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B. Figure du cauchemar

2. Description médicale de la paralysie du sommeil

psychanalystes du début du XXème siècle, qui attribuaient, rappelons-le, la paralysie du sommeil à un refoulé sexuel.

2. Description médicale de la paralysie du sommeil

Intéressons-nous à présent plus directement aux causes de la paralysie du sommeil. Car si nous avons vu son omniprésence effective à travers les temps, il convient maintenant de comprendre son origine sur le plan physiologique, et par la même occasion de démontrer la réalité physique de ce trouble, textes de scientifiques, hypnologues et neurologues à l’appui. Nous utiliserons à présent le diminutif PS pour la paralysie du sommeil, pour des raisons de facilité de lecture, ce terme étant utilisé ici un grand nombre de fois.

Commençons donc par nous pencher sur le sommeil « normal » de l’individu, point nécessaire pour comprendre la formation de la PS et plus précisément le sommeil dit paradoxal qui lui est intimement lié. Françoise Parot l’explique en ces termes :

L’état paradoxal est caractérisé, lors de cette période, par un électroencéphalogramme (EEG) et un électrooculogramme1 comparables à ceux de l'éveil (activité du cortex et Mouvements Oculaires Rapides, ou MOR) et par une abolition du tonus musculaire, incompatible avec la veille, et donc paradoxale, puisque accompagnée d’une activation corticale.2

État hybride donc puisque le dormeur est paralysé par cette « atonie musculaire » tout en gardant une activité cérébrale proche de l’état de veille, comme en témoignent les mouvements des yeux durant le sommeil. Cette atonie musculaire est provoquée par un neurotransmetteur du nom de « glycine », qui agit sur le corps durant le sommeil paradoxal pour empêcher les mouvements de celui-ci qui accompagneraient les rêves et seraient dangereux pour le dormeur. Sur le plan physique, la glycine « inhibe la transmission des influx pré et post-synaptiques des moto-neurones de la moelle épinière aux muscles. »3 Pour simplifier, la glycine bloque les signaux qui déclencheraient le mouvement, ceux-ci n’arrivant pas à ce moment précis à la moelle épinière et aux muscles, empêchant toute activité musculaire. Cet état est donc normal, et le dormeur ne s’en rend pas compte.

1 Enregistrement de l’activité musculaire

2 Ibid., p. 195‑212.

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La paralysie du sommeil est un trouble qui prend racine durant cette atonie musculaire. Lorsqu’elle apparaît, durant l’endormissement ou le début de l’éveil comme nous l’avons vu, le sujet est encore éveillé, ou vient juste de s’éveiller, mais son corps et son cerveau sont encore dans le sommeil paradoxal. Pour dire les choses autrement, il est entièrement dans cet état où les rêves se génèrent maisreste conscient, et par conséquent peut ouvrir les yeux, regarder autour de lui, sans pouvoir bouger davantage ou parler, à cause de l’atonie musculaire. Or, le régime cérébral est encore celui du sommeil paradoxal et continue donc son travail de rêve. Les stimuli extérieurs (sons, sensations, images) qui altéraient et dirigeaient en partie le rêve sont lors de cet état d’éveil modulés en hallucinations. Ainsi, la plus évidente et surtout courante est celle (kinesthésique) d’un poids sur la poitrine.1 Sont aussi souvent évoqués des bruits de pas, des chuchotements, voire des bruits de craquement, de chute. Et enfin, l’impression de présence, qui est parfois accompagnée de sa vision, dont l’image est une forme noire se tenant dans la pièce ou sur le sujet, unanimement décrite comme menaçante. Pour aller plus loin, faisons appel à J.Allan Cheyne, spécialiste du sujet qui a participé à de nombreuses études (auxquelles nous nous réfèrerons souvent) et contribué à faire avancer la recherche sur la PS ces dernières années. Il donne pour sa part plusieurs résumés de ce qu’est le trouble et de ce qui se produit chez un sujet le vivant, mais nous avons choisi de nous contenter de celui-ci, particulièrement clair et succinct :

La paralysie du sommeil (PS), est l’expérience éphémère d’une immobilité involontaire immédiatement après l’endormissement ou au réveil. (…) Elle a été associée aux périodes de sommeil paradoxal (sleep onset REM periods). (…) Même si les individus sont incapables d’effectuer des mouvements corporels importants (gross bodily movements) durant la PS, ils sont capables d’ouvrir leurs yeux et par conséquent de rapporter de manière précise les évènements les entourant durant l’épisode. (…) De vivaces et terrifiantes (vivid and terrifying) hallucinations hypnagogiques et hypnopompiques et d’autres expériences émergeant de ces hallucinations accompagnent fréquemment la PS. Sans surprise, ces hallucinations semblent partager un certain nombre de similarités avec les rêves.

