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Fonction syntaxique des scènes infernales

1 Une révélation

2.2 Fonction syntaxique des scènes infernales

[…] no light, but rather darkness visible57.

L’imaginaire de la grotte et de ses déclinaisons -dont l’enfer caïnite est l’extension hyperbolique et le théâtre la dégradation moderne- représente une constante dans l’œuvre nervalienne. Quelle fonction syntaxique revêtent ces séquences récurrentes au sein de la phrase narrative globale ?

2.2.1 Définition.

Avant de nous interroger sur la logique dynamique et évolutive qui détermine l’agencement des trois scènes « nocturnes » fondamentales, lesquelles marquent des jalons à l’intérieur du développement de la phrase narrative de l’Histoire de la Reine du matin, nous aimerions proposer une définition de la particularité fonctionnelle de ces scènes intimes. Ainsi

54 Rappelons la célèbre définition proposée dans la Poétique : « car le comique est un défaut et une laideur sans douleur ni dommage, de même que le masque comique est laid et difforme, sans exprimer la douleur. », Poétique, trad. Odette Bellevenue et Séverine Auffret, 2001, Éd. Mille et une nuits, p. 15.

55 NPl III, p. 696.

56 NPl II, p. 885.

57 John Milton, Le Paradis perdu, Paris, 1965, Aubier-Montaigne, trad. Pierre Messiaen, III, 53-55, Complete Poetical Works, edited by Douglas Bush, Harvard University, Boston, 1965, p. 63.

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que nous l’avons précédemment mentionné, ces scènes d’introspection, présentées en focalisation interne, strictement inscrites dans la conscience du personnage principal, représentent le contrepoint de la trame narrative diurne. Cette trame revêt bien souvent, quant à elle, l’aspect d’un script de théâtre, assorti de didascalies narrativisées sans que les profondeurs de la psyché du personnage n’y paraissent dévoilées. N’oublions pas, en effet, que le manuscrit de départ du conte, document sans doute disparu, était un livret d’opéra. Antithèse à ces scènes diurnes proches majoritairement de ce que Gérard Genette nomme la focalisation zéro, les trouées nocturnes témoignent à l’inverse des profondeurs de la conscience d’un héros déchiré. Il est par ailleurs important de noter qu’alors que cette trame émergée s’inscrit, pour chacun des récits nervaliens, à l’intérieur d’un univers générique à chaque fois nouveau ainsi qu’au sein d’un scénario de surface en apparence inédit, les scènes intimes déclinent, non sans toutefois proposer des variantes et des déplacements, une série de mythèmes récurrents.

Ces séquences, émanation fantomatique d’un passé qui ne passe pas58, font office de verrou à toute tentative du je visant à dépasser la fusion identitaire avec l’imago maternelle.

Elles revêtent, par ailleurs, une fonction doublement apocalyptique : envers du décor émergé, elles en révèlent le sens caché et suppléent de facto, pour un lecteur initié au mythe nervalien, au caractère explicite d’un commentaire auctorial stricto sensu. Tel le rêve prémonitoire, elles possèdent également une force performative: elles déterminent et annoncent l’action59. Scènes évolutives, ces séquences nocturnes à la fonction à la fois herméneutique et performative sont étroitement inscrites dans le temps composé d’une phrase narrative dont elles représentent des syntagmes en interaction directe avec le déploiement global de l’action. « Univers magique »60 pour le scripteur d’Aurélia, ces visions, loin d’être hypostasiées dans un passé inaccessible, sont appelées par la nécessité logique du récit au sein de la conscience une et unique d’un héros dont la crise se joue dans la contemporanéité. Contaminé par l’action scénique de surface, en particulier par l’urgence d’interpréter un réel incompréhensible, ce passé -longtemps tabou en

58 Les scènes nocturnes de Nerval représentent la version personnalisée par notre auteur de l’engouement de tout son siècle pour le magnétisme ou, plus tard, le spiritisme. Dans l’ouvrage qu’il consacre aux fantômes, Daniel Sangsue montre bien que le visionnaire est celui qui n’admet pas la rupture constituée par la mort : « Le visionnaire de fantômes est en effet un mortel qui n’accepte pas la rupture entre la vie et la mort et qui souffre de l’impossibilité d’un lien posthume. », Daniel Sangsue, Fantômes, esprits et morts-vivants, essai de pneumatologie littéraire, Paris, Corti, 2011, p. 114.

