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B : Une absence de remise en cause du principe dans la pratique conventionnelle

Considérée comme un principe nouveau, puisque jusqu’à une époque récente l’usage de la force était une manifestation licite de l’exercice de la souveraineté, l’obligation de non-recours à la force semble ces dernières années être remise en cause par l’accroissement des nouvelles interventions armées161. En effet, pour une certaine catégorie d’auteurs, les interventions armées

d’États – en Libye, en Syrie – de ces dernières années conduisent à reconsidérer le caractère impératif du principe de l’interdiction du recours à la force. Surtout qu’à première lecture de la Charte des Nations Unies, il apparaît que le texte de l’article 2 § 4 donne à l’interdiction du recours à la force une portée assez large, en omettant de mentionner que l’emploi de la force peut exceptionnellement être licite162. Toutefois, cette reconsidération du caractère impératif du

principe du non-recours à la force ne s’est pas traduite dans le concret puisque jusqu’alors, aucune convention n’a consacré de texte dérogatoire du principe de l’interdiction du recours à la force.

En effet jusqu’à aujourd’hui, il n’existe aucun traité par lequel des États auraient prétendu déroger à l’article 2 § 4 de la Charte. Bien au contraire, le caractère impératif de cet article est confirmé par diverses dispositions conventionnelles qui expriment le souci des États de se

161 V. à ce propos les interventions de ces dernières années qui traduisent la référence à de nouvelles justifications et exceptions légitimant le recours à la force.

162 La Charte organise une première exception, celle de l’article 42 : l’emploi de la force même armée est licite si elle est déployée en vue de rétablir la paix et la sécurité internationales, sur décision du Conseil de sécurité, et après constatation formelle par ce dernier d’une rupture de la paix, d’une menace contre la paix ou d’un acte d’agression. Mais à ce jour, la pratique des Nations Unies ne connaît aucun exemple d’emploi de la force fondé sur cette disposition. Aux termes de l’article 51, aucune disposition de la Charte ne porte atteinte au « droit naturel » de légitime défense, individuelle ou collective, contre une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Par l’imprécision même des concepts employés, cet article a soulevé une longue chaîne de problèmes d’interprétation, et les réponses qui y ont été apportées dans l’histoire des Nations Unies ont contribué plutôt à les obscurcir.

soumettre au régime général de la Charte. Ainsi, parallèlement à la Charte, une série de traités multilatéraux qui fait référence au principe instauré dans l’article 2 § 4 peut être mis en relief. Il s’agit pour la plupart, d’accords multilatéraux en matière de défense et dont certains articles font explicitement référence au principe de l’interdiction du recours à la force163, comme l’article 1er

du Traité de l’Atlantique du Nord164, l’article 1er du défunt Pacte de Varsovie165 ou encore

l’article 5 de la Charte de la ligue des États arabes166.

Revenant concrètement à la pratique conventionnelle des États, les exemples suivants peuvent également être retenus :

- Le Traité de Washington instituant l’OTAN qui consacre en son article 7 que « Le présent Traité n’affecte pas et ne sera pas interprété comme affectant en aucune façon les droits et obligations découlant de la Charte pour les parties qui sont membres des Nations Unies ou la responsabilité primordiale du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales. »167

- La Charte de l’Organisation des États Américains quant à elle institue que « Les États américains s’engagent dans leurs relations internationales à ne pas recourir à l’emploi de la force, si ce n’est dans le cas de légitime défense, conformément aux traités en vigueur, ou dans le cas de l'exécution desdits traités »168. En plus, la même Charte de l’OEA

163 A savoir par exemple l’Acte constitutif de l’Union africaine en son article 4 (f) : « l'interdiction de recourir ou de menacer de recourir à l'usage de force entre les États membres de l'Union africaine ».

164 Cet article dudit Traité stipule que « Les parties s’engagent, ainsi qu’il est stipulé dans la Charte des Nations Unies, à régler par des moyens pacifiques tous différends internationaux dans lesquels elles pourraient être impliquées, de telle manière que la paix et la sécurité internationales, ainsi que la justice, ne soient mises en danger, et à s'abstenir dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l'emploi de la force de toute manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». [En ligne], http://www.nato.int/docu/fonda/traite.htm, page consultée le 13 mars 2007.

165 Cf. le Pacte de Varsovie du 14 mai 1955, RTNU, vo1.219, à la page 3.

166 Cet article énonce que : « Any resort to force in order to resolve disputes belween two or more member-states of the League is prohibited (...). : « Tout recours à la force pour résoudre des différends entre

deux ou plusieurs États membres de la Ligue est interdit (…) ». [En ligne]

http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1722, page consultée le 20 aout 2018.

