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Avantages d’un voilement : de la violence du fantasme à la violence du confinement

1 Incorporer le symbole : enjeux généraux

1.3 Avantages d’un voilement : de la violence du fantasme à la violence du confinement

1.3 Avantages d’un voilement : de la violence du fantasme à la violence du confinement.

La femme est la chimère de l’homme […]23

1.3.1 Fantasmes chimériques.

S’il ne se prononce jamais directement en son nom en faveur du port du voile, Nerval n’en apparaît pas moins indirectement intéressé par un monde où hommes et femmes vivraient séparés, où un voile hermétique pourrait dissocier, dans une perspective platonicienne, ce qui relève des réalités désignées comme telles et l’idéal : objet d’amour pur, matière consacrée, création divine. Si l’on décompose la séquence à caractère quasi-chorégraphique que constitue le mouvement du voile féminin, laquelle apparaît en particulier au sein du fameux passage « Le Masque et le voile » des « Femmes du Caire », on peut distinguer deux pulsions antagonistes : à une pulsion d’ouverture enthousiaste vers l’altérité féminine flirtant d’ailleurs délicieusement avec le risque de la profanation s’oppose le geste de fermeture, de cloisonnement, de repositionnement de l’objet d’amour au sein d’une zone de repli sécuritaire. Ce jeu compliqué d’un dévoilement inabouti souligne toute l’ambivalence du regard masculin se chargeant d’un désir croissant. Jusqu’à quel stade de ce chaste strip-tease, jusqu’à quelle partie du corps est-il licite de laisser vagabonder une « imagination » stimulée par « l’incognito des visages féminins » ?24 Si la contemplation proche de l’effeuillage d’une « main », d’une « épaule », de

« pieds » ou de « chevilles chargées d’anneaux » fait partie de « ce qu’il est permis d’admirer,

23 « Les Poésies de Henri Heine », NPl I, p. 1132.

24 NPl II, p. 261.

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de deviner, de surprendre », l’ « œil » féminin qu’ « on se sent le besoin d’interroger » marque le point de rupture, le seuil infranchissable de la zone sacrée, amorce symbolique vers le mouvement de repli. A l’évidence, ce fantasme de la mise en scène du désir que nous analyserons de manière plus précise dans la troisième partie de ce chapitre, est porteur d’une violence sous-jacente. Aussi, l’impérieuse pulsion émanant du sujet masculin, stimulée par une imagination créatrice, le pousse-t-elle de manière chronique à imposer à la femme réelle le rôle stéréotypé d’incarnation de l’idéal. Tous les « remparts » qui médiatisent la créature de chair et de sang -masque des femmes cairotes, feu de la rampe de l’actrice de théâtre- servent de tremplin à un regard chimérique pétrificateur qui interdit toute autonomie à la femme réelle, toute forme d’individuation. Ainsi que nous envisagerons de l’analyser, les supports d’amour chimériques qui jalonnent le récit du Voyage sont chroniquement privés d’une parole qui les renverrait à leur statut vulgairement humain : de l’akkalé druse Saléma dont nul mot ne trouble l’image idéale à la princesse Sétalmulc, momentanément réduite au silence par l’impérieux fantasme de son frère. Si la femme n’est pas une créature maléfique en tant que telle, elle est définie par le préfacier des Poésies d’Henri Heine comme « la chimère de l’homme »25, c’est-à-dire l’enjeu d’un processus qui conduit le sujet masculin fasciné à substituer l’individualité féminine au profit d’un rôle qu’il crée pour elle. Se prendre pour le Créateur, tel est bien l’un des fantasmes théomaniaques de Nerval, geste d’accaparement de l’existence réelle, suivie invariablement d’une désillusion ou d’une sanction. A la violence du fantasme, la « violence » de ce « mal »26 évoquée par un Brisacier exigeant la réalité au théâtre, confondant le rôle et l’existence, fantasme qui effraie immanquablement la femme réelle, succède l’exigence d’une mise à distance conjuratoire ou expiatoire de l’objet d’amour. Entre l’homme et la femme mis en scène dans l’univers nervalien se lit en filigrane une guerre des sexes larvée, antagonisme essentiel dont témoigne cette réflexion du voyageur au Liban, résolu à « épouser quelque fille ingénue de ce sol sacré »:

Avec toute la puissance de séduction, de ruse, de persévérance et de persuasion que le ciel lui a départie, la femme de nos pays est socialement l’égale de l’homme, c’est plus qu’il n’en faut pour que ce dernier soit toujours à coup sûr vaincu27.

