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1.2. L A COMPLEXITE DANS LA FORMATION ET L ' INFORMATION

1.2.4. Favoriser l'approche complexe: les outils de la didactique

1.2.6.1. Dépasser la notion de transfert

Devenir acteur, dans le sens d'entrer en action, fait appel à différentes notions issues tant de la pédagogie que de la psychologie, voire de la psychanalyse. Que le lecteur se rassure, nous ne l'emmènerons pas dans des chemins aussi tortueux. Néanmoins, passer à l'action s'appuie souvent (mais pas toujours), sur une connaissance théorique, et dans tous les cas sur une motivation276. Dans l'idéal, il s'agit donc de trouver les mécanismes qui permettent à l'individu

de transformer ces savoirs en une action concrète. N'est-ce pas d'ailleurs le but de tout enseignement, voire de toute éducation? En voulant préparer les enfants à devenir de futurs citoyens, épanouis dans une vie active, l'enseignant, tout comme les parents, n'ont-ils pas la prétention de permettre à l'enfant d'acquérir des savoirs et des connaissances qui lui seront nécessaires, utiles dans sa vie d'adulte?

Le transfert, notion très en vogue actuellement dans les milieux pédagogiques, apparaît souvent comme une condition d'apprentissage, offrant des perspectives de transversalité disciplinaires (Meirieu, 1998). Le maître, quelle que soit sa discipline, envisage donc que ce qu'il enseigne soit reconnu, le moment venu, par l'individu et réutilisé hors de son contexte initial, en l'occurrence, scolaire. Car, comme le rappelle Develay (1998) le transfert de connaissances consiste en la capacité à réutiliser une habileté acquise dans des contextes

273 Nous reconnaissons donc à ces musées la place considérable qu'ils peuvent avoir dans la diffusion d'un message relatif au développement durable, notamment à travers l'importance de la notion d'identité qu'ils véhiculent. Malheureusement, les musées d'art et d'histoire ne bénéficient pas (encore) de recherches approfondies en ce qui concerne la diffusion de "leurs" savoirs au public.

274 SCHIELE, B. (1988) cité par GUICHARD, J. (1990) Thèse: Diagnostic didactique pour la production d'un objet muséologique, Université de Genève, p. 15

275 Nous reviendrons sur les missions du musée dans sous le point 1.3. 276 Nous reviendrons ultérieurement sur cette notion.

différents. "Une éducation qui ne placerait pas le transfert au cœur de ses préoccupations ne

serait nullement émancipatrice, ce ne serait pas une éducation.277" Mais cette vision du

transfert se heurte aux limites du cartésianisme, de la découpe disciplinaire et de la gestion de l'évolution incessante de notre environnement au sens large. En effet, la notion de transfert s'appuie sur celle de "déplacement", voire de "transmission" (Petit Robert, 1987). Elle ne peut donc se concevoir qu'en lien avec un préalable connu (connaissance, compétence, savoir-faire, etc.). Or, si nous envisageons une éducation à l'environnement ou au développement durable, nous nous trouvons confrontés à un ensemble de paramètres qui, tout en s'appuyant sur des bases scientifiques278 interdisent toute référence à un antécédent. Face à l'ensemble des

facteurs qui caractérisent un système complexe (point 1.1.2.3.), ces domaines ne bénéficient d'aucune "histoire" permettant d'y ancrer un savoir, quel qu'il soit. Tout est en perpétuelle mouvance, en recherche incessante de régulations et d'optimums (points 1.2.3.2. et 1.2.3.3.), dépendants d'un contexte spatial et temporel.

Ces limites expliquent pourquoi la notion de transfert n'apparaît pas en tant que telle dans le modèle allostérique dans lequel nous nous situons. Giordan (Giordan & De Vecchi, 1994, Giordan, 1996, 1998) préfère utiliser les termes de "mobilisation du savoir" qui conduisent à une mobilité de pensée. Cette approche dépasse la perspective d'une réutilisation de savoirs reconnus comme opérationnels, en faveur d'une créativité permettant un réajustement perpétuel dans des domaines en évolution. Néanmoins, cette créativité reste dépendante d'attitudes telles que la curiosité, le questionnement, et de compétences telles que la pose (et non la résolution) de situations problème. Ces facteurs entrent en résonance directe avec la métacognition, que Giordan (1996, 1998) préfère nommer "savoir sur le savoir", paramètres limitant de la notion de transfert.

