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Pour notre recherche, il nous semble nécessaire de définir le mot ‘culturel’ et les deux termes-clés ‘civilisation’ et ‘culture’, dont les acceptions peuvent être interchangeables et variables selon les époques et la spécialité des auteurs convoqués.

Bien que l’usage de ces deux termes ne soit pas nouveau (les Grecs parlaient déjà de civilisation), les essais de définitions qui en ont été faits sont relativement récents.

Le terme ‘culturel’ est introduit en Allemagne vers 1850. Il désigne, d’une part, ce qui relève de la civilisation et, d’autre part, ce qui relève de la culture. « Cet adjectif trop commode provoque bien des irritations ; on l’accuse d’être barbare, mal formé. Mais tant qu’on ne lui aura pas trouvé de rival, son avenir restera assuré. Il est le seul à assurer son service » (Braudel, 1993, p. 36).

3.1.1 Définitions de culture-civilisation

La racine col- appartient au patrimoine linguistique européen commun et on la trouve dans le verbe latin colo, colere, colui (« cultiver ou recueillir »). Le mot ‘culture’ lui-même provient du supin cultum de ce verbe.

Opposé au terme de nature, la culture évoque généralement ce qui est de l’ordre de l’acquis construit par l’homme et non du résultat des dispositions innées. Dans un sens plus précis et utilisé souvent par les sociologues, la culture est vue comme l’ensemble de traits communs à un groupe social. Ces traits évoquent aussi bien des valeurs, des représentations que des pratiques sociales. La culture réunit ainsi des modes d’agir, de sentir et de penser.

Dans une perspective anthropologique, nous pouvons rapporter les explications suivantes : « la culture, dans son sens ethnographique, est cet ensemble complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l’art, la morale, le droit, les mœurs et toute capacité et habitude acquises par l’homme comme membre d’une société. » (Tylor, 1871, p. 1)

Marx considère la civilisation dans son double sens, celui des valeurs morales et des valeurs matérielles. Il fait ainsi la distinction entre les infrastructures (matérielles) et les superstructures (spirituelles), ces dernières dépendant étroitement des premières. Nous constatons combien il est difficile de donner une seule définition au terme ‘civilisation’. Ainsi

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Braudel (1993) précise que « La civilisation, c’est donc au moins deux étages. D’où la tentation qu’ont eue beaucoup d’auteurs de distinguer les deux mots, culture et civilisation, de façon que l’un se charge de la dignité du spirituel, l’autre de la trivialité du matériel. Le malheur c’est que personne n’est tombé d’accord sur la distinction à retenir : elle variera selon les pays, ou dans un même pays, selon les époques et les auteurs » (p.35).

Lévi-Strauss en 1951 exprime que la culture comporte un ensemble de systèmes symboliques comme le langage, l’art, la science et la religion. La relation qu’il y a entre la culture et ces systèmes est déterminante.

D’après Sapir (1967), « la conception de la culture que nous cherchons à saisir se propose de comprendre, sous un seul mot, l’ensemble des attitudes, des visions du monde et des traits spécifiques de civilisation qui confèrent à un peuple particulier sa place originale dans l’univers » (p. 137).

L’anthropologue Linton en donne la définition suivante : « une culture est la configuration des comportements appris et de leurs résultats, dont les éléments sont partagés et transmis par les membres d’une société donnée » (1968, p. 33).

La ‘civilisation’ caractérise les éléments associés au développement technique, à la connaissance scientifique, aux règles de savoir-vivre, à la vision du monde et aux dimensions qui ont permis le progrès et les avancées de la société occidentale. Elias (1969) écrit : « la

‘civilisation’ désigne un processus ou du moins l’aboutissement d’un processus. Elle se rapporte à quelque chose de fluctuant, en ‘progression constante’. Le terme allemand de

‘culture’, dans son acception actuelle, se signale par une ‘direction’ différente : il se rapporte à des produits de l’homme, ... aux œuvres d’art, aux livres, aux systèmes religieux ou philosophiques révélateurs des particularités d’un peuple. Le terme de ‘culture’ a un caractère limitatif » (p.13)

D’après Beneton, (1975), la culture exprime en même temps une action et un état. Car, comme il note, la culture désigne l’action de cultiver l’esprit de l’homme ou d’exprimer la vie d’une communauté mais aussi les savoirs et les qualités d’une personne cultivée. Nous

pensons que la culture est un objet signifiant qui structure l’identité de l’homme.