59 Comme nous l’avons évoqué dans notre second chapitre, la juxtaposition par Nerval de syntagmes narratifs récurrents dans son œuvre induit une relation implicite de cause à effet. Pour donner un exemple significatif, il semble bien que la catabase d’Adoniram, apocalypse régénératrice et expiatoire, trouve son origine dans le terrible et mortifère échec de la coulée de la mer d’airain. La vision onirique par laquelle le héros est initié à une forme de connaissance ésotérique supérieure lui permet par ailleurs en retour de réparer l’œuvre avortée, la vision remplissant ainsi une fonction performative.

60 NPl III, p. 721.

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ce qui concerne Adoniram- est littéralement convoqué. Au réconfort triomphal de la madeleine ou des autres souvenirs proustiens, ce « un peu de temps à l’état pur »61 que le souvenir involontaire permet de ressusciter, s’oppose la fragilité et labilité du lieu (imparfaitement) clos nervalien. Le passé, quelque rempart protecteur qu’on lui assigne, est recréation du présent selon la définition fondamentale de Saint-Augustin, et donc soumis à toutes les refontes, recompositions et profanations62. Rappelons à ce titre la précision significative émise par l’aïeul mythique mis en scène lors de la première catabase du héros d’Aurélia:

La terre où nous avons vécu est toujours le théâtre où se nouent et se dénouent nos destinées. […]

Notre passé et notre avenir sont solidaires. Nous vivons dans notre race et notre race vit en nous63.

Peut-on dès lors encore parler de souvenir comme le voudrait l’expression euphémistique de la nouvelle Sylvie ou plutôt de descente aux enfers, d’apocalypse au sens littéral du terme, lieu commun de la topographie imaginaire romantique mais syntagme fondamental et intime de l’imaginaire nervalien ?

Tenter d’approcher la spécificité de ces séquences « visionnaires » implique également de revenir sur la possibilité d’identifier un sujet/actant principal du récit. Certes, le narrateur nervalien pratique ce que Georges Blin nomme le réalisme subjectif, pénétrant tour à tour de manière diversement profonde la conscience de chacun des personnages principaux, de Soliman à Balkis en passant évidemment par Adoniram. Dans la mesure où le lecteur apparaît successivement transposé dans l’intimité de chacun des personnages, il semblerait que ce mode d’appréhension de leur conscience -à dimension variable- ne puisse pas constituer un critère de différenciation concernant leur statut narratif ou leur prééminence relative. S’opposent cependant deux niveaux de profondeur : à l’incursion superficielle des perceptions de Balkis ou de Soliman, transformation narrative de l’aparté ou du monologue de théâtre -n’oublions pas en effet que le texte d’origine était destiné à la représentation- s’opposent des scènes visionnaires qui sont l’apanage du seul Adoniram. En contrepoint à de brèves intrusions au sein de la conscience des personnages, lesquelles, superficielles, se traduisent en mots, il faut donc identifier des scènes fantasmagoriques, apanage incontesté du fondeur-statuaire. Ces séquences adoptant une restriction focale permettent au lecteur de se glisser dans l’imagination délirante

61 Marcel Proust, Le Temps retrouvé, Folio, Poche, Paris, 1978, p. 342.

62 Rappelons encore la définition proposée au livre XI des Confessions par l’évêque d’Hippone du triple présent:

« Où qu’elles soient, les choses futures ou passées n’y sont que comme présentes » (XI, 18, 23) découverte suivie de sa corollaire : « Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent du futur. », Saint Augustin, Les Confessions 11, 18, 23, « Bibliothèque augustinienne », t. 14, 1962, p. 274, in Paul Ricœur, Ibid., p. 30.

