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A : L’agression armée, l’acte déclencheur du droit de légitime défense

Le recours à la légitime défense doit être conditionné ratione materiae et ratione temporis. Ce qui veut dire que l’action en légitime défense est non seulement limitée dans le temps, mais surtout elle est sujette à l’existence d’un élément matériel qui est l’agression armée. Toutefois, l’usage de la force armée par les États ayant pendant longtemps été considéré comme une des prérogatives de l’État, il n’a pas été nécessaire de définir l’agression armée. En effet, avant la Première Guerre mondiale, les différents traités298 d’alliance conclus s’étaient bornés à faire dépendre l’obligation

297 Cf. la CIJ, Affaire sur L’illicéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, 8 juillet 1996

298 On peut citer comme exemples les articles I et II du traité d’alliance entre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie en date du 7 octobre 1879 (Martens, Nouveau Recueil Général des traités, 2e série, tome XV, p. 479 et les articles 2 et 3 du traité concernant la Triple alliance entre l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne et l’Italie en date du 22 mai 1882; (British and Foreign State Papers, vol. CXXI, p. 1018).

de fournir de l’aide et de l’assistance à un État dans le besoin, à l’existence d’une attaque299.

Même plus tard avec la Charte, toute action en légitime défense restait parfaitement licite puisque celle-ci a été consacrée par un texte juridique, en l’occurrence l’article 51. Dès lors, la Charte est restée muette sur la notion d’acte d’« agression »300. En plus, les États ont commencé

par assumer l’obligation de régler pacifiquement leurs différends301 internationaux et ils ont

officiellement renoncé à utiliser la force armée à des fins individuelles.

Malgré tout, il était devenu nécessaire de définir les formes les plus dangereuses de l’emploi illicite, voire licite de la force, dont faisait partie l’agression armée. Ainsi, considéré comme un crime international302, il a fallu en revanche plus d’un demi-siècle pour que la communauté des

États arrive à se convaincre dans sa totalité de l’utilité d’une définition de la notion d’agression. La reconnaissance de la définition de l’agression par l’Assemblée générale des Nations Unies est restée un fait historique du droit international puisqu’elle a été un aboutissement de très longs efforts entrepris par l’ONU depuis la cinquième session de l’Assemblée générale où l’examen de cette question a commencé sur la proposition de l’Union soviétique.

Néanmoins, avant cette reconnaissance, diverses définitions de l’agression armée furent formulées dans un certain nombre de traités. En effet, la première tentative d’une définition de l’agression fut celle du représentant soviétique, Maxime LITVINOV qui, à la Conférence de désarmement303, prit l’initiative de la définition de « l’agression » en présentant, le 6 février 1933,

un projet de définition de l’agresseur à la Commission générale. Ce projet sera repris par la suite dans des traités de non-agression conclus entre l’URSS et d’autres États304. Finalement, la

proposition soviétique fut renvoyée à un Comité pour les questions de sécurité composé de

299 Nous soulignons ; la notion d’attaque étant entendue dans un sens purement technique et militaire. 300 À la 385e séance de la première Commission ; voir le Document A/C.I/608, Rev. 1.

301 Tout d’abord par la résolution votée à l’unanimité par l’Assemblée de la SdN le 24 septembre 1927 dont le contenu a été repris dans la résolution de la Conférence internationale des États Américains votée à La Havane le 18 février 1928, et ensuite par le Pacte de Paris du 27 août 1928.

302 Voir à ce sujet Jaroslav ZOUREK, « L’interdiction de l’emploi de la force en droit international », Genève, ed. A.W. Sijthoff-Leiden. Institut Henry-Dunant, 1974, 151 p. p.79 et ss ; ou encore, son article « L'Interdiction de l'Emploi de la Force en Droit International » dans The American Journal of International Law, Vol. 69, No. 3 (Jul., 1975), pp. 716-717. doi:10.2307/2199937.

303 V. la SdN, Actes de la Conférence pour la réduction et la limitation des armements, série D, vol. II, Procès- verbal de la Commission générale, p. 237.

304 Sur ce « projet soviétique », V. Eugène ARONEAU, La définition de l’agression, Paris, éd. Internationales, 1954, pp. 279-290.

