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Première partie : La société terrorisée

I. Fiction et histoire immédiate

Les œuvres de notre corpus investissent une part spécifique de l’histoire, ce que Jean-François Soulet a nommé « l’histoire immédiate ». Au-delà du fait que les romans en question ont été publiés très peu de temps après l’événement qu’ils abordent, leur choix fictionnel est d’installer les personnages dans l’immédiat de l’événement, c’est-à-dire aussi bien dans une certaine proximité temporelle que dans l’absence de distance, de médiation, par rapport à leur expérience. La dimension traumatique est prépondérante et les personnages se débattent dans l’instant dilaté de leur situation. En effet, les romans d’Inaam Kachachi et de Yasmina Khadra construisent leur récit à partir d’une situation d’énonciation unique. La narratrice de Si je

t’oublie, Bagdad confie son expérience alors qu’elle vient de rentrer chez elle. Le roman

s’ouvre et se clôt sur le même instant, englobant ainsi le reste du récit dans une grande

1 Ibid., p. 16-17.

analepse. Il en va de même de l’intrigue de L’attentat, dont l’essentiel constitue les dernières pensées d’un agonisant. Le roman de Don DeLillo diffère quelque peu car l’analepse est moins flagrante, mais une boucle se forme tout de même puisque le roman s’ouvre et se ferme sur le même instant : Keith quittant l’une des tours du World Trade Center juste avant son effondrement. De plus, les personnages sont prisonniers de l’événement : Zeina ne parvient pas à comprendre pourquoi elle a été rejetée par les Irakiens et ne trouve pas quoi faire de sa vie de retour aux États-Unis, Amine meurt sans avoir accompli sa quête et Keith semble condamné à demeurer dans l’instant présent, subissant plus son existence que la vivant pleinement.

Ainsi, les œuvres rejoignent la conception de Jean-François Soulet qui insiste sur l’absence de différence dans la démarche historique lorsqu’elle aborde l’histoire « classique » et l’histoire immédiate, et fait de l’absence de distance temporelle la principale caractéristique de son champ de recherche1. En effet, la rapidité avec laquelle l’histoire est vécue doit beaucoup notamment au développement des nouveaux médias qui construisent, au moment même de l’émergence de l’événement, une multitude de récits de celui-ci. Cette « immédiateté » dans laquelle travaille l’historien l’oblige à être rapide dans son traitement des traces de l’événement. Soulet balaie très vite les deux objections principales faites à l’histoire immédiate : l’absence de distance temporelle et l’objectivité. À propos de la première, il oppose aux archives traditionnelles dont l’accès est réglementé et nécessite une certaine durée, de nouvelles formes d’archives très nombreuses dans notre monde contemporain. À propos de la deuxième, il rappelle que le manque d’objectivité n’est pas observable seulement dans le travail d’historiens contemporains et que cette qualité dépend beaucoup plus de l’historien lui-même que de la période qu’il étudie, bien que l’historien de l’immédiat doive être vigilant pour ne pas tomber dans les « pièges du vécu2 ». En effet, la grande particularité du travail de ce chercheur réside dans sa coexistence avec son objet d’étude. Cependant, Soulet retourne cet élément soulevé par la critique en un atout, indiquant à son lecteur qu’ainsi l’historien a accès à une multitude de traces qui auront disparu dans quelques années et ne seront plus disponibles pour les futurs historiens. De plus, cette contemporanéité permet à l’historien de confronter sa propre appréhension de l’événement

1 « Même si elle emprunte beaucoup aux autres sciences sociales, l’histoire immédiate ne constitue pas une nouvelle discipline. Ses principes méthodologiques de base sont ceux des historiens depuis Thucydide : la définition claire d’une problématique, la critique des sources, la prise en compte du facteur temps comme outil principal d’analyse, la pratique d’une « énonciation distanciée » (H.-I. Marrou) des cheminements et des acquis de la recherche… », Soulet, Jean-François. L'histoire immédiate, op. cit., p. 45.

avec les versions officielles. Il acquiert ainsi « une idée nuancée de l’atmosphère et des états d’esprit du moment1 ». Soulet avance un dernier argument pour la défense de son champ de recherche : l’intérêt pour l’humain. L’histoire est considérée comme une « science humaine », c’est-à-dire qu’elle s’intéresse à l’homme. Il s’appuie sur l’affirmation faite par Lucien Febvre que seul le vécu permet d’approcher la « complexité de la réalité humaine » alors que le temps semble « simplifier », « affadir » les faits2.