63 NPl III, p. 704.

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du héros. Certes, la focalisation interne n’est pas ici mise au service de ce que William James nomme « stream of counsciousness » ou des tropismes chers à Nathalie Sarraute. S’il n’est donc pas question chez Nerval d’analyse psychologique profonde au sens littéral du terme, les séquences où Adoniram explore l’univers occulte et enfoui de ses grottes n’en transcrivent pas moins, mais sous forme allégorique, les secrets les plus intimes de sa psyché. A la transcription d’une conscience superficielle que les mots pourraient traduire tel un monologue de théâtre, Nerval substitue le mode allégorique de la vision. Il s’agit déjà bien, anticipant sur la rhétorique mise en œuvre dans les derniers écrits de notre auteur, d’envisager l’existence d’un autre mode d’accès au sens, au-delà de la raison et de la froide logique des mots64. En usant de ce mode herméneutique proche de la révélation mystique, Nerval ouvre d’une part sur la possibilité d’une raison supernaturaliste mais se ménage surtout un espace rhétorique ambivalent lui permettant à la fois d’exposer sur le mode descriptif l’existence de cette vérité allégorique tout en s’abstenant de la commenter pas plus que de la prendre objectivement à son compte. De fait, s’imposerait, au stade de la vision cauchemardesque de la mort des chimères, une transcription à caractère psychologique des impressions éprouvées par l’artiste traumatisé. En refusant un commentaire que la logique textuelle imposerait, Nerval pratique une forme indirecte de ce que Gérard Genette nomme paralipse, mensonge par omission, dialectique articulant révélation et dénégation, rupture d’un contrat de confiance tacite engagé avec le lecteur, lequel consisterait à lui fournir toutes les informations nécessaires à une bonne com-préhension (au sens kantien du terme) de son récit65. Cette occultation, que redouble la grande occultation frappant le personnage de Balkis après la mort de son époux, contribue ainsi à approcher au plus près de la fissure existentielle du héros nervalien. Si la Vérité existe nécessairement, elle ne se présente que morcelée, inaccessible à une intelligence globale, a fortiori par l’intermédiaire de la vulgaire raison. De manière significative, le seul personnage qui semble parfaitement lisible, dont tous les actes soient soigneusement légitimés par un commentaire, émanant soit du personnage lui-même, soit du conteur, est le superficiel et matérialiste Soliman.

C’est donc bien en identifiant la récurrence de telles intrusions au sein de la conscience du personnage sur le mode visionnaire -un procédé relevant donc des compétences narratologiques du lecteur- que l’on pourrait se permettre de définir Adoniram comme actant/sujet principal du conte. Par contraste, on ne saurait trop insister sur l’importance de

64 Brian Juden, évoquant spécifiquement Aurélia propose de définir en ces termes ce mode de transcription:

« communication directe par images plastiques », Brian Juden, Traditions orphiques et tendances mystiques dans le romantisme français (1800-1855), Genève, Slatkine reprints, [1972]1984, p. 664

65 Gérard Genette définit la paralipse comme la « rétention d’une information logiquement entraînée par le type (de point de vue) adopté » (Nouveau discours du récit, Paris, Seuil, 1983, p.44).

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l’occultation finale réservée au personnage de la reine de Saba. En effet, le texte abandonne ce personnage fondamental qui donne son titre au conte au moment où, après avoir administré à Soliman un narcotique, elle s’apprête à fuir la Judée, résolue à rejoindre son « époux » Adoniram dont elle ne semble jamais avoir anticipé la mort. Cet abandon de Balkis par le récit au profit d’un réinvestissement exclusif du personnage de Salomon n’est pas sans poser de singuliers problèmes d’interprétation. Pourquoi cette souveraine forte de sa « prudence », secondée par des alliés aux pouvoirs surnaturels (Sarahil, Hud-Hud) n’a-t-elle pu prévoir la mort de son époux ? Quel rôle joue-t-elle, partant la femme dont elle est l’allégorie, dans l’univers nervalien ? N’a-t-elle servi qu’à vampiriser le génie du créateur au profit de la toute matérielle et profane transmission de la vie organique ? Représente-t-elle, dans une perspective platonicienne, le reflet terrestre et imparfait d’un idéal divin avec lequel le passage par la mort/palingénésie permettra de renouer ? Nous tenterons d’analyser dans le cadre de notre chapitre 2.2 en quoi tout objet féminin dans le récit nervalien revêt une fonction ambivalente, fabrication chimérique prédicative produite par le sujet masculin66. Nous nous attacherons en particulier à montrer comment Nerval en occultant, refoulant tout ce que le mythe de la reine de Saba présentait de bestialité, d’animalité latente dans l’imaginaire collectif romantique est ici réinvesti de manière indirecte. En tout état de cause, le choix opéré par le narrateur de jeter un voile sur l’existence de Balkis après la mort d’Adoniram -de facto donc sur ses perceptions !- contribue à conférer au personnage féminin un caractère d’ «inquiétante étrangeté»67. La femme dont Balkis est l’allégorie, bien plus que poseuse d’énigmes -ou joueuse de charades comme Pandora- incarne elle-même une énigme insoluble. Loin de nous toutefois l’idée de qualifier ce personnage de négatif : bien au contraire, tout indique que Balkis, conjuguant beauté, savoir, courage et don de voyance, incarne ce qu’un réel prosaïque peut fournir de meilleur. Au demeurant, en tant que projection d’un désir masculin latent exigeant l’idéal, la reine de Saba dans la version proposée par le conte oriental ne reflète qu’imparfaitement l’image idéelle de l’archétype divin. Nec plus ultra de l’humanité, digne d’Adoniram, Balkis n’en est pas moins tout comme lui soumise aux erreurs humaines, tentée voire contaminée par la matière. On pourra à ce titre mettre en regard cet avatar résolument terrestre avec les versions

