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La dialogique culturelle au sens où Morin (1991) la définit tient d’un “commerce culturel” portant sur les échanges multiples d’informations, d’idées, d’opinions, de théories, de connaissances, etc. Sa condition première d’existence est la pluralité et la diversité des points

de vue. Pour cet auteur, ces flux d’échanges culturels ne peuvent avoir que des aspects positifs, tant sur la société que sur l'individu, pour autant que soit respectée la "loi du dialogue" instituée dans l'Athènes du Ve siècle et qui institua la philosophie. "Les rencontres

des idées antagonistes créent une zone turbulente qui opère une brèche dans le déterminisme culturel; elle peut susciter, chez des individus ou des groupes, interrogations, insatisfactions, doutes, mises en question, recherche48”. Un processus réflexif est donc mis en route pour

rechercher des solutions ou des optimums49 et refuser la passivité.

Ainsi, malgré la forte emprise du principe récursif qui aurait tendance à favoriser la réplication du mode de pensée, les idées et les cultures évoluent, et de véritables révolutions ont lieu au sein des dogmes. Pour permettre cette évolution, cette échappée du système récursif, il faut affaiblir les paradigmes, les doctrines et les stéréotypes qui dirigent l'imprinting50 cognitif. Les

possibilités pour y parvenir sont:

• L'existence d'une vie culturelle et intellectuelle dialogique. • La possibilité d’un “commerce culturel”

• La possibilité d'expression des déviances.

Si nous avons déjà défini la “culture dialogique” et le “commerce culturel”, “l’expression des déviances” consiste en une certaine forme de liberté d’expression. Cette dernière est favorisée dans nos sociétés industrielles par ce que cet auteur dénomme “le culte du nouveau”. Néanmoins, s’il permet l’émergence des idées déviantes et reste un terrain favorable à leur apparition, il recrée néanmoins de nouvelles normes dans lesquelles s'organise la nouveauté. "L'officialisation de l'idée de création et de l'idée d'originalité efface l'idée de déviance. Le

statut officiel sécrète alors de lui-même une nouvelle norme, une nouvelle conformité.51"

Si nous nous référons aux définitions que Morin donne des cultures humanistes et scientifiques, nous pouvons dire que le développement durable est fondamentalement inspiré du mouvement humaniste, dans le sens où celui-ci tente de conserver une approche systémique typique de ce courant pour répondre au "besoin d'éclairer la condition et la conduite humaine,

du bien, du mal, de la société52". Tout l'aspect qualitatif et social dépend de cette approche

philosophique. Mais il ne peut en rester là. La culture scientifique lui est indispensable puisque c'est en elle que le concept trouve ses bases de connaissances, sur lesquelles s'appuient les développements de l'écologie et de la technologie qui lui sont intimement liés. Néanmoins, il ne peut s'agir d'une culture scientifique parcellisée. Pour que la conjonction entre ces deux cultures se fasse, le jeu des interactions doit être accepté comme un état de fait indispensable au fonctionnement du système. Sinon, “elles ne peuvent que coexister schizophréniquement

dans un même esprit53”. Morin (1991) évoque encore que, pour dépasser cette scission entre

ces deux cultures, il faudrait “une conscience crisique et critique”, c'est-à-dire une prise de conscience de leur insuffisance propre et un réveil problématisant qui remette en question les principes organisateurs de leur connaissance. Nous considérons le développement durable comme la résultante d'un état de crise face à la prise de conscience de la finitude de la planète

48 MORIN, E (1991) La méthode 4: Les idées, Seuil, Paris, p. 30 49 Cette notion est développée au point 1.2.3.3.

50 L'imprinting est un terme que Konrad Lorenz (1970) utilise pour rendre compte de la marque sans retour qu'imposent les premières expériences du jeune animal. Parallèlement, Morin montre l'imprinting culturel qui marque les humains dès leur naissance.

51 MORIN, E (1991) La méthode 4: Les idées, Seuil, Paris, p. 33 52 MORIN, E (1991) La méthode 4: Les idées, Seuil, Paris, p. 65 53 MORIN, E (1991) La méthode 4: Les idées, Seuil, Paris, p. 67

et des problèmes que la croissance des développements démographiques et économiques sont en train de créer de manière quasi irréversible. L'émergence de la complexité qui en résulte intervient donc comme ce "réveil problématisant" qui pousse ainsi cultures humanistes et scientifiques à rechercher, non pas des solutions, mais des optimums (Giordan, 1998).

Au vu de ce qui précède, l’apparition du concept de développement durable en cette fin de siècle semble une suite “logique” à l’avènement des nouvelles technologies de l’information, de la communication et des transports. Le monde ne paraît certes plus aussi “grand” aujourd’hui qu’il y a un demi-siècle et le brassage cultuel et ethnique ne cesse d’augmenter. Les “ouvertures” idéologiques qu’ont permis la chute du mur de Berlin, celui du “rideau de fer” des pays de l’Est, la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud, l’éviction de certains dictateurs en Amérique latine et en Afrique de l’Ouest, etc., participent à cette nouvelle disponibilité. Enfin, la culture démocratique qui tend à se généraliser, et avec elle, la liberté d’expression, notamment celle de la presse, est également un facteur important dans ce brassage culturel, cette effervescence d’idéologies nouvelles, cette conscientisation de notre appartenance à une seule et même terre. Dans un tel cadre, le développement durable peut être considéré comme une “idée déviante” par rapport au libéralisme triomphant des années 1960-1970, déviance reconnue de manière internationale, non pas comme une nouvelle norme à adopter se référant à ce que l'on a coutume de nommer la mondialisation, mais comme un principe de développement respectueux des cultures par lesquelles il est (ou devrait être) instauré.

1.1.3. P

ROCESSUS D

ADAPTATION ET DE DIFFUSION DU DEVELOPPEMENT DURABLE

"Les journaux 'c'est comme les pansements, Faut en changer de temps en temps

Sinon ça vous froisse les idées Pis d'abord faut pas d'idées Car les idées ça fait penser Et les pensées ça fait gueuler." Léo Ferré, 1986, La vie moderne