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Nous allons nous intéresser dans cette section à un principe fondamental dans le fonctionnement de la logistique sous le schéma de la Nouvelle Distribution : le film ferme, véritable colonne vertébrale du système.

I.4.1.1 Du carnet usine au film

Chaque jour, les usines de carrosserie montage reçoivent des commandes émanant du réseau commercial9. Elles sont de deux types :

- Commande du client final : correspond aux commandes des clients qui achètent un

véhicule. La commande précise les spécificités du véhicule choisi (couleur, options, motorisation, …)

- Réassort du concessionnaire : en fonction de ses prévisions de vente, le concessionnaire

commande certains types de véhicules à forte demande, qu’il pense pouvoir écouler facilement.

Rappelons que les objectifs de la Nouvelle Distribution sont de fonctionner avec 70% de commandes de clients finaux et 30% de commandes de réassort.

Le processus de programmation de la production est enclenché dans l’usine. Le volume de commandes dont elle dispose lui permet de « remplir » sa cadence sur un horizon plus ou

moins long. En moyenne, l’horizon saturé est d’un peu plus de 6 jours. Au delà les commandes du réseau ne lui suffisent pas à construire des journées complètes de production. On ajoute alors à ces commandes des pseudo-lancements : ce sont des véhicules virtuels qui n’ont pas de client réel. Ils sont générés par un système qui s’appuie sur les prévisions commerciales à moyen terme. Ces pseudo-lancements, ajoutés aux commandes du réseau, permettent à l’usine de générer des séquences fictives (mais réalistes) de véhicules à fabriquer sur un horizon plus long. Ces informations sont utilisées notamment pour les besoins prévisionnels envoyés aux fournisseurs. Lorsqu’une commande client arrive dans le carnet, un pseudo-lancement est remplacé par le véhicule commandé, [Holler, 2002].

Le carnet de l’usine se compose (Figure I-3) : - D’environ 6 jours de commandes fermes ;

- D’une séquence d’environ 3 semaines constituée de commandes fermes et de pseudo-lancements;

- D’environ deux mois de prévisions volumiques hebdomadaires.

Figure I-3 : Le carnet usine

La portion de commandes fermes permet de construire le film de production : c’est la séquence programmée de l’ordre de passage des véhicules sur la chaîne de montage. Le film est construit quelques jours avant la sortie physique des véhicules à la fin de la chaîne de montage (appelée tombée de chaîne mécanique ou TCM). Lorsque le film de production est figé, c’est-à-dire qu’il devient non modifiable, le film de fabrication est dit ferme. Dans la Nouvelle Distribution la longueur du film ferme est de 6 jours.

Le concept de film ferme renferme donc deux aspects importants :

- La notion de « film », qui signifie l’ordonnancement des ordres de fabrication. - La notion de « fermeté », qui signifie un figeage du film de fabrication ordonnancé. Ces deux aspects, comme nous le verrons ultérieurement, ont un impact important sur les mécanismes de pilotage des flux.

Film ferme Film prévisionnel Prévisions volumiques hebdo

Cadence usine

Pseudo-lancements

La Figure I-4 schématise la notion de film ferme. Ce dernier est composé d’une partie « administrative » où les véhicules sont positionnés dans le carnet de l’usine en attente de lancement en production et une partie « physique » qui débute avec la mise en production du véhicule en usine et se termine avec sa sortie en TCM.

Figure I-4 : Le film ferme

I.4.1.2 La construction du film ferme

La longueur du film ferme établie par la ND est de 6 jours. Ainsi, chaque jour J, à partir des commandes reçues, l’usine de carrosserie montage construit la séquence de fabrication du jour J+6. A la fin de la journée, un mouvement de translation se fait sur le film : le jour J sort du film ferme (c’est la séquence qui a été produite en J) et la séquence de J+6 entre dans le film ferme, on dit que l’usine a affermi J+6.

