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A : L’interdiction du recours à la force contre l’intégrité territoire ou l’indépendance politique de tout État

L’intégrité territoriale est le devoir inaliénable d’un État souverain à préserver ses frontières contre toute influence extérieure, dont la violation peut conduire à déclencher les hostilités entre États. Il s’agit d’un principe de droit international qui implique pour chaque État de préserver ses frontières contre les immixtions étrangères. Aussi, la Charte l’a-t-elle consacré dans son article 2 § 4, en ses termes : « Les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État… ». Ainsi, de cet article, il ressort que le non-respect voire la violation de « l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État » constituerait une cause légitime de recourir à la force et donc d’entrer en guerre. De ce fait, il appartient à chaque État aux fins de maintenir sa compétence nationale sur son territoire, de se protéger contre toute agression externe. Et c’est également dans ce sens qu’il faut lire l’article 2 paragraphe 7 de la Charte qui stipule qu’« Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État (...) ».

Cependant, notons que depuis l’adoption de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations Unies en date du 14 décembre 1960, portant sur la Déclaration sur l’Octroi de

l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux253, le principe de l’intégrité territoriale des États a

connu une nouvelle interprétation. En effet, aux termes de cette résolution, le recours à la force reste légal lorsqu’il a « (...) la nécessité de mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations (...) », et que « toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies »254. De

ce fait, il ne fait aucun doute que le principe de l’intégrité territoriale va de pair avec celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes255, principe qu’on détaillera dans la partie B ci-dessous.

Revenant par ailleurs à la notion d’« indépendance politique », il faut noter qu’étymologiquement, le mot « indépendance » est tiré du latin et veut dire absence de contrainte. En effet, in veut dire « privé de » et dependere « être suspendu à ». Et d’une manière générale, l’indépendance peut désigner le refus de toute sujétion. En poussant plus loin le raisonnement, on retient que pour un État, une nation ou encore une collectivité, l’indépendance va se résumer à l’acquisition de l’autonomie, essentiellement dans le politique, ainsi que le fait de ne pas être soumis à une autre puissance. Ainsi, si l’indépendance signifie pour un État et sa population une autogouvernance et une souveraineté totale sur le territoire, l’indépendance politique d’un État va alors se décliner sous différentes formes. D’ailleurs, l’indépendance politique d’un État se mesure non seulement par rapport à son indépendance énergétique, c’est- à-dire par rapport à sa sécurité d’approvisionnement en énergie (pétrole, gaz…), mais surtout par rapport à son indépendance monétaire, et son indépendance économique.

Alors, si l’indépendance désigne le refus de toute soumission, que l’indépendance politique d’un État désigne de manière générale la souveraineté interne et internationale de l’État, l’on peut légalement justifier l’usage de la force par les États lorsqu’ils se trouvent dans ces cas. Ainsi, le paragraphe 7 du même article 2 confirme cette exception restrictive de l’article 2 en disposant

253 Voir la résolution en intégralité [En ligne],

http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/1514(XV)&Lang=F, page consultée le 1er septembre 2018.

254 Cf. la Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1960, sur la Déclaration sur l'octroi

de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, [En ligne], page consultée le 10 janvier 2014

http://www.un.org/fr/decolonization/declaration.shtml.

255 Voir l’article du Centre d'Études internationales, « La portée du principe de l'intégrité territoriale des États », [En ligne], http://saharadumaroc.net/spage.asp?rub=2&Txt=251&parent=&parent2=, page consultée le 12

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que le principe de la prohibition du recours à la force « ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII de la Charte ».

Ensuite, au-delà du fait de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité du territoire ou l’indépendance politique de tout État, l’article 2 § 4 dispose également que les États doivent s’abstenir de l’usage de la force dans « leurs relations internationales » ; ce qui sous-entend que sur le plan interne, voire sur son propre territoire et au non de son intégrité territoriale, l’État peut recourir à la force. Effectivement, les Membres de l’Organisation s’abstiennent de recourir à la menace ou à l’emploi de la force (…) « dans leurs relations internationales ». De cette portion de l’article 2 paragraphe 4 de la Charte, on note que l’interdiction dont il est question fait référence à l’usage de la force sur le plan international. Ainsi, au sens des rédacteurs de cet article, seul l’usage de la force dans les relations internationales était interdit. Par conséquent, l’usage de la force par les autorités d’un État souverain sur son propre territoire serait licite. Cependant, lorsqu’un conflit interne tend à s’internationaliser, et donc susceptible de dégénérer en conflit international, il entre dans le champ d’application de l’article 2 § 4 de la Charte.