66 Rappelons encore une fois l’aphorisme lourd de sens du préfacier aux Poésies d’Henri Heine : « La femme est la chimère de l’homme » (C’est nous qui soulignons), NPl I,p. 1132.

67 De manière extrêmement significative, le livret de l’opéra de Gounod La Reine de Saba, rédigé par Jules Barbier Jean-Michel Carré, fait la part belle au lamento de Balkis pleurant la mort d’Adoniram, gauchissement au nom de la vraisemblance de l’hypotexte nervalien. Nul doute par ailleurs que Charles Gounod lui-même tenait à l’existence d’une telle scène, qui lui rappelait l’Orphée de Glück comme en témoigne cet extrait d’une lettre adressée à Bizet :

« Mon cinquième acte avance […] Il me reste encore l’arrivée de Balkis et la scène sur le corps d’Adoniram expirant. » cité par Joseph-Marc Bailbé, « Autour de la reine de Saba : Nerval et Gounod », Regards sur l’opéra, du ballet comique de la reine à l’opéra de Pékin, PUF, 1976, p. 122. (113-126)

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célestes du mythe de la reine du Midi telles que les transcrivent les manuscrits non publiés d’Aurélia68. Reste donc pour le mendieur d’Azur le passage par la mort transfiguratrice, point aveugle du récit par lequel est suggérée une réintégration possible au monde des essences, virtualité que rien ne vient toutefois confirmer dans le conte oriental, sinon la postérité toute physique de la lignée des enfants du feu.

En alternant accès à l’intimité et occultations essentielles, le narrateur nervalien, avant de se plier à l’écriture du « je » dans le cadre d’écrits postérieurs, prend donc appui sur les ambiguïtés énonciatives qu’autorise un récit hétérodiégétique. En dissimulant au lecteur, à des points cruciaux de la diégèse, la rationalisation psychologique des impressions éprouvées par Adoniram ou Balkis, il souligne donc en creux l’existence de failles implicites, en particulier celle opposant rationalisme et surréalité, tension dialectique qu’allégorise l’antagonisme entre la trame diurne du récit et ces scènes nocturnes, apocalypses à visée herméneutique et à fonction performative.

2.2.2 Composition : trois révélations successives et complémentaires.

Le dénouement particulier dont nous tentons de cerner les enjeux s’inscrit ainsi comme le troisième et dernier terme d’une série évolutive de descriptions ayant pour objet un lieu clos polymorphe. En décomposant et en fractionnant comme dans une lanterne magique le mouvement par lequel la déesse-mère prend la fuite -mythème constant de l’imaginaire nervalien- notre auteur inscrit dans le temps recomposé de la syntaxe narrative l’événement fondateur, atemporel, qui influe sur toute l’œuvre. Le monde occulte, placé sous l’égide du véritable objet, lacune attractive, « orbite » « qui rayonne »69 selon le sonnet II du cycle du Christ aux Oliviers, représente le négatif de la trame diurne, son correspondant dans une autre dimension. En éclatant, diffractant, ce « seul moment » virtuellement hors du temps dans l’architecture recomposée de la phrase narrative, Nerval tente de conférer un sens complexe à la vacuité fondatrice70. En nous focalisant à présent sur ces trois étapes allégoriques que constituent les visions d’Adoniram, rapprochant ces descriptions de variantes intertextuelles proposées dans d’autres ouvrages nervaliens en particulier Aurélia, nous tenterons de montrer

