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La forme juridique de l’autorisation : de la recommandation à la décision d’autoriser les États à employer « tous les moyens

Paragraphe I : Le déclenchement de la technique de l’autorisation

B. La forme juridique de l’autorisation : de la recommandation à la décision d’autoriser les États à employer « tous les moyens

nécessaires »

La résolution portant autorisation de recourir à la force peut être une recommandation ou une décision. En effet, dans les premiers temps, le Conseil de sécurité recommandait aux Membres de l’Organisation d’apporter toute l’aide nécessaire à l’État en difficulté afin de repousser les agresseurs et de rétablir la paix et la sécurité internationales. Cependant, bien

471 Cette résolution prévoyait la tenue d’élections libres dans le but d’unifier la Corée en seul État.

472 Barthélémy COURMONT, Commentaire sur la résolution 84 (1950) : Plainte pour agression contre la République de

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qu’ayant force exécutoire, cette première génération d’avis du Conseil de sécurité va évoluer de la recommandation à la décision, et ce à partir des années 1990.

Cela dit, avant d’approfondir les développements sur cette évolution de la forme juridique de l’autorisation, il conviendrait de revenir très brièvement sur les notions de recommandation et de décision. En effet, aux termes du Dictionnaire de la terminologie du droit international de Jules BASDEVANT, en droit international, le terme décision désigne dans un sens plus généreux une prise de position arrêtée par un organe d’une organisation internationale ou au cours d’une conférence internationale, sous forme de résolution473 n’ayant pas nécessairement

un effet obligatoire. Toutefois, dans un sens plus réduit, la décision est utilisée pour désigner une résolution ayant force obligatoire soit à l’égard de l’organisation internationale dont elle émane, soit à l’égard des États Membres auxquels elle s’adresse474.

En prenant en compte ce deuxième aspect de la définition de la décision, il faut dire qu’elle se distingue de la simple recommandation475 qui est une résolution d’un organe international

dépourvu en principe de force obligatoire pour les États Membres, préconisant une certaine manière d’agir, mais qui, d’après les dispositions régissant cet organe, ne comporte en principe, pas pour l’État auquel elle s’adresse, obligation de s’y conformer476.

Ainsi donc, ayant pour première mission de fixer des droits et obligations au profit ou à l’encontre de ceux à qui elle s’adresse, la décision peut être entendue d’une mesure prise par une autorité investie du pouvoir d’appliquer une règle de droit à une situation particulière, « dans un

espace donné, à un moment précis »477. Et c’est dans ce dernier sens que doivent être normalement

interprétées les mesures exécutoires de caractère coercitif prises par le Conseil de sécurité.

473 Jules BASDEVANT, Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris, éd. Sirey, 1960, p. 539 : pour lui, « la Résolution est un terme employé dans un sens général pour désigner une proposition adoptée par une conférence, un congrès, une commission, un organe international que ce soit une recommandation, un avis, un vœu ou une décision ayant force juridique ».

474 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 8ème édition, Quadrige, 2007, p. 268 ; Jules BASDEVANT, Dictionnaire de la terminologie du droit international, op. cit. p. 186 et 187.

475 Résolution émanant d'une organisation internationale et qui en principe n'a pas force obligatoire à l'égard des États membres.

476 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit. ;. Jules BASDEVANT, Dictionnaire de la

terminologie du droit international, op. cit, p. 506.

477 Diane DEMERS, « Les concepts flous, l’interprétation constructiviste et la modélisation », dans Claude THOMASSET et Danièle BOURCIER (dir.), Interpréter le droit : le sens, l’interprète, la machine, Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 230.

Revenant concrètement à l’évolution dans la formulation des résolutions du Conseil de sécurité, il faut reconnaitre que c’est à partir de 1990, avec la chute du mur de Berlin et la renaissance du Conseil de sécurité en tant qu’organe principal des Nations Unies, que ce dernier a pris de l’assurance dans ses dispositions. En plus, le Conseil de sécurité passe de la formule de

recommande aux Membres de l’Organisation478 à celle de autorise les États Membres à employer tous les moyens nécessaires479.

