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Les rédacteurs de la Charte ont conçu la légitime défense comme une sorte de parenthèse limitée dans le temps, permettant aux États de réagir immédiatement par rapport à une agression armée jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait le temps de prendre les mesures nécessaires, pour le maintien de la paix. En plus, selon l’article 51 de la Charte, les mesures prises par les Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense doivent être immédiatement portées à la connaissance du Conseil afin qu’il puisse exercer un contrôle sur ces mesures. Cependant, la pratique a montré que le veto d’un des cinq Membres permanents du Conseil peut paralyser son

318 Patrick RAMBAUD a parlé d’une définition conforme au droit des Nations Unies dans « la définition de l’agression par l’ONU », R.G.D.I.P., Tome LXXX, 1976, p. 836, pp. 841-863.

319 Voir. Aziz HASBI et Mohamed LAMOURI, « La définition de l’agression à l’épreuve de la réalité » in Discours

juridique sur l’agression et réalité internationale. Réalités du droit international contemporain, 6e Rencontres de Reims, Publications universitaires de Reims, 1982, pp. 25-52.

action, ce qui conduirait à le rendre incapable pour qualifier une situation ou pour prendre les mesures nécessaires au rétablissement de la paix.

En effet, pour être licite, l’usage de la force au titre de la légitime défense doit être nécessaire et proportionnel à l’agression subie. Certes, l’article 51 de la Charte ne mentionne pas explicitement ces deux éléments comme conditions de licéité de la légitime défense, mais force est de constater qu’en mentionnant une « défense » en cas d’« agression armée », cette disposition laisse germer l’idée selon laquelle la mesure doit être nécessaire pour repousser cette agression, et proportionnée en fonction de cet objectif. L’expression « jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales » montre bien que, pour être conforme au droit international, la légitime défense doit être nécessaire, ce qui n’est plus le cas si le Conseil de sécurité assume ses responsabilités en encadrant l’usage collectif de la force.

Revenant concrètement aux conditions ci-dessus mentionnées, on note que, par « nécessité », on entend le fait pour l’État de ne pas pouvoir réagir autrement. En d’autres termes, la nécessité se conçoit pour un État comme le fait qu’il n’ait aucun autre moyen de se soustraire au danger. En effet, cette nécessité de recourir à la force suppose la réponse à une agression armée, faute d’une autre mesure plus appropriée et dans le but de mettre fin à une agression ; et cette réaction doit être immédiate321.

Comme la nécessité, la notion de proportionnalité de la riposte à une agression armée n’est pas clairement mentionnée à l’article 51 de la Charte. Mais, elle peut être déduite de cet article. Ainsi, la proportionnalité peut être définie comme le fait de ne pas avoir d’excès dans la riposte. Pour que l’action armée introduite au titre de la légitime défense soit considérée comme licite, il faut qu’elle soit menée en fonction de cet objectif. Sinon, on risque de voir l’État victime devenir lui-même un agresseur et donc subir les conséquences prévues à cet effet. L’appréciation de la proportionnalité est de nature relative. Cette appréciation doit être faite en fonction des circonstances d’espèce. Elle implique toujours une comparaison, au cas par cas, entre l’action militaire menée prétendument en légitime défense et son objectif essentiel qui est de — nature défensive — repousser une agression en cours.

321 C’est pour cela qu’agir par vengeance ou dans le but de stopper l’agresseur en fuite est fortement prohibé.

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Ainsi, expressément énoncés par la jurisprudence322, les critères de nécessité et de

proportionnalité ont à plusieurs reprises été confirmés par la CIJ comme étant des règles spécifiques bien établies en droit international coutumier et acceptées par les États323 qui ne les

mettent pas ou plus en cause fondamentalement. Ainsi, dans l’affaire des Activités militaires et

paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d'Amérique), la Cour précisait que

« la Charte n’en réglemente pas directement la substance sous tous ses aspects… et ne comporte pas la règle spécifique, pourtant bien établie en droit international coutumier, selon laquelle la légitime défense ne justifierait que des mesures proportionnées à l’agression armée subie, et nécessaires pour y mettre fin ». La Cour reconnaît que : « […] la licéité de la riposte à l’agression dépend du respect des critères de nécessité et de proportionnalité des mesures prises au nom de la légitime défense »324. Dans une autre affaire, notamment celle de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, la Cour affirmait que : « [l]a soumission de l’exercice du

droit de légitime défense aux conditions de nécessité et de proportionnalité est une règle du droit international coutumier […]. Cette double condition s’applique également dans le cas de l’article 51 de la Charte, quels que soient les moyens mis en œuvre »325. Ces conditions seront

encore rappelées et évaluées dans l’affaire des Plates-formes pétrolières326 (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique) du 6 novembre 2003 en ses termes : les caractères de nécessité et de

proportionnalité constituaient deux conditions sine qua non dans l’exercice de la légitime

322 James A. GREEN, The International Court of Justice and Self-Defence in International Law, Oxford, Hart, 2009, pp. 63-109.