Dans cette même perspective, l’historien insiste sur le besoin que toute personne ressent de « se situer dans le monde où l’on vit », ce que l’événement traumatique ne permet pas. C’est alors que, selon Jean-François Soulet, l’on fait appel à l’historien :

Chacun voulant comprendre les origines de ces raz de marée qui, en quelques années, parfois en quelques semaines, ont, sous ses yeux, anéanti des éléments essentiels de son cadre de vie, et remis en cause sa conception du monde, se tourne vers les "spécialistes", notamment les historiens. Seul un récit global et cohérent est susceptible de satisfaire cette frénésie interrogative, et d'apaiser le trouble causé par la violence du choc émotionnel. Certains témoins parviennent à surmonter ce traumatisme en rédigeant le récit de leur propre expérience. La grande majorité attend de l'historien qu'il fournisse un exposé complet des faits qu'elle a vécus. Mission difficile puisqu'on lui demande de mettre de l'ordre dans le désordre apparent des événements, mais de faire en sorte que, dans sa version des faits, chaque témoin puisse se retrouver. La pression de l'opinion est même si forte qu'à quelques mois ou quelques années de l'événement, il lui est très délicat de prendre le contre-pied des courants majoritaires.3

L’événement suscite une « frénésie interrogative », et c’est dans les réponses à accorder à cette frénésie que le romancier diffère de l’historien. Pour Jean-François Soulet, « seul un récit global et cohérent est susceptible de satisfaire cette frénésie interrogative », et seul l’historien peut fournir ce récit. Le romancier ne prétendra pas à un récit « global et cohérent », il proposera une autre forme de récit pour aborder l’événement, il produira un récit fictionnel4. Cependant, il est intéressant de noter que Jean-François Soulet mentionne la pression de la société sur l’historien pour que celui-ci fournisse la version attendue. Noam Chomsky et Judith Butler le rejoignent lorsqu’ils parlent de la difficulté de s’opposer à l’opinion publique majoritaire : après les attentats du 11 septembre 2001, aucune voix ne

1 Ibid., p. 44.

2 « […] Lucien Febvre, réfléchissant sur l’apport du vécu, conclut que, seul, celui-ci peut permettre d’appréhender l’un des nœuds de la réalité humaine : la complexité. Il faut, en effet, selon lui, lutter contre le temps qui, en simplifiant, affadit et déforme les faits. », Ibid., p. 45.

3 Ibid., p. 23-24.

pouvait s’élever contre le discours officiel1. Ainsi l’historien semble mis sous pression par la société qui réclame une seule version légitime, la sienne. Il est intéressant de noter que la citation de Jean-François Soulet commence par « chacun » et se termine par cette pression sociale. Son propos est sous-tendu par l’idée que c’est l’individu, « chacun », qui doit surmonter le traumatisme, mais que pourtant c’est un groupe qui réclame la version historique.

Les œuvres fictionnelles du corpus sont produites dans ce contexte de tension, mais au lieu de s’inscrire dans la lignée du travail historique au risque de subir la même pression, elles se décalent, proposent un récit qui n’a pas pour objectif de refonder la société, ni de légitimer une version précise et unique de l’événement. Leur caractère fictionnel permet au contraire un récit subjectif de l’événement, qui se construit également de l’interprétation qu’en fait le lecteur et qui suggère la pluralité de récits possibles de l’événement en question. Comme l’indique Sophie Rabau en se référant à Michel Charles, tout texte fictionnel est porteur des textes potentiels qu’il n’a pas choisi d’actualiser2.