Galisson & Coste (1976) mentionnent le caractère variable et multiple du terme culture : « synonyme de civilisation. Depuis deux siècles, dans de nombreux pays, les notions de

‘culture’ et de ‘civilisation’ sont l’objet d’interprétations diverses de la part des historiens, des philosophes et des sociologues. Selon les auteurs, les deux termes peuvent entretenir des rapports plus ou moins nets d’opposition, de successivité, de complémentarité, d’inclusion, d’équivalence » (pp. 136-137).

La polysémie du mot culture, le grand nombre de ses acceptions initiales se retrouvent dans toutes les langues d’Europe contemporaines par lesquelles il a été adopté. Le fait qu’il recouvre des notions variées dénonce, d’une part, son caractère flou et complexe et, d’autre part, en même temps, le besoin de mettre sous une même bannière des productions humaines particulières. Cet entrelacs de champs sémantiques dans chaque langue et entre des langues différentes constitue l’une des raisons majeures qui nous invitent à nous pencher sur ce terme.

Sur ce point, nous désirons nous rapporter aux définitions du terme ‘culture’ que donne le Petit Robert (1986), aux sens propre et figuré. La culture, au sens propre, est un terme qui a commencé à être utilisé pour désigner la culture agricole, la culture de la terre et s’est généralisé pour toute culture végétale. Au dix-neuvième siècle, son utilisation figure également dans le vocabulaire de la biologie. C’est surtout au sens figuré que nous pouvons parler de développement du champ d’application du terme. Dans ce cadre, son utilisation touche deux niveaux: la connaissance et le comportement.

La connaissance inclut la formation, l’instruction, le savoir et apparaît avec cette connotation vers la fin du seizième siècle. C’est au milieu du vingtième siècle que le terme désigne l’ensemble des formes de comportement acquises dans les sociétés humaines. Il désigne aussi l’ensemble des aspects intellectuels d’une civilisation, par exemple la civilisation française. On peut dire que les explications du Petit Robert témoignent non seulement du développement historique du terme ‘culture’ mais aussi de sa complexité.

Selon Abdallah-Pretceille (1986), « parler de culture suppose la reconnaissance de son fondement humain. Les cultures n’existent, en effet, que par et dans la médiation des individus et des groupes. Elles ne peuvent, à ce titre, être réduites à des réalités observables, susceptibles d’approches normatives et analytiques. Aucune description, même la plus raffinée possible, ne saurait rendre compte de la complexité et de la pluralité du concept de la culture » (p. 77).

De son côté, Eliot attribue trois sens au terme ‘culture’ selon qu’il est question de la culture de l’individu, de celle du groupe ou de celle de la société. Une partie de l’argumentation développée s’appuie sur le fait que la culture de l’individu dépend de la culture du groupe et que cette dernière dépend elle-même de la culture de la société dont le groupe fait partie. Par conséquent, la culture de la société devient primordiale et le sens du terme ‘culture’ s’avère être en rapport avec toute la société. Selon Kok Escalle (1988), la culture permet à l’homme d’appartenir à un groupe social, elle est ce qui donne sens à l’ensemble des pratiques sociales. « Elle constitue un espace de référence qui permet à l’homme de se situer dans une relation d’appartenance ou d’exclusion face au groupe social concerné » (p.10).

Nous pouvons dire que la culture caractérise tant des générations humaines que des

communautés ; ainsi d’après Forquin (1989), « la culture comme objet désigne essentiellement un héritage collectif, un patrimoine de connaissances et de compétences,

d’institutions, de valeurs et de symboles, constitué au fil des générations et caractéristique d’une communauté humaine particulière définie de façon plus ou moins large

et plus ou moins exclusive » (p. 10).

Il s’agit là d’une définition assez courante pour expliquer la fonction de transmission culturelle de l’école d’après Falardeau & Simard (2007).

Nous pouvons dire qu’une première distinction oppose donc la culture individuelle et la culture collective. La culture individuelle comporte toutes les connaissances générales d’un homme et l’ensemble des cultures individuelles forme la culture collective. C’est la culture collective qui caractérise chaque société. On peut aussi concevoir la culture comme

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l’élaboration d’un triple rapport : rapport au monde, rapport à soi, rapport aux autres (Charlot, 1997). La culture opère alors comme un médiateur de la conscience qui module les relations d’un individu avec lui-même, avec les autres et avec le monde.

La culture, concept trop générique pour être opératoire en didactique des langues, est souvent centrée d’une façon unilatérale sur le « culturel » ou sur le « cultivé».

« Parler de culture donc, mais de quelle culture ? Dans ma terminologie, la culture renvoie d’une part au culturel, d’autre part au cultivé. » (Galisson, 1988, p.83).