323 Le critère de proportionnalité a certes été critiqué dans le cadre de l’élaboration de la définition de l’agression, et ce par plusieurs États qui estimaient que cela restreignait indûment les pouvoirs d’un État agressé ; v. les positions de la France (A/AC.134/SR.72, 6 August 1970 in A/AC.134/SR.67-78, p. 89), du Ghana (A/C.6/SR.1205, 22 octobre 1970, p. 171, par. 40 ; v. aussi A/C.6/SR.1270, 28 octobre 1971, p. 137, par. 6), de l’Autriche (A/C.6/SR.1208, 27 octobre 1970, p. 198, par. 55), de la Biélorussie (A/C.6/SR.1270, 28 octobre 1971, p. 141, par. 42), de la Mongolie (A/C.6/SR.1274, 3 novembre 1971, p. 166, par. 38), de la Hongrie (A/C.6/SR.1275, 3 novembre 1971, p. 173, par. 42), de Cuba (A/C.6/SR.1273, 2 novembre 1971, p. 159, par. 32 ; v. aussi A/C.6/SR.1349, 3 novembre 1972, p. 220, par. 29), de la Tchécoslovaquie (A/C.6/SR.1273, 2 novembre 1971, p. 160, par. 42) ou de l’Ukraine (A/C.6/SR.1274, 3 novembre 1971, p. 165, par. 28). Cette réticence n’a cependant, à notre connaissance, plus perduré. Il est significatif à cet égard de constater que les critères de nécessité et de proportionnalité n’ont pas été, comme tels, critiqués dans le cadre de la procédure relative à l’avis de la Cour internationale de Justice dans l’affaire sur les Armes nucléaires.

324 Selon la C.I.J., Recueil 1986, p. 103, par. 194. Plus spécifiquement, la Cour relève que les deux parties sont d’accord sur ce point.

325 Selon la C.I.J., Recueil 1996, p. 245, par. 41.

326 Selon la C.I.J., Recueil 2003, par. 43 ; v. aussi par. 51, 74 et 78 ; V. Dominic RAAB, « Armed Attack » in the Oil Platform Case, L.J.I.L., 2004, pp. 733-734.

défense327 et aussi dans l’Affaire des activités armées sur le territoire du Congo, (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt du 19 décembre 2005 328.

La reconnaissance de ces conditions a également été admise par une doctrine relativement unanime329 et par la Commission du droit international dans le cadre de ses travaux sur la

responsabilité internationale330. Par ailleurs, on note d’emblée que la nécessité est

systématiquement associée à la condition de proportionnalité, avec laquelle elle semble entretenir des liens étroits331.

Cependant, en pratique, la nécessité et la proportionnalité apparaissent comme des critères accessoires, voire subsidiaires. En effet, ce n’est qu’une fois l’État agresseur désigné qu’en jurisprudence, on se penche de manière limitée sur la question du respect du critère de la nécessité ou de la proportionnalité. Les trois décisions ci-dessus mentionnées rendues par la CIJ dans ce domaine le confirment. Qu’il s’agisse de l’affaire de la CIJ, Activités militaires et

paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua C/ États-Unis), de celle de la CIJ, affaire des Plates formes pétrolières, (République islamique d’Iran c / États-Unis), ou encore de celle des l’Affaire des activités armées sur le territoire du Congo, (République démocratique du Congo c. Ouganda), la Cour rejette

à chaque fois l’argument de la légitime défense, principalement parce que l’État qui l’invoquait n’avait pas démontré avoir été préalablement victime d’une agression armée et, accessoirement seulement, parce que sa riposte ne se révélait pas « nécessaire » ou « proportionnée » dans les

327 Voir en ligne, sur www.cij-icj.org, Affaire des plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), 6 novembre 2003, résumé 2003/2.

328 Voir en son par. 147.

329 Rosalyn HIGGINS, « The Legal Limits to the Use of Force by Sovereign States. United Nations Practice »,

B.Y.B.I.L., 1961, p. 298 et, de la même auteure, The Development of International Law Through the Political Organs of the United Nations, London/New York/Toronto, O.U.P., 1963 pp. 198-199; Albrecht RANDELZHOFER, «

Article 51 » in Bruno SIMMA (ed.), The Charter of the United Nations. À Commentary, 2nd ed., Oxford, O.U.P., 2002, pp. 804-805 ; Antonio CASSESE, « Article 51 » in Jean-Pierre Cot et Alain PELLET (dir.), La Charte des

Nations Unies, 3ème éd.,op.cit., p. 1333 ; Franklin BERMAN, James GOW, Christopher GREENWOOD, Vaughan LOWE, Adam ROBERTS, Philippe SANDS, Malcolm SHAW, Gerry SIMPSON, Colin WARBRICK, Nicholas WHEELER, Elizabeth WILMSHURST, Michael WOOD, « The Chatham House Principles of International Law on the Use of Force on the Use of Self-Defence », I.C.L.Q., 2006, pp. 967-969; Christiane ALIBERT, Du droit de se faire justice dans la société internationale depuis 1945, Paris, L.G.D.J., 1983, p. 688. 330 Cf. les travaux de la CDI portant sur la responsabilité internationale.

