ce

point. La difficulté ne concerne pas la caritas elle-même, mais l’Esprit Saint. En effet, si l’on identifie charité et Esprit Saint, comme le fait Abélard son propre maître, alors la variation de l’un implique celle de l’autre. Or, l’Esprit Saint est aussi immuable que Dieu. Pierre Lombard convient donc que ni l’Esprit Saint, ni la caritas qui lui est identifiée, n’augmentent ni ne diminuent en eux-mêmes, mais seulement in homine. Ainsi, si l’augmentation de l’amour pose problème, ce n’est pas en tant que sentiment, mais en vertu de l’identification de cet amour avec l’Esprit Saint. Pourtant, le rejet général de cette identification chez les scolastiques ultérieurs n’a pas conduit à l’acceptation générale de la variation de la charité en elle-même : ce n’est plus l’immuabilité divine qui fait alors obstacle.

Tout théologien devait avoir commenté les Sentences de Pierre Lombard pour obtenir sa maîtrise, et c’est à l’occasion des gloses de cette distinction 17 qu’était alors généralement soulevée la question de l’augmentation de la charité. La charité n’est pas une vertu parmi d’autres : c’est celle qui résume la foi chrétienne. Selon la formule de Pierre Lombard : « La charité est l’amour par lequel on aime Dieu en raison de lui-même et son prochain en raison de Dieu ».76 Pourtant, ce sujet si singulier va

devenir l’occasion d’une étude générale concernant la « latitude des formes »

Ce n’est pas le fait que la charité ou l’amour pour Dieu possède une latitudo qui pose problème. En réalité, il était commun d’admettre quatre dimensions à la charité. Dans la Lettre de Paul aux Ephésiens (3.18), Paul prie Dieu pour que ses lecteurs soient renforcés dans leur foi, afin « que vous

73 Pierre Duhem, Le système du monde: histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic. Tome VII.

Paris : Hermann, 1956.

74 Anneliese Maier, Zwei Grundprobleme der scholastischen Naturphilosophie: Das Problem der intensiven

Grösse, die Impetustheorie. Roma : Edizioni di storia e letteratura, 1968.

75 Sentences, Livre 1, Distinction 17, chapitre 5, col.564-569. Voir Jacques Paul Migne, éd., Patrologiae cursus

completus, Vol. 192, col. 519-964.

76 « Caritas est dilectio, qua diligetur Deus propter se, proximus propter Deum. » Sentences III dist.27, Cap.2,

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puissiez comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur (ut possitis comprehendere cum omnibus sanctis, quæ sit latitudo, et longitudo, et

sublimitas, et profundum) ». Dans la Glose ordinaire telle qu’imprimée à Strasbourg en 1480, et qui

reprend l’édition de gloses compilées à Laon au XIIe siècle, cette formule mystérieuse est rapportée à la caritas, de sorte que l’apôtre semble parler désormais de la largeur, longueur, hauteur et profondeur de la charité. La glose, qui reprend Augustin, précise ce qu’il faut entendre par « largeur de la charité » ou plutôt largesse : c’est une charité, un amour, qui doit s’étendre jusqu’à ses ennemis (usque ad inimicos extendi debet), et qui doit s’accomplir dans la joie (cum hilaritate bene

operari), car celui qui donne avec tristesse perd ce qu’il donne. C’est donc un amour plus intense,

plus large qu’à l’accoutumé, sans lequel ce qu’un homme fait de bon est détruit : opus ergo est

latitudine caritatis ne pereat quidquid boni facis. Mais est également nécessaire la longueur de la

charité, longitudo caritatis, c’est-à-dire la patience ou longanimité de persévérer dans cet amour, que les injustices ordinaires refroidissent. C’est un amour « usque ad finem ». La hauteur de la charité désigne quant à elle un amour qui oriente son cœur vers le haut, c’est-à-dire qui pense à Dieu et qui agit en vue d’une récompense céleste (propter mercedem supernam). Enfin, la profondeur de la charité désigne l’aptitude à comprendre l’obscurité du jugement de Dieu, c’est-à-dire pourquoi il donne à l’un et pas à l’autre. Les deux gloses suivantes, reprenant l’enseignement d’Augustin sur le mystère de la croix, reprennent les mêmes idées en associant symboliquement chacune des quatre qualités de la charité aux quatre parties de la croix de crucifixion. L’amour doit donc être long, large, haut et profond : latitudo désigne en effet moins une dimension spécifique qu’une qualité de l’amour, sa largesse.

Pourtant, cet enseignement résolument spirituel, immédiatement significatif, va être complété par un souci tout à fait autre : la caritas, comme sentiment humain, est également une qualité naturelle, si spirituelle soit-elle, et la manière dont elle augmente entretient manifestement un lien avec la physique. C’est sur ce point que quatre positions vont se dégager vers la fin du XIIIe siècle, et c’est dans ce contexte que la charité sera mise sur le même plan que la blancheur et la chaleur77.

