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1.2. L A COMPLEXITE DANS LA FORMATION ET L ' INFORMATION

1.2.2.4. D’une éducation pour l’environnement à une éducation au développement durable

Le développement durable ne doit pas tomber dans les mêmes pièges que l’éducation pour l’environnement. Il ne doit en aucun cas être envisagé comme une matière de plus à enseigner à l’école. C'est d'ailleurs ce que relève l'Unesco (1997) lors de la Conférence Internationale qu'elle tient à Thessalonique, cinq ans après celle de Rio. Si le développement durable repose sur un “entraînement à la réflexion pour établir des conjectures, les conceptualiser, tirer des

conclusions, et atteindre des solutions par le raisonnement, l’observation et l’expérimentation193", il ne doit pas être assimilé à une discipline, mais appréhendé comme une base pouvant servir un changement de paradigme tel que l’envisage Morin (1977).

Il ne suffit pas de décider qu'une orientation nouvelle de l'enseignement serait propice au développement de la personnalité et de l'esprit critique des individus pour que l’ensemble du système scolaire suive cette nouvelle direction. Pour espérer voir aboutir un tel projet, il faut d’abord définir la spécificité des contenus à enseigner et leur orientation en fonction d’une appropriation de la pensée complexe.

L'importance de celle-ci est d'ailleurs fortement relevée dans le texte de l'Unesco (1997). "Les

problèmes liés au développement durable sont caractérisés, entre autre, par leur complexité. Cette complexité, il faut la faire connaître et comprendre, même si cela n'est pas facile ni forcément agréable. La simplification des problèmes complexes, qui est aujourd'hui monnaie courante, est non seulement une manœuvre frauduleuse dans la mesure où elle donne une fausse représentation de la réalité, mais aussi un acte irresponsable de la part de ceux qui comprennent les problèmes.194" Pour parvenir à cette nouvelle approche, l'Unesco donne

quelques pistes permettant d'envisager une réforme scolaire nécessitant des changements importants, voire radicaux, mais tenant néanmoins compte de l'inertie de l'institution, due, entre autre, aux enseignants en place et à la formation de ceux-ci. Les pistes données sont les suivantes:

- Faire de la notion de citoyenneté un des objectifs primordiaux de l'enseignement scolaire. "Cela obligerait à réviser de nombreux programmes existants et à élaborer des objectifs et

des contenus, mais aussi des processus d'enseignement, d'apprentissage et d'évaluation privilégiant les valeurs morales, la motivation éthique et la capacité de travailler avec les autres pour concourir à l'édification d'un avenir viable.195" Dans cette optique, les

méthodes d'enseignement doivent être repensées en vue de: • favoriser l'identification et la pose des problèmes,

• favoriser la capacité à imaginer d'autres modes de vie et de développement, • apprendre à négocier, à justifier des choix,

• travailler en synergie et en réseau,

193 BRODHAG, C. (1998) Education et développement durable, éléments de problématique, Commission Française du Développement Durable

194 UNESCO (1997) Eduquer pour un Avenir Viable: une vision transdisciplinaire pour l'action concertée, Conférence Internationale, Thessalonique, éd. Unesco et le Gouvernement de la Grèce, p. 39

195 UNESCO (1997) Eduquer pour un Avenir Viable: une vision transdisciplinaire pour l'action concertée, Conférence Internationale, Thessalonique, éd. Unesco et le Gouvernement de la Grèce, p. 27

• favoriser le passage à l'action.

- Décloisonner les disciplines, la complexité inhérente aux problèmes actuels se trouvant généralement dans l'interface de plusieurs disciplines, dans leur zone interactionnelle. - Etablir un "cadre de référence général" définissant des objectifs globaux sur les finalités de

l'enseignement, "laissant aux enseignants et aux élèves une certaine liberté de choix en ce

qui concerne les expériences d'apprentissage à mettre en œuvre196".

- Elaborer de nouvelles méthodes d'évaluation, appréhendant l'apprentissage comme un processus à mettre en place.

- Envisager une éducation visant l'autodidaxie, afin que l'acquisition de connaissances et la réflexion ne s'arrête pas avec la fin de la scolarité.

