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B : La légitime défense selon la Charte des Nations Unies

Consacrée par la Charte des Nations, la légitime défense est de nos jours un concept de droit international qui a évolué dans le temps et dans le cadre d’une société interétatique elle-même en mouvement. En effet, bien avant l’apparition de la notion de légitime défense dans les relations interétatiques, chaque État organisait sa défense et son autoprotection via l’usage de sa force armée lorsqu’il le jugeait nécessaire. Ainsi selon Antonio CASSESE, « étant donné qu’avant 1919, le droit international ne faisait aucune restriction à l’emploi de la force ou pour mettre en œuvre de manière coercitive le droit ou encore pour protéger des intérêts politiques, économiques ou militaires, il n’y avait aucune raison pour qu’il existât une norme spécifique qui autorise la légitime défense ?» 288

En effet, ce n’est qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale que les États victorieux se sont entendus pour limiter la guerre et l’emploi de la force dont jouissaient traditionnellement les États dans leurs relations. Ainsi, ayant déjà fait l’objet de plus amples exposés, l’on ne saurait s’attarder ici sur les développements concernant l’historique de la création de l’ONU. Cependant, il convient brièvement de rappeler que l’un des premiers accords internationaux tendant à encadrer le recours à la guerre289 fut le Pacte de la SdN de 1919. D’ailleurs, ce Pacte

287 Jaroslav ZOUREK, « La notion de légitime défense en droit international – Rapport provisoire » (1975) 56 Ann.inst. dr. int. 1 à la p. 12 [ZOUREK, « Légitime défense en droit international »].

288 Antonio CASSESE, « Commentaire de l’article 51 » dans Jean-Pierre COT et Alain PELLET, (dir.), La Charte

des Nations Unies: commentaire article par article, op.cit. 1329 à la p. 1330.

289 En ce sens, l’article 11 du Pacte de la SdN stipule qu’« [i]l est expressément déclaré que toute guerre ou menace de guerre, qu’elle affecte directement ou non l’un des Membres de la Société, intéresse la Société tout entière et que celle-ci doit prendre des mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des Nations ».

qui réglementait le recours à la guerre, mais ne l’interdisait pas, a montré ses limites parce qu’il présentait des « fissures qu’il va falloir boucher »290.

Plus encore, le Pacte de la SdN ne comportait aucune disposition relative à la légitime défense. Il a fallu attendre le Pacte Briand-Kellogg, d’août 1928 pour pouvoir poser indirectement, mais effectivement, le problème de la légitime défense. Ainsi, selon l’article premier de cet accord, « [l]es Hautes Parties contractantes déclarent solennellement qu’elles condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles »291. Dans ces

conditions, l’usage de la force dans l’hypothèse de la légitime défense ne serait assimilable à une guerre. Ce rapprochement entre ces deux notions est envisageable ; ce qui n’a pas échappé aux initiateurs dudit Pacte puisqu’avant même l’adoption de ce texte, le secrétaire d’État américain Kellogg avait précisé dans son discours du 28 avril 1928 que « le traité proposé ne restreignait ni ne

gênait, en quoi que ce soit, le droit de légitime défense »292. Sa position a été acceptée par d’autres États

participant aux négociations.

Finalement, la notion de légitime défense a été consacrée concrètement par la Charte dans son article 51 en dépit de l’utilisation qui en avait été faite avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. Cette reconnaissance effective de la légitime défense dans la Charte n’en a pas fait une norme admise par tous et d’application uniforme dans le cadre de la société internationale. Elle reste une notion ambiguë comme le montrent les étapes de sa reconnaissance normative. En effet, avec la Charte de 1945, le recours à des moyens pacifiques de règlement des différends (article 2 § 3) a été privilégié et le recours à la force dans les relations internationales prohibé (article 2 § 4). Et en contrepartie de cet abandon de l’usage de la force armée, la Charte a mis en place un système de « sécurité collective » qui donne le pouvoir au Conseil de sécurité de maintenir la paix et la sécurité internationales. Mais ce système de sécurité collective ne peut empêcher les États de réagir dans l’urgence à une situation d’agression. C’est

290 Jaroslav ZOUREK, « La notion de légitime défense en droit international », A.I.D.I., 1975, vol. 56, pp. 1-79, pp. 28 et s ; d’une part, les décisions de la SdN ne peuvent être prises qu’à l’unanimité, ce qui va s’avérer rapidement problématique, et, d’autre part, l’encadrement du recours à la force est limité puisqu’il ne va pas jusqu’à une interdiction totale de la guerre.

291 Cf. l’article 1er du Pacte de Paris ; pour le texte intégral du Pacte, voir [En ligne], http://mjp.univ-

perp.fr/traites/1928briand-kellogg.htm, page consultée le 12 mai 2017.

292 Jaroslav ZOUREK, « Légitime défense en droit international », op. cit, pp. 32-33. L’auteur reproduit une note du gouvernement des États-Unis reprenant la position exprimée par Kellogg et adressée le 23 juin aux autres

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la logique que dégage l’article 51 de la Charte ; ce dernier reconnaît que rien dans la Charte ne porte atteinte au « droit naturel de légitime défense des États, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée ».