167 Cf. l’article 7 du Traité de Washington.

168 Cf. l’article 22 de la Charte de l’OEA, [En ligne], http://www.oas.org/dil/french/traites_A- 41_Charte_de_l_Organisation_des_Etats_Americains.pdf, consulté le 15 aout 2018. La Charte de l'OEA

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consacre qu’« Aucune des stipulations de la présente Charte ne sera interprétée comme une diminution des droits et obligations des États membres, et ce, conformément à la Charte des Nations Unies »169.

- Le Pacte de Non-Agression et de Défense Commune de l’Union Africaine qui sous- tend que « Le Pacte n’affecte et n’est pas interprété comme affectant, en aucune façon, les obligations découlant de la Charte des Nations Unies (...) et la responsabilité primordiale du Conseil de sécurité des Nations Unies dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales »170. Il convient également de faire référence à l’article III

paragraphe 4 de la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine171.

- Aussi, le Protocol relating to the Mechanism for Conflict Prevention, Management, Resolution, Peace-keeping and Security qui maintient que « Member States reaffirm their

commitment to the principles contained in the Charters of the United Nations Organisation (UNO) »172.

Dans la suite de cette pratique conventionnelle, il faut relever le fait que des dispositions comparables à cette absence de remise en cause du principe se retrouvent dans le droit de la mer dont l’article 301 dispose que « Dans l’exercice de leurs droits et l'exécution de leurs obligations en vertu de la Convention, les États Parties s'abstiennent de recourir à la menace ou à l’emploi

(Charte de Bogota-Traité interaméricain pour le règlement pacifique des différends, dit Pacte de Bogota) a été signée le 30 avril 1948 à Bogota.

169 Cf. l’article 131 de la Charte de l’OEA, [En ligne],

https://www.cejil.org/sites/default/files/legacy_files/FR%201948%20Charte%20de%20l%C2%B4Organisa tio %20des%20Etats%20Americains.pdf, consulté le 15 aout 2018.

170 Cf. l’article 17 du Pacte de Non-agression et de Défense Commune de l’Union Africaine, [En ligne], https://au.int/sites/default/files/documents/32066-doc-pacte_de_non-agression_adopte-abuja-

31jan2005.pdf, page consultée le 15 aout 2018.

171 Cf. la Charte de l’Union Africaine en son article III par 4 « Règlement pacifique des différends, par voie de négociations, de médiation, de conciliation ou d’arbitrage » ; également Article XIX intitulé : COMMISSION DE MÉDIATION, DE CONCILIATION ET D’ARBITRAGE « Les États membres s’engagent à régler leurs différends par des voies pacifiques. À cette fin, ils créent une Commission de médiation, de conciliation et d’arbitrage, dont la composition et les conditions de fonctionnement sont définies par un protocole distinct, approuvé par la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement. Ce protocole est considéré comme faisant partie intégrante de la présente Charte », page consultée sur http://www.refworld.org/pdfid/493fca2e2.pdf le 28 avril 2014.

172 Cf. l’Article 2 du Protocol Relating to the Mechanism for Conflict Prevention, Management, Resolution, Peace-

Keeping and Security, [En ligne], https://www.zif

berlin.org/fileadmin/uploads/analyse/dokumente/ECOWAS_Protocol_ConflictPrevention.pdf, consulté le 15 aout 2018.

de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, ou de toute autre manière incompatible avec les principes de droit international énoncés dans la Charte des Nations Unies »173. Également dans le droit de l’espace, l’article III dispose que « Les activités des États parties au Traité relatives à l’exploration et à l’utilisation de l’espace extra- atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, doivent s’effectuer conformément au droit international, y compris la Charte des Nations Unies, en vue de maintenir la paix et la sécurité internationales et de favoriser la coopération et la compréhension internationales. »174

Ainsi, de ce qui précède, il ressort que le principe du non-recours à la force est bien ancré dans la pratique conventionnelle. Pour autant, la seule présence de ces dispositions n’aurait pas suffi à qualifier l’interdiction du recours à la force énoncée dans la Charte d’une norme de jus

cogens. C’est également, la fréquence de ces dispositions qui a contribué et témoigné du sentiment

des États de ne pas pouvoir déroger à l’interdiction consacrée à l’article 2 § 4 de la Charte. Par ailleurs, à part le Traité de garanties, qui donne l’impression de permettre une dérogation à la règle de la prohibition du recours à la force, l’on ne connait aucun précédent dans lequel les États auraient interprété une disposition conventionnelle particulière comme une dérogation possible au régime de la Charte des Nations Unies prohibant le recours à la force. En effet, d’une interprétation souple, il ressort que seul le Traité de garanties175, Traité conclu entre

le Royaume-Uni, la Turquie et la Grèce, au sujet de l’indépendance de Chypre admet une dérogation à la règle de la prohibition du recours à la force. En effet, le Traité en question accorde, en particulier, un droit d’intervention militaire, sous certaines conditions, aux trois puissances garantes, pour rétablir l’ordre constitutionnel si celui-ci venait à être modifié. Cependant, la thèse de la dérogation à la Charte n’a jamais été consacrée. Et, très concrètement

173 Article 301 de la Convention de Montego Bay, [En ligne], http://hermes.dt.insu.cnrs.fr/moose/DOC_BIBLIO/CMB.pdf, consulté le 15 aout 2018.