Cherchant à sortir d'une approche purement théorique, l'Unesco cite en exemple la réforme entreprise à Toronto. Cette dernière a la particularité d'avoir été formulée par l'ensemble des acteurs. Une consultation des parents fait apparaître six acquis primordiaux à développer à l'école: l'alphabétisation, le sens esthétique et la créativité, la capacité à communiquer et à collaborer, la capacité de gérer l'information et la responsabilité civique. Nous sommes bien loin des objectifs consignés dans nos programmes scolaires actuels! "L'essence de la réforme

de Toronto est que le programme n'est plus axé exclusivement sur les grandes matières traditionnelles, langues, mathématiques, histoire, etc.197", et son succès tient de ce que son

impulsion est venue de l'intérieur et non pas d'une volonté répondant aux désirs d'une autorité quelconque.

S'inscrivant dans une optique semblable, la Commission française pour le développement durable, sous la plume de Brodhag (1998), propose une approche tenant compte de trois types de stratégies à mettre en place simultanément.

1. “Savoirs de base et disciplines traditionnelles mobilisés sur des exemples liés au

développement durable: en littérature des textes du développement durable, en histoire (exemples des relations civilisations/ressources), en mathématique (statistiques). Objectif: donner un statut à part entière dans ces disciplines aux problématiques du développement durable.

2. Savoirs et méthodes mobilisables pour le développement durable à l’occasion d’une

pédagogie par projets; géographie, histoire, sciences naturelles. Objectif: participer à l’intégration des disciplines par une approche de terrain et à l’intégration des problèmes de développement durable dans les disciplines.

3. Mobiliser les savoirs et les disciplines spécifiques pour le développement durable:

environnement, institutions, méthodes mises en jeu pour le développement durable (approche de la complexité, jeu multiacteurs…). Objectif: donner les outils et les méthodes directement utilisables dans le domaine du développement durable.198"

196 UNESCO (1997) Eduquer pour un Avenir Viable: une vision transdisciplinaire pour l'action concertée, Conférence Internationale, Thessalonique, éd. Unesco et le Gouvernement de la Grèce, p. 29

197 UNESCO (1997) Eduquer pour un Avenir Viable: une vision transdisciplinaire pour l'action concertée, Conférence Internationale, Thessalonique, éd. Unesco et le Gouvernement de la Grèce, p. 30

198 BRODHAG, C. (1998) Education et développement durable, éléments de problématique, Commission Française du Développement Durable

Ces directions sont complétées par le schéma suivant, où apparaissent les notions de savoir- être et de savoir-faire déjà abordées à travers le modèle allostérique de Giordan (v. point 1.2.4.7.).

Tableau I/XI

L’éducation au développement durable d'après Brodhag

Education de base

CONNAITRE Savoirs-enjeux

intégrer la notion de DD dans les différentes matières: économie, social, culturel, scientifique, politique SAVOIR-FAIRE Méthodes-mécanismes de la pensée raisonnement observation entrainement à la réflexion esprit de synthèse et hiérarchisation de priorités relier les matières et éléments SAVOIR-ETRE autonome responsable respectueux morale-éthique solidaire

avoir du bon sens être actif se mobiliser

Brodhag (1998)

Réalisé à la même époque dans le cadre de la mise en place de l'Agenda 21 pour Genève, nous avons également travaillé un projet pédagogique dont nous donnons un aperçu dans le tableau suivant.

Tableau I/XII

Projet pédagogique autour du développement durable par Pellaud

Le projet pédagogique

1) Le concept de développement durable touche à toutes les activités humaines. Il dépasse donc le cadre restreint des disciplines et peut être utilisé comme base à tout enseignement.

2) L'enseignement ainsi construit aborde, à travers une approche interdisciplinaire englobant toutes les disciplines, des notions peu abordées dans le cursus scolaire actuel, telles que:

- des savoir-être, - la citoyenneté,

- la gestion de la complexité,

- le respect et la gestion de l'environnement, - le respect de l'autre et la solidarité,

- l'appartenance à un groupe social allant du quartier à la planète.

3) L'enseignant, véritable "professionnel de la communication" favorise un enseignement interdisciplinaire visant: - le plaisir d'apprendre,

- la valorisation de l'image de soi, - la curiosité,

- l'autonomie et l'autodidaxie, - la responsabilisation de l'individu,

- la conscience des enjeux, favorisée par une approche de la pensée complexe.