Ainsi, selon l’article 2 § 4, le principe du non-recours à la force ne s’applique que dans le cadre des relations internationales des États et ne traite pas de la question de l’emploi de la force par les États contre leur propre population. La question ne sera en principe abordée sous l’angle

de l’article 2 § 4 qu’en cas de constat de crime contre l’humanité256 ou de génocide257. En effet,

dans l’exercice de leur souveraineté, les États peuvent lorsque les circonstances l’exigent, employer la force notamment en vue du maintien de l’ordre public sur leur territoire. Tels sont donc autant d’éléments qui permettent à certains auteurs de voir en cet article 2 § 4 une interdiction partielle voire une réglementation du recours à la force armée, plutôt qu’une interdiction totale et absolue.

Par ailleurs, peut aussi être soulevé ici la question de la légalité de l’usage de la force par les entités non étatiques puisque ces derniers ne sont en principe pas des États. Cependant, cette interrogation faisant l’objet de développements ultérieurs, l’on a souhaité ne pas y faire cas sous ce paragraphe.

256 Selon la Cour Pénale Internationale [En ligne], http://www.icc- cpi.int/fr_menus/icc/about%20the%20court/frequently%20asked%20questions/Pages/12.aspx, page consultée le 10 avril 2013, les crimes contre l’humanité incluent des actes commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. La liste de ces actes recouvre : meurtre ; extermination ; réduction en esclavage ; déportation ou transfert forcé de population ; emprisonnement ; torture ; viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; persécution d’un groupe identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ; disparition forcée de personnes ; crime d’apartheid ; autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale. Relevant du droit international, les crimes contre l’humanité sont des crimes imprescriptibles. En effet, l’expression de « crimes contre l’humanité » a été utilisée pour la première fois en droit international dans la déclaration conjointe franco-russo-britannique de 1915, qui condamnait les massacres des populations arméniennes de l’Empire ottoman. Elle reçut sa définition formelle lors du procès des criminels de guerre nazis dans le statut de Nuremberg qui reste l’acte fondateur de sa définition. Ainsi, l’article 6 (c) définit les crimes contre l’humanité comme : « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre les populations civiles avant ou pendant la guerre, ou les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions sont perpétrés en liaison avec un crime relevant de la juridiction du tribunal, que ce soit ou non en violation de la loi du pays où il est perpétré ».

257 En droit français, le crime de génocide peut être considéré comme une catégorie de crime contre l’humanité. Mais tous les crimes contre l’humanité ne sont pas des génocides. Il est cependant puni de la réclusion criminelle à perpétuité. L’article 211-1 du Code pénal français définit le crime de génocide avant de donner la définition des autres crimes contre l’humanité : « Constitue un génocide le fait, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l’encontre de membres de ce groupe, l’un des actes suivants : - atteinte volontaire à la vie ; - atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique ; - soumission à des conditions d’existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe ; - mesures visant à entraver les naissances ; - transfert forcé d’enfants ». Ainsi, quatre crimes contre l’humanité au XXe siècle ont été reconnus et qualifiés de génocide par la justice : le génocide des Arméniens en Turquie, le génocide perpétré par les nazis contre les Juifs et les Tsiganes, le génocide des Tutsis au Rwanda, et le massacre de milliers de musulmans de Bosnie, en 1995 à Srebrenica.

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En somme, au sens des rédacteurs de l’article 2 § 4, on serait en face de deux258 hypothèses

particulières et une hypothèse générale259 d’interdiction de l’usage de la menace ou du recours à

la force. Et outre ces deux cas où l’usage de la force est prohibé, dans les autres cas, le recours à la force reste licite selon la Charte. En effet, certains auteurs y voient là une contradiction interne de la Charte, puisqu’elle rétablirait sur cette base un droit de recourir à la force qui serait contraire à ses principes. Et pour d’autres auteurs en revanche, il s’agit tout simplement d’une exception à un principe d’interdiction, d’autant plus que la légitime défense, individuelle ou collective, est encadrée par la Charte et en théorie provisoire260.

De même, aux termes de l’article 2 § 4 de la Charte, les États sont autorisés à user de la force militaire dans la mesure où ce celle-ci serait conforme aux buts des Nations Unies.

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