Selon la première opinion, exprimée dans la philosophie de Thomas d’Aquin, la charité, et plus généralement toute forme accidentelle ne peut augmenter, à moins que le sujet lui-même informé par la qualité n’augmente. Tout sujet reçoit la charité ou participe à une forme déterminée à mesure qu’il est disposé à la recevoir. La charité est la même tous, mais nous ne sommes pas également capable de la recueillir, car nous ne sommes pas également disposé à l’égard de Dieu. Il en va de

77 Duhem, Le système du monde, 1956 ; Maier, Zwei Grundprobleme der scholastischen Naturphilosophie; Jean-

Luc Solère, « Plus ou moins: le vocabulaire de la latitude des formes », L’élaboration du vocabulaire

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même en général de la participation ou réception d’une forme accidentelle : la vriation intensive de la blancheur s’explique par l’inégale limitation (delimitatio) des capacités matérielles de toute chose à accueillir une forme. S’il y a « augmentation » de la blancheur, ce ne peut être que par accident, si le sujet, et non la blancheur elle-même, augmente. Pour Thomas, il s’agit là de la solution aristotélicienne, conforme à la distinction des catégories de quantité et de qualité. L’une des conséquences, on l’a vu, est donc que l’intensification ne procède par addition de « forme à une forme ». Une autre en est que toute intensification est relative à une perfection déterminée, de même que « grand » détermine une taille différente selon qu’il est question d’une fourmi ou d’un éléphant.

Trois autres positions vont se développer pendant les années 1280 et 1300.

La seconde est celle communément appelée « théorie de la succession », élaborée par Godefroi de Fontaines. Selon lui, au cours d’une intensification, la qualité ne varie pas78, mais la forme

précédente est détruite, et remplacée par une autre, plus grande.79 C’est donc l’idée que la variation

intensive n’est pas essentiellement différente d’une altération en général. Il n’y a pas addition de parties, mais transformation totale : un tout est substitué à un autre.80 C’est ainsi qu’augmente la

luminosité au cours d’une même journée : à la douce lumière du matin succède la lumière vive de midi, sans que la seconde ne contienne la première : elle s’est substituée à elle. Cette thèse sera reprise et âprement défendue par Gauthier Burley, puis comme nous le verrons par Oresme lui- même, qui évoque très brièvement cette question ontologique dans l’étonnant chapitre ontologique II.13, et d’une manière plus précise dans ses QSP.

Henri de Gand, ardent défenseur de l’augustinisme contre Thomas d’Aquin, défendra encore une troisième position, celle du passage à l’acte81. Selon lui, dans une intensification, il y a passage à

l’acte dans le sujet de parties qualitatives : il y a accroissement de force (virtus).

Enfin, une quatrième position, la théorie dite aujourd’hui « additive » mais qui était notoirement connue comme théorie franciscaine, va être développée d’abord par Richard de Mediavilla : la variation est une addition de parties qualitatives réelles aux parties préexistentes, qu’il appelle le

gradus. C’est cette idée qui devient dominante au XIVe, et elle doit sa victoire à Duns Scot. Selon

78 Godefroid de Fontaines, Quodlibeta, quodlib. 7, quaest. 7, non publié dit Clagett, mais résumé par Duns Scot,

Sentences, Livre 1, distinction XVII, quaest. 6. Pour les références éditoriales concernant les manuscrits, voir la

bibliographie de ce travail.

79 Clagett dit que cette position est soutenue par Burley dans son De intensione et remissione formarum. 80 On peut comparer à ce que dit Oresme dans le De visione : les formes successives. Idée essentiellement liée à

la limite : devenir cercle, à partir de triangle, ce n’est pas acquérir une partie supplémentaire, mais à chaque changer de forme totale, jusqu’au cercle. Il faut noter qu’alors, pour Burley, la forme ne varie pas, mais le sujet par rapport à la forme : ce sont des substitutions de formes.

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cette théorie, lorsque l’air se réchauffe à l’approche de midi, la cause en est que le volume d’air acquiert plusieurs parties graduelles de chaleur qui s’accumulent et s’ajoutent aux parties graduelles déjà acquises par le volume d’air, à la manière d’un tas de pierres qui s’agrandit par additions successives.82 En fait, l’intensification est au même titre qu’une augmentation une question de

quantité : intensifier la luminosité, c’est augmenter le nombre de chandelles ; intensifier une

traction, c’est augmenter le nombre de chevaux.