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représentants de dix-sept (17) États305. Dans sa tentative de définition, ledit Comité prépara un

« Acte relatif à la définition de l’agresseur » 306 reproduisant ainsi quatre des critères proposés

initialement par l’Union soviétique en prenant soin d’y rajouter un cinquième. Aux termes de l’article 1er de cet Acte, était reconnu comme agresseur dans un conflit international, l’État qui, le

premier aurait commis l’une des actions suivantes : 1- Déclaration de guerre à un autre État ;

2- Invasion par ses forces armées, même sans déclaration de guerre, du territoire d'un autre État ;

3- Attaque par ses forces terrestres, navales ou aériennes, même sans déclaration de guerre, du territoire, des navires ou des aéronefs d’un autre État ;

4- Blocus naval des côtes ou des ports d'un autre État ;

5- Appui donné à des bandes armées qui, formées sur son territoire, auront envahi le territoire d'un autre État, ou refus, malgré la demande de l'État envahi, de prendre sur son propre territoire toutes les mesures en son pouvoir pour priver lesdites bandes de toute aide ou protection.

De la définition élaborée par le Comité pour les questions de sécurité, il ressort que l’agresseur est l’État qui le premier utilise la force armée contre un autre État, et ce, même sur le territoire de ce dernier ou encore contre les forces armées d’un État étranger se trouvant en dehors de son territoire. Cette définition de l’agresseur sera reprise dans la Convention de la définition de l’agression du 3 juillet 1933 entre la Russie et l’Afghanistan, l’Estonie, la Lettonie, la Perse, la Pologne, la Roumanie et la Turquie en son article 2307 et aussi dans d’autres

Conventions similaires entre la Russie et divers autres États.

305 Il s’agit de l’Allemagne, la Belgique, le Cuba, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, les États-Unis d’Amérique, la Finlande, la France, la Hongrie, l’Italie, la Pologne, le Royaume-Uni, le Suisse, le Turquie, l’Union Soviétique, la Yougoslavie.

306 Pour les textes de ces conventions appelés quelquefois « Pactes orientaux », voir, SdN, Recueil des Traités et des Engagements Internationaux enregistrés par le Secretariat de la Société des Nations, vol. 147, pp. 68 ss. vol. 148, pp. 80 ss. et 212 ss., [En ligne], https://treaties.un.org/doc/publication/unts/lon/volume%2028/v28.pdf 307 En ces termes l’article 2 dispose que: « will be considered the State which will be the first to commit any of the

following acts:

1. Declaration of war against another State;

La définition élaborée par le Comité suivait étroitement celle de l’agression proposée en 1933 par la Commission sur les questions de sécurité de la Conférence sur le désarmement308. Le

« projet soviétique » ainsi transformé en norme conventionnelle constituera la principale source d’inspiration des propositions de définition de l’agression qui se sont succédé et qui ont exercé une influence déterminante sur les débats ayant abouti en 1974 à la définition onusienne de l’agression309.

Finalement, le débat sur la définition de l’agresseur a été clos par l’adoption de la résolution 599 (VI) du 31 janvier 1952 par laquelle l’Assemblée générale sur la proposition de la Syrie a reconnu dans le quatrième considérant de sa résolution qu’il est « possible et souhaitable, en vue d’assurer la paix et la sécurité internationales et de développer le droit pénal international, de définir l’agression par ses éléments constitutifs »310. À partir de cette époque, la question de

la définition est restée pendant vingt-deux années à l’ordre du jour de l’Assemblée générale. Par ailleurs, la définition actuelle de l’agression en droit international est l’œuvre de l’Assemblée générale des Nations Unies qui dès la fin des années 1960 a décidé de s’engager dans l’élaboration d’une définition. En effet, à la Conférence de San Francisco, les États n’avaient pas réussi à s’accorder sur une définition de l’agression acceptable pour tous. Certes, un Comité Spécial — Comité qui s’était déjà réuni en 1953 et 1956 — avait été créé en

2. Invasion by armed forces, even without a declaration of war, of the territory of another State;

3. An attack by armed land, naval, on air forces, even without a declaration of war, upon the territory, naval, vessels, or aircraft of another State;

4. Naval blockade of the coasts or ports of another State;

5. Aid to armed bands formed on the territory of a State and invading the territory of another State, or refusal, despite demands on the part of the State Subjected to attack, to take all possible measures on its own territory to deprive the said bands of any aid and protection » ; consultable en français [En ligne], http://www.letton.ch/lvdefagr.htm, page consultée le 12 septembre 2018.

