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2.3 La grammaire dans les pratiques d’enseignement

2.3.2 L’analyse des pratiques grammaticales en classe

Nous pensons que les pratiques d’enseignement prennent en compte les difficultés des apprenants, les enseignants et leur formation, mais aussi les contenus enseignés, autrement dit le triangle didactique et que les activités scolaires impliquent des tâches, des exercices prescrits par l’enseignant et définis par des consignes de toutes sortes.

Ainsi pour chaque élément disciplinaire seraient d’abord identifiées les pratiques enseignantes les plus favorables aux apprentissages ; ces pratiques seraient ensuite décrites dans le détail de leur réalisation concrète pour devenir contenu de la formation des enseignants. Après nous être référés aux meilleures pratiques, nous désirons nous rapporter à des recherches qui examinent les objets grammaticaux.

La première question posée par un certain nombre de chercheurs (Dolz & Simard, 1998 ; Schneuwly & Dolz, 2008 ; Canelas Trévisi, 2008) est de savoir quels sont les objets grammaticaux enseignés et comment ils sont mis en pratique par les enseignants.

D’après Aeby & Dolz (2004), l’analyse des pratiques des enseignants indique qu’ils prennent en compte les capacités langagières des élèves, leur choix des outils, les situations d’enseignement, les démarches, les savoirs sur l’enseignement et les objets construits en situation d’enseignement. Toutes ces diverses pratiques grammaticales témoignent d’un éclectisme révélateur des représentations grammaticales de chaque enseignant dans la gestion de son cours de langue.

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Dans le cadre de l’analyse des pratiques, nous rencontrons le problème de la critique de leçon. Quelles dimensions intersubjectives de l’espace collectif l’enseignant pourrait-il puis devrait-il investir pour améliorer sa pratique ? L’analyse du travail opère une distinction fondatrice et utile pour répondre aux questions entre tâche et activité ou, pour reprendre l’expression de Leplat (1997, p. 20) entre « ce qu’il y a à faire » et « ce que l’on fait ». Cet écart est toujours repéré, y compris dans les situations où le travail est présenté comme une

«simple exécution» et où la prescription (fiche technique, procédure, instructions, plans d’étude, manuels…) prétend rendre compte de la totalité de l’action. C’est pourquoi le

«travail réel» ne correspond jamais exactement à ce que la prescription en dit. La tâche n’est ainsi, à proprement parler, jamais « exécutée » mais toujours réorganisée, transformée. S’il est important d’insister sur la complexité d’une situation de travail en classe ainsi que sur les diverses dimensions (psychologiques, sociologiques, etc.) qui sont en jeu, il est utile de rappeler que la raison d’être de toute activité scolaire est l’apprentissage de savoirs disciplinaires, que ces savoirs disciplinaires doivent être bien maîtrisés par l’enseignant et que les activités langagières qui sont présentes dans chaque situation peuvent faire l’objet d’une analyse en relation avec le contenu à maîtriser. L’enseignant doit posséder une maîtrise du contenu disciplinaire concerné par la séance et être capable de gérer et d’accompagner la tâche langagière d’explicitation pour guider ses élèves dans leurs apprentissages.

Dans un article de synthèse portant sur les « pratiques langagières et scolarisation », Bautier (2001) déplore que la question des relations entre le langage (ou la langue) des élèves et leur scolarisation soit « davantage inscrite dans une tentative de proposition de résolution des difficultés des élèves et des enseignants que dans une démarche de compréhension d’une situation aux dimensions simultanément linguistique, langagière, psychologique, sociologique » (p. 117). De ce point de vue la recherche peut contribuer d’emblée à mieux saisir les situations d’enseignement à partir de l’analyse des pratiques.

L’enseignement de la grammaire occupe une place prépondérante dans l’enseignement du français langue étrangère. Les éléments qui intéressent le plus dans son enseignement sont l’ordre et la progression des contenus ainsi que les supports utilisés. La grammaire cherche à étudier systématiquement les éléments constitutifs d’une langue. À côté des grammaires normatives qui décrivent ce qui devrait être l’usage du bon français, il existe des grammaires descriptives qui essaient de dégager les principales structures qui la constituent à partir de l’observation de faits de langue. Selon Dolz & Simard (2009), « De même qu’il existe une pluralité d’acceptions pour le terme même de grammaire, il existe une grande pluralité et une grande diversité de pratiques grammaticales qu’il importe dans un premier temps de repérer et de décrire afin de mieux en comprendre la nature, le fonctionnement, l’efficacité » (p. 26).

Comme nous l’avons déjà relevé, chaque enseignant utilise les pratiques grammaticales qu’il considère les plus adaptées quant au niveau, aux nécessités et aux exigences de ses élèves. Il peut utiliser par exemple les outils et les matériaux didactiques appropriés à son public, des tests, des productions de ses élèves, etc.