En effet, les premières autorisations à recourir à la force, accordées par le Conseil de sécurité aux États Membres l’ont été par le biais de recommandations et non de décisions. L’utilisation dans les résolutions du verbe « recommander » au lieu du verbe « décider » ou d’autres verbes à caractère obligatoire lève toute ambiguïté quant à la volonté qu’avait le Conseil de sécurité de recommander et non d’imposer ces mesures. Ainsi, dans la crise coréenne le Conseil de sécurité n’avait d’autres choix à l’époque que de fonder son autorisation de recourir la force sur son pouvoir de recommandation. Mais ce qui a été problématique dans ce cas fut l’affirmation visant à faire de l’article 39 le fondement de cette recommandation. Ainsi selon Marie-Françoise LABOUZ, « La résolution du 27 juin 1950 procède […] d’un raisonnement dérivé et conscient du Conseil de sécurité, caractéristique de la fiction normative. Le Conseil de sécurité compétent selon la Charte pour recommander des sanctions non armées, s’avisant de son impossibilité d’imposer aux États Membres, en l’absence des accords spéciaux prévus à l’article 43, le déclenchement d’une coercition militaire, fait comme s’il pouvait à tout le moins la recommander » 480, surtout que jamais que ce soit dans les résolutions 82, 83 ou 84 (1950), il n’a

été expressément cité nulle part cette disposition481. Cependant, du fait de la qualification

préalable de la situation par le Conseil de sécurité – à savoir une rupture de la paix – on a donc supposé qu’il entendît se placer dans le cadre de cette disposition de la Charte. Par conséquent, la principale question qui s’est posée, était celle de déterminer si l’article 39 habilitait le Conseil

478 Cf. la guerre de la Corée en 1950 avec la Résolution 83 du Conseil de sécurité. 479 V. la guerre du Golfe avec la Résolution 665 du Conseil de sécurité.

480 Marie-Françoise LABOUZ, L’ONU et la Corée : Recherches sur la fiction en droit international public, Publications Universitaires de Paris, Paris, 1980, p. 163 et 164. L’auteur voit l’une des fictions juridiques essentielles de l’intervention en Corée ; Philippe LAGRANGE, « Sécurité collective et exercice par le Conseil de sécurité du système d’autorisation de la coercition », dans Les métamorphoses de la sécurité collective, Droit, pratique et enjeux

stratégiques, Éd. Pedone, Paris 2005, à la note de bas de page N° 8 de son article.

481 Philippe LAGRANGE, « Sécurité collective et exercice par le Conseil de sécurité du système d’autorisation de la coercition », dans Les métamorphoses de la sécurité collective, Droit, pratique et enjeux stratégiques op. cit., p. 60.

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de sécurité à prendre, par voie de recommandation, les mesures coercitives prévues à l’article 42, étant entendu qu’il a procédé à la qualification préalable de la situation482.

Par ailleurs, après 1950, avant de passer à la formule de décision, le Conseil de sécurité avait, à nouveau, recouru à son pouvoir de recommandation. Ainsi, dans l’affaire rhodésienne à travers sa résolution 221 (1966), le Conseil de sécurité « prie » le Gouvernement du Royaume-Uni, de la Grande-Bretagne et d’Irlande d’empêcher, « au besoin par la force », toute violation de l’embargo qu’il avait décidé en vertu du Chapitre VII, en autorisant au surplus le Royaume-Uni à saisir et à détenir le navire nommément désigné – le Joanna-V –, coutumier (responsable) de ces violations483.

À partir des années 1990, à la faveur de l’embellie des relations entre ses Membres, le Conseil de sécurité va prendre de l’assurance dans sa prise des résolutions. Il va donc passer des résolutions-recommandations aux résolutions-décisions. En effet, cette évolution s’est concrétisée pour la première fois lors de la crise du Golfe avec la fameuse résolution 678 à l’occasion de laquelle le Conseil de sécurité à commencer par employer sa nouvelle formule. Ainsi, c’est agissant en application du Chapitre VII de la Charte que le Conseil de sécurité

Autoris(a) les États Membres (…) à user de tous les moyens nécessaires (…) pour rétablir la paix et la

sécurité internationales dans la région484.