Jean-François Soulet liste les principales sources de l’historien de l’immédiat : les archives publiques, les documents privés, les sources iconographiques et audiovisuelles ainsi que les sources orales. Le romanesque ne fait pas partie des sources de l’historien. Il opère en parallèle et a recours aux mêmes sources mais ne les interroge pas de la même manière. Les œuvres du corpus cherchent à reconstruire une forme de médiation face à l’immédiat de l’événement terroriste.

1. La démarche fictionnelle : créer une médiation

Certains moments historiques – la seconde guerre mondiale, la Shoah et ses rescapés – sont à l’origine d’une autre perception du temps et de l’événementialité, d’un sentiment de rupture entre le présent et le passé, d’un sentiment de coupure aussi entre l’individu et la collectivité : la Shoah fait voler en éclat la religion séculière de l’histoire développée à partir de l’hégélianisme qui avait établi un accord entre histoire et raison.

1 Chomsky, Noam. 11/9 : Autopsie des terrorismes, Paris : Le Serpent à plumes, 2001 ; Butler, Judith.

Precarious Life: the Powers of Mourning and Violence, London: Verso, 2006. Gluck affirme la même chose

dans son analyse de la couverture médiatique des attentats du 11 septembre.

Or, la monstruosité des événements met en cause la possibilité de les réinsérer dans une totalité signifiante. La fiction est alors une médiation indispensable.1

C’est ainsi que Gisèle Ségïnger pose le cadre des actes du colloque « Fiction et histoire » dont l’objectif est de réfléchir à la place et à l’usage de la fiction face à l’histoire. Prenant pour point d’appui le traumatisme provoqué par l’horreur de la Shoah, elle aborde, comme Jean-François Soulet, la nécessité d’un récit total et cohérent qu’elle nomme « totalité signifiante », mais pour en pointer l’impossibilité liée à la monstruosité des événements. Certaines fictions peuvent alors être le premier geste à accomplir, le premier lien à tisser entre l’individu et le monde pour pouvoir réparer leur relation. Bien que ne traitant pas d’un événement relevant de l’histoire immédiate, les problématiques quant à la médiation de cet événement se sont posées dans des termes similaires.

En tant que manifestation de l’activité sémiotique menée sur l’interface que représente l’imaginaire, pour utiliser le vocabulaire de Bertrand Gervais2, les œuvres romanesques construisent des signes qui établissent un lien entre un individu et le monde qui l’entoure. Concevant l’imaginaire comme une interface entre l’individu et le monde dans lequel il évolue, Bertrand Gervais propose de considérer toute œuvre artistique comme une manifestation de l’interaction qu’entretient chaque individu avec son environnement sur cette interface. Elles construisent et jouent avec des symboles.

Les sources historiques listées par Jean-François Soulet servent de supports à la fiction pour établir son réseau symbolique. Les médias, les discours officiels, les objets appartenant aux décombres, les avis de recherche ou encore les témoignages sont représentés par les œuvres du corpus et servent de points d’ancrage à la construction de l’univers fictionnel. Tous participent à l’établissement de l’effet de réel, mais le réalisme n’est, la plupart du temps, pas poussé à l’extrême.

1 Ségïnger, Gisèle. « Introduction », Pryzchodiak Zbigniew, Ségïnger Gisèle. Fiction et histoire, Strasbourg : Presses Universitaires de Strasbourg, 2011, p. 8.

2 Ses travaux sur les logiques de l’imaginaire et sur les particularités de l’imaginaire contemporain définissent, dans une perspective sémiologique, cette notion : « […] l’imaginaire est une interface, un ensemble dynamique d’éléments servant à assurer la relation du sujet au monde et à ses signes. Marqué par un ensemble de traits et par sa propre logique de mise en récits et en images, l’imaginaire contemporain est une interface avec ses singularités, ses attentes spécifiques et ses productions culturelles et artistiques. », Gervais, Bertrand. 2014. « Dali attaqué par le réel! Variations sur une figure de l'immersion au coeur de l'imaginaire contemporain ». Dans Figures de l'immersion. Cahier ReMix, n° 4 (février 2014). Montréal : Figura, Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain. < http://oic.uqam.ca/fr/remix/dali-attaque-par-le-reel-variations-sur-une-figure-de-limmersion-au-coeur-de-limaginaire>. [Consulté le 13/06/2015].