(…) Un épisode peut inclure une vivace et extraordinaire (numinous) impression de présence dangereuse et diabolique (threatening evil presence) accompagnée d’hallucinations auditives allant de bruissements (rustling sounds),

1 Cette sensation est probablement une hallucination liée au fait que le sujet vivant une paralysie du sommeil ne contrôle pas consciemment sa respiration, et a donc l’impression de suffoquer dans cet état. Ceci n’est toutefois qu’une supposition.

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passant par des voix indistinctes à un charabia démoniaque (daemonic gibberish), tout comme d’hallucinations visuelles d’humains, d’animaux et de créatures surnaturelles. Il peut aussi y avoir des sensations de suffocation, d’étranglement (choking), de douleur et de pression. Elles peuvent parfois être interprétées comme provenant d’actions d’entités grimpant sur le lit et la poitrine du sujet. (…) De telles expériences sont couramment extrêmement stressantes, voire terrifiantes. Les sujets rapportent souvent qu’avant de prendre connaissance de la PS, ils ont pensé souffrir de sérieux troubles psychiatriques ou neurologiques, ou même de possession démoniaque ou d’enlèvement par des extra-terrestres (alien

abduction).1

Il sera intéressant pour nous d’avoir à présent une idée de l’étendue de la PS sur la population, et par la même occasion de la fréquence de ces différents symptômes parmi les sujets ayant expérimenté le trouble.

Une autre étude assez unique en son genre par sa densité, la variété de ses approches et son historiographie poussée du trouble nous guidera de nombreuses fois : Sleep

Paralysis, Historical, Psychological, and Medical Perspectives de Brian A. Sharpless

et Karl Doghramji. Nous allons à présent y faire appel, pour constater la fréquence du trouble, et mieux comprendre ses conditions d’apparition. Les auteurs ont en effet compilé un certain nombre d’études sur la question, d’années de publication diverses, pour en tirer un pourcentage de prévalence de la PS selon les types de personnes interrogées. Sur l’ensemble des études, concernant donc un total de 36553 sujets interrogés, 20,8 % ont vécu une PS dans leur vie. Lorsque les sujets sont distingués par types, les chiffres modulent beaucoup ; ainsi, la population générale (18330 personnes) n’est concernée qu’à hauteur de 7,6 %. Mais lorsque sont interrogés des étudiants (9095), ce chiffre passe à 28,3 %, et augmente encore avec les patients psychiatriques (683) et les patients présentant des troubles de panique (318), respectivement à 31,9 % et 34,6 %.2 Sans rentrer dans les détails, cette hausse du pourcentage est principalement due dans le cas des étudiants aux rythmes de sommeil irréguliers, à la fatigue accumulée voire au stress en général. En ce qui concerne les sujets en psychiatrie, les auteurs dresseront une liste exhaustive du lien et des possibilités d’apparition de la PS avec d’autres maladies et troubles mentaux, et nous

1 CHEYNE, James Allan. Sleep Paralysis and the Structure of Waking-Nightmare Hallucinations.

DREAMING. 2003, Vol. 13, no 3, p. 163-164 (nous traduisons).

2 SHARPLESS, Brian A. et DOGHRAMJI, Karl. Sleep paralysis: historical, psychological, and

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renverrons le lecteur curieux directement à ces pages pour ne pas l’assommer avec ces considérations psychopathologiques qui nous éloigneraient de notre sujet.1

Permettons-nous néanmoins une deuxième série de chiffres tirés d’une étude de J.Allan Cheyne réalisée en 1998, basée sur un questionnaire soumis à 870 étudiants en classe de psychologie, au Canada. Sur ce groupe, 254 (29 %) ont expérimenté une PS, parfois plusieurs fois dans leur vie. Nous avons adapté les pourcentages des différentes hallucinations à l’échantillon ayant vécu une PS pour plus de clarté, et non plus à l’ensemble des personnes interrogées. Ainsi, 130 (48 %) ont ressenti une impression de présence, 106 (39 %) une pression corporelle, 99 (37 %) ont entendu des sons, 93 (34 %) ont ressenti une sensation de flottement, 75 (28 %) ont vu une forme visible et enfin 117 (43 %) ont témoigné d’une forte peur. Nous voyons bien que ces différentes hallucinations d’intensité inégale n’apparaissent pas obligatoirement durant une PS, et pas forcément en même temps, il est plus courant de ne ressentir qu’un ou deux de ces symptômes. De même, un problème essentiel de l’étude de ce trouble est soulevé : les patients n’en parlent que très peu, du fait de la violence de ce qu’ils ont ressenti, mais aussi de l’a priori surnaturel qui l’accompagne :

