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La crise coréenne comme prémices de la technique de l’autorisation

Paragraphe I : Le déclenchement de la technique de l’autorisation

A. La crise coréenne comme prémices de la technique de l’autorisation

Selon l’article 24 de la Charte, le Conseil de sécurité a pour rôle principal le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Et pour pouvoir atteindre cet objectif, le Conseil a entre autres, la possibilité d’enquêter sur tout différend qui pourrait menacer la paix et la sécurité internationales (art. 34). Ainsi, lorsqu’il constate qu’une situation menace la paix et la sécurité internationales, il peut selon le degré de la situation prendre des mesures allant de celles n’impliquant pas nécessairement l’usage de la force armée à celles du recours à la force.

Cependant, étant donné que l’Organisation n’a pas pu réaliser les accords spéciaux prévus à l’article 43 de la Charte, la technique de l’autorisation accordée aux États de recourir à la force est donc devenue le palliatif. Ainsi posant indiscutablement les prémices459 de cette technique,

retracer en premier lieu les faits chronologiques du conflit coréen permettrait de mieux comprendre l’action militaire « autorisée » en Corée.

1. Les faits chronologiques du conflit coréen

Les causes de la guerre de Corée remontent aux conditions dans lesquelles ont été établis les deux gouvernements coréens en 1948. En effet, initialement devenue un protectorat japonais

459 Philippe LAGRANGE, « L’autorisation de prendre toutes les mesures nécessaires », dans Les Annales de droit,

au lendemain de la guerre russo-japonaise de 1904, avant d’être annexée par l’empire japonais en 1910, la Corée après la défaite du Japon à l’issu de la Seconde Guerre mondiale, a été perdue par le Japon et partagée en deux zones d’occupation : une zone soviétique au nord du 38ème

parallèle et au sud une zone américaine. Plus tard, une réunification de la Corée fut envisagée après les élections, mais les divergences de vues entre Moscou et Washington ont conduit à une séparation définitive en 1948.

En effet, après l’échec de nouveaux pourparlers américano-soviétiques, les États-Unis ont porté la question coréenne devant l’ONU en proposant des élections générales460 supervisées

dans toute la péninsule par l’Organisation internationale, une proposition acceptée par l’Assemblée générale de l’ONU, mais refusée par l’URSS qui y oppose son veto. Entre mai et juillet 1948, le sud de la Corée organisa seul les élections qui débouchèrent sur la réunion d’une Assemblée qui vota la Constitution de la première République coréenne le 12 juillet. À la suite, des élections présidentielles firent de Syngman RHEE le premier Président de la République de Corée du Sud qui fut officiellement proclamée le 15 août suivant. Refusant ainsi de reconnaitre la légitimité des élections menées dans le Sud sous l’égide de la Commission des Nations Unies, le gouvernement du Nord se proclama également comme étant la République de Corée du Nord en septembre 1948 dans la zone soviétique d’occupation. Par ailleurs, se prévalant de la tutelle de l’ONU, le gouvernement du Sud s’est également clamé être le seul gouvernement légitime de la Corée. Ainsi, chacune des deux Corée se croit légitime pour reconquérir l’autre.

Cependant, en décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies, les États-Unis et plus de cinquante pays ont reconnu le nouvel État de la République de Corée du Sud comme étant le seul gouvernement légal et constitué de la péninsule. Mais, la Corée du Sud apparaît fragile puisque la division de la Corée le prive des ressources en charbon et des équipements industriels lourds principalement regroupés au Nord. En plus, la stabilité politique n’est pas

460 Au lendemain de la guerre, les accords de Moscou (décembre 1945) prévoient l’indépendance de la Corée sur des « bases démocratiques ». Une commission commune américano-soviétique est chargée dans cette perspective de mettre en place un gouvernement coréen provisoire. Mais les divergences de vues s’accentuent entre Américains et Soviétiques et la commission commune se trouve bientôt dans une impasse. Face au blocage de la commission, les Américains portent le débat devant l’Assemblée générale des Nations unies qui adopte, le 14 novembre 1947, la résolution 112 [II]. Cette résolution prévoit la mise en place d’une commission temporaire chargée essentiellement d’organiser des élections libres en Corée. La Commission n’a accès qu’au sud du pays où elle organise des élections le 10 mai 1948. Une assemblée est élue et Synghman RHEE devient président de la République de Corée. Au nord, des élections sont organisées sans que la commission y ait accès. Le 3 septembre, Kim-Il-Sung proclame néanmoins la naissance de la République Démocratique de Corée. Les

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garantie et Ku KIM, l’ancien chef du gouvernement provisoire établi en Chine, est assassiné en 1949, ce qui va conduire à des mutineries dans l’armée.

