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Le Code de l’urbanisme, par le biais de l’article L. 110, affirme que « le territoire français est le patrimoine commun de la nation ». Cependant, il s’abstient de donner une définition concrète de ce concept juridique ou des conséquences qui en découlent, laissant une large place à l’affrontement de diverses théories par la doctrine. Du fait de

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cette carence, le problème réside à la fois dans la détermination du concept de patrimoine et dans son rattachement à la nation.

On peut identifier deux difficultés dans l’énoncé de ce concept : la première réside dans l’appréciation du patrimoine commun (a), la seconde dans le rattachement de ce dernier à la nation (b).

a. La difficile appréciation du concept patrimoine commun

La notion de patrimoine commun n’est pas aisée à définir d’autant, comme le précise Jérôme FROMAGEAU, que son analyse diachronique demeure limitée du fait de sa naissance récente73.

Elle est apparue en droit international à travers le discours à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (O.N.U.) du représentant de Malte, Arvid PARDO, prononcé en 196774. Du fait de l’intérêt suscité, la première formulation de ce concept, dans un texte international, interviendra en 1970 par le biais de la résolution 2749 (XXV) de l’Assemblée générale de l’O.N.U.75, position qui sera confirmée sur ce thème par l’article 136 de la convention de Montego Bay76 qui affirme que « la Zone et ses ressources sont le patrimoine commun de l’humanité »77. En 1979, l’accord concernant la Lune et les autres corps célestes précisait que la Lune et ses ressources constituaient le patrimoine commun de l’humanité.

On perçoit, dans ces deux textes, la double consistance de ce patrimoine qui est à la fois basée sur des considérations écologiques (fonds marins, Lune) et environnementales (les ressources pouvant être extraites). Il n’y a donc pas en droit

73 J. F

ROMAGEAU, « La notion historique de patrimoine commun », La revue juridique d’Auvergne,

volume 98/4, p. 30.

74 P. D

AILLIER, A. PELLET, « Droit international public », 7ème édition, L.G.D.J., 2002, p. 1211.

75 Ibid.

76 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982,

publiée par le décret n° 96-774 du 30 août 1996 portant publication de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ensemble neuf annexes), signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, et de l’accord relatif à l’application de la partie XI de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, fait à New York le 28 juillet 1994 (ensemble une annexe), J.O.R.F. du 7 septembre 1996, p. 13307.

77 Le terme Zone désignant, selon l’article premier de la convention, « les fonds marins et leurs sous-sols

international de réelle définition de ce concept, mais uniquement l’affirmation que certains biens entrent dans ce patrimoine.

La vision française reprend cette approche. En effet, la mention de l’existence d’un patrimoine commun de la nation dans le Code de l’urbanisme relève de l’article 35 de la loi du 7 janvier 198378. Le législateur n’a pas souhaité apporter une définition juridique pour clarifier ce concept, que ce soit au moment de l’adoption de cette loi ou postérieurement et s’est borné à affirmer qu’il était composé du territoire français. Néanmoins, une liste d’éléments constitutifs du patrimoine commun de la nation est apparue à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement en 199579, complétée en 199680. Cet article précise que « les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation ». Le concept regroupe ainsi des composantes tant écologiques qu’environnementales. Pourtant, on ne saurait se satisfaire d’une liste pour définir un concept.

La difficulté de la définition juridique du concept de patrimoine commun provient notamment de son origine « privatiste ». Gérard CORNU définit le patrimoine, dans son acception civiliste, comme « englobant tous les droits d’ordre pécuniaire » d’une personne81 (constituant l’actif et le passif). L’acception publiciste du patrimoine, quant à elle, s’accommode mal de cette vision, tant il est vrai que certains éléments de la nature ne semblent pouvoir être appropriés. Comme l’évoquait déjà CICERON, « vous n’empêcherez pas le fleuve de couler, parce qu’il est bien commun à tout le genre humain »82. Concernant la nature, comme le décrit Martine RÉMOND-GOUILLOUD, on rencontre toutes sortes de biens qui entrent dans la composition du patrimoine commun et pouvant être qualifiés soit de chose commune ou « res communis qui

78 Loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les

départements et les régions de l’État, op. cit..

79 Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, J.O.R.F.

du 3 février 1995, p. 1840.

80 Loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, J.O.R.F. du 1er

janvier 1997, p. 11.

81 G. C

ORNU, « Droit civil », 9ème édition, Montchrestien, 1999, p. 31.

82 M. R

ÉMOND-GOUILLOUD, « Le patrimoine de l’humanité viatique pour le XXIème siècle », La revue

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désigne un volume, un contenant, tels l’air, la mer » ou de chose sans maître ou « res nullius [qui] désigne les espèces qui s’y trouvent, le contenu »83. Ainsi le parallèle entre les deux acceptions paraît difficile à maintenir.

Si l’on se réfère aux origines latines du mot patrimoine (patrimonium), on découvre qu’il signifie « biens hérités du père »84. La définition imagée de Martine RÉMOND-GOUILLOUD convient parfaitement à cette acception du patrimoine, éloignée de la perception pécuniaire civiliste. Elle décrit le patrimoine comme étant « un coffre, où chaque époque serre ses valeurs en vue de les perpétuer »85.