Dans le roman de Jess Walter, Le Zéro, le 11 septembre 2001 et New York ne sont jamais explicitement mentionnés. Toutefois, le lien avec l’univers référentiel passe par la mention du site de Ground Zero et par les artefacts connus de tous comme la pluie de papier, l’effondrement des deux tours et les renvois aux instances que sont « l’Agence » et « Le Bureau ». Ainsi, aucune date n’est mentionnée, ni aucun lieu précis qui ne posséderait pas une dimension symbolique forte. Dans l’autobiographie fictive d’Abdullah Thabit, le cadre référentiel est plus fort puisque, dès la note liminaire du narrateur, les lieux sont posés comme point de départ à la narration. Le mot « le lieu » (

ناكلما

) est posé en exergue du premier chapitre, suivi de points de suspension qui disparaissent dans la traduction française. Toutefois, il n’est pas question de traiter le lieu en tant que cadre référentiel, mais en tant que symbole et que topos de la littérature autobiographique :

Pourquoi tous ceux qui veulent écrire sur eux-mêmes décrivent-ils le lieu où ils ont vécu : ces rues si souvent empruntées, l’eau et l’air qui se mêlaient à leur sang au point de ne faire qu’un avec eux ? C’est que l’humain leur ressemble jusqu’au plus petit détail, il est ce qu’ils ont fait de lui.1

نع ائيش نوبتكي نيذلا لك ركفي اذالم

تيلا نكاملأا اوفصي نأ متهايح

اولوتجو ،ابه اوجرد

تخاو ،اهتقزأب

تلخادتو ،اهئاوهو اهئابم مهؤامد تطل

منهإ ؟اهلكشب مهسوفن تلكش تىح مهعم اهتعيبط

ساكعنا ناسنلإا نلأ ،مهتنكمأ هاتج ،كلذ نولعفي

تيو ،اهليصافت لميح ،اله

هتقيرط ىلع لكش

..ا

2

Réalisant une forme de personnification du paysage, le narrateur construit explicitement le lien entre le genre autobiographique et les lieux. Toutefois, son affirmation peut être également retournée : l’état d’esprit des personnages construit également parfois les lieux, ou se trouve tout du moins projeté sur le décor. En effet, après avoir comparé la ville à des jeunes paysannes souhaitant ressembler à des citadines, le narrateur ne développe pas la description du décor et se centre volontairement sur les habitants : « Je dois vous parler également des gens d’ici3 ».

Le temps est traité de la même manière que les lieux. Des dates sont mentionnées pour la portée symbolique qu’elles contiennent. Le narrateur s’appuie régulièrement sur des années

1 Thabit, Abduallah. Le Terroriste n°20, op. cit., p. 15.

2 ،للهادبع ،تباث بياهرلإا 20 .ص ، 11 . 3 Ibid.. ،للهادبع ،تباث ،"..انه سانلا نع يكحأ" بياهرلإا 20 .ص ، 12 .

pour marquer l’époque de sa vie en question, mais la seule date très précise est celle du mardi 11 septembre 2001 ; présentée de manière journalistique en début du chapitre 24, juste après deux lignes quelque peu sentencieuses sur le prix des désirs. Un saut de paragraphe suivi d’un alinéa introduit la date qui ressort d’autant plus que sa police est en gras. Des points de suspension la suivent, comme pour marquer une ouverture sur un non-dit, puis un nouveau saut de ligne précède le récit1.