En effet, dans cette résolution, il faut relever que le Conseil de sécurité n’a ni recommandé ni

prié les États Membres d’agir. Il a d’abord exigé, ensuite autorisé et enfin demander aux États d’agir.

Effectivement, alors que les verbes « exiger, autoriser et demander » sous-entendent une certaine

482 Alfred VERDROSS, Idées directives de l’Organisation des Nations Unies, RCADI, tome 83, 1953-2, p. 55 ; Ali KARAOSMANOGLU, Les actions militaires coercitives et non coercitives des Nations Unies, Genève, Droz 1970, p. 247 ; Voir également Jean COMBACAU, Le pouvoir de sanction de l’ONU ; étude théorique de la coercition non

militaire, Paris, Pedone, 1974, p. 145 ; Monique CHEMILLIERGENDREAU, « L’ONU devant la guerre :

l’esprit et la lettre » (1991) 40 Revue d’Études palestiniennes 44-45.

483 Cf. la Résolution 221 du 9 avril 1966, par. 5 du dispositif (adoptée par dix voix contre zéro, mais avec cinq abstentions : Bulgarie, France, Mali, URSS, Uruguay), résolution consultée le 20 mai 2013 sur http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/221(1966)&Lang=E&style=B ; cité en note de bas de page par Philippe LAGRANGE in « Le Conseil de sécurité et ses autorisations de prendre toutes les mesures nécessaires », op, cit. p.206-207.

484 Cf. la Résolution 678 (1990) du 29 nov 1990 du Conseil de sécurité en son paragraphe 2, consulté le 20 mai 2013 [En ligne], http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/678(1990); ou encore https://undocs.org/fr/S/RES/678(1990).

injonction de la part du Conseil de sécurité, le verbe « recommander » quant à lui préconisait simplement un conseil voire un avis.

Le Conseil de sécurité dépasse ainsi la simple recommandation. Ce qui démontre une certaine gradation dans sa pratique. Les résolutions du Conseil de sécurité passent de ce fait d’une simple recommandation à une véritable décision. L’aspect « décisionnel » de la résolution 678 (1990) et des autres résolutions qui vont lui succéder, s’analyse au regard des termes qui seront utilisés. Et, si la formule « d’autorise les États Membres à user de tous les moyens nécéssaires… » a été reprise plusieurs fois dans des situations ultérieures, il faut reconnaitre que l’opération militaire baptisée « Tempête du Désert » et menée par le groupe des alliés du gouvernement du Koweït (la Coalition), représente sans aucun doute un recours « international » à la force485.

Ainsi, depuis la crise du Golfe, le Conseil de sécurité a autorisé les États à user de tous les moyens nécessaires pour rétablir la paix et la sécurité dans la région486. Ce changement de l’acte

juridique est motivé par le besoin d’avoir des instruments juridiques plus efficaces.

Certes l’enjeu de l’autorisation accordée par le Conseil de sécurité lors de la guerre du Golfe reste clairement la légitimation juridique des mesures militaires prises au regard de l’interdiction du recours à la force par des États dans leurs relations internationales, mais contrairement à d’autres opérations dites « autorisées », ce n’est pas le principe de la non- intervention dans les affaires intérieures qui est en jeu487. La question qui se pose n’est plus de savoir si le Conseil a le

droit d’autoriser le recours à la force, mais préférablement de s’interroger sur les conditions de validité de cette autorisation du Conseil de sécurité.

485 Nils KREIPE, Les autorisations données par le Conseil de sécurité des Nations Unies à des mesures militaires, 2009, LGDJ, Paris, p.68.

486 La Résolution 678 du 29 novembre 1990, en son paragraphe 2, a servi de base aux opérations « Provide Comfort » et « Surveillance du Sud ».

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Paragraphe II : Les conditions de validité de l’autorisation de recourir à la

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