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Contrairement à la question de l’interdiction du recours à la « menace » dans les relations internationales, celle du « recours à la force » a quant à elle fait l’objet d’une littérature juridique abondante243, quoiqu’elle n’ait pas été définie par la Charte des Nations Unies. Toutefois, partant

du « Dictionnaire de droit international public » de Jean SALMON, il ressort que l’interdiction du recours à la force évoque un principe selon lequel le recours à la force — dont la guerre n’est qu’une forme — est prohibé244. La notion de « recours à la force » peut aussi être déduite de la

résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale portant sur la Déclaration relative aux principes du

droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, qui considère que le principe du non-recours à la force est le devoir pour les États : « de s’abstenir d’organiser ou d’encourager l’organisation de forces irrégulières ou de bandes armées, notamment de bandes de mercenaires, en vue d’incursions sur le territoire d’un autre État » ainsi que « de s’abstenir d’organiser et d’encourager des actes de guerre civile ou des actes de terrorisme sur le territoire d’un autre État, d’y aider ou d’y participer, ou de tolérer sur son territoire des activités organisées en vue de perpétrer de tels actes,

242 François DUBUISSON et Anne LAGERWALL, « Que signifie encore l’interdiction de recourir à la menace de la force ? » in K. Bannelier et al. (dir.), L’intervention en Irak et le droit international, Paris Pedone, 2004, pp.83- 104.

243 On se contentera notamment de renvoyer à la monographie d’Olivier CORTEN sur le sujet : Le droit contre la

guerre. L’interdiction du recours à la force en droit international contemporain, Paris, Pedone, 2014, 932 p. V. également

William Elliott BUTLER (éd.), The Non-Use of Force in International Law, Dordrecht/Boston/London, Martinus Nijhoff Publishers, 1989, 247 p.; Belatchew ASRAT, Prohibition of Force Under the UN Charter : A Study of Art.

2(4), Uppsala, Iustus Forlag, 1991, 275 p. ; Nico SCHRIJVER, « Article 2 paragraphe 4 », loc. cit. ;

Enzo CANNIZZARO,Paolo PALCHETTI (ed.), Customary International Law on the Use of Force : A Methodological

Approach, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2006, 347 p. Sur l’emploi du recours à la force dans le

cadre des opérations de maintien de la paix : J. Cardona LLORENS, « Le maintien de la paix et le recours à la force : entre l’autorisation des opérations de maintien de la paix et l’externationalisation » : in Rafâa BEN ACHOUR, Slim LAGHMANI (dir.), Le droit international à la croisée des chemins. Force du droit et droit de la force, Paris, Pedone, 2004, 442 p., p. 77- 103.

244 Jean SALMON (dir), Dictionnaire de droit international public, op. cit., p. 595.

lorsque les actes mentionnés dans le présent paragraphe impliquent une menace ou l’emploi de la force »245. Il est

également dit dans cette résolution que les États doivent s’abstenir de fomenter des bandes armées capables de nuire à la sécurité d’un autre État. Cette Déclaration condamne aussi l’appui à la guerre civile et au terrorisme.

Revenant de ce de fait à la notion de « force », il faudrait rappeler qu’il s’agit bien de la « force armée » qui, selon l’article 43 du protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève de 1949, représente toutes les forces, tous les groupes et toutes les unités armées d’une partie au conflit qui sont placés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés devant cette partie. Ainsi, considérée aujourd’hui comme l’expression la plus appropriée pour désigner le terme de « guerre » 246, la « force armée » reste toutefois la forme la

plus grave du recours à la force.