68 Voir NPl III, pp. 754-756.

69 NPl III, p. 649.

70 D’autres passages de l’œuvre nervalienne synthétisent encore davantage ce moment symbolique de l’envol chimérique. Mentionnons à ce sujet les Petits châteaux de Bohème ou Aurélia. Nous voudrions insister sur le rythme syncopé, l’aspect rotatoire ainsi que le mouvement ascensionnel de cette scène récurrente, obsession nervalienne dont l’enjeu du récit est de lui conférer un sens, une telle allégorie étant elle-même une forme d’esthétisation, de matérialisation du deuil impossible. Citons pour mémoire cet extrait des Petits châteaux de Bohème : « La Muse est entrée dans mon coeur comme une déesse aux paroles dotées; elle s'en est échappée comme une pythie en jetant des cris de douleur. », NPl III, p. 399.

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toute la cohérence d’un imaginaire chimérique, en relation directe avec la question centrale de la création, notion à envisager dans tous les sens du terme.

2.2.2.1 La pétrification ou la situation initiale.

Je reproduis les impressions que j’ai reçues de ces débris ignorés et des figures terribles et grandioses du monde ancien71.

La première station « infernale » peut être considérée comme la situation initiale du récit, ou « l’orientation » pour reprendre la terminologie utilisée par Jean-Michel Adam. En évoquant à deux reprises, la première fois en face de son disciple Benoni, la seconde en s’adressant à Balkis et Soliman, le séjour fondateur au sein de grottes libanaises peuplées de géants pétrifiés depuis des « millions d’années » où l’artiste a acquis la « tradition » de son art de sculpteur-statuaire, Adoniram pose les termes d’une situation figée proche de la sclérose.

Certes, l’artiste magnifie la gloire d’une esthétique caïnite de la rébellion et du grotesque sublime mais il indique aussi en creux la nécessité d’un changement radical tant sur le plan du développement de sa personnalité qu’en termes esthétiques. Certes, cette caverne antédiluvienne apparaît bel et bien comme un conservatoire des archétypes, centre absolu et parfait que Nerval décline tout au long de son œuvre. Séjour des « limbes », « figures graves et immobiles »72 selon le scripteur d’Aurélia, « chambre noire »73 de la création évoquée par le préfacier des Poésies d’Henri Heine, centre de la terre où règnent en maîtres les types immuables des trois Vénus antiques selon le voyageur en Grèce, le lieu parfait se présente comme la matrice de toute création nervalienne. Tout l’enjeu mais aussi tout le risque de la mise en récit consiste à tenter d’animer, d’incarner, d’ébranler le statisme protecteur mais obsolète de cet hortus conclusus. Allons plus loin: le déterminisme structurel d’un récit romanesque dans lequel s’est inconsciemment engagé Adoniram, « jeune homme » en formation surpris par l’amour, appelle une révolution. L’entrée dans le récit, dans l’intrigue, demande en effet un élément de perturbation. Tout se passe comme si l’actant multiforme masculin : Adoniram, Benoni son disciple, ou Soliman demandait inconsciemment à être régénéré, qu’il s’agisse de l’artiste statuaire figé dans la répétition d’une scène hypostasiée littéralement stupéfiante, de Benoni son « enfant » spirituel, avatar et personnification de cette compulsion de répétition, ou de Soliman, maintenu dans un état d’enfance prolongée par les structures aliénantes d’une société théocratique dont les prêtres tout-puissants « vont à rien

71 NPl II, p. 694.

72 NPl III, p. 695.

73 NPl I, p. 1123.

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moins qu’à tout immobiliser »74. Porter la révolution au sein de ce monde masculin « énervé » et figé, telle est la fonction de Balkis, personnification de la dynamique linéaire du temps, de l’événement, associée à son avatar Hud-Hud, oiseau mythique, allégorie de l’amour, partant emblème de l’inscription générique dans le roman. Ce sont en définitive deux dominantes

moins qu’à tout immobiliser »74. Porter la révolution au sein de ce monde masculin « énervé » et figé, telle est la fonction de Balkis, personnification de la dynamique linéaire du temps, de l’événement, associée à son avatar Hud-Hud, oiseau mythique, allégorie de l’amour, partant emblème de l’inscription générique dans le roman. Ce sont en définitive deux dominantes