Le « cultivé » peut prendre la forme de la « culture savante » qui assimile la culture à la connaissance de l’histoire, des arts et de la littérature. Le terme « cultivé » fait également référence à la « culture technocratique » qui se rapporte aux « cultures scientifiques, technologiques, médiatiques... »

Le « culturel » correspond d’une part à la culture « partagée » ou « comportementale », qui est la clé des échanges et de la communication.

Il relève de la vie quotidienne et renvoie au faire, au être et au savoir-vivre en commun. Il associe la culture quotidienne et la culture comportementale, à savoir le mode de vie particulier des institutions et le comportement habituel (D’après Galisson, 1988).

C’est la culture qui établit les rapports entre les membres d’une société et le monde. La plupart des langues européennes distingue les mots ‘civilisation’ et ‘culture’ alors que le grec utilise un seul vocable. Le mot ‘civilisation’ s’oppose au mot ‘barbarie’. Pour qu’il y ait

‘civilisation’, il faut que ‘la barbarie existe’. Cette approche du mot ‘civilisation’ est très connue chez les Grecs Anciens, qui pensaient que « Tout non Grec est un barbare ». Les Grecs Anciens avaient donc conscience de leur différence par rapport aux autres peuples considérés comme des ‘barbares’. C’est pour cela que certaines descriptions, qu’Hérodote fait des Égyptiens, des Babyloniens et d’autres, commencent par « ceux-ci » en opposition à

« nous ». La définition du terme ‘civilisation’ est assez difficile. Il est dérivé indirectement du latin civis signifiant « citoyen » et fait référence à trois acceptions. Dans l'acception la plus courante, la civilisation s'oppose à la barbarie et évoque les progrès d'une société. Dans son acception plurielle, ce terme caractérise l'état d'évolution d'une société. Enfin, d'un point de vue technique, intellectuel, politique et moral, elle peut se référer à l'état où sont parvenues les cultures au cours de l'histoire. Le mot ‘civilisation’ est plus récent que celui de ‘culture’.

Braudel (1993) note qu’« il serait agréable de définir le mot civilisation avec netteté et simplicité, si possible comme l’on définit une ligne droite, un triangle, un corps chimique. Le vocabulaire des sciences de l’homme, hélas, n’autorise guère les définitions péremptoires » (pp. 33-35). Il remarque aussi que le mot ‘civilisation’ présente au moins deux options et c’est ce qui a conduit de nombreux auteurs à distinguer les deux mots ‘culture’ et

‘civilisation’. Selon eux, la culture exprime la dignité de l’esprit et la civilisation, la banalité du matériel, mais cette distinction varie selon le pays, l’époque et l’auteur.

En Europe, beaucoup de recherches ont été réalisées en contrastant les notions de culture et de civilisation. Ces recherches ont conduit à la conclusion que le terme civilisation touche davantage aux connaissances techniques, pratiques et normatives de l’homme, autrement dit à ses œuvres, tandis que celui de culture concerne plutôt le domaine culturel et

se rapporte aux principes normatifs, aux valeurs, aux idéaux, autrement dit à l’esprit. Dans cette perspective, on peut dire que la civilisation est un sous-ensemble de la culture.

D’après le Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage (Dubois et al., 1994), « La culture est l’ensemble des représentations, des jugements idéologiques, et des sentiments qui se transmettent à l’intérieur d’une communauté » (pp. 123-124).

Abdallah-Pretceille (1996, p. 76) note que la ‘civilisation’ désigne les objets et les œuvres d’une société tandis que le terme ‘culture’ désigne ses valeurs, ses postulats et ses croyances. Selon l’auteur, le glissement progressif du terme ‘civilisation’ au terme ‘culture’ a eu pour conséquence de sortir du cadre étroit de la ‘civilisation’, qui ne comporte que des objets et des œuvres, au profit du terme ‘culture’ qui comporte des valeurs, des croyances et des règles qui permettent la communication humaine, les rapports entre les hommes et qui aident au développement des capacités créatrices de l’homme.

Le terme ‘culture’ présente donc des difficultés de définition en raison de ces deux caractéristiques de pluralité et de complexité : « il implique au moins la reconnaissance d’une pluralité de systèmes ayant tous la même dignité » (De Carlo, 1998, p. 34).

En conséquence, nous estimons qu’une distinction doit être faite entre les deux termes.

Cette distinction est intéressante pour notre recherche car elle nous a amenée à considérer la culture comme un réseau de significations qui nous permet de dépasser la conception traditionnelle de l’enseignement de la civilisation conçu comme une source d’informations éparses sur des aspects isolés de la culture-cible. Situer la culture dans sa dimension individuelle et dans les interactions développées entre les locuteurs agissant dans un système culturel donné, est ce qui intéresse au plus haut point notre travail de recherche.

