• Aucun résultat trouvé

A : La légitime défense, une notion aux contours ambigus

Aux termes de l’article 51 de la Charte : « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas ou un Membre des Nations unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n’affectent en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales »276. De cette disposition, il ressort

que la légitime défense reste un « droit naturel » qui tire ses sources de la coutume et de différentes conventions.

En effet, la légitime défense est un concept qui a été introduit en droit international parallèlement à l’introduction du concept de l’interdiction du recours à la force armée. Ainsi, d’un point de vue étymologique, le terme « légitime »277, renvoie à la réalité latine du mot lex qui

se rapporte à l’idée de conformité à la loi. Et du point de vue du droit international, la légitimité s’entend de la qualité de ce qui est légitime. Elle se « distingue de la légalité ou de la licéité, qualités qu’une institution ou une norme tire de leur conformité à une règle de droit positif »278.

Certes, les notions de légalité et légitimité renvoient à la même réalité, mais leurs définitions ne permettent pas de les intervertir autant qu’on le désire. Ainsi, selon leurs sens les plus courants, la légalité renvoie à l’idée de conformité à la loi alors que la légitimité s’entend de quelque chose de « juridiquement fondé, consacré par la loi ou reconnu conforme au droit et spécialement au droit naturel »279. La notion de légitimité semble donc être plus large que celle

de légalité, car la seconde paraît devoir se rattacher exclusivement au droit positif. Ce qui est légal est conforme à la loi en vigueur alors que ce qui est légitime n’est pas uniquement conforme à la loi en vigueur. En effet, ce qui est légitime est surtout ce qui correspond à une certaine

276 Cf. l’article 51 de la Charte des Nations Unies. 277 En latin legitimus signifie conforme aux lois.

278 Jean SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, AUF, 2001, p. 643. 279 Selon les définitions du Dictionnaire le Robert, Paris, 1993, pp. 1267 et 1269.

— 100 —

équité. En somme, la légitimité est le caractère de ce qui est légitime, justifié, légal, voire ce qui est permis.

Ainsi, considéré comme légal, le droit de légitime défense puise ses fondements dans des considérations d’ordre philosophique avant d’être juridiquement consacré. D’un point de vue philosophique, la légitime défense prend racine dans l’idée de nature et la pensée stoïcienne serait à l’origine de cette approche dont Cicéron280 est le premier théoricien. Assurément pour

lui, la légitime défense relève « d’une loi naturelle que nous ne devons ni à l’enseignement, ni à la tradition, ni à la lecture, mais uniquement à la nature […], car au milieu des armes, les lois se taisent et n’ordonnent pas d’attendre leur secours, quand celui qui consentirait à l’attendre risquerait de subir un dommage injuste avant d’avoir obtenu une juste satisfaction »281. C’est dire

que quand les autorités sont défaillantes, la loi naturelle autorise l’individu qui est menacé à assurer sa propre survie même s’il est amené à tuer pour sa défense, malgré la prohibition posée par le droit positif de se faire justice soi-même. Cicéron déduit de ce raisonnement que la légitime défense est « un devoir de l’homme permettant d’assurer la défense des personnes, des biens et de l’honneur bafoué »282. Ces idées forgent le socle philosophique de la légitime défense.

En outre, peu importe l’ordre dans lequel on se trouve, l’idée qui ressort de la notion de légitime défense reste la même. Le droit de se défendre que véhicule la légitime défense « provient immédiatement (…) de ce que la nature confie à chacun de nous, le soin de nous- mêmes ; et non pas de l’injustice ou du crime de celui qui nous expose au péril »283.

En France, la légitime défense devient un véritable droit consacré par le Code pénal de 1791 qui prévoit en son article 5 qu’« en cas d’homicide légitime, il n’existe pas de crime, et il n’y a pas lieu à prononcer aucune peine ni aucune condamnation civile ». Dès lors, le droit de légitime défense ne sera pas remis en cause dans l’ordonnancement juridique français. Il est aujourd’hui établi que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée

280 Né le 3 janvier 106 av. Jésus-Christ et assassiné le 7 décembre 43 av. J.-C., Cicéron est un homme d’État romain et un auteur latin.

281 Cf. CICERON, Pro Milone, IV, 10. (Pour Milon en latin Pro Milone) est une plaidoirie de Cicéron (en 52 av. J- C.) en faveur de Milon, accusé de l’assassinat de Publius Clodius Pulcher. Bien que Cicéron perdît le procès, son discours n’en reste pas moins un modèle d’équilibre et d’habileté. Le texte en était d’ailleurs déjà étudié dans les écoles du vivant de l’auteur.

282 Idem. Pour plus de précisions, voir Roger BERNADINI, Droit pénal général, Paris, Gualino éd., 2003, p. 529. 283 Hugues GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix, op.cit.

envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. Ensuite, n’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction »284. Par conséquent, la légitime défense constitue l’expression d’une justice privée,

c’est-à-dire du droit de se faire soi-même justice.

Concept assez connu, la légitime défense reste un concept à contenu différent et évolutif selon l’approche. Ainsi, selon une approche interne et essentiellement pénaliste, la légitime défense entre dans la catégorie « de faits précis qui a pour effet d’anéantir le caractère coupable d’un acte incriminé »285.

Vu ces différentes approches de la notion de légitime défense, force est de reconnaitre que son adaptation en droit international a posé d’innombrables questions. Mais, comme le fait observer DELIVANIS, « on ne peut pas, en s’appuyant sur une similitude de fondement, transposer un droit s’exerçant dans le cadre d’une société aux structures hautement institutionnalisées, telle que celle de l’ordre interne, dans un cadre aux structures embryonnaires, tel que celui de l’ordre international »286. En effet, pour lui, il y a légitime défense sur le plan

interne lorsqu’une personne fait l’objet d’une agression qui ne peut être empêchée par la force publique du fait de son immédiateté et la réaction encadrée sous certaines conditions, de la personne agressée est alors considérée comme juste et donc ne peut faire l’objet d’une incrimination. Ainsi, pour ZOUREK, dans son rapport provisoire de 1972 sur la notion de légitime défense en droit international, « les différences entre les situations créées par le recours à la légitime

défense en droit interne et en droit international sont telles que, même s’il était possible de dégager un concept

284 Cf. le Code pénal français en son article L.122-5.

285 L’analyse de la légitime défense relève très majoritairement du droit pénal. En ce sens, voir Didier REBUT, « Légitime défense – Point de vue juridique » dans Denis ALLAND et Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de la

culture juridique, Paris, Lamy, PUF, 2003, p. 924; André LAINGUI et Arlette LEBIGRE, Histoire du droit pénal,

Paris, Cujas, 1979.

286 Jean DELIVANIS, La légitime défense en droit international moderne, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1971, p. 7. L’auteur présente différentes approches doctrinaires comparant la nature de la légitime défense en droit international et en droit interne.

— 102 —

uniforme de la légitime défense par une étude comparative des systèmes de droit – ce qui n’est pas le cas – il ne serait pas permis de transposer cette notion en droit international »287.

Pourtant, il faut relever que nombreux sont ces auteurs qui sont convaincus de la transposition possible de la notion de légitime défense du droit interne vers la notion de légitime défense en droit international. D’où sa consécration par la Charte.

Outline

Documents relatifs