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D’après Dolz, l’interactionnisme est une « perspective épistémologique qui considère que toute connaissance doit être analysée dans le cadre d’une relation d’interdépendance entre le sujet connaissant et l’objet à connaître ».

Notre objectif est de présenter les orientations fondamentales de la démarche de l’interactionnisme socio-discursif. L’interactionnisme socio-discursif est une suite du projet de l’interactionnisme social. L’interactionnisme social se caractérise d’abord par un positionnement épistémologique et politique, en rapport aux conditions du développement humain, qui est issu, pour l’essentiel, des œuvres de Spinoza (1954), Marx (1951) et Vygotski (1997). D’abord, il se centre sur l’ontogenèse humaine, et ne l’aborde que dans une démarche descendante. Il laisse à d’autres formes d’interactionnisme et aux courants de la sociologie reconstructive (Giddens, 1987, Schurmans, 2001) d’aborder les mécanismes remontants.

Ainsi, il se centre sur les pré-construits que constituent les textes en commentant les activités humaines, pour aborder le développement des individus sous leur angle épistémique et praxéologique.

Comme Bronckart le mentionne, sa démarche est « une tentative de prolongement et de développement du projet de l’interactionnisme social qui a émergé dans les premières décennies du XXe. » (Bronckart, 2005, p. 149). Selon cet auteur (1997), l’approche de l’interactionnisme socio-discursif souligne le rôle fondamental de l’activité discursive dans le développement. Il considère qu’au niveau des pré-construits, le premier objectif de l’interactionnisme socio-discursif a été de se doter d’un modèle cohérent de l’organisation interne des textes et le deuxième d’analyser les conditions de mise en œuvre effective des textes.

Bronckart, Bain, Schneuwly, Davaud et Pasquier (1985) ont abouti au schéma de l’architecture textuelle dont ils relèvent deux aspects centraux. Le premier se rapporte à la différence entre genres de textes et types de discours. Comme Bakhtine le souligne, la richesse et la diversité des genres sont infinies, car la variété virtuelle de l’activité humaine est inépuisable et chaque sphère de cette activité comporte un répertoire de genres qui va se différenciant et s’amplifiant à mesure que se développe et se complexifie la sphère donnée » (1984, p. 285, cité par Dolz & Gagnon, 2008).

Bronckart rapporte que tout texte relève d’un genre, au sens de Bakhtine (1978), que l’on peut définir comme une unité communicative, élaborée dans une langue naturelle, et dépendant de diverses exigences interactives. Les types de discours sont des unités linguistiques en nombre restreint, qui peuvent être utiles à la composition de tout genre. Les unités linguistiques témoignent de ce que Genette (1986) caractérisait comme des « attitudes de locution » et Bronckart comme des « mondes discursifs ». Le second aspect se rapporte à la distinction entre deux sortes de mécanismes qui soutiennent la cohérence d’ensemble des textes. Il s’agit des mécanismes de textualisation qui exploitent les ressources linguistiques pour assurer la progression thématique et des mécanismes de prise en charge énonciative, qui

sont plus liés à l’organisation générale du genre, et au contenu thématique du texte.

Le deuxième objectif de l’interactionnisme socio-discursif est, comme nous l’avons déjà mentionné, d’analyser les conditions de production des textes. Selon Bronckart, les genres textuels sont les produits d’une activité langagière collective, qui visent à adapter les formats textuels aux exigences des activités générales. Après des recherches réalisées pendant des années, Bronckart considère que l’activité collective constitue la seule « réalité » attestable, et que les « actions » constituent des figures interprétatives, issues du besoin d’identifier les conditions de participation des individus à l’activité collective.

Plus généralement, ce n’est que pour des raisons stratégiques que l’interactionnisme socio-discursif vise à démontrer le rôle fondateur du langage, et notamment du fonctionnement discursif, dans le développement humain.

Pour ce faire, l’interactionnisme socio-discursif prend résolument appui sur l’œuvre de De Saussure, se rapportant aux notes de travail et de préparation des cours, aujourd’hui accessibles et ré-analysées (De Mauro, 1975, Fehr, 2000, Godel, 1957, de Saussure, 2002).

De Saussure ne retient que deux thèmes : l’un est celui du statut des signes et l’autre, celui du système de la langue. S’agissant des signes, on sait que l’auteur les définit comme des entités immotivées (la substance sonore expressive n’entretient aucun rapport de dépendance avec les propriétés de la substance du référent), discrètes, et organisées dans la linéarité.

Mais trois autres aspects de l’analyse saussurienne retrouvée paraissent plus décisifs encore.

Tout d’abord, la relation de signe n’opère pas entre les deux domaines substantiels qui viennent d’être évoqués. Ce ne sont pas les sons qui constituent les entités fonctionnelles de l’expression, mais les différentes classes de sons, autrement dit les phonèmes. De la même manière, ce ne sont pas les objets matériels, ou les idées, qui constituent les véritables entités du contenu exprimé, mais les classes d’objets ou d’idées.

