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L’habilitation du recours à la force : une pratique non conforme à la lettre de la Charte, mais compatible avec son esprit

B : Les faux espoirs de la disposition

Paragraphe 2 : La justification de l’habilitation du recours à la force au regard des autres dispositions de la Charte et du droit international

B. L’habilitation du recours à la force : une pratique non conforme à la lettre de la Charte, mais compatible avec son esprit

L’habilitation du recours à la force tient d’une approche nouvelle de la sécurité collective faite par le Conseil de sécurité. Ainsi, reconnaitre la conformité de cette technique de l’usage de la force au droit international, c’est accepter une interprétation nouvelle, voire une interprétation large de la Charte. En effet, en parcourant la Charte, il est clair qu’aucune de ses dispositions n’a explicitement consacré la mise en œuvre de l’usage de la force par le Conseil de sécurité, encore moins la technique de la délégation.

Cependant, si pour certains auteurs449, le Conseil de sécurité a commis un abus de droit aux

conséquences dangereuses pour la légitimité de l’Organisation, pour bien d’autres et pour nous,

448 Michael BOTHE, « Les limites des pouvoirs du Conseil de sécurité », Receuil des Cours de l’Académie de Droit

International, Colloque de La Haye (21-23 juillet 1992), « le développement du rôle du Conseil de sécurité. Peace-

keeping and Peace-building », Tome 237, 1992, pp. 74-75.

449 Nombreux sont ces auteurs qui ont été amenés à contester la licéité de la pratique de l’habilitation au motif que celle-ci ne respectait pas la lettre de la Charte, principalement à l’issue de la guerre du Golfe. Marc FRANKENSTEIN, L’Organisation des Nations Unies devant le conflit coréen, Pedone, Paris, 1952, p. 10 : « A ceux qui nous diront (…) qu’il ne faut pas trop s’en tenir à la lettre d’un document, nous répondrons que, dans le cas de la Charte, c’est encore le plus sûr moyen de s’en tenir à l’esprit. Comme c’est aussi le plus sûr moyen de garder à l’ONU son intérêt pratique, tant aujourd’hui qu’en 1945 » ; également Monique CHEMILLIER- GENDREA, lors de la « Table ronde sur le recours à la force comme moyen de faire respecter le droit », op.cit., p. 137 soutenait ceci : « nous avons (…) un texte fondateur, qui est la Charte, le texte conventionnel. Et puis nous avons des résolutions qui doivent être s’y conformer, sous peine d’être nulles, donc d’être dénoncées comme nulles par les juristes que nous sommes. Et les États doivent se conformer aux textes et ne doivent en aucun cas les dépasser, pour rester dans le cadre juridique. (…) ». Pour elle, il ne doit être fait d’interprétation abusive des textes de la Charte. Il faut se conformer prioritairement à la lettre de celle-ci. Pour Olivier

sans qu’il soit pour autant question de nier les dangers inhérents à ce genre de politique, cette pratique du Conseil de sécurité lui a permis et lui permet de remplir sa mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Pour Phillipe WECKEL, « le rétablissement de la paix constitue pour les Nations Unies un objectif supérieur impliquant l’action immédiate du Conseil de sécurité dans les formes que cet organe juge approprié. Celui-ci ne saurait se réfugier derrière un argument de procédure pour échapper à sa responsabilité majeure. Il faut admettre que l’impérieuse nécessité de la paix et de la sécurité justifie l’emploi d’un moyen d’action non prévu par la Charte »450.

Ainsi, du fait de la persistance dans cette pratique, le Conseil de sécurité a fini par créer une « coutume ». Et comme on le sait, par rapport au traité qui constitue un mode de formation conventionnel du droit, la coutume en est un mode de formation spontané.