Il ne faudrait pas au prix d’un contresens grossier taxer Nerval de misogynie mais inscrire sa réflexion sur les rapports déséquilibrés entre les sexes à l’intérieur de l’histoire des idées, en particulier au sein des croyances (pseudo-)scientifiques corrélant l’excès de passions

25 NPl I, p. 1132.

26 NPl III, p. 457.

27 NPl II, p. 506.

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sous toutes ses formes et l’aliénation mentale, lesquelles diagnostiquent comme motifs d’un déséquilibre au sens large tantôt la privation tantôt la débauche des plaisirs vénériens. Il pourra également être important d’envisager le fantasme pétrificateur que Nerval metteur en scène impose à la femme réelle à la lueur de sa hantise de la fuite de la mère divine, séquence culpabilisante, traumatisante et originelle, qui représente une récurrence dans son œuvre.

1.3.2 Dialectique entre épanchements et rétention : à la jonction des croyances personnelles et des discours scientifiques.

Une réflexion sur les rapports éminemment ambivalents entretenus par la psychiatrie débutante ou plutôt ascendante -l’aliénisme- du XIXème siècle et la morale, en particulier sur la corrélation implicite entre un avatar rationnalisé de l’histoire de la diabolisation féminine et un inexpugnable sentiment de culpabilité pesant sur l’acte de chair, déborderait très largement de notre champ d’investigation. Toutefois, il n’est sans doute pas indifférent de replacer l’insistance de Nerval à propos du motif de la chasteté, laquelle confine presque à l’obsession, à l’intérieur d’une forme de laïcisation médicale de la diabolisation féminine : forme détournée de mise à distance par l’instance masculine phallocrate d’une peur latente exprimée à l’égard d’une sexualité fortement culpabilisée par la tradition chrétienne. Relevons ainsi cette remarque émise par Alain Corbin :

L’abus de l’excitation, outre le priapisme, le satyriasis, l’hystérie et toutes les formes de « névroses génitales » risque, pense-t-on alors, de conduire à la folie28.

Au demeurant, au sein même de ce que Michel Jeanneret nomme dans un article remarquable « l’école psychiatrique des années cinquante »29, on peut constater une certaine ambivalence théorique : s’il n’est plus question d’enfermer le fou, ni de diaboliser absolument la chair, il n’en reste pas moins qu’une méfiance demeure à l’égard de tous les excès ou épanchements. Le corps médical lui-même entretient parfois toutefois une forme d’ambivalence à l’égard de ces espaces autres, territoires sulfureux de l’hallucination ou du délire. C’est évidemment à l’emblématique Jacques-Joseph Moreau de Tours que nous faisons allusion, lequel tenait salon hôtel Pimodan, expérimentant par ailleurs lui-même les effets de certains psychotropes. S’il a soin d’établir une indépassable distinction entre son statut d’aliéniste et le statut d’aliéné dont il qualifie par exemple Nerval, sa posture n’en laisse pas moins un peu

28 Alain Corbin, « La rencontre des corps », Histoire du corps 2 De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 2005, p. 163.

29 Michel Jeanneret, « La folie est un rêve : Nerval et le docteur Moreau de Tours », Romantisme, 1980, n°27.

Déviances, p. 60.

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songeur. En quoi n’a-t-il pas lui-même dans une certaine mesure paru tenté par les épanchements alors même qu’il personnifie la limite en tant qu’aliéniste?