En effet, la Charte des Nations Unies n’a pas défini le « recours à la force ». Elle n’a fait que l’interdire à travers son article 2 § 4. Et cette interdiction tire ses sources des grands textes qui ont marqué l’évolution du principe du non-recours à la force dans les relations internationales, durant la première moitié du XXe siècle. Il s’agit entre autres, de l’article 11 § 1 du Pacte de la

SdN qui mentionnait qu’ : « Il est expressément déclaré que toute guerre ou menace de guerre, qu’elle affecte directement ou non l’un des membres de la Société, intéresse la Société tout entière et que celle-ci doit prendre les mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des nations (…) ». Également de l’article 1er du Pacte de Paris du 27 aout 1928 qui disposait que :

« Les Hautes Parties contractantes déclarent solennellement au nom de leurs peuples respectifs qu’elles condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu'instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles ».

Cependant, en se distinguant par son interdiction rigoureuse de la guerre, voire de « tout recours à la force », l’article 2 § 4 de la Charte a apporté une particularité au principe du non- recours à la force. En effet, aux termes des discussions qui ont précédé l’adoption de la Charte, il résulte que les Pactes de la SdN et de Paris ne couvraient pas toutes les modalités du recours

245 [En ligne], https://treaties.un.org/doc/source/docs/A_RES_2625-Frn.pdf à la page 133, document consulté le 11 mai 2017.

246 Entendu comme une confrontation armée effective conduite par les armées des États belligérants.

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à la guerre ; les mesures de « short war », étant en revanche, non interdites donc autorisées247.

De ce fait, l’idée d’une réelle interdiction du recours à la force va être évoquée à la Conférence de San Francisco. Et cette idée va se retrouver dans la proposition d’amendement au paragraphe 3 du Chapitre II du projet de Dumbarton Oaks, projet précurseur à la base de la rédaction de l’article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies en ses termes : « All members of the

Organization shall refrain in their international relations from the threat or use of force in any manner inconsistent with the Purposes of the Organization »248. Ce caractère absolu que revêt l’interdiction impliquerait

donc qu’il y ait une vraie confiscation du pouvoir de l’usage de la force au détriment des États ; un usage de la force qui comme l’indique la lettre de la Charte devrait être le monopole du Conseil de sécurité. Oui, l’usage de la force contre un acteur de la société internationale est interdit à tout Membre de l’Organisation. Mais cet usage n’est pas interdit au Conseil de sécurité qui tire de la même Charte, son fondement.

En effet, comme l’a relevé Nils KREIPE, à la différence de la proposition de la Norvège, l’amendement de l’Australie ne visait pas un encadrement par le Conseil de sécurité d’un recours à la force militaire par des États. Il visait clairement à rendre totale l’interdiction de recourir à la force s’adressant aux États249. Ainsi, cet amendement, pour lequel la majorité des délégués

présents à la Conférence de San Francisco a opté, a complété le texte du projet de Dumbarton Oaks en ses termes : All members of the Organization shall refrain in their international relations from the

threat or use of force against the territorial integrity or political independence of any state, or

in any other manner inconsistent with the Purposes of the Organization250.

247 Les mesures du « short of war » sont cellles qui étaient autorisées voires non interdites par le droit international, puisqu’à l’époque il s’agissait des opérations militaires limitées et circonscrites, ou représailles armées ciblées; Cf. CHM. WALDOCK, « The Regulation of the Use of Force by individual States in International Law » (n°81),

in: Collected Courses of the Hague Academy of International Law, The Hague Academy of International Law, pp. 467-468,

471-472 et 475-476, consulted online on 04 September 2018, http://dx.doi.org/10.1163/1875- 8096_pplrdc_ej.9789028611825.451_517.1, First published online: 1952.

248 Nous traduisons: « Tous les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales de la menace ou de l’utilisation de la force dans toute manière incompatible avec les buts de l’Organisation »; Cf. Nils KREIPE, Les autorisations données par le Conseil de sécurité des Nations Unies à des mesures militaires, L.G.D.J., Thèses, Bibliothèque de droit international et droit de l’Union européenne tome 123, 2009, p. 17.