Si ces modèles ont l’avantage d’envisager le développement durable comme un sujet transversal à plusieurs domaines, ils ont le tord de ne pas proposer de véritable contenu au niveau des savoirs.

Quant aux savoir-être, il faut rester attentif au fait que ces derniers s'appuient sur des valeurs dépassant le cadre de la connaissance ou du savoir. On peut en effet avoir appris un certain nombre de choses sur l'éthique, la morale, les droits de l'homme, sans pour autant savoir ou vouloir les mettre en pratique (Meyer-Bisch, 1995). Les valeurs ne se transmettent que "dans

l'interaction durable avec les personnes au milieu desquelles nous vivons199". Il ne suffit donc pas d'en parler, mais de les vivre, et pas seulement dans des exercices de simulations tels que plusieurs écoles ont déjà tenté de le faire (Pierrelée, 1998). “Les connaissances du

développement durable doivent être orientées vers l’action et la mobilisation, elles sont à l’opposé d’un savoir passif.200" Il faut donc également repenser les rôles de l’enseignant au

sein de sa classe. Celui-ci, par sa manière de gérer les conflits, de répondre aux demandes, d’accompagner les élèves, d’instaurer une relation de confiance avec eux, d’écoute, de non- jugement, etc. doit apporter les éléments nécessaires au développement de ces valeurs. Celles- ci ne peuvent se construire que dans un environnement qui permette leur émergence. Or, la manière dont se pratique encore aujourd’hui l’évaluation des élèves, la sélection de ceux-ci en fonction des diverses filières, la course incessante aux diplômes supérieurs, etc. en même temps que le rôle de “détenteur de la vérité” que continue de représenter l’enseignant va à l’encontre des principes de solidarité et d’entraide à la base du développement durable.

Ainsi, qu’il s’agisse de l’éducation pour l’environnement ou d’une éducation au développement durable, toutes deux se heurtent à l'heure actuelle à des obstacles qui leur sont communs:

- cloisonnement disciplinaire,

- absence de formation spécifique des enseignants et surtout

- absence de prise en compte dans le système d’évaluation (Boillot, 1996) de données relatives à l’adoption d’attitudes (curiosité, créativité, inventivité, esprit de collaboration, attitude critique constructive, etc.) et de savoir-faire (gestion de l’information, utilisation de techniques de recherches d’information, autodidaxie et autonomie dans l’apprentissage, capacité à mobiliser un savoir, à le transmettre, etc.).

Les examens restent focalisés sur un système d’évaluation sommative de connaissances et de contenus trop souvent décontextualisés. Bien que des essais dans ce sens aient été menés à travers l'évaluation formative et l'auto-évaluation, les attitudes et les démarches, deux éléments essentiels dans ce type de formation, n'ont toujours pas réussi à être réellement pris en compte. Travaillant sur la notion de projet et sur celle de conception qui lui est sous-jacente, les difficultés de leurs réalisations et de leurs évaluations sont abordées par une nouvelle didactique de l'architecture en train de se développer. "Effectuer un acte de projet en situation

d'apprentissage, ce que chacun s'accorde aujourd'hui à qualifier de complexe, pour un apprenant et d'autant plus pour un apprenant en conception architecturale, nécessite la conjonction de trois vecteurs de savoir. Premièrement, bien sûr, celui de la compréhension brute du contenu à exercer, secondement celui qui touche à la compréhension de

199 PIERRELEE, M-D. (1998) Peut-on enseigner la citoyenneté et le civisme? In L'école contre l'exclusion, Entretiens Nathan, p. 25 200 BRODHAG, C. (1998) Education et développement durable, éléments de problématique, Commission Française du Développement Durable

l'intentionnalité de l'enseignant et, troisièmement, celui lié à sa propre réflexion envers l'état de son moi d'apprenant. Ce n'est qu'une fois cette articulation mise en place qu'un possible dialogue réflexif au sens de Davis Schön201 se réalise, qu'une possible relation didactique

s'opère et qu'elle s'opérera jusqu'à son effectivité, dès lors qu'elle sera concrétisée sous forme d'évaluation, respectivement d'auto-évaluation.202"

Concrètement, envisager l’école dans un processus de développement durable implique que tous les acteurs du milieu éducatif “se doivent de réactiver la tradition de critique sociale ou

de reconstruction dans l’enseignement et de promouvoir, en matière de planification des programmes et de pédagogie, des approches qui soient de nature à faciliter l’intégration de la justice sociale et de la durabilité écologique à une vision et une mission placées sous le signe de la transformation de la personne et de la société203".