Certes, c’est faute de pouvoir disposer d’une armée propre que l’Organisation n’a pu personnellement recourir à la force. Toutefois, pour être en cohérence avec les textes de la Charte, la pratique a pris le pas sur la théorie et s’est adaptée par le biais de la technique de l’habilitation. Cette technique qui a pris le pas sur les prévisions théoriques de la Charte va de ce fait devenir la règle. D’ailleurs, aux termes du Dictionnaire de la terminologie du droit international, le terme pratique désigne « une manière habituelle d’agir, de procéder, de décider qui ne constitue pas une règle coutumière, mais peut contribuer à la création de celle-ci »451. Tout

comme la coutume internationale, la pratique doit être répétée, concordante et constante452. En

RUSSBACH, « il y a deux façons de méconnaitre le droit international. La première consiste à le violer directement, agressivement, physiquement (…). La seconde consiste à ignorer ou à contourner le droit international. C’est ce que font les États, directement ou au travers d’organismes interétatiques, lorsque, au lieu de se servir du droit et des structures judiciaires existantes pour poursuivre et punir les premières violations du droit international, ils recourent à d’autres moyens… ». En se tenant à de tels raisonnements d’auteurs, il est clair que le Conseil de sécurité n’a en principe pas le droit de déléguer son pouvoir coercitif aux États membres puisqu’aucune disposition de la Charte ne le prévoit.

450 Phillipe WECKEL, « le Chapitre VII de la Charte et son application par le Conseil de sécurité », p.189, dans

Annuaire français de droit international, volume 37, 1991. pp. 165-202, DOI : https://doi.org/10.3406/afdi.1991.3013www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1991_num_37_1_3013. 451 Jules BASDEVANT, Dictionnaire de la terminologie du droit international, op. cit., p. 465 ; Jean SALMON (dir.),

Dictionnaire de droit international public, op. cit., p. 860 ; Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 702.

452 Convention de Vienne sur le droit des Traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales, 21 mars 1986, art. 2 § 1 j). Voir également O.M.C., Organe d’appel, Rapport Japon – Taxes sur

les boissons alcooliques, 4 octobre 1996, WT/DS8/AB/R, WT/DS11/AB/R (96-3951), p. 8 : « En droit international une pratique est généralement considérée comme ultérieure aux fins de l’interprétation d’un traité lorsqu’elle correspond à une suite d’actes ou de déclarations “concordantes, communes et d’une certaine constance”’, suffisante pour que l’on puisse discerner une

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effet, la pratique est une initiation soit d’un organe d’une organisation internationale soit d’un État parti. Et dans le contexte précis des Nations Unies, la pratique dont il est question résulte du comportement habituel du Conseil de sécurité.

Du reste, revenant à la pratique de l’autorisation de recourir à la force accordée aux États, il convient de relever qu’il est difficile a priori, d’accepter que cette pratique puisse créer le droit puisque formellement aucune disposition de la Charte ne permet de la fonder. Toutefois, cela n’est pas impossible. En effet, pour légitimer son droit de déléguer ses pouvoirs aux États, le Conseil de sécurité va se fonder sur ses pouvoirs implicites 453 qu’il tient des dispositions

générales de la Charte et particulièrement de son Chapitre VII. Le recours habituel à ses « pouvoirs implicites » et l’absence de contestation de la part des États à ce propos, a renforcé la pratique de l’autorisation de recourir à la force accordée aux États sur une base coutumière.

En effet, au début de sa mise en œuvre par le Conseil de sécurité, la technique de l’autorisation du recours à la force donnait l’impression de déposséder de son rôle principal le Conseil de sécurité au profit des États qui, à titre unilatéral, décident des interventions militaires. Pour les tenants de cette interprétation plutôt restrictive des pouvoirs du Conseil de sécurité, la

attitude qui suppose l’accord des parties à l’interprétation du traité. Un acte isolé n’est généralement pas suffisant pour constituer une pratique ultérieure ; seule une suite d’actes établissant l’accord des parties peut être prise en considération ».