331 V. l’ouvrage de Judith GARDAM, Necessity, Proportionality and the Use of Force by States, Cambridge, C.U.P., 2004, ainsi que son étude, « Proportionality and Force in International Law », A.J.I.L., 1993, pp. 391 à 413. Selon les termes de Roberto AGO, les exigences de « nécessité » et de « proportionnalité » de l’action menée en légitime défense ne sont que les deux faces d’une même médaille ; Additif au huitième rapport sur la responsabilité des États, A/CN.4/318, Add.5 à 7, A.C.D.I., 1980, II, 1ère partie, p. 67, par. 120.

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circonstances de la cause332. En plus, la question essentielle qui est souvent posée reste

l’identification de l’État agresseur, et non la prise en compte du critère général de nécessité ou de proportionnalité333.

Tout bien considéré, l’exercice de la légitime défense n’est lui-même qu’une réaction provisoire, voire une mesure préalable à l’entrée en scène du Conseil de sécurité.

332 Christine GRAY, International Law and the Use of Force, 3rd ed., Oxford, O.U.P., 2008, pp. 151-154.

333 Devant le Conseil de sécurité, il est vrai que certains États critiquent des actions armées en se contentant de relever leur caractère inapproprié ou disproportionné (Christine GRAY, International Law and the Use of Force,

op.cit., pp. 124-125, avec les exemples de condamnations d’actions israéliennes ou sud-africaines). Sans qu’il soit

évident d’en déduire des enseignements décisifs sur le plan strictement juridique, le constat peut s’expliquer par des considérations d’opportunité.

S

ECTION

II :L’

AUTORISATION DONNEE PAR LE CONSEIL DE SECURITE DE RECOURIR A LA FORCE

Pendant longtemps focalisé sur la distinction entre les notions de paix et de guerre334, le droit

international cautionne aussi l’idée selon laquelle les États peuvent librement recourir à la force dans leurs différentes relations. En 1945, en privilégiant le règlement pacifique des différends, la Charte a eu pour idée d’insérer en son sein un article particulier qui traite de l’interdiction du recours à la force. Pour autant, le recours à la force n’a pas été définitivement exclu.

En effet, selon cette même Charte, un État peut recourir légitiment à la force armée contre un autre lorsqu’il se produit l’une des deux situations suivantes : soit l’État invoque la légitime défense ou soit il a été autorisé expressément par le Conseil de sécurité. Dès lors, s’agissant de l’habilitation donnée par le Conseil de sécurité, il faut reconnaitre tout d’abord que bien que le Conseil de la SdN d’antan n’ait pas réussi à éviter la Seconde Guerre mondiale335, lors des discussions à propos de la création de l’ONU, les États-Unis et le Royaume-Uni ne s’étaient pas empêchés de

se ranger derrière les positions336 italienne et française en faveur de la création d’un autre

Conseil ; un Conseil pouvant prendre des décisions obligatoires à la majorité, et disposant de troupes propres pour les mettre à exécution.

Ainsi créée, la composition du Conseil de sécurité soulève encore et toujours de nombreux questionnements et oppositions. En effet, même si aux termes de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité reste le responsable principal du maintien de la paix et la sécurité internationales et qu’à ce titre, il a le droit d’autoriser le recours à la force (paragraphe II), pour beaucoup, il reste bien un comité des « Grandes puissances » (paragraphe I).

334 Raymond ARON, Paix et guerre entre les nations, 8e éd. Paris, Calmann-Lévy, 2004 : « Les relations interétatiques présentent un trait original qui les distingue de toutes les autres relations sociales : elles se déroulent à l’ombre de la guerre ou, pour employer une expression plus rigoureuse, les relations entre États comportent, par essence, l’alternative de la guerre et de la paix ».

335 En effet, d’un avis général, le Conseil de la SdN s’était montré impuissant face à l’invasion de la Mandchourie par le Japon en 1931-32, à l’invasion italienne en Éthiopie de 1936 et face aux invasions nazies.

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Paragraphe I : Le Conseil de sécurité, un « directoire » de Grandes

puissances

Le Conseil de sécurité des Nations Unies joue un rôle central et incomparable dans le système international en général. En effet, dans le système des Nations Unies en exerçant la fonction exécutive et en occupant une place prépondérante, il a le privilège de déterminer et de gérer les situations pouvant mettre en péril la paix et la sécurité internationales (B). Ainsi, aux termes de l’article 24 § 1 de la Charte : « Afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom ».

De cet article, il ressort que la Charte confère au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et la sécurité internationales (A) et par la même occasion, exhorte tous les États Membres d’appliquer les décisions du Conseil.

A : Le Conseil de sécurité comme responsable principal du maintien de la

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