308 Lassa OPPENHEIM, International Law. A Treatise, Vol. II. Dispute, War and Neutrality, London, New York, 7e ed, Longmans, 1952, p. 189; v. aussi le projet de convention soumit par la Grande-Bretagne à la Conférence sur le désarmement en 1933.

309 On relève pour illustrer cette influence, les définitions proposées par la Bolivie et les Philippines lors de la Conférence de San Francisco et celle rédigée par l’URSS en 1953 en réponse à l’initiative yougoslave consécutive au conflit de Corée; v. aussi la contribution de Pierre D’ARGENT, Jean D’ASPREMONT LYNDEN, Frédéric DOPAGNE, Raphael VAN STEENBERGHE, « Commentaire de l’article 39 », p. 1147, dans Jean Pierre COT, Alain PELLET et Mathias FORTEAU (dir.), La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, 3e éd.,

op.cit. pp. 1131- 1170.

310 Cf. la résolution 599 (VI) de l’Assemblée générale, portant sur la Question de la définition de l’agression [En ligne], http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/599(VI)&Lang=F, page consultée le 12 septembre 2018.

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application de la résolution 2330 (XXII) de l’Assemblée générale en date du 18 décembre 1967 pour étudier la question de la définition de l’agression, mais au cours de ses deux sessions, tous les aspects de la question avaient été abordés comme si la résolution 599 (VI) n’avait jamais existé.

En revanche, il faut relever qu’à l’époque, la question sur le fait de trouver une définition à l’agression en droit international n’avait pas que des partisans. Les opposants à la définition de l’agression avançaient la thèse selon laquelle une définition de l’agression n’était pas possible et qu’elle serait non seulement inutile, mais dangereuse. Un délégué d’un pays occidental était allé jusqu’à prétendre que la définition de l’agression serait incompatible avec la distinction du marxisme-léninisme entre les guerres justes et injustes311. Dès lors, pour les désapprobateurs

d'une définition de l’agression, il existait la crainte selon laquelle une définition de l’agresseur constituerait un obstacle désagréable pour l’emploi de la force armée dans les relations internationales. Et c’est l’une des raisons pour laquelle pendant onze ans, les travaux sur cette importante question sont restés gelés.

Mais après de longs et difficiles travaux comme le relève Maurice KAMTO312, en 1967 la

composition du Bureau de l’Assemblée a été modifiée par l’Assemblée générale et le Comité chargé de suivre la question de la définition de l’agression a décidé de reprendre l’examen de la question. En effet, avec le renouvellement du Bureau, le résultat du vote va montrer que le nombre des États favorables à une définition de l’agression a considérablement augmenté. De ce fait, au sortir de sa septième session tenue les 11 et 12 mars 1974, le Comité spécial a soumis un rapport qui présentait le projet de définition de l’agression, « adopté par consensus » et

311 Voir les documents A/C.1/SR.386, p. 16.

312 Maurice KAMTO, L’agression en droit international, Paris, Pedone, 2010, 464 p : V. à la page 16, note de bas de page n° 33 ; on trouvera une bibliographie très complète dans M. CORDIER, Certains aspects actuels de la définition

de l’agression, Mémoire de l’Institut des Hautes Études Internationales, l’Université de Paris II, 1973. Pour un

historique complet de l’origine et du processus d’élaboration d’une définition de l’agression, voir W. KONARNICKI, « La définition de l’agression dans le droit international moderne », R.C.A.D.I., 1949, II, pp. 5 et s.; Jaroslav ZOUREK « La définition de l’agression et le droit international. Développement de la question », R.C.A.D.I., 1957, II, pp. 755 et s; du même auteur Jaroslav ZOUREK, « Enfin une définition de l’agression » AFDI, vol. XX, 1974, pp. 10-19, article consultable sur http://www.persee.fr/doc/afdi_0066- 3085_1974_num_20_1_2258.