453 À ce sujet, il faut relever la critique juridique sévère et pertinente de Michael BOTHE au sujet des pouvoirs implicites sur lesquels se fonde le Conseil de sécurité pour recourir à la technique de l’autorisation. En effet, l’auteur dit : « [l]es [M]embres des Nations Unies ont conféré, en vertu de l’article 24, la responsabilité pour le maintien de la paix au Conseil de sécurité et non pas à une entité que le Conseil peut imaginer. Toutes les règles de procédure auxquelles l’exercice de cette responsabilité est soumis pourraient être contournées si l’on admettait un tel pouvoir de délégation. Si l’on conçoit donc la résolution du 29 novembre 1990 qui “autorise” l’emploi de la force contre l’Irak comme une délégation (parce que ce n’est pas le Conseil de sécurité qui décidera finalement sur cet emploi, mais des gouvernements coopérant avec le Gouvernement du Koweït), la résolution est mal fondée sur la Charte. Mais elle peut être considérée comme légale en tant que réglementation concernant un droit que ces États possèdent de toute façon, à savoir le droit de légitime défense collective. Pour des raisons semblables à celles évoquées en ce qui concerne la délégation, des actions de coercition visée par l’article 42 doivent être des actions conduites sous la direction effective du Conseil de sécurité et non pas des actions entreprises par certains États membres pour leur propre compte sur la base de leur propre décision, jouissant d’une sorte de bénédiction globale du Conseil de sécurité. Pour cette raison, il est difficile de caractériser l’action militaire des alliés contre l’Irak comme une mesure coercitive en vertu de l’article 42 ». Ce raisonnement trop systématique et restrictif est en effet nécessaire pour empêcher, tout au moins essayer d’empêcher, un usage illimité de pouvoirs mal définis. Par ailleurs, il n’a pas de doute que le Conseil dispose des pouvoirs implicites. Cependant, la notion des pouvoirs implicites est étroitement liée à celle des pouvoirs spécifiques : « on ne peut pas et on ne doit pas déduire des pouvoirs implicites des buts de la Charte. Cela rendrait l’équilibre des compétences établi par la Charte illusoire […], », Michael BOTHE, « Les limites des pouvoirs du Conseil de sécurité », dans Colloque de l’Académie de droit international de La Haye (éd.), Le développement du rôle du Conseil

de sécurité, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1993, p.73 et 74, p. 67 à 81.

compétence et l’autorité du Conseil de sécurité sont expressément et limitativement confinées dans ses pouvoirs spécifiques prévus par la Charte d’où le rejet de la technique de l’autorisation faite aux États de prendre « toutes les mesures nécessaires ». D’ailleurs, pour eux, cette technique est une confiscation du pouvoir du Conseil de sécurité par les États Membres au motif de son incapacité454 et cette confiscation de pouvoir dépouille le Conseil de sécurité de son rôle de

premier responsable.

Cependant, on ne saurait donner d’emblée raison aux tenants de cette thèse restrictive dans la mesure où, aujourd’hui, en se reconnaissant ce droit d’autoriser des États à recourir à la force, et en leur « sous-traitant » la gestion coercitive de certaines crises, le Conseil de sécurité s’est réattribué d’une certaine manière, son pouvoir principal. Il définit ainsi le cadre juridique de l’intervention qu’il a décidé d’autoriser en délimitant ses prolongements pratiques. Assurément de nos jours, le Conseil de sécurité a la maitrise des opérations militaires décidées puisqu’il entreprend lui-même et de façon discrétionnaire l’action militaire.

Par ailleurs, les articles 24 – reconnaissance implicite au Conseil de pouvoirs généraux – et 25 – obligation de respect et application des décisions de cet organe qu’il met à la charge des Membres des Nations Unies – de la Charte sont autant d’appuis qui permettent de légitimer la pratique de l’autorisation de recourir à la force accordée aux États455 par le Conseil. Pour Hans

KELSEN456 par exemple, en l’absence des accords de l’article 43, les articles 39, 42, 47 et 48

n’excluent pas la possibilité pour le Conseil de sécurité de décider que les États entreprennent des actions coercitives impliquant le recours à la force armée. En effet, pour une certaine majorité de la doctrine, la Charte doit être interprétée de façon souple et dynamique, tant que l’on ne perd pas de vue les objectifs des Nations Unies.

454 Philippe LAGRANGE, La sous-traitance de la gestion coercitive des crises par le Conseil de sécurité des Nations Unies, Thèse de droit public, op. cit.,, p.201. Voir Christiane ALIBERT, Du droit de se refaire justice dans la société

internationale depuis 1945, Paris, LGDJ, 1983, et Philippe MANIN, « La substitution des États à l’organisation »,

dans SFDI, Les organisations internationales contemporaines. Crise, mutation, développement, Colloque de Tours, juin 1988, Paris, Pedone, 1988, p.161 et S.