Cette vision trouve un écho particulier auprès de Michel PRIEUR qui établit une définition du patrimoine commun plus en phase avec la réalité juridique que celle qui consiste à se servir des bases du droit civil. Pour cet auteur, « le patrimoine commun représente un intérêt collectif à la préservation d’une richesse d’ordre culturel ou naturel, léguée par nos prédécesseurs et qu’il convient de transmettre intacte aux générations qui nous suivent »86. Ces deux approches sous-entendent la nécessaire protection des biens qui ont été mis dans le « coffre », qui sont considérés comme faisant partie du patrimoine commun. On s’éloigne ainsi de la nécessaire appropriation des biens constituant un patrimoine puisque la protection peut s’exercer même en l’absence de toute appropriation.

b. Le problème du rattachement du patrimoine commun au concept de nation

Le rattachement de ce patrimoine commun à la nation soulève, lui aussi, de nombreuses difficultés. En effet, le concept même de patrimoine suggère, selon la célèbre théorie de Charles AUBRY et Charles Frédéric RAU, l’existence d’un titulaire, puisque, pour ces auteurs, le patrimoine est une émanation du sujet de droit87. Le

83 M. R

ÉMOND-GOUILLOUD, « Ressources naturelles et choses sans maître », D., 1985, p. 27.

84 H. G

OELZER, « Dictionnaire latin », Éditions Garnier, 1986, p. 466.

85 M. R

ÉMOND-GOUILLOUD, « L’avenir du patrimoine », Esprit, novembre 1995, p. 61.

86 M. P

RIEUR, « Réflexions introductives sur la notion de patrimoine commun privé », La revue juridique

d’Auvergne, volume 98/4, p. 22.

87 C. A

concept de patrimoine commun suppose donc que le titulaire dispose de la personnalité juridique. Or cette question soulève bien des interrogations pour la nation88 (tout comme l’humanité89) puisqu’il s’agit, ici, de prendre en compte les intérêts présents mais aussi ceux des générations à venir90. Ce qui permet à René-Jean DUPUY d’affirmer que le concept de patrimoine commun « repose sur une valeur mystique »91.

Si l’on se réfère à la définition du patrimoine commun donnée par Michel PRIEUR, éloignée de la perception purement civiliste, l’acquisition de la personnalité juridique par le titulaire de ce patrimoine ne semble plus être une absolue nécessité. En effet, l’auteur affirme que « si le patrimoine est commun, cela signifie qu’il n’y a pas un titulaire unique mais une sorte d’appropriation collective qui va nécessiter une représentation juridique au profit d’une entité agissant pour le compte de la collectivité »92. Ce qui suggère que la nation exerce le rôle de mandataire et non de titulaire, ce statut revenant aux citoyens composant la nation. Pour Jérôme FROMAGEAU, aussi, la notion de patrimoine commun rattaché à la nation implique que le patrimoine n’est pas rattaché à une personne déterminée93. Cette vision de la nation se rapproche de celle évoquée par Léon DUGUIT lorsqu’il affirme que la nation est moins « une personne investie d’une conscience (..) qu’un milieu soudé par certains traits communs et spécifiques »94. Cette solution conduit à envisager le patrimoine commun comme indivis dont les bénéficiaires-titulaires seraient les membres présents et à venir de la collectivité formant la nation. On se rapproche alors de la théorie allemande du patrimoine d’affectation95. Selon cette théorie, l’unité du patrimoine ne dépend pas de

88 Pour percevoir les difficultés tenant au rattachement du patrimoine commun à la nation voir les

développements d’ I. SAVARIT, « Le patrimoine commun de la nation, déclaration de principe ou notion juridique à part entière ? », R.F.D.A., mars-avril 1998, p 308 et suivantes ou A. SAOUT, « La construction progressive du droit de l’eau : contribution à l’analyse systémique du droit », Thèse, Université de Bretagne Occidentale, 2007, p. 66 et suivantes.

89 V. L

ABROT, « Réflexions sur une « incarnation progressive » du droit, l’environnement marin, patrimoine naturel de l’humanité », thèse, Université de Bretagne Occidentale, 1994, p. 416 et suivantes. J. CHARPENTIER, « L’humanité : un patrimoine mais pas de personnalité juridique », in Les hommes et l’environnement, quels droits pour le XXIème siècle ? Mélanges A.-C. Kiss, Éditions Frison-Roche, 1998,

p. 17 et suivantes.

90 R.-J. D

UPUY, « Réflexions sur le patrimoine commun de l’humanité », Droits, 1985, n° I, p. 64 et 65.

91 Ibid. 92 M. P

RIEUR, « Réflexions introductives sur la nation de patrimoine commun privé », op. cit., p. 25.

93 J. F

ROMAGEAU, « La notion historique de patrimoine commun », op. cit., p. 31.

94 L. D

UGUIT, « Traité de droit constitutionnel », tome 2, (la théorie générale de l’État), Édition de BAUCCARD, 1928, p. 2.

95 F. O

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la qualité de son titulaire mais du but auquel ce patrimoine est affecté96.

Michel PRIEUR ne consent qu’à opérer un seul parallèle entre la notion de patrimoine issue de la conception civiliste et celle de patrimoine commun, à savoir l’obligation « d’une gestion en bon père de famille ». Pourtant, Isabelle SAVARIT qualifie la notion de patrimoine commun de la nation de « potentiellement juridique »97. Il nous faut rechercher quels peuvent en être les effets.

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