Le XIXème siècle, en culminant avec l’avènement de la psychanalyse freudienne, établira des distinguos: oscillation entre rétention relative au sein des murs ou des cellules des cliniques mais extériorisation d’une parole cathartique, ouverture vers l’exhibition de la parole érotique refoulée. Qu’en est-il par ailleurs de la doxa médicale quant aux questions sexuelles, en particulier dans leurs rapports supposés avec la déraison ? Ainsi que l’évoque Michel Foucault dans son Histoire de la sexualité, le XIXème siècle rationaliste et médical n’est pas avare de mots pour désigner ces questions intimes. Toutefois, s’il ne s’agit plus de condamner en bloc l’acte de chair en tant que malédiction atavique résultant du péché d’Eve, la partition axiologique perdure, non plus entre la chair et l’âme mais entre sexualité définie comme saine et toutes formes présupposées déviantes telles en particulier la nymphomanie, l’homosexualité, l’onanisme, etc. En établissant une nette corrélation entre pratique sexuelle, conscience et définition identitaire ainsi qu’équilibre psychologique, les aliénistes du XIXème siècle ouvraient la voie à Freud. Dans ce processus de redéfinition laïque des doxas, sous l’égide d’un médecin dont l’autorité morale, voire culpabilisatrice tend à se substituer à celle du prêtre, on peut s’interroger sur le sort de ceux qui n’intègrent pas les codes dominants. Relevons simplement, à titre d’exemple significatif un détail des conceptions des deux pionniers français de ce que l’on ne nomme pas encore la psychiatrie : Philippe Pinel et son disciple, contemporain de Nerval, Etienne Esquirol, emblématique directeur de l’hôpital de Charenton. Alors que le maître prohibait en son temps les abus de la chair et des plaisirs qui forment « une société remarquable par la dépravation des mœurs et toutes les séductions de la galanterie »30 lesquelles conduisent à la folie, Esquirol, dans la continuité de son aîné, proscrit sans appel l’excès des plaisirs charnels, insistant sur l’importance de la régulation des « ardeurs ». Dans une perspective proche de la traditionnelle théorie hippocratique concernant les humeurs, l’aîné comme son disciple prônent encore une forme de contrôle, de maîtrise des flux corporels.

Notons également que pour Esquirol la femme est plus sujette que l’homme aux passions sensuelles. Pour le directeur de Charenton, en effet, « les passions sont plus vives, plus animées et plus érotiques chez les femmes. D’une susceptibilité extrême, elles sont prédisposées à toutes

30 Philippe Pinel, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, Paris, Brosson, 1809, p. 20. Nul doute que l’opinion sur la question du docteur Etienne Labrunie, docteur spécialisé en gynécologie et ayant soutenu une thèse intitulée « Dissertation sur les dangers de la privation et de l’abus des plaisirs vénériens chez les femmes » ait pu peser lourd sur les conceptions que Nerval s’est forgées sur la sexualité en général, fût-ce par opposition…

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les affections nerveuses et plus exposées à l’aliénation […] »31. Si Nerval ne va pas jusqu’à proclamer, à l’instar de Baudelaire que la « femme est naturelle, c’est-à-dire abominable »32, il est incontestable qu’il évolue au sein de ces croyances proto-scientifiques et qu’il dut intérioriser une culpabilisation latente portant sur toutes les formes de perte de contrôle sensuel du corps, échappée humorale à caractère polymorphe, en corrélation avec l’expression d’un désir impossible suscité par l’objet féminin33. Sous forme métaphorique, deux des plus importants parmi les récits enchâssés du Voyage en Orient mettent en scène une catastrophe liée à l’incapacité chronique du personnage masculin à endiguer un flux. Au calife Hakem, incarcéré au Moristan pour n’avoir pas su maîtriser « l’incontinence » de son « imagination »34, expression qui préfigure le célèbre « épanchement du songe dans la vie réelle » proféré par le scripteur d’Aurélia, correspond l’incapacité du fondeur Adoniram à contenir la lave liquide enfermée dans un fourneau comparé à un « volcan » et dont on a tenté de « bâillonner l’embouchure »35. La catastrophe traduit l’échappée humorale : « Tout à coup Adoniram s’aperçoit que le fleuve de fonte déborde ; la source béante vomit des torrents […] le moule regorge ; une fissure se dégage au sommet ; la lave ruisselle de tous côtés »36. Certes la métaphore volcanique présente en 1850 des connotations politiques incontestables, en association avec les mouvements révolutionnaires qui ont pu amener en 1848 le renversement de la monarchie constitutionnelle. Au demeurant, une interprétation à caractère sexuel symbolique ne nous semble pas incongrue, l’hybris qui caractérise le fondeur consistant à tenter le pari monstrueux d’exhiber au sein d’un réel déchu le trésor d’un art qui n’aurait pas dû sortir de la caverne matricielle, provoquant ainsi l’épanchement du songe. Ne pourrait-on d’ailleurs pas envisager la pulsion chimérique consistant à idéaliser la femme réelle non pas comme la faute principale et originelle du héros -laquelle traduirait la leçon émergée du texte, telle que nous la délivre explicitement le diariste- mais comme une mise en forme intellectualisée, recouverte, récupérée esthétiquement d’une faute peut-être bien moins exprimable : celle pesant

31 Jean Étienne Dominique Esquirol, Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, Paris, J.-B. Baillière, 2 tomes, 1838 p. 17.