En effet, outre cette reconnaissance de droit naturel à la légitime défense, la Charte conçoit également que la légitime défense puisse être individuelle ou collective ; ce qui implique une consécration implicite du rôle des alliances militaires défensives. Ainsi, le droit de légitime défense peut s’exercer de manière individuelle ou de manière collective dans le cadre d’une alliance militaire et permettre à un État qui n’est pas directement atteint d’intervenir au nom d’un accord de défense le liant au pays agressé.

Par ailleurs, la légitime défense collective est la faculté pour un État qui n’est pas directement agressé d’intervenir au nom d’accords de défense le liant à un État agressé. C’est en quelque sorte le droit qui appartient à un État de faire usage de la force pour assister un autre État lorsque celui-ci est victime d’une agression armée. En revanche, la Charte n’a pas défini ses conditions d’exercice. Pourtant, la légitime défense collective a été exercée à plusieurs reprises. Elle a été invoquée par les États-Unis au Liban en 1958, au Viêt Nam et à Saint-Domingue, contre le Nicaragua293 en 1985, et par l’URSS pour justifier ses interventions à Prague (1968) et en

Afghanistan (1979). Aussi en ce qui concerne la coalition d’États, comme celle des Alliés du Koweït lors de son invasion par l’Irak.

En outre, force est de reconnaitre que les premières années de l’après-guerre ont vu se développer des accords de coopération pour la défense. Cependant, l’existence d’un accord préalable avec l’État agressé n’était pas nécessaire pour que puisse être invoquée la légitime défense collective. Ainsi, tout État pouvait légitimement porter assistance à un État victime d’une agression armée même si cette assistance n’est demandée qu’au moment de l’attaque ou après même celle-ci. De ce fait, la CIJ précisait dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires

au Nicaragua c/ États-Unis, « qu’en droit international coutumier… aucune règle ne permet la

293 S’agissant de l’intervention américaine au Nicaragua, la CIJ a été amenée à préciser que « dans le cas de légitime défense individuelle, ce droit ne peut être exercé que si l’État intéressé a été victime d’une agression armée. L’invocation de légitime défense collective ne change évidemment rien à cette situation (...). Il est clair que c’est l’État victime d’une agression armée qui doit en faire la constatation. Il n’existe, en droit international coutumier, aucune règle qui permettrait à un autre État d’user du droit de légitime défense collective contre le prétendu agresseur en s’en remettant à sa propre appréciation de la situation » (arrêt du 27 juin 1986, Activités militaires et

paramilitaires au Nicaragua, Rec. 1986, p.103).

mise en jeu de la légitime défense collective sans la demande de l’État se jugeant victime d’une agression armée. La Cour conclut que l’exigence d’une demande de l’État victime de l’agression alléguée s’ajoute à celle d’une déclaration par laquelle cet État se proclame agressé »294.

S’agissant de la légitime défense individuelle, elle est connue comme étant le « droit d’un État d’avoir recours à la force armée pour se mettre à l’abri de l’agression dont il est directement la victime ». En effet, la légitime défense est dite individuelle lorsqu’elle est le fait d’un État agissant en son propre nom, comme cela a été le cas du Royaume-Uni lors de la guerre des Malouines en 1982295.

Tout compte fait, selon l’article 51, le droit de légitime défense individuelle ou collective ne s’exerce que jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la

sécurité internationales. C’est dire que les États ayant eu recours à la légitime défense doivent

immédiatement porter à la connaissance du Conseil de sécurité les mesures prises. Certes, ces mesures n’affectent en rien le pouvoir et le droit qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir et rétablir la paix et la sécurité internationales296, mais une fois que le Conseil de sécurité s’est saisi d’une affaire, toute

autre action qui aurait été entreprise par quelque organe que ce soit, se trouve suspendue, voire annulée. En d’autres termes donc, la liberté d’action dont les États jouissent au moment où ils sont victimes d’une agression armée n’est, du point de vue de la Charte, que temporaire. Ainsi, dans un monde où la légitime défense est pratiquement la seule voie pour les États de recourir à la force légalement, la nécessité d’avoir des éléments d’effectivité de la légitime défense d’une part et d’autre part l’intervention du Conseil de sécurité représenterait un rempart pour éviter les abus.

294 Cf. le paragraphe 199 de l’Avis de la CIJ, arrêt du 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua,

Rec. 1986.

295 La guerre des Malouines ou guerre de l’Atlantique Sud est un conflit qui a opposé l’Argentine au Royaume- Uni dans les îles Malouines, Géorgie du Sud et Sandwich du Sud. Il a commencé le 2 avril 1982 avec le débarquement de l’armée argentine et s’est terminé le 14 juin 1982 par un cessez-le-feu avec la victoire britannique. Une victoire qui permit au Royaume-Uni d’affirmer sa souveraineté sur ces territoires. Le conflit est causé par la volonté de la dictature argentine de faire valoir par la force ses positions sur la souveraineté de ces archipels, placés par les Nations Unies sur la liste des territoires contestés. Le conflit s’inscrit dans la continuité des controverses qui commencent dès la découverte de ces îles qui ont été occupées successivement par la France, l’Espagne puis le Royaume-Uni.

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Paragraphe II : Les conditions de mise en oeuvre du droit de légitime

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