Bronckart (1977) examine comment on peut mettre en relation les deux types de formes. Il remarque qu’avec l’analyse diachronique, De Saussure montre que ces formes sont délimitées et organisées selon des modalités propres à chaque langue naturelle. Et c’est la structuration des formes qui nous amène aux signifiants et aux signifiés de chaque langue.

Pour en revenir aux conditions de constitution de la pensée, cela conduit à considérer que l’intériorisation des signes aboutit nécessairement à la constitution d’unités psychiques dont le format dépend du type de structuration de la langue naturelle en usage.

Les relations entre pôle signifiant et pôle signifié d’un signe sont susceptibles d’être déplacées dans l’usage, comme en atteste le changement permanent des langues. Un des effets de ces changements est que pour exprimer un même domaine de référence, on peut utiliser des mots différents qui ont à peu près le même sens et cela, car le système de la langue n’est pas fermé mais au contraire en relation avec d’autres systèmes. S’agissant de ce système de la langue, De Saussure considère qu’il est « fait pour la vie sociale » et ne peut être compris que sur la base de l’analyse de son fonctionnement dans cet élément: « à aucun moment, et contrairement aux apparences, [la langue] n’existe en dehors du fait social… » (1916, p. 112). Les expressions de « fait social » ou de « vie sociale » nous amènent à penser au fonctionnement humain, qui est à la fois historique, social, psychologique et

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communicatif. Et c’est par ces quatre dimensions que De Saussure se propose d’analyser la mise en œuvre effective, ou « réelle », du système de la langue.

Le système de la langue, dans l’histoire humaine, est soumis aux changements. Il est à la fois porteur de tradition, de changements et des résultats de ces changements.

Aussi le système de la langue est-il en rapport avec le fait social. Mais il n’existe de faits sociaux que dès lors que des individus les construisent. Le rapport de la langue à la société est examiné par De Saussure dans une perspective d’interdépendance, ce qui met en évidence un double régime de fonctionnement des langues. D’un côté, la langue est inscrite dans le patrimoine d’une communauté et, d’un autre côté, elle est inscrite en chacun des membres de cette communauté et varie en fonction du niveau de formation, de la profession, ou de l’appartenance régionale de ces mêmes membres. Le système de la langue est utilisé dans les pratiques communicatives que constituent les discours.

Nous pouvons dire que l’interactionnisme socio-discursif prolonge l’approche de De Saussure, en examinant comment fonctionnent et s’organisent les signes et leurs valeurs dans les pratiques communicatives. L’interactionnisme socio-discursif met en relation les mécanismes d’interaction présents dans la langue, l’activité sociale, le psychologique et le discursif, en analysant l’activité langagière, qui a comme objet de commenter les activités ordinaires, d’aider à leur planification et à l’évaluation de leurs résultats. D’après Bronckart, c’est au deuxième niveau, celui des textes (oraux ou écrits) que se réalise l’activité en exploitant les ressources d’une langue naturelle. Les textes se divisent en genres dont la diversité est illimitée, car les textes servent à commenter des activités qui sont-elles mêmes variées. En outre, leurs caractéristiques dépendent des divers média d’interaction communicative et des choix effectués par certaines formations sociales (La notion de formation discursive de Foucault, 1969), en fonction de leurs objectifs propres. Les textes sont des unités dépendantes, car ils commencent et finissent en relation à l’activité langagière (Bakhtine, 1984). Ces deux caractéristiques témoignent du rapport que l’activité langagière entretient avec l’activité ordinaire, qui détermine les formes de réalisation de la langue que constituent les différents genres de textes. Mais, à l’exception de la diversité des genres, les textes sont aussi construits selon des règles générales, qui présentent les unités communicatives comme cohérentes. Selon Bronckart, les opérations psycho-langagières sont constitutives de la textualité. Toute production textuelle comporte des choix, quant à la sélection et à la combinaison des entités linguistiques susceptibles de réaliser une opération psycho-langagière donnée. Le choix présente un deuxième type d’interaction, entre le système textuel-discursif et le système de la langue.

À l’intérieur de chaque texte, il y a une autre organisation, qui est celle des types de discours. Genette (1986) a présenté la nécessité de distinguer les textes en fonction des genres, de celles de distinguer les textes en fonction de leurs « modes d’énonciation ». Pour lui, les genres ne peuvent pas faire l’objet d’un classement stable, tandis que les « modes » se traduisent par des formes linguistiques plus stables et donc identifiables. Bronckart (1996) a précisé la différence de statut entre textes (grâce au genre) et types de discours. Les textes sont des unités communicatives, qui sont articulées à l’activité langagière. Les types du discours sont des unités linguistiques qui aident à la composition des textes. Les

représentations d’un organisme sont en relation avec le régime psychologique individuel de la personne, qui est différent des régimes d’ordre sociologique qui organisent les représentations qui sont en relation avec le collectif.