455 Daniel DORMOY, « Réflexions à propos de l’autorisation implicite de recourir à la force », dans SFDI (dir.),

Les métamorphoses de la sécurité collective, Paris, Pedone, 2005, p. 223, à la page 230, p. 224.

456 Hans KELSEN, The Law of the United Nations. A Critical Analysis of its Fundamental Problems, Stevens & Sons Limited, London, 1950, p. 756.

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En outre, il faut relever que depuis 1990, le Conseil de sécurité privilégie une autre approche de la sécurité collective. Il s’agit de l’approche opérationnelle et tel que le soutient Serge SUR, cette nouvelle approche s’est substituée à l’ancienne approche déclaratoire et qui se révélait essentiellement de l’Assemblée générale457. En effet, selon Serge SUR, « les pouvoirs du Conseil

sont des pouvoirs opérationnels, ce qui signifie qu’il n’a pas besoin de définitions ni même de dispositions trop précises de la Charte. Il ne faut pas le condamner à lire la Charte avec des lunettes de notaire ou même de juge. Il doit pouvoir fonctionner avec une flexibilité suffisante en fonction des opérations qu’il a à mener (…) ».458

Au demeurant, de ce qui vient d’être exposé, il ressort que si la pratique de l’habilitation du recours à la force n’est manifestement pas conforme à la lettre de la Charte, elle n’apparait pas pour autant contraire à la moindre de ses dispositions. Encore mieux, elle se révèle compatible avec l’esprit général qui anime l’action des Nations Unies et donc pour ces raisons, elle doit être considérée comme licite et légitime. Ainsi, pour beaucoup, le caractère licite de cette nouvelle pratique coutumière du Conseil de sécurité ne fait pas de doute. Certes, elle ne correspond à aucune des dispositions littérales de la Charte, initialement prévues, mais précisément c’est parce qu’aucune de ces dispositions ne permet de la justifier, que le Conseil de sécurité a eu besoin de développer de façon coutumière cette pratique dérogatoire.

Par conséquent, dans l’impossibilité de pouvoir rester dans le cadre restrictif de la Charte, le Conseil de sécurité a dû s’adapter en concevant la technique de l’autorisation. Ainsi, bien que dépassant la lettre de la Charte, cette technique reste pour l’essentiel, conforme à l’esprit de la Charte.

457 Serge SUR, « la sécurité internationale et l’évolution de la sécurité collective », pp.124-125, dans Trimestre du

monde, 1992, n° 4, p. 121-134.

S

ECTION

II :L

E DEPASSEMENT DE LA LETTRE DE LA

C

HARTE

:

LA CONCEPTION

DE LA TECHNIQUE DE L

AUTORISATION

En vertu du Chapitre VII de la Charte, le Conseil de sécurité peut prendre des mesures coercitives pour faire face aux menaces et actes d’agression contre la paix et la sécurité internationales. À ce titre, il a plusieurs fois autorisé des États Membres à faire usage de « tous les moyens nécessaires », y compris la force, pour atteindre les objectifs ainsi fixés par lui. Cependant, bien qu’ayant prévu cette possibilité de l’autorisation des actions coercitives, la Charte n’a pour autant pas pu déterminer les conditions de validité relative à une telle décentralisation de la sécurité collective.

En effet, dans le silence de la Charte en ce qui concerne les conditions de validité de l’autorisation de recourir à la force, c’est la doctrine qui, en se référant aux précédents dans lesquels le Conseil de sécurité a autorisé des actions coercitives, a relevé les éléments susceptibles de poser ces conditions (paragraphe II). Et, certes, il y a de multiples précédents à l’instar de la guerre du Golfe, du conflit yougoslave, ou encore des situations en Somalie et au Timor Oriental qui ont permis de consolider l’idée selon laquelle l’autorisation de recourir à la force appelle l’association nécessaire de plusieurs éléments cumulatifs, mais indiscutablement c’est la crise coréenne qui constitue le point de départ de cette technique (paragraphe I).

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