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1.2. L A COMPLEXITE DANS LA FORMATION ET L ' INFORMATION

1.2.2.2. Gestion de la complexité, base de tout enseignement

En 1999, Morin écrit, parallèlement, "Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur", publication interne de l'UNESCO, et "La tête bien faite", livre dédié tout particulièrement aux enseignants et aux enseignés. Dans ces deux documents, il tente de décrire ce que doit devenir l'école du futur en tenant compte de la réforme paradigmatique que celle-ci doit nécessairement faire si elle veut favoriser l'émergence d'une culture qui permette "de

comprendre notre condition et de nous aider à vivre (en même temps que) de favoriser une façon de penser ouverte et libre180". Pour lui, "le problème n'est pas tant d'ouvrir les frontières

entre les disciplines que de transformer ce qui génère ces frontières: les principes organisateurs de la connaissance181".

Morin (1999/1) ne remet donc pas en question la notion même de discipline. Au contraire, il s'appuie sur elles pour proposer, non pas des contenus, mais des compétences à développer. "Il

faudrait enseigner des principes de stratégies, qui permettent d'affronter les aléas, l'inattendu et l'incertain, et de modifier leur développement, en vertu des informations acquises en cours de route182". Ses propositions vont donc dans le sens d'une définition des objectifs scolaires pour chacun des trois niveaux d'enseignement (primaire, secondaire et universitaire), basés sur sept principes complémentaires et interdépendants définis pour permettre l'émergence d'une pensée capable de gérer les interactions inhérentes à la complexité (Morin, 1999/2). Ces sept principes sont:

- Le principe systémique et organisationnel.

- Le principe hologrammique (ou hologrammatique). - Le principe de la boucle rétroactive.

- Le principe de la boucle récursive. - Le principe d'autonomie/dépendance. - Le principe dialogique.

- Le principe de la réintroduction du connaissant dans toute connaissance.

Nous ne développons pas plus avant les six premiers principes qui correspondent à ceux présentés dans le chapitre 1.1., en lien direct avec la notion de système. Quant au dernier, spécifique à la pédagogie en général, et non seulement celle liée à l'approche de la complexité, il consiste à placer l'apprenant au centre de l'acte d'apprendre et de tenir compte de la manière dont ce dernier traduit et reconstruit le savoir. Nous développerons plus avant cet aspect essentiel de l'apprentissage au point 1.2.4.5., lorsque nous aborderons l'utilisation des conceptions pour favoriser l'acte d'apprendre (Giordan, 1994,1995,1996,1998,1999).

En cherchant à réconcilier la démarche scientifique et l'apport des sciences humaines, Morin (1999/2) envisage donc un enseignement à l'école primaire qui soit centré sur l'être humain et sur sa relation avec le monde. "C'est en interrogeant l'être humain que l'on découvrirait sa

double nature, biologique et culturelle. D'un côté on s'initierait à la biologie; de là, ayant discerné l'aspect physique et chimique de l'organisation biologique, on situerait les domaines

180 MORIN, E. (1999) La tête bien faite, Seuil, p. 11 181 MORIN, E. (1999) La tête bien faite, Seuil, p. 28

de la physique et de la chimie, puis les sciences physiques nous conduiraient à insérer l'être humain dans le cosmos. De l'autre côté, on découvrirait les dimensions psychologiques, sociales, historiques de la réalité humaine. Ainsi, dès le départ, sciences et disciplines seraient reliées, ramifiées les unes aux autres, et l'enseignement pourrait faire la navette entre les connaissances partielles et une connaissance du global. De cette sorte, physique, chimie, biologie peuvent se différencier, devenir des matières distinctes, mais non plus isolées, puisque toujours inscrites dans leur contexte.183"

En ce qui concerne l'enseignement secondaire, Morin pense que "les programmes devraient

être remplacés par des guides d'orientation permettant aux enseignants de situer les disciplines dans les nouveaux contextes: l'Univers, la Terre, la vie, l'humain184". De nouvelles

ouvertures devraient apparaître, notamment sur la culture des adolescents, le questionnement philosophique et la prédominance d'un enseignement de l'histoire offrant des repères nationaux, européens et mondiaux en lui permettant de se situer dans le devenir de l'humanité. Quant à l'université, la réforme se situerait principalement au niveau d'une réorganisation générale des Facultés, Départements ou Instituts afin d'opérer un "remembrement

polydisciplinaire autour d'un noyau organisateur systémique185". Il va jusqu'à proposer une Faculté du Cosmos, de la Terre, de la Vie, de l'Humain et de la Connaissance. Dans l'idée de Morin, l'histoire devrait bénéficier d'une Faculté à part entière et une Faculté dédiée aux problèmes mondialisés serait à envisager… mais, comme le relève Longet à travers la lecture de ce travail, "lesquels ne le sont pas?"...

En cherchant à atteindre une véritable compréhension de l'humain à travers le dépassement, ou plus exactement, la prise en compte des illusions, la gestion des certitudes et l'utilisation opérationnelle des legs de l'histoire, Morin (1999/1) ouvre non seulement les portes sur des problèmes fondamentaux de culture et de définition de paradigmes, mais également sur ceux plus intrinsèques à l'individu, ses conceptions (celles-ci ayant toujours une forte part sociale) et sa propre manière d'apprendre. Une telle démarche et un tel questionnement permettraient également de mettre en évidence les dangers liés aux erreurs perceptives et sensorielles développées au point 1.2.3.1., dont celles de la vision ne sont pas des moindres.

Nous ne pouvons donc que regretter que Morin n'aborde pas les moyens pratiques pour parvenir aux finalités qu'il envisage. Nous nous permettons donc de compléter sa pensée en soulevant par exemple le problème que posent les illusions perceptives dans l'approche expérimentale à l'école. Ce paradoxe n'est absolument pas soulevé par les nouveaux promoteurs de ce type de pédagogie (Charpak, 1998), alors qu'il pourrait grandement enrichir cette pratique, pour autant que les enseignants soient prêts à le gérer et à le mettre en valeur. Une telle caractéristique pourrait amener à mieux comprendre le doute scientifique, en même temps qu'elle peut amener à comprendre l'utilité d'une approche mathématique complémentaire à l'approche empirique. Ainsi, si une telle méthode est indispensable dans la (re)construction des savoirs par l'élève, elle doit être impérativement accompagnée de cette "réflexion sur" (Giordan, 1998; Pellaud, 1999) qui permet de relativiser les résultats obtenus,

183 MORIN, E. (1999) La tête bien faite, Seuil, p. 87-88 184 MORIN, E. (1999) La tête bien faite, Seuil, p. 90-91 185 MORIN, E. (1999) La tête bien faite, Seuil, p. 96

de les contextualiser dans une approche plus globale et de les insérer par comparaison et par confrontation dans une démarche d'apprentissage systémique. Le développement de l'esprit critique qui découle de cet enchaînement d'activités de comparaison, de confrontation et de mobilisation favorise l'apparition de la "rationalité" ou plus exactement du "principe d'incertitude rationnel" qui opère une incessante navette entre l'instance logique et l'empirisme (Morin, 1999). "La conscience du caractère incertain de l'acte cognitif constitue une chance

d'arriver à une connaissance pertinente, laquelle nécessite examens, vérifications et convergence des indices.186" Nous reviendrons de manière plus approfondie sur la mise en

place d'un environnement didactique favorable à l'approche complexe dans le chapitre 1.2.4.