Quelle que soit la formulation adoptée, l'important est que l'apprenant réinvestisse son savoir en sachant l'adapter. Cela demande d'être capable de reconnaître le similaire dans le différent, de se détacher de la réalité, de prendre du recul et de parvenir à une forme d'abstraction. Cette dernière permet une dématérialisation de l'objet ou de la connaissance qui libère ces derniers de leur contexte particulier. Néanmoins, pour y parvenir certaines conditions sont nécessaires.

1.2.6.1.1. Nécessité d'un médiateur

Tout d'abord, il est reconnu que le transfert ou la mobilisation ne sont pas des capacités innées de l'individu. "Espérer que les élèves effectueront sans que l'enseignant fasse quoi que ce soit

pour le provoquer relève totalement de l'utopie.279" Il s'agit donc pour l'enseignant d'aider les

élèves à se distancier des situations d'apprentissage afin qu'ils perçoivent les mécanismes de celles-ci, leurs structures internes (Develay, 1998). Develay donne comme exemple de proposer aux élèves "non pas qu'ils résolvent des problèmes, qu'ils rendent les devoirs que

nous leur demandons, mais qu'ils proposent des sujets de problèmes à résoudre, des sujets de devoirs, dans l'optique de les aider à différencier l'essentiel et l'accessoire280". Il est donc

important, pour que le transfert ait lieu, que l'apprenant soit mis dans des situations qui le conduisent à rechercher des similitudes, à tracer des parallèles, des comparaisons, à extrapoler en se décentrant du contexte initial. Pour y parvenir, il doit pouvoir mobiliser des données qu'il conserve en mémoire. "Pour augmenter les probabilités qu'un élève puisse avoir accès à une

277 MEIRIEU, P. (1998) Le transfert de connaissances, un objet énigmatique in Educations no 15, p. 7 278 Nous faisons ici référence aux concepts organisateurs développés au point 1.2.4.3.

279 RAYNAL, F. & RIEUNIER, A. (1998) Transfert et psychologie cognitive in Educations no 15, p. 13 280 DEVELAY, M. (1998) De l'impossible et de la nécessaire pensée du transfert in Educations no 15, p. 10

connaissance en mémoire, celle-ci doit avoir été décontextualisée et, en plus, elle doit avoir été mise en relation avec d'autres connaissances. L'organisation des connaissances constitue alors une autre condition incontournable pour que le transfert puisse se produire.281" Le

médiateur est nécessaire à tous les niveaux de cette mise en condition. Dans la situation idéale, il doit commencer par tenir compte des conceptions des apprenants. Les connaissant, il lui incombe d'offrir la meilleure situation pour l'apprentissage initial de la connaissance. Il lui faut donc perturber sans trop déstabiliser, dans l'idée "de faire avec pour aller contre" (Giordan, 1994) et ainsi permettre à l'apprenant de dépasser ses conceptions. Ensuite, c'est encore à lui que revient la tâche indispensable de faire réfléchir l'apprenant sur les mécanismes internes de cet apprentissage en dépouillant ce dernier de son "habillage" superficiel. Enfin, il doit encore donner la possibilité à l'apprenant de mobiliser ce savoir dans toutes sortes de situations plus ou moins éloignées du contexte initial de son élaboration.

1.2.6.1.2. Contextualiser – décontextualiser – recontextualiser

La situation dans laquelle s'effectue l'apprentissage est extrêmement prégnante (Raynal & Rieunier, 1998; Rey, 1998) et l'individu a souvent de grandes difficultés à tracer des parallèles entre des structures similaires si l'environnement dans lequel se situe l'action nouvelle diffère trop de la situation initiale d'apprentissage. Or, "transférer, c'est être capable de se lier et de se

délier à des contextes, à des personnes, à des situations. C'est s'impliquer et se désimpliquer. C'est faire et parvenir à se regarder faire, c'est se dédoubler282".

Pourtant, nous l'avons vu précédemment, contextualiser un apprentissage donne du sens à celui-ci, en même temps qu'il motive les élèves sur un sujet qui, présenté de manière pertinente, lui donne une signification intrinsèque. En prenant des situations qui lui sont familières, l'apprenant a beaucoup plus de chances de comprendre les mécanismes en œuvre. Les recherches en psychologie cognitive menées à ce sujet sont tout à fait éloquentes (Raynal & Rieunier, 1998). Néanmoins, pour que le transfert soit possible, l'apprenant doit pouvoir extraire la structure interne du problème, de la connaissance de son carcan contextuel, d'où l'importance de la métacognition. Ce n'est que dans ces conditions qu'il pourra repérer, sous un "habit" différent, la similitude entre deux situations. Il faut donc commencer par contextualiser une situation dans sa phase initiale pour la rendre motivante à l'apprenant, condition sine qua non d'entrée dans l'acte d'apprendre (Giordan & De Vecchi, 1987, 1994; Giordan & Souchon, 1992; Giordan, 1998; Meirieu, 1998). Il faut ensuite que l'élève, aidé par l'environnement didactique proposé par l'enseignant, la décontextualise afin de n'en percevoir que la "substantifique moelle". Enfin, il faut que celle-ci soit recontextualisée de différentes manières, afin que l'élève s'habitue à la repérer, quelle que soit sa forme extérieure, son apparence.