Richard reprend à Augustin83 la distinction entre deux types de quantité, la quantité de masse

(quantitas molis) et la quantité de force (quantitas virtutis)84, mais considère la variation de l’une

exactement comme la variation de l’autre, c’est-à-dire comme addition de parties. L’amour, dit Médiavilla, est une « quantité », de sorte qu’un amour intense n’est plus que la somme d’une quantité minimale d’amour ajoutée à elle-même : une quantité minimale de force. Et c’est cette quantité de force qui est bidimensionnelle et se mesure en extension (l’ensemble des objets sur lesquelles la force s’applique) et en intension (la force avec laquelle elle s’applique à un objet). Dire que l’amour se mesure en extension et en intension se trouve déjà chez Thomas : un amour peu enthousiaste peut s’étendre sur beaucoup d’objets, et un amour passionné sur un seul. Selon le premier axe, la qualité est alors certes quantité, mais « quantitas per accidens » : c’est le sujet de la qualité qui, en fait, est plus grand. Mais à la différence de Thomas, Richard identifie la charité à la force de charité : la charité augmente donc essentiellement. Et l’augmentation de la charité consiste en l’addition d’une charité nouvelle à une charité préexistente de même nature. Mais c’est la puissance divine qui ajoute le degré supérieur de charité, et elle l’ajoute comme on ajoute quelque chose à un être imparfait.

Ses adversaires faisaient une objection commune à la théorie additive : si l’on additionne deux volumes d’eau tiède, le résultat n’est pas un volume d’eau chaude. Les degrés présentent une arithmétique singulière, non additive : l’addition substantielle engendre non une addition graduelle, mais, pourrions-nous dire, une moyenne. Jean de Bassolis, disciple de Scot, répondra à cet argument

82 L’image classique du tas de pierre est donnée par Jacques de Forli, ainsi que par Pomponazzi. Duns Scot

argumente cela dans Lectura in Librum primum Sententarium, dist.17. Voir Opera omnia, Vol.17. Studio et cura Commissionis Scotisticae, Civitas Vaticana, 1946. Pour Scot, toute augmentation implique une partie conservée et une autre ajoutée : « Auctum oportet manere », reprend-il d’Aristote dans un autre contexte. Ainsi, « Ideo

dico quod non tota realitas in maiore caritate praefuit in minore, immo est aliqua realitas in maiore caritate quae non est communis sibi et minori caritati, ita quod si separaretur maior caritas, haberet aliquem gradum maiorem intensive (sicut quando quantitas molis minor augmentatur, si post augmentationem separaretur, haberet aliquam quantitatem quam prius non habuit) », Pars 2, q.2, §177.

83 De Trinitate, VI, 8.

84 Distinction classique, qu’on trouve aussi chez Thomas, sauf que Richard appelle quantitas molis la quantitas

corporalis ou dimensiva. Voir Marshall Clagett, « Richard Swineshead and Late Medieval Physics: I. The

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classique : le paradoxe de l’addition intensive s’explique parce qu’on ajoute non pas forme à forme, mais sujet à sujet. La qualité n’existe pas sous une forme pure de toute matérialité, de toute extension : si l’on pouvait extraire la tiédeur de la matière, à additionner tiédeur sur tiédeur, alors le résultat serait effectivement du chaud ! Cette réponse, si surprenante, nous montre comment le problème de la qualité, son arithmétique singulière où une addition produit une moyenne et non une somme, tient à ce mélange ontologique entre extension et intensité, entre quantité de masse (quantitas molis) et quantité de force (quantitas virtutis). La théorie d’Oresme ne va en être que plus surprenante : alors que toute la réflexion que je viens de rappeler s’appuie sur la contradiction entre extension et intensité, et que l’arithmétique singulière des degrés la place en rupture avec les logiques connues du nombre et de la grandeur, Oresme au contraire ramène la mesure des qualités à celle des grandeurs géométriques. Il y a dans cette simple intuition un véritable tour de force.

Ces questions n’étaient pas réservées à la Faculté de théologie : en particulier, la perspective d’une quantification des degrés intensifs interrogeait aussi bien les médecins, les musiciens, les perspectivistes. On soutient parfois que la question ontologique a cessé d’intéresser les philosophes après cette première phase : à la question ontologique aurait succédé une question plus descriptive et plus métrique. On n’aurait cessé d’interroger la nature ontologique de l’intensification pour ne se soucier plus que de la manière de mesurer. Mais en réalité, comme on le voit dans les traités ultérieurs, ontologie et mesure sont presque toujours liés, ne serait-ce qu’implicitement. On peut tracer des traités De intensione et remissione formarum pendant les deux siècles qui vont suivre. Le premier grand traité sur la question au XIVe siècle sera celui de Gauthier Burley, le Tractatus

secundum intensione et remissione formarum accidentalium daté de 132585. Le traité de Gauthier