Chez Wajdî al-Ahdal, les lieux sont également traités de manière symbolique, puisqu’ils sont renommés en combinant le mot « cimetière » (

ةبرقم

) avec un complément du nom : cimetière de Zîma, cimetière de Kaboul, cimetière d’Hamburger. Cette géographie du monde des morts s’apparente en tout point à celle du monde référentiel, et la déformation des noms n’empêche aucunement le lecteur de faire le lien. Toutefois, ce choix lexical met l’accent sur la dimension symbolique de chaque lieu. C’est également la portée que prend la décharge de Sidi Moumen, issue du monde référentiel, mais construite comme un microcosme miséreux, lieu oublié du reste du monde où sont cantonnés les déchets, matériels et humains :

Un promeneur pourrait longer notre quartier sans se douter un instant de son existence. Orné de crénelures, un imposant mur en pisé le sépare du boulevard où un flot ininterrompu de voitures fait un bruit de tous les diables. Dans ce mur, on avait creusé des fentes semblables à des meurtrières d’où l’on pouvait contempler à loisir l’autre monde.2

La symbolique liée au mur est forte et sépare deux milieux qui ne se côtoient jamais. La décharge n’existe pas pour ceux qui habitent en ville, mais l’inverse est inexact : les habitants de la décharge connaissent et observent la ville, ils la « contemplent » sans pouvoir y prendre part.

Comme Mahi Binebine cite la ville de Casablanca, Yasmina Khadra plante son récit à Tel Aviv. Mais ce Tel Aviv est symbolique, la ville se résume à l’hôpital et vient incarner les tensions liées au conflit israélo-palestinien. Les points d’arrêt qu’effectue Amine dans sa quête de compréhension se trouvent dans des villes à forte connotation symbolique, ce sont les points de tension de ce conflit. Yasmina Khadra a choisi la partie du monde la plus emblématique à l’époque contemporaine pour aborder la question de l’attentat-suicide. D’ailleurs, le choix du titre pose le récit comme l’archétype de cet événement. L’attentat, le nom accompagné seulement de l’article défini qui confère ici au nom sa dimension

1 Cette présentation n’est pas conservée dans la traduction française qui intègre la date au récit.

symbolique. Aucun adjectif ne lui est associé, le nom demeure seul sur la couverture, résumant en lui-même toutes les problématiques liées à l’acte de manière générale.

Dans les œuvres du corpus états-unien, le cadre spatio-temporel renvoie à la ville de New York au moment des attentats du 11 septembre 2001, mais la ville est construite autour du centre traumatique qu’est le site de Ground Zero et se présente comme un labyrinthe en ruines qui s’élabore également en fonction de l’état d’esprit des personnages.

Le roman de Don DeLillo, L’homme qui tombe, s’ouvre sur le cheminement de Keith loin des tours qui s’apprêtent à s’effondrer. Le premier chapitre, dont la brièveté l’apparente à un prologue, est consacré à ce trajet et à ce qu’il rencontre sur ce trajet. L’indétermination prédomine durant ce passage : les personnages sont désignés par des pronoms personnels, ou bien sont appelés « homme » ou « femme ». La narration suit l’éloignement du personnage de l’épicentre de l’événement traumatique, symbolisant ainsi concrètement la nécessaire prise de distance pour chercher à aborder l’événement. Régulièrement, la voix narrative nous rappelle que le personnage marche1, jusqu’à ce qu’il parvienne à un endroit suffisamment éloigné de la scène pour savoir qu’il doit s’arrêter. Le chapitre est court et le rythme est assez rapide. Les sensations des personnages à travers tous ses sens servent d’outils pour esquisser la scène. La vue est le premier sens convoqué, s’ensuit l’ouïe avec l’écho de l’effondrement de la première tour2. L’odeur est utilisée à propos de l’essence qui prend feu, puis le goût du sang lorsqu’il prend une gorgée d’eau d’une bouteille qu’une femme lui propose3. Le toucher est présent tout au long du chapitre, par le biais de la mention de la chaleur, de la cendre, des papiers qui volent et tombent en une pluie grise. Le caractère chaotique du paysage est explicitement évoqué notamment par le biais de propositions juxtaposées et d’une remarque que se fait le personnage sur les bâtiments qui ne semblent pas finis :

1 “He was walking north through rubble and mud […]. He kept on walking. […] He started walking again. […] He crossed Canal Street and began to see things, somehow, differently. […] He kept going until he had to stop. It hit him quickly, the knowledge that he couldn’t go any farther.”, DeLillo, Don. Falling Man, op. cit., p. 3-5.