1.2.6.1.3. Métacognition, une mobilisation particulière

Pour qu'il y ait mobilisation, une série d'actions doivent être mises en place par l'apprenant. Percevoir les données, construire une représentation mentale de la structure en place, formuler des hypothèses, produire du sens, juger de la ressemblance entre deux situations, catégoriser, abstraire et activer les connaissances antérieures (Raynal & Rieunier, 1998). Partir de l'activité mentale menée au moment de l'apprentissage peut se révéler alors bénéfique. Cette mobilisation particulière des connaissances que l'on a sur soi-même et sur son propre

281 MEIRIEU, P. & TARDIF, J. (1998) Le transfert: réalités et illusions in Educations no 15, p. 62 282 DEVELAY, M. (1998) De l'impossible et de la nécessaire pensée du transfert in Educations no 15, p. 10

fonctionnement interne peut, dans certains cas, s'avérer bénéfique. "Qu'est-ce qui se passe dans ma tête lorsque j'apprends? Comment est-ce que j'apprends?" Cette métacognition (Giordan, 1996, 1998; Del'Guidice, 1998) consiste à prendre assez de recul par rapport à son propre apprentissage pour parvenir à réfléchir à la manière dont on accède à certains apprentissages, à certaines connaissances.

Cette faculté correspond à ce que Develay (1998) met sous la notion même d'apprentissage. "Apprendre, c'est comprendre comment on a appris, c'est parvenir à se déprendre des

contextes vécus, tant au plan cognitif qu'affectif, dans le but d'accroître sa lucidité à confronter des situations diverses.283" Si cette faculté est importante dans la possibilité qu'elle

offre à l'apprenant de faire abstraction du contexte de production, nous pensons néanmoins qu'elle n'est pas indispensable à l'acte d'apprendre, même si elle le facilite grandement. Performante dans des approches purement théorique, elle peut même s'avérer catastrophique dans l'apprentissage de gestes pratiques. Qui n'a pas fait l'expérience de ces gestes intuitifs (dans un sport, en musique, dans l'utilisation d'un outil, etc.) qui, une fois passés au crible de la réflexion deviennent si difficiles, voire impossibles à exécuter ou même à refaire?

Par contre, il faut relever que la métacognition offre une approche différenciée pour chaque individu. Elle oblige à tenir compte de la multiplicité des logiques mises en œuvre, du flou qui leur sont sous-jacentes, "construites à partir de son expérience, moins efficaces certes pour

traiter les problèmes (…) de la logique formelle mais mieux adaptées au monde complexe qui l'entoure et auquel il a appris à répondre depuis sa naissance en produisant des systèmes d'interprétation, c'est-à-dire du sens et des significations.284" La métacognition, forme dérivée

de la mobilisation des savoirs, impose donc un dépassement de la simple notion de transfert.

1.2.6.1.4. De la mobilisation à la création

La mobilisation, tout comme le transfert se retrouvent dans toutes sortes de métaphores ou de modèles qui, souvent, sont de magnifiques aides à penser. La bionique est un exemple tout à fait parlant de ce que peut devenir le transfert. S'attachant aux particularités visibles d'éléments biologiques (structures, procédés, mouvements, etc.), elle a su transposer des aptitudes développées par certains organismes vivants à des adaptations techniques ou technologiques. La physionique, principe développé par Giordan (1995), s'inspire quant à elle de la notion de mobilisation. Dépassant le simple transfert, elle se préoccupe des processus, de l'organisation, de l'évolution et plus particulièrement de la communication, mécanismes physiologiques inhérents au vivant. Elle ouvre ainsi les portes de la compréhension des principes de tri et de hiérarchie de l'information, du traitement de celle-ci et permet de mieux cerner ce que signifie la notion de système, notamment en travaillant sur la gestion des antagonismes. Ce faisant, elle offre des pistes de réflexions, des modes de raisonnement, des lois, des principes, etc., tout un ensemble de paramètres favorables à une approche de la complexité. Ainsi, bien que s'inspirant de processus existant dans le monde biologique, elle met en évidence certains principes physiologiques similaires à certaines situations sociétales, notamment les principes de régulation, mais tient aussi compte des différences qui rendent la seule transposition inconcevable, voire impossible.