3.1.2 Culturel-Interculturel

La notion d’interculturel a été définie et développée dans les années septante par le groupe de travail du Conseil de l’Europe sur la formation des migrants. Elle est reprise dans le domaine du Français Langue Etrangère dans les années quatre-vingts, qui l’étend à toutes sortes de publics, pour tenter de répondre aux problèmes liés à la scolarisation des enfants de migrants, comme possibilité d’une meilleure intégration, d’une valorisation de la culture source des enfants, d’un enrichissement pour les élèves de la culture maternelle et comme base d’une pédagogie différenciée. Les définitions des termes ‘culture’ et ‘interculturel’

proposées en 1986 par le Conseil de l’Europe (cité par De Carlo, 1998), sont représentatives de l’évolution des concepts. Cette évolution va de pair avec une réflexion sur l’enseignement des cultures en didactique des langues : « L’emploi du mot ‘interculturel’ implique nécessairement, si on attribue au préfixe ‘inter’ sa pleine signification, interaction, échanges, élimination des barrières, réciprocité et véritable solidarité » (p. 41). Étant donné les mutations d’ordres divers, sociaux, politiques, économiques ou didactiques, l’enseignement de la culture ne peut plus être considéré comme un enseignement figé qui transmettrait de façon unilatérale les réalisations d’une civilisation considérée implicitement comme supérieure ou comme un modèle de référence. Il importe en effet de tenir compte du cadre dans lequel s’inscrivent les phénomènes culturels présentés. L’enseignement de la culture est

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enraciné dans un système idéologique dont l’enseignant ne peut faire l’économie s’il veut mettre en évidence les rapports existant entre un fait culturel et son contexte socio-culturel, ou les rapports existant entre des groupes d’appartenances culturelles différentes, qu’ils soient nationaux ou internationaux. L’enseignement ne peut plus être l’approche magistrale de la civilisation, car cela ne correspond plus à l’évolution des idées et de la didactique. Il s’agit d’appréhender les cultures de façon non normative et de ne pas les réduire à de simples réalités observables. En effet, selon les conceptions didactiques actuelles, la démarche interculturelle implique que l’on reconnaisse, selon Abdallah-Pretceille (1986), que « les cultures n’existent (...) que par et dans la médiation des individus et des groupes » (p. 77).

Les cultures ne sont plus traitées comme de simples faits ethnographiques donnés à l’observation des apprenants. Elles sont intrinsèquement liées au vécu social, communautaire ou individuel des individus. La démarche interculturelle passe par un va-et-vient incessant entre contexte source et contexte cible et vice versa. En prenant appui sur la culture source de l’apprenant pour aborder la culture cible, l’interculturel aménage une part au contexte local.

Dans ce mouvement dialectique, la culture source constitue un passage essentiel pour accéder à la culture cible et la culture cible, un paramètre indispensable à la prise de conscience de la culture source.

Suivant la perception qu’une communauté se construit sur une autre communauté, l’interculturel met au premier plan le contact des cultures (culture source et culture cible) à travers les apprenants : ce contact impulse une mise en interaction des cultures qui constituent ce que Charaudeau (1987) nomme « des représentations globalisantes et contrastées » (p. 29).

Ainsi, que se passe-t-il quand nous confrontons notre culture à une autre ? Zarate (1983) donne la réponse que « Dans ce contexte, la rencontre avec d’autres

systèmes culturels, d’autres visions du monde, constitue des points de friction, des lieux de dysfonctionnements, des occasions où peuvent se développer des significations aberrantes.

Dans la confrontation avec l’altérité, les membres d’une communauté recherchent d’abord le plaisir des retrouvailles avec eux-mêmes, la permanence de leur vision du monde. Toute perception de la différence s’inscrit d’emblée dans un discours conservateur, dans une quête narcissique de l’identité maternelle, dans un système dont la cohérence exclut une échappée vers ce qui ne la renverrait pas à sa propre image » (p. 36).

Pour notre thèse, nous retiendrons d’une part, l’idée que la confrontation des cultures en milieu institutionnel est différente d’un affrontement direct en milieu social ; dans le cadre d’un enseignement / apprentissage d’une langue étrangère, cette confrontation se fait de façon indirecte, sans que l’apprenant n’ait à gérer des rapports réels dans l’urgence, comme c’est le cas dans une situation de contact direct au sein de la communauté concernée. D’autre part, la notion de processus de construction favorisant la compréhension en situation de diversité culturelle.