L’algorithme qui détermine l’ordre des véhicules prend en compte deux règles principales :

- Le respect des contraintes d’assemblage, comme la prise en compte des différences de temps opératoires générées par deux véhicules différents. Dans un souci d’équilibrage des charges de la chaîne d’assemblage, des contraintes sont définies pour intercaler des véhicules qui comportent une certaine option nécessitant un temps opératoire plus long, avec des véhicules sans cette option.

- Le respect des contraintes de tailles de lots économiques de l’atelier de peinture pour optimiser les coûts de reconfiguration liés à chaque changement de teinte.

I.4.1.3 Les perturbations du film ferme

Le film ferme est en théorie non modifiable, les véhicules doivent avancer dans la séquence dans un ordre FIFO10, d’abord dans la partie administrative où le véhicule est encore virtuel, ensuite dans la partie physique où le véhicule est en cours de fabrication sur la chaîne de montage. En réalité, il existe des perturbations qui modifient la position d’un véhicule lors de son parcours dans le film. Ces perturbations agissent en causant le déplacement d’un véhicule par rapport à sa position initiale : le véhicule peut doubler un ou

J J+1 J+2 J+3 J+4 J+5 Film physique TCM Début de la fabrication Filmadministratif

plusieurs véhicules ou se faire doubler. Il peut aussi dans certains cas sortir de l’horizon des 6 jours.

Les perturbations du film ferme sont discutées en détail dans [Minegishi, 2003] et [Boctor et al., 2001]. Retenons ici de manière synthétique quelques unes des causes principales :

- Les avances ou retards de production « déplacent » le film, sans modifier directement les séquences. Cependant, les contraintes du montage pouvant varier entre deux journées, il est nécessaire de recalculer les séquences quand trop de véhicules sont sortis de leur journée.

- Les ruptures d’approvisionnement : lorsqu’une pièce ne peut être livrée à temps par le fournisseur, on peut être amené à décaler ou sortir provisoirement du film les véhicules concernés par la pièce manquante.

- Les retouches de véhicules : suite à des défauts de qualité détectés en cours de fabrication, un véhicule peut être sorti du flux physique principal, il est retouché puis remis dans le flux. Un véhicule qui subit des retouches perd ainsi « n » places dans le film et en fait gagner parallèlement une à tous les véhicules qui l’auront dépassé. L’ensemble de ces perturbations pouvant rendre la séquence de véhicules non exploitable du point de vue des contraintes de montage, un tri-stock11 en entrée du montage a pour rôle de remettre les véhicules au fil de l’eau dans un ordre respectant les contraintes. Le tri-stock chez Nissan a pour objectif de reconstituer le mieux possible le film ferme initial, affermi à J –

6 ; les usines de carrosserie de Renault ciblent un fonctionnement similaire. A l’heure

actuelle, il subsiste encore quelques sites qui ne fonctionnent pas selon ce principe.

Afin de mesurer le respect du film ferme, des indicateurs ont été mis en place : le SSAR (Standard Sequence Achievement Ratio) et le STAR (Scheduled Time Achievement Ratio).

Le SSAR mesure le respect de la séquence programmée en calculant le rapport entre le nombre de véhicules n’ayant pas été dépassés dans leur ordre initial sur le nombre total de véhicules dans le film ferme. Ce principe est illustré par l’exemple de la Figure I-5. Sur dix véhicules programmés, trois véhicules ont subi un déséquencement qui leur a fait perdre des places par rapport au film initial, les sept autres véhicules n’ayant pas été dépassés sont considérés comme bons. Le SSAR dans cet exemple est de 70%.

11 Tristock : C’est un transtockeur capable de recevoir jusqu’à cent cinquante caisses en moyenne. Il est équipé d’un poste de régulation informatisé qui a pour rôle de mettre en ordre la séquence d’entrée des véhicules dans

Le STAR est plus un indicateur des translations de la séquence véhicules : il mesure la proportion de véhicules arrivant en fin de process dans une fenêtre de temps de ±1h par rapport à la date et heure prévue.

Le film ferme, comme nous allons le voir, est utilisé pour calculer et transmettre les réquisitions de pièces et composants aux fournisseurs.