Nous pouvons ainsi dire que, tant le transfert que la mobilisation peuvent favoriser la création. Néanmoins, le transfert a besoin de modèles réels sur lesquels s'appuyer, alors que la

283 DEVELAY, M. (1998) De l'impossible et de la nécessaire pensée du transfert in Educations no 15, p. 9 284 RAYNAL, F. & RIEUNIER, A. (1998) Transfert et psychologie cognitive in Educations no 15, p. 13

mobilisation envisage la création d'un véritable réseau sémantique qui permet à l'apprenant d'envisager des solutions hors-contexte, hors-cadre, en cherchant dans des domaines qui, a priori, n'ont aucun lien avec le problème posé.

Cette création à partir de reconnaissance de similitudes apparaît spontanément dans le principe de "l'énaction" (Varela, cité par Raynal & Rieunie, 1998). "Le concept d'énaction est

intéressant dans la mesure où il donne un nom à une activité de l'esprit que chacun d'entre nous a expérimentée, la capacité à faire émerger du sens à partir d'un ensemble de stimuli qui n'en contient à priori aucun, la capacité à poser les questions pertinentes.285" Pour Dupuis

(1998), le transfert, tout comme la mobilisation, suppose toujours une forme de création puisqu'il "suppose une reconfiguration permanente de facultés mentales qui se construisent

dans une dialectique créatrice où s'articulent découverte de régularités et prise en compte des spécificités286".

Approcher les notions de transfert ou de mobilisation par la création qu'elles sont censées amener montre bien les limites que tout enseignant rencontre avec ses élèves. Si certains enfants perçoivent facilement les mécanismes de transposition, voire de re-création dans certaines situations, ils n'y sont pas sensibles dans d'autres. Il ne s'agit donc pas seulement d'une attitude de l'enseignant ou de la pédagogie utilisée, même si ces éléments clés sont absolument indispensables. Parvenir à créer à partir du transfert ou de la mobilisation de connaissances demande un très haut niveau d'abstraction. Or, attribut d'une pensée formelle très évoluée, voire d'une pensée post-formelle (Hougardy, 1999), celle-ci ne peut pas forcément être l'apanage de tout un chacun. Enfin, comme dans toute situation de création, il s'agit avant tout d'une affaire de motivation.

1.2.6.1.5. De la mobilisation à la motivation à mobiliser

"Il ne suffit pas de pouvoir intellectuellement transférer une compétence, il faut encore le

vouloir.287" Nous avons déjà relevé quelques indications sur la problématique du passage qui

conduit à l’action aux points 1.1.3.4. et 1.1.3.6., lorsque nous avons abordé les difficultés que rencontre la communication publique. Nous y avons mentionné le fait qu'un apport de connaissances ne suffit pas pour que l'individu entreprenne une action, si celle-ci nécessite un effort de sa part (changement d'habitude, de comportement, etc.). Le passage du savoir à l'action est donc, avant toute chose, une affaire de motivation. Ainsi, même si on parle du transfert ou de la mobilisation comme de données relevant typiquement de la pédagogie, "on

ne peut aborder cette question sans redire que ce sens dépend de la seule décision du sujet. Mais parler de "décision", c'est peut-être trop dire, c'est donner une allure trop consciente, trop contrôlée, trop délibérée à un processus qui relève de forces plus profondes et plus obscures.288"

Ainsi, malgré un nombre très impressionnant de recherche sur le sujet, "aucune science ne

peut se prévaloir d'avoir dévoilé les secrets de la motivation289" nous dit Dortier (1999). Après

un bref aperçu de certains mécanismes qui lui sont sous-jacents, nous partirons d'observations

285 RAYNAL, F. & RIEUNIER, A. (1998) Transfert et psychologie cognitive in Educations no 15, p. 15 286 DUPUIS, P-A. (1998), Transfert et création in Educations no 15, p. 22

287 REY, B. (1998) Un transfert nommé désir in Educations no 15, p. 18 288 REY, B. (1998) Un transfert nommé désir in Educations no 15, p. 21

faites dans plusieurs champs d'application pour nous donner une idée des principaux facteurs qui permettent d’influencer un comportement et ceux qui entrent dans la décision d'un individu à s'engager dans une action, telle que nous le souhaitons vis-à-vis du développement durable.