Ainsi, se sachant mieux préparée que le Sud et comptant sur une guerre surprise qui lui donnerait la victoire, l’armée de la Corée du Nord lança une attaque en juin 1950 en franchissant le 38ème parallèle et malgré l’absence de déclaration de guerre, les hostilités entre les deux Corée

ont débuté. Le 25 juin 1950, la Commission des Nations Unies pour la Corée informe le Secrétaire général que des attaques massives ont été lancées par les forces de la Corée du Nord sur toute la longueur du 38ème parallèle. Mais la Corée du Nord reste toujours sourde à la

demande de cessez-le-feu immédiat formulée par le Conseil de sécurité qui le 27 juin avait recommandé aux États Membres de l’ONU d’apporter leur soutien militaire à la République de Corée (Sud). D’où la reconnaissance du recours à la force autorisé.

2. L’action militaire autorisée par le Conseil de

sécurité

Le 25 juin 1950, le franchissement du 38e parallèle par la République populaire démocratique

de la Corée du Nord, dirigée par KIM Il Sung, constituait l’invasion de la République de Corée, dirigée par le président Syngman RHEE. Cette guerre a constitué la première crise majeure à laquelle l’ONU, nouvellement créée, s’est confrontée. De ce fait, l’action qui en résulta fut la première action militaire coercitive menée au nom des Nations Unies dans le cadre du Chapitre VII et les conséquences de cette crise eurent un impact décisif sur les institutions, les théories et même sur la pratique « onusienne ». Ainsi, avec ces événements, le Conseil de sécurité dû adopter les résolutions 82 (1950), 83 (1950) 84 et 85 (1950).

En effet, compte tenu de l’absence du représentant de l’URSS461 au sein du Conseil de

sécurité, ce dernier, conformément à l’article 39 de la Charte, a pu qualifier assez rapidement l’attaque nord-coréenne de « rupture de la paix » et donc demander à travers une première résolution, la 82 (1950) 462, la cessation immédiate des hostilités ; en invitant les autorités de la Corée du

461 Un représentant, qui depuis février 1950 pratiquait la politique de la chaise vide pour protester contre l’absence d’une représentation de la Chine communiste au Conseil.

462 V. la Résolution 82 du Conseil de sécurité du 25 juin 1950 : Plainte pour agression contre la République de Corée, Document officiel Conseil de sécurité des Nations Unies, 25 juin 1950, 473e séance, Doc. NU. S/1501, Rés.

Nord à retirer immédiatement leurs forces armées sur le 38ème parallèle. Ainsi, après avoir constaté, d’après

le rapport de la Commission des Nations Unies pour la Corée, que les autorités de la Corée du Nord n’ont ni suspendu les hostilités, ni retiré leurs forces armées sur le 38ème parallèle, et qu’il

faut prendre d’urgence des mesures militaires pour rétablir la paix et la sécurité internationales, le Conseil de sécurité a adopté une seconde résolution le 27 juin 1950, la résolution 83463 qui

recommande aux Membres de l’Organisation des Nations Unies d’apporter à la République de Corée toute

l’aide nécessaire pour repousser les assaillants et rétablir dans cette région la paix et la sécurité internationales.

En faisant cette demande, le Conseil de sécurité imputait la responsabilité de « l’agression » aux forces nord-coréennes.

Pour une partie de la doctrine, la résolution 83 du Conseil de sécurité pose indéniablement les prémices de la pratique de l’habilitation des États à recourir à la force en lieu et place du Conseil de sécurité. En effet, par cette résolution 83, le Conseil de sécurité recommandait aux Membres de l’ONU d’apporter toute l’aide nécessaire à la Corée afin de repousser l’agresseur. Ainsi, comme l’écrit le Professeur LAGRANGE, cette recommandation de mesures exécutoires de caractère coercitif faite par le Conseil de sécurité ne fait aucun doute464. Cependant, il se pose

en l’espèce quelques questions d’interprétations dans la mesure où selon CHAUMONT, ces résolutions n’ont pas de force obligatoire, mais elles chercheraient seulement à « former une sorte d’alliance provisoire de tous les États qui acceptaient d’intervenir contre la Corée du Nord »465, d’autant plus que ni le Chapitre VII, ni aucune de ses dispositions n’ont été

explicitement évoqués.

Répondant à l’appel du 27 juin lancé par le Conseil de sécurité, le président TRUMAN avait engagé au nom des États-Unis, seul État ayant suffisamment de volonté et de moyens pour mener l’opération sur le terrain, les divisions américaines stationnées au Japon. Ces dernières endossèrent le mandat octroyé par l’ONU et utilisèrent à discrétion la bannière « onusienne »,

CS 82. Cette résolution fut adoptée par 9 voies contre zéro, avec une abstention (Yougoslavie). Un des membres (U.R.S.S.) était absent.

463 Résolution adoptée par 7 voies contre une (Yougoslavie). Deux membres (Égypte, Inde) n’ont pas participé au vote, un des membres (U.R.S.S.) était absent ; Plainte pour agression contre la République de Corée, Doc. Off. CS NU, 27 juin 1950, 474e séance, Doc. NU. S/ 151 1, Rés. CS 83.

464 Philippe LAGRANGE, « L’autorisation de prendre toutes les mesures nécessaires », op cit. p.206.

465 Charles CHAUMONT, « Le maintien de la paix et l'évolution de la sécurité collective », dans Les Nations Unies,

chantier de l'avenir, t. Il, Paris, PUF, 1961, p. 73.