174 Cf. les Traité et Principes des Nations Unies relatifs à l’Espace Extra-atmosphérique, Texte des traités et des principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra- atmosphérique adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies, [En ligne] http://www.unoosa.org/pdf/publications/STSPACE11F.pdf, consulté le 15 aout 2018,.

175 Le traité de garantie est un accord signé entre le Royaume-Uni, la Turquie et la Grèce, le 16 août 1960 à Nicosie. Par cet accord, le Royaume-Uni officialise l'indépendance de l'île de Chypre qui eut lieu le même jour et l'abandon de toute prétention territoriale future. Les trois États deviennent garants de l'équilibre constitutionnel de la République de Chypre. Le traité accorde, en particulier, un droit d'intervention militaire, sous certaines conditions, aux trois puissances garantes, pour rétablir l'ordre constitutionnel si celui- ci venait à être modifié.

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en ce qui a concerné l’intervention militaire de la Turquie en 1974 à Chypre, ce dernier a eu à préciser que « les traités qui visent à donner à l’une des parties le droit d’intervenir par la force dans les affaires intérieures de l’autre sont nuls et non avenus, du fait qu’ils violent les dispositions du paragraphe 4 de l’Article 2 de la Charte »176. Également selon le représentant de

Chypre, l’article 2 § 4 énonce « une règle péremptoire de droit international, qui ne peut être enfreinte même par voie de traité »177. La Grèce a également défendu une position similaire en

avançant que le Traité de garanties « (…) ne donne en aucune façon le droit à la Turquie d’intervenir militairement à Chypre. D’ailleurs, aucune disposition conventionnelle ne pourrait avoir le pas sur une norme de jus cogens telle que le principe du non-recours à la force. C’est la Turquie elle-même qui a violé ce traité dont l’article 2 interdit la partition de l’île »178.

Également, lors des nombreux débats sur le renforcement de l’efficacité du principe de non- recours à la force dans les relations internationales, aux termes du Rapport du Comité spécial179,

on peut relever l’affirmation de la Grèce selon laquelle, « Le principe du non-recours à la force, consacré à l’article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies, est de loin le plus important principe du droit international. Il fait partie du jus cogens visé à l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités »180.

En définitive, la pratique conventionnelle des États confirme leurs positions de principe, à savoir que l’article 2 § 4 de la Charte doit être considéré comme relevant d’un droit impératif, non susceptible de dérogation. Ainsi donc, le principe posé à l’article 2 § 4 a été réaffirmé et confirmé par les prises de position des États, à la fois dans les traités internationaux et dans les décisions judiciaires internationales.

176 A/C.6/S.R.892, 7 décembre 1965, p. 347, § 56.

177 A/C.6/S.R.822, 29 novembre 1963, p. 238, par. 7 ; v. aussi A/C.6/S.R.892, 7 décembre 1965, p. 341, par. 19. 178 A/C.6/42/SR.21, 13 octobre 1987, p.21, par.102 et 103.

179 Cf le Rapport en intégralité [En ligne], https://digitallibrary.un.org/record/3079/files/A_34_41-FR.pdf, page consultée le 19 aout 2018.

180 A/C.6/34/SR.17, 15 octobre 1979, p. 2, par. 1 ; v. aussi A/C.6/35/SR.31, 28 octobre 1980, p. 4, par. 12 ; A/C.6/38/SR.14, 13 octobre 1983, p. 2, par. 1 ; A/C.6/39/SR.18, 12 octobre 1984, p. 4, par. 7 ; A/C.6/40/SR.11, 10 octobre 1985, p. 2, par. 1 ; A/C.6/41/SR.13, 9 octobre 1986, p. 2, par. 1, ainsi que A/C.6/32/SR.65, 7 décembre 1977, p. 13, par. 42 ; A/C.6/35/SR.31, 28 octobre 1980, p. 4, par. 11 ; A/C.6/36/SR.14, 6 octobre 1981, p. 6, par. 18 ; A/C.6/37/SR.34, 3 novembre 1982, p. 15, par. 58.

Paragraphe II : La confirmation du principe de l’interdiction du recours à

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