recommandé pour adoption à l’Assemblée générale qui l’adopta également par consensus313 le

14 décembre 1974 à sa XXIXe session. Comprenant alors une annexe intitulée « Définition de

l’agression », la résolution 3314 (XXIX) est un composé de huit (8) articles précédés d’un préambule, qui reste tout aussi important. En effet, comprenant dix (10) points qui ne sont pas tous consacrés exclusivement à la définition de l’agression, le contenu du préambule permet tout de même de comprendre les principales raisons, entre autres, l’exigence du maintien de la paix

et de la sécurité internationales314 et la particularité de l’agression315 qui ont rendu nécessaire et possible

la définition de l’agression.

Ainsi consacrée sous forme d’« attaque armée » dans les versions anglaise et espagnole de la Charte, l’agression se définit comme « l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies, ainsi qu’il ressort de la présente Définition »316. Et, au-delà de cette définition, la résolution 3314(XXIX) réserve au Conseil de

sécurité le droit de pouvoir déterminer dans quelle situation il n’y a pas d’agression ou, au contraire, quelle situation imprévue peut constituer un acte d’agression.

Cependant, si la résolution 3314 (XXIX) fut applaudie par certains auteurs comme « un évènement historique dans l’évolution du droit international » 317 parce que la définition de

313 Et non pas « à l’unanimité » comme on a pu l’écrire en assimilant consensus et unanimité, V. Patrick RAMBAUD, « La définition de l’agression par l’Organisation des Nations Unies », R.G.D.I.P., Tome LXXX, 1976, p. 836.

314 En effet, l’AG s’est fondée « sur le fait que l’un des buts essentiels de l’Organisation des Nations Unies est de maintenir la paix et la sécurité internationales et de prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou de rupture de la paix ».

315 L’Assemblée générale a estimé que l’agression est la forme la plus grave et la plus dangereuse de l’emploi illicite de la force qui renferme, étant donné l’existence de tous les types d’armes de destruction massive, la menace possible d’un conflit mondial avec toutes ses conséquences catastrophiques, et qu’il convient donc à ce stade de donner une définition de l’agression.

316 Selon l’Article 1er de la résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974. Cette définition est accompagnée d’une liste non exhaustive des actes qui réunissent les conditions d’agression (article 3) sachant que le Conseil de sécurité, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies, demeure libre de qualifier d’autres actes d’agression (article 4), [En ligne], http://www.derechos.org/nizkor/aggression/doc/aggression37.html page consultée le 16 juillet 2016.

317 Voir Jaroslav ZOUREK, « Enfin une définition de l’agression », op. cit, 1975, pp. 9-30.

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l’agression s’est inspirée des dispositions de l’article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies318 et

pour d’autres, cette résolution est irréaliste, lacunaire et conservatrice319.

Tout compte fait, il a fallu attendre près de trente ans après l’entrée en vigueur de la Charte pour que « l’acte d’agression » bénéficiât d’une définition à travers une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette définition reste pourtant très incomplète parce que l’Assemblée générale n’établit pas une liste complète des actes d’agression. Elle s’est contentée de donner une liste non limitative qui comprend l’invasion, l’attaque territoriale, le bombardement, le blocus maritime ou encore l’attaque par les forces armées d’un État contre les forces armées d’un autre État. Certes, l’Assemblée générale a établi une liste non limitative de l’agression, mais elle a également réservé au Conseil de sécurité la possibilité de déterminer la condition dans laquelle un acte ou une situation peut être considéré comme une agression. Cependant, la pratique nous a montré, qu’il puisse arriver des cas où le Conseil n’est pas en mesure d’exercer ses compétences de maintien ou de la restauration de la paix internationale, et donc la solution serait de se reporter à l’Assemblée générale qui peut être appelée en vertu de la résolution 377 (V) « Union pour le maintien de la paix », du 3 novembre 1950320, à suppléer à

cette carence.

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