Mais comment les apprenants étudient-ils la grammaire ? La comprennent-ils ? Apprécient-ils la grammaire et son enseignement, ses contenus ? Pourquoi l’étudient-ils ?

Bien que nous nous rapportions aux manuels dans une autre partie de notre thèse, nous pensons qu’il est utile de mentionner maintenant que les manuels, en Grèce, sont le principal support de l’enseignement de la grammaire en français langue étrangère et qu’ils comportent un nombre restreint d’activités. Une grande partie des manuels reprennent les règles grammaticales présentées dans les dialogues de chaque unité. La notion d’activité a pour but de placer l’apprenant au cœur de la langue enseignée, de l’aider à comprendre plus facilement cette langue et, finalement, de l’initier aux mécanismes de la langue qu’il est en train d’apprendre.

Souvent, les manuels ou les enseignants accentuent les spécificités ou les points difficiles du français et amènent l’apprenant à une meilleure assimilation. Dans un grand nombre de manuels, nous constatons que la grammaire se construit progressivement et que les auteurs évitent autant que possible l’éclatement des points de grammaire sur plusieurs unités. Le plus fréquemment, deux approches permettent d’aborder la grammaire : d’abord celle, implicite, où les apprenants essaient de rechercher quelle est la fonction d’un phénomène grammatical, d’une part à travers les dialogues et les activités, d’autre part grâce à l’aide du professeur ; ensuite celle, explicite, où les pages consacrées à la grammaire aident le professeur à enseigner les notions rencontrées. La plupart des manuels contemporains présentent dès le départ les règles (grammaire inductive) et ils insèrent chaque point dans une structure (phrase complète), pour permettre une grammaire plus communicative et, ainsi, permettre à l’apprenant de mieux comprendre quelle est l’utilisation des points grammaticaux qui y sont présentés. Ainsi, les manuels donnent-ils la possibilité aux apprenants qui ont un esprit analytique et rationnel de comprendre en profondeur la raison pour laquelle ils utilisent un phénomène grammatical, comment et dans quelles circonstances l’utiliser. Pour les autres apprenants qui sont plus émotifs et plus imaginatifs, la grammaire présentée de cette façon les aide à assimiler plus facilement les phénomènes grammaticaux. L’étude de l’orthographe est surtout fondée sur l’observation et sur la comparaison entre les productions de l’oral et les graphies correspondantes. Les phénomènes grammaticaux sont souvent présentés en contexte afin que l’apprenant acquière des structures et non des éléments disparates. Ce qui est intéressant pour les apprenants est de comprendre les différences qu’il y a entre la grammaire de leur langue première et celle de la langue cible.

Il est certain que la façon d'expliquer un phénomène grammatical peut différer d'un enseignant à l'autre et que la formation peut contribuer à développer ce type de réflexions qui sont importantes pour leur développement professionnel. Dans le cas de l’enseignement des langues étrangères ou secondes, l’alternance entre la langue première et la langue étrangère joue un rôle important (Gajo, 2007). L’enseignement classique comme l’enseignement rénové peuvent s’entrecroiser dans les activités réelles des enseignants qui se présentent, au-delà des innovations certaines, comme une sédimentation de pratiques plus anciennes.

Schneuwly & Dolz (2008) montrent cependant de nombreuses régularités dans la manière d’enseigner un contenu grammatical précis comme la subordonnée relative. Par rapport à notre recherche par exemple, un enseignant grec est invité à expliquer l’utilisation des articles partitifs (nous rapportons ce phénomène grammatical, car il n’existe pas en grec et son utilisation présente souvent des difficultés pour les apprenants grecs). Premièrement, l’enseignement essaiera d’expliquer le phénomène en français mais, s’il constate que ses

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élèves ont des difficultés pour comprendre, il continuera l’explication dans leur langue maternelle pour faciliter la compréhension des élèves.

Dans leur pratique grammaticale quotidienne, il est remarquable de constater que les enseignants essaient de proposer des démarches diversifiées, alors que les outils dont ils font usage sont encore marqués, pour la plupart, par le traditionalisme. Nous savons, tant par notre expérience comme professeur de français en Grèce, que par notre participation à des séminaires et des colloques, qu’ils savent se détacher de ce qui leur est proposé lorsqu’ils le jugent nécessaire.

Les enseignants sont capables de réfléchir sur leurs pratiques. Ce qui se dégage, ce sont des démarches grammaticales ancrées dans des pratiques anciennes ou des innovations plus récentes ou encore des bricolages personnels. Comme le note Puren, « la fin des méthodologies constituées et l’entrée dans une nouvelle ère éclectique ouverte à la diversité maximale des procédés, techniques et méthodes, constituent une chance pour les enseignants expérimentés qui y trouvent l’occasion de donner libre cours à leur créativité didactique » (1997, p. 12).