Burley semble avoir suffisamment marqué les esprits pour servir de modèle direct ou indirect des différents exposés qui suivront concernant le problème général qu’il pose, à savoir celui de la « cause interne (causa intrinseca) » de la variation intensive sensible d’une forme. En effet, Burley y identifie deux thèses connues qu’il détruite respectivement dans les chapitres 1 et 2 de son traité : selon la première, la variation intensive s’explique par le gain ou la perte de parties graduelles au cours de la variation (per additionem partis ad partem utraque parte remanente)86, selon la seconde, elle

s’explique par le plus ou moins grand mélange d’une qualité avec son contraire (per maiorem et

minorem admixtionem cum contrario). Burley n’identifie pas les sectateurs de cette seconde opinion,

que Shapiro identifie à Buridan87. A ces deux théories, Burley oppose une troisième, la sienne, qui

85 Il s’agit du second traité du De formis accidentalibus.

86 Litt. L’intensification est causée par « l’addition d’une partie à une autre, chacune étant conservée ».

87 Herman Shapiro, « Walter Burley and the intension and remission of forms », Speculum 34, no 3 (1959): 413–

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explique la variation intensive par la destruction et la génération successive de formes toujours nouvelles inégalement intenses en elles-mêmes.

Le premier traité du Liber calculationum de Swineshead, intitulé De intensione et remissione

formarum, va introduire une véritable révolution sur la question88. Néanmoins, son problème n’est

pas immédiatement ontologique et ne concerne pas la cause de l’intensification, mais plutôt la manière de la mesurer. J’indiquerai plus loin la nature de cette révolution d’ampleur, dont l’esprit, quoi qu’il en soit, relève manifestement de la doctrine additive. En effet, il soutient que l’intensio doit être mesurée ou déterminée (attendere penes quid ?) non pas par rapport au degré maximal, mais par rapport au non degré. Cette question d’apparence technique contient une révolution intellectuelle évidente mais implicite. Mesurer par rapport au degré maximal, cela suppose l’existence et la connaissance de ce degré maximal, c’est-à-dire de la perfection. En pratique, cela signifie qu’un degré de chaleur n’est mesuré que lorsqu’il est situé vis-à-vis de la valeur la plus haute, comme on l’a vu dans le cas de l’échelle galénique, et comme nous le pratiquons nous même dans nos mesures qualitatives : pour un degré de malnutrition donné, ce que nous voulons savoir, c’est si nous sommes encore loin ou déjà proche de la famine. Mesurer par rapport degré nul de famine n’a aucun intérêt. A quoi sert alors la règle de Swineshead ? Swineshead, qui s’en tient au problème abstrait, ne nous aide guère pour comprendre l’enjeu de la question. Mais on devine qu’elle sert évidemment à quelqu’un qui poserait que la perfection ne peut être connue, voire qu’elle n’est pas de ce monde, et que Dieu seul connaît le degré maximal de toute chose. Les hommes ne peuvent faire autre chose que mesurer le parcours accompli, l’effort déjà réalisé, mais il ne peut mesurer le chemin qui reste à faire. Quand Jean de Mirecourt défend cette idée pour la mesure de la perfection des espèces, il la justifie par le fait que Dieu est le seul être infiniment parfait : pour tout créature, la distance est infinie entre elle et son créateur, et toutes seraient également parfaites s’il fallait les comparer à un tel degré maximal infini89. Quand un professeur renonce à l’existence de la copie

idéale, il se met à additionner modestement les bons points. Le résultat sera peut être bien loin du bien idéal, mais il relèvera qu’un mauvais argument est mieux que rien. Ce que propose Swineshead est donc, semble-t-il, la manière de mesurer que devrait naturellement adopter un nominaliste cohérent.

88 Richard Swineshead, Liber calculationum, Venise : 1520.

89 Murdoch, J. E. « Subtilitates Anglicanae in Fourteenth‐Century Paris: John of Mirecourt and Peter Ceffons ».

Annals of the New York Academy of Sciences, 314(1) (1978), 51-86, également édité in Cosman, M. P., &

Chandler, B. (Eds.). (1978). Machaut's world: science and art in the fourteenth century (Vol. 314). New York academy of sciences, p.60.

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Quand Jacques de Forli, à son tour, compose un important traité De intensione et remissione

formarum90, vers 1381-4 au début de sa période artienne, c’est pour défendre la doctrine additive et

attaquer la thèse successive et celle du mélange. Mais la question ne sera pas pour autant entendue, et l’on voit encore Pietro Pomponazzi, en 1514, composer à son tour son propre De intensione et

remissione formarum91, où l’on apprend que la doctrine de « Swineshead » est généralement

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