De plus, les disparités sociales et les diversités ethniques souvent mal acceptées au sein de la société204 sont des facteurs importants auxquels l’école doit faire face et pour lesquels une

éducation au développement durable devrait apporter, si ce n’est une réponse, du moins une aide considérable. Ainsi, l'école se doit de devenir un nouveau ciment social, un repère adapté à une société en constante mutation, un lieu de communication privilégié entre les différents acteurs de la société (Giordan, 1998). Sa vocation n'est pas de rester un simple lieu de transmission de savoirs et de connaissances, mais de devenir un lieu culturel pour le quartier, la ville ou la région (Meyer-Bisch, 1995).

Il faut donc envisager l’école comme un lieu de dialogue entre l'institution, les enseignants, les apprenants et les parents de ces derniers, non seulement dans le cadre de réunions formelles, mais dans de véritables échanges permettant une participation active de chaque protagoniste. Etre reconnu, dans sa ressemblance comme dans sa différence, appartenir à un groupe, y avoir des valeurs et des repères partagés avec d'autres, découvrir l'utilité de sa personne pour se forger une image positive de soi, voilà quelques-uns des objectifs que doit atteindre l'école. En intégrant ces valeurs, qui sont également celles du développement durable, cette dernière offre à l'élève les moyens de réfléchir à son devenir ainsi qu'à celui de la société. Par là même, l'école devient un véritable lieu de vie proposant aux élèves la possibilité de se réaliser autrement que par l'intermédiaire d'un bulletin scolaire.

1.2.3. D

IFFICULTES D

'

APPRENTISSAGE INHERENTES A LA COMPLEXITE

"Computer, téléphones sans fil, C'est compliqué la vie facile, On n'arrête pas le progrès Il faut que tout soit parfait Alors, alors on finit tout seul, Tant pis, l'amour virtuel

201 SCHÖN, D. (1987) Educating the reflective practitioner: toward a new design for teaching ans learning in the professions, Sans Francisco, Jossey-Bass, p. 93

202 LUDI, J-C. (2000) Pour une modélisation d'une didactique de la conception, Conférence présentée à l'Ecole Nationale d'architecture et d'urbanisme de Tunisie, dans le cadre du séminaire "Concevoir et faire le projet en architecture, analyser, expérimenter et enseigner", du 30 mars au 1 avril 2000

203 FIEN, J. (1996) Enseigner pour un monde durable in Connexion, bulletin de l'éducation relative à l'environnement UNESCO-PNUE, vol. XXI, no 4, déc. 1996, UNESCO-PNUE

Nous donnera des ailes Pour s'éloigner de l'animal On s'est donné tant de mal…" Maurane, 1999, Tout va bien dans ce monde

Si plusieurs auteurs se sont penchés sur les enjeux de la complexité (Capra, 1983/ 1990; Saaty, 1981/1984; Saint-Geours, 1987; Lerbet, 1995; Morin, 1977/1990/1991/1998/1999) et ce qu'elle signifie au niveau des changements sociétaux, nous ne trouvons que peu de référence en ce qui concerne les difficultés qu'elle engendre au niveau de l'apprentissage. Les résultats de notre recherche apporte à ce propos des renseignements tout à fait pertinents (v. chapitre 3). Néanmoins, nous avons relevé un certain nombre de paramètres récurrents qui apparaissent systématiquement dès que nous abordons la notion de complexité.

Bien qu'il ne soit jamais possible d'isoler les éléments les uns des autres, chacun retroagissant tant sur les causes que sur les effets, nous pouvons résumer cet entrelacs d'interactions par un enchaînement d'éléments allant des illusions sensorielles au paradigme de disjonction/fragmentation inhérent à notre culture et largement diffusé, comme nous venons de le voir, durant tout le cursus scolaire.