32 Charles Baudelaire, « Mon cœur mis à nu », Œuvres complètes, Paris, éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, 2004, p. 406.

33 Certes, Esprit puis Emile Blanche qui ont accueilli au sein de leur « maison » Nerval en proie à ses démons, étaient réputés pour la douceur de leurs traitements, moins punitifs qu’empathiques. Toujours est-il qu’ils n’ont eu aucune part à l’éducation de Nerval à la sexualité, le premier internement de notre auteur datant de l’année 1841.

Le peu d’écrits théoriques ou nosographiques laissés par les deux aliénistes ne permet par ailleurs pas d’établir clairement leur position quant à la sexualité, domaine dans lequel sans doute ils partageaient la doxa scientifique de l’époque.

34 NPl II, p. 546.

35 Ibid., p. 714.

36 Ibid., p. 715.

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sur l’interdit d’un désir sensuel déviant tombé sous la coupe sacro-sainte des manuels de médecine ? Si de telles réflexions nous éloignent de notre domaine d’étude qui reste le travail littéraire, on peut toutefois esquisser une amorce de réflexion à propos de la tendance taxinomique d’une ère rationaliste -laquelle cache mal son manichéisme- à transférer sur le plan de la science ce qui, avant le XVIIIème, était l’objet d’un traitement religieux. De fait, si ainsi que nous l’affirme Michel Foucault la sexualité se dit à partir du XVIIIème siècle en Europe37, cette démarche de rationalisation définit de manière particulièrement nette une limite entre comportements licites et illicites, imputant d’ailleurs à toutes les déviances, perversions sexuelles, des conséquences sur l’équilibre physique et surtout psychique. Si le « cas » Nerval a pu être étiqueté sous le label « théomanie » du dictionnaire de médecine, de quelle

« perversion » sexuelle coupable pouvait-il relever? Onanisme? Homosexualité refoulée? Sans doute est-il un peu oiseux de spéculer sur cette question à la fois insoluble et s’écartant du domaine littéraire qui est, ainsi que nous tentons de l’affirmer, restructuration du chaos de l’existence. Au demeurant, il ne faudrait pas faire abstraction des « croyances » d’une époque -passées à l’état de dogmes scientifiques- en particulier si elles dessinent l’arrière-plan moral d’une œuvre où la question polymorphe d’une faute à caractère sensuel affleure de manière sous-jacente.

1.3.3 Crime et châtiment de l’hybris.

Au crime consistant à avoir nié l’existence des cloisons symboliques partageant réalité et idéal, à avoir manqué à la patience de l’initié, correspond un châtiment diversement décliné dans toute l’œuvre nervalienne : la fuite de l’objet d’amour véritable, scène traumatique que transcrit notamment sous forme symbolique ce célèbre passage de Promenades et Souvenirs:

Un jour, une des belles dames qui visitaient mon père me demanda un léger service : j’eus le malheur de lui répondre avec impatience. Quand je retournai sur la terrasse, la tourterelle s’était envolée. J’en conçus un tel chagrin que je faillis mourir d’une fièvre purpurine […]38

Impatience du désir ayant comme conséquence la fuite de la déesse, départ sans retour, mort symbolique associée à l’accès de fièvre du jeune garçon : toutes les composantes du drame nervalien semblent synthétisées dans ces quelques lignes où la percée de l’irrationnel souligne l’incapacité du narrateur à expliquer de manière cohérente la faute antérieure préexistant à tout récit. Comme contrepoison à la pulsion chimérique présentée comme occidentale qui consiste

37 « Depuis l’âge classique il y [a] eu une majoration constante et une valorisation toujours plus grande du discours sur le sexe […] »,Michel Foucault, Histoire de la sexualité I : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 1994 [1976], p. 33.

38 NPl III, p. 682.

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à conférer au réel la charge d’incarner l’idéal, métaphore indirecte d’un désir sensuel coupable, le diariste propose les symboles orientaux de la séparation sacrée : voile islamique, murs du harem ou du sérail, motifs symboliques dont nous analyserons les enjeux de manière plus complète dans la troisième partie de ce chapitre, nous proposant à présent d’en présenter un aperçu synthétique.