249 Nils KREIPE, Les autorisations données par le Conseil de sécurité des Nations Unies à des mesures militaires, op. cit., p. 21. 250 V. en français l’article 2 § 4 actuelle de la Charte des Nations Unies : Les Membres de l’Organisation s’abstiennent,

dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ; cf. Nils

KREIPE, Les autorisations données par le Conseil de sécurité des Nations Unies à des mesures militaires, op cit. note de bas de page n° 55, UNCIO, Vol.3.2, Doc.2, G/14(1) (le rajout se trouve dans les caractères gras).

Par ailleurs, il ressort de la lecture des différents textes et de la doctrine que la volonté des États, en adoptant la proposition australienne, était de taire les idées reçues selon lesquelles l’interdiction contenue dans la proposition originale c’est-à-dire celle de Dumbarton Oaks n’était qu’une restriction faite aux États et non une interdiction. En plus, l’existence de l’article 51 de la Charte relative à la légitime défense des États confirme l’absence d’ambigüité voire d’exceptions pouvant être déduites de l’article 2 § 4. Et le fait que la Charte prévoit expressément le droit de recourir à la force armée dans l’exercice du droit de légitime défense peut en revanche démontrer a contrario qu’il n’existe pas d’autre exception251.

De même, la notion du recours à la force peut être déduite de l’Avis consultatif de la CIJ sur les Activités Militaires et Paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci. En effet, par 12 voix contre 3, la Cour avait décidé que les États-Unis d’Amérique par certaines de ses attaques effectuées en territoire nicaraguayen en 1983-1984 et autres, ainsi que par les actes d’intervention impliquant l’emploi de la force à l’encontre de la République du Nicaragua, ont, à l’encontre de la République du

Nicaragua violé les obligations que leur impose le droit international coutumier de ne pas recourir à la force contre un autre État252. Il s’agissait concrètement du reproche fait aux États-Unis de fournir des armes

et d’entraîner des bandes armées en vue de nuire à d’autres États ; ce qui constituerait un usage illégal de la force armée et par conséquent contraire au droit international.

En somme, il est clair que, comme la « menace de recourir à la force », le « recours à la force » n’a pas de définition toute faite. Par conséquent, sa signification a pu être déduite d’autres textes et articles. Tout compte fait, au regard de la rédaction du texte sur l’interdiction du recours à la force contenu à l’article 2 § 4, l’on a pu relever qu’il ne s’agit pas d’une interdiction absolue du recours à la force. En effet, aussi particulier soit – il, l’article 2 § 4 mentionne une possibilité pour les États de recourir légalement à la force.

251 Nils KREIPE, Les autorisations données par le Conseil de sécurité des Nations Unies à des mesures militaires, op. cit, p. 24. ; il ne serait donc pas judicieux de soutenir au nom d’un principe qui voudrait que tout ce à quoi les États n’ont pas

renoncé leur est autorisé, que les États disposent toujours d’un droit de recourir à la force (ce qu’affirme Serge SUR,

« Aspects juridiques de l’intervention des pays membres de l’OTAN au Kosovo », in : Annuaire français de droit

international, volume 45, 1999. pp. 280-291, [En ligne], http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1999_num_45_1_3564, page consultée le 08 mai 2013, réactualisé le 1er septembre 2018.

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Paragraphe II : Les fins visées par l’article 2 § 4 de la Charte

L’article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies interdit aux États d’utiliser leurs forces armées soit « contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État », soit « de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Lu a contrario, il ressort de ce texte que la force armée peut légalement être utilisée, lorsque l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un État est en jeu, ou encore lorsque les buts poursuivis par les Nations Unies sont en péril. Ainsi, l’article 2 § 4 reste assez particulier en ce sens qu’il ne formule pas une interdiction générale du recours à a force, bien au contraire, il y consacre deux restrictions spéciales à l’usage de la force. En effet, selon l’article 2 § 4 de Charte, l’usage de la force reste légal s’il s’agit de défendre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État (A) ou encore quand il s'agit de respecter et de préserver les buts des Nations Unies (B) fixés par la Charte.

A : L’interdiction du recours à la force contre l’intégrité territoire ou

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