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ce qui fut largement critiqué par nombre d’États et une bonne partie de la doctrine, même si progressivement des détachements britanniques, français, belges, turcs et néerlandais ont rejoint ce qu’il était convenu d’appeler les troupes des Nations Unies466.

Par ailleurs, l’Union soviétique avait estimé que l’action des Nations Unies en Corée constituait une violation de la Charte parce que, suivant les termes de l’article 25 de la Charte, les décisions de fond du Conseil de sécurité auraient dû être prises par un vote affirmatif d’au moins sept Membres, dont les voix de tous les Membres permanents.

Cependant, les États-Unis et leurs alliés ont pu obtenir ce vote du Conseil et donc contester facilement la thèse de l’Union soviétique467 parce que cette dernière boycottait ses travaux et n’a

pas pu, en cette occasion, faire usage de son droit de veto. En effet, en appui à la thèse défendue par les États-Unis et leurs alliés, on peut invoquer l’article 23 § 3 de la Charte qui dispose que chaque Membre du Conseil de sécurité a son représentant au Conseil. Cependant, la pratique soviétique de la chaise vide a constitué en premier lieu une « violation de la Charte qui fait un devoir aux Membres du Conseil de sécurité d’être présents en permanence »468. En plus, selon

les États-Unis, l’absence de l’URSS au Conseil ne peut l’empêcher d’agir dans la mesure où « l’absence d’un Membre permanent n’affecte en rien le pouvoir et l’autorité du Conseil »469 ; au

contraire, sa présence aurait plutôt bloqué toute action (via l’usage de son droit de veto).

Ensuite, le 7 juillet 1950, le Conseil de sécurité adopta par 7 voix contre zéro, avec 3 abstentions470 la résolution 84 qui, en se félicitant de l’appui rapide et vigoureux que les gouvernements

466 Quinze États Membres des Nations Unies, sous le commandement du général américain Mac ARTHUR, repoussent les troupes de la Corée du Nord, dans un premier temps jusqu’au 38ème parallèle puis finalement jusqu’à la frontière chinoise (Première phase du conflit). À cette date, des troupes en provenance de Chine continentale entrent en Corée et repoussent les troupes des Nations Unies au-delà du 38ème parallèle. (Deuxième phase du conflit).

467 L’URSS entendait protester contre la non-reconnaissance par le Conseil de la République populaire de Chine sortie victorieuse de la guerre civile l’année précédente

468 Pierre GERBERT, Victor-Yves GHEBALI, Marie-Renée MOUTON, Le rêve d'un ordre mondial de la SDN à

l'ONU, Paris, Imprimerie Nationale, 1996, p. 196. Cette opinion est partagée par le représentant de la délégation

française au Conseil, CHAUVEL, qui a estimé que : « Cette absence est certainement contraire à l'esprit de la Charte et, nous semble-t-il, à sa lettre même. Nous considérons que la délégation de l'URSS, en se retirant du Conseil de sécurité, a forfait à ses obligations à l'égard de la communauté des Nations Unies. » (S/PV. 487, 14 août 1950).

469 Procès verbal de la 462e séance, le 13 janvier 1950, S/PV. 462, pp. 42-45. 470 Égypte, Inde, Yougoslavie. Toujours un des membres (U.R.S.S.) était absent.

des peuples des Nations Unies ont apporté à ses résolutions 82 (1950) et 83 (1950) des 25 et 27 juin 1950 en vue d’aider la République de Corée à se défendre contre ladite attaque armée, et ainsi rétablir la paix et la sécurité internationales dans la région (…) 3. Recommande que tous les Membres fournissent en application des résolutions précitées du Conseil de sécurité des forces militaires et toute autre assistance à la disposition d’un commandement unifié sous l’autorité des États-Unis d’Amérique.

Par ailleurs, il faut relever qu’en août 1950, avec le retour de l’Union soviétique au sein du Conseil de sécurité, on assiste de nouveau au blocage de ces décisions. Ce qui a conduit les États-Unis à solliciter l’Assemblée générale des Nations Unies pour qu’elle prenne le relais dans les processus de décision. En effet, pour une première fois, le 7 octobre 1950, l’Assemblée générale a exceptionnellement adopté la résolution 376 (V)471 portant sur la « Question de

l’indépendance de la Corée » et plus tard le 3 novembre 1950, la résolution 377 intitulée « Union pour le maintien de la paix », qui fera l’objet de développements ultérieurs.

Somme toute, comme Barthélémy COURMONT, dans son Commentaire sur la résolution 84, il convient de souligner que la résolution 84 a marqué l’entrée en guerre de l’ONU pour la première fois

depuis sa création, cinq ans plus tôt472. Ainsi, c’est donc légitimement que la crise coréenne a été

élevée au rang de précurseur de la technique de l’autorisation du recours à la force. Ainsi, après la crise coréenne, la pratique va connaitre une certaine amélioration. En effet, le Conseil prend une assurance dans ses résolutions et passe de la recommandation à la décision.

B. La forme juridique de l’autorisation : de la recommandation à la

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