1.3.4 La restauration des cloisons symboliques : la leçon orientale du voile, du harem et du sérail.

A la violence fantasmatique du rêve chimérique qui réactive le traumatisme de la fuite antérieure de l’objet d’amour répond une volonté antagoniste et conjuratoire de restauration des limites symboliques. Au mouvement enthousiaste mais profanateur consistant à soulever un coin du voile isiaque à l’entame du séjour cairote succède la description de la jeune mariée,

« fantôme rouge »39, « voilée d’un long cachemire ». Tout se passe comme si la volatilité du

« habbarah de taffetas léger »40 se lestait du poids sacramentel du mariage sacré, restauration sécuritaire des bornes, confinant la sensualité au sein de limites spatiales, zones taboues inaccessibles aux désirs profanes. A la partition musulmane entre les sexes que revendique un Soliman-Aga dont les propos ouvertement misogynes ne doivent pas entièrement discréditer la validité du discours correspond la leçon d’une partition spirituelle entre réel et idéal, leçon de symbolisme opérant comme un garde-fou. Relevons, ainsi, à titre d’exemple significatif la réflexion du diariste en réaction aux propos de son camarade turc :

On doit y voir peut-être moins le mépris de la femme qu’un certain reste du platonisme antique, qui élève l’amour pur au-dessus des objets périssables. La femme adorée n’est elle-même que le fantôme abstrait, que l’image incomplète d’une femme divine, fiancée au croyant de toute éternité41.

La terre est bien une forêt de symboles, signes incomplets, ambivalents, à la fois marqués du sceau de la chute par un signe tangible de déchéance à l’instar du voile symbolique comparé à la « cagoule d’un pénitent », mais également voie d’accès, média vers l’idéal.

1.3.5 Le secret d’une sexualité sacrée : une utopie… à observer de l’extérieur.

L’Orient a d’autres idées que nous sur l’éducation et sur la morale. On cherche là à développer les sens, comme nous cherchons à les éteindre42.

39 NPl II, p. 265.

40 Ibid., p. 261.

41 Ibid., p. 279.

42 Ibid., p.642.

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Comment intégrer la sexualité sans profaner la divinité du songe, opérer une synthèse entre amour sensuel et amour sacré? Tel est l’un des enjeux les plus cruciaux de la relation orientale nervalienne. En proposant au terme de son voyage l’exemple d’un sultan Abdul-Medjid restauré dans sa puissance tant politique que sensuelle, participant à l’unisson de tout son peuple à une cérémonie largement réinterprétée par Nerval où la sexualité est assimilée au

« devoir religieux », notre auteur s’inscrit à l’évidence dans une démarche utopique. Si

« l’ardeur des sens » n’est porteuse d’ « aucun péché »43 en cette terre d’Islam, du moins dans son interprétation par Nerval, l’expression de la sensualité est toutefois strictement circonscrite au sein de l’espace cloisonné d’une intimité conjugale inaccessible aux profanes, occultation dont témoigne l’image de la jeune vierge du Baïram « voilée par un étrange amas de minces lames d’or qui pleuvaient sur sa figure et la cachaient absolument »44. Si l’expérience orientale consiste en une lente rééducation à l’amour, « Kardiôn thérapia »45 entamée dès le séjour en Grèce, le voyageur n’en propose pas de modèle absolu, oscillant entre l’exemple augural des

« chastes amours » platoniciennes de Polyphile et de Polia », lesquels attendent la mort pour profiter des délices amoureux et l’exemple d’un amour sacré consommé durant l’existence réelle par le sultan. Est-il question d’une continence pérenne à l’instar des initiés isiaques, des vestales romaines ou d’une continence provisoire à l’image des jeûneurs musulmans du mois de Ramadan ? Nerval jouant sur l’ambiguïté ne répond pas de manière unilatérale. Au demeurant, il est manifeste qu’il inscrit de manière constante l’amour au sein de la zone protégée voire taboue du mariage, passage initiatique nécessairement sacré dont on connaît

« chastes amours » platoniciennes de Polyphile et de Polia », lesquels attendent la mort pour profiter des délices amoureux et l’exemple d’un amour sacré consommé durant l’existence réelle par le sultan. Est-il question d’une continence pérenne à l’instar des initiés isiaques, des vestales romaines ou d’une continence provisoire à l’image des jeûneurs musulmans du mois de Ramadan ? Nerval jouant sur l’ambiguïté ne répond pas de manière unilatérale. Au demeurant, il est manifeste qu’il inscrit de manière constante l’amour au sein de la zone protégée voire taboue du mariage, passage initiatique nécessairement sacré dont on connaît