Seulement 45 % des participants (respondents) ont rapporté avoir parlé à quelqu’un de leurs expériences, presque inévitablement à des amis ou famille. Deux participants ont parlé à un médecin de leurs expériences. Beaucoup ont spontanément rapporté n’avoir jamais parlé à quiconque de ces expériences parce qu’ils étaient effrayés de pouvoir être considéré comme « bizarres » (they were

afraid that they might be considered « weird »). Plusieurs de ceux qui en ont parlé

avec des amis ont indiqué avoir effectivement provoqué ce type de réactions.2

À la suite d’une sorte de véritable phénomène de mode s’emparant d’internet, la PS a commencé à être de plus en plus connue, mais pas forcément pour les bonnes raisons. Si certaines personnes en ont entendu parler pour ses relations avec les expériences de rêve lucide, une grande partie a néanmoins abordé le trouble par un angle paranormal et ésotérique. La lecture de forums de discussions et de pages de réseaux sociaux peu soucieuses de véracité scientifique est éloquente, et de nombreuses personnes pensent qu’une véritable présence intervient dans la nuit pour leur vouloir du mal, leur voler leur âme entre autres, principalement décrite comme « être d’ombre » (shadow being), démon, fantôme, sorcière et de même extra-terrestre, croyance particulièrement vivace

1 Cf. Ibid., p. 103‑128.

2 CHEYNE, James Allan, NEWBY-CLARK, Ian R. et RUEFFER, Steve D. Relations among

hypnagogic and hypnopompic experiences associated with sleep paralysis. Journal of Sleep Research. 1999, Vol. 8, no 4, p. 314 (nous traduisons).

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aux États-Unis. Le discours de ce type de personnes est d’ordre complotiste, dans le sens où il remet en question toute interprétation psycho-physiologique du trouble, en accusant concrètement les psychologues de ne rien y connaître au mieux ou de cacher la vérité au pire. Nous dirigerons le lecteur vers le film The Nightmare (2015, Rodney Ascher) qui comprend de nombreux entretiens allant tous dans ce sens.

En ce qui concerne l’importante étude de Cheyne, nous citerons sa conclusion qui nous permettra à notre tour de conclure cette parenthèse physiologique :

Les résultats montrent également que le sentiment de peur est associé au signalement d'expériences hallucinatoires, bien plus qu'à celui du phénomène de paralysie du sommeil en soi. Par conséquent, dans une certaine mesure, la peur est une réaction à autre chose de plus intense que la paralysie elle-même. Des preuves indirectes ont été apportées pour un modèle selon lequel l'impression de présence au cours de la paralysie du sommeil est associée à une réaction de peur, pouvant être associée à l'activation du lobe temporal et amygdalien qui, à son tour, déclenche des expériences supplémentaires. L'impression de présence et la peur qui lui est liée peuvent accroître la vigilance, la détection et l'interprétation d'événements environnementaux à la fois exogènes et endogènes (comprenant peut-être une activation corticale sensorielle primaire, une activation de l'oreille moyenne, une activation oculomotrice et une activation liée au sommeil paradoxal). L'impression de présence liée à un sentiment de peur peut également déclencher la recherche d'une menace externe et attirer l'attention du sujet sur une information perçue par les systèmes auditif et visuel. Les expériences visuelles en particulier peuvent « étoffer » l'impression de présence et lui donner une substance et une forme apparentes. La sensation d'une présence sans corps peut par la suite s'affaiblir et donner lieu à des expériences de perception plus tangibles. Cela peut expliquer pourquoi, à l'inverse de certaines autres expériences hallucinatoires, l'impression de présence était quelque peu moins fréquente dans les comptes rendus plus détaillés que dans les témoignages plus succincts.1

L’hallucination se greffe donc sur une impression (ombre, bruit léger…), et lui donne une consistance beaucoup plus impressionnante. Ce qui nous intéresse, c’est que cette « forme apparente » dont parle l’auteur est qualifiée d’humaine, ou prend en tout cas une forme humaine. Une des questions les plus importantes à se poser désormais est celle de cet anthropomorphisme d’une forme à priori abstraite, et inexistante hors de l’hallucination. Car si l’image générée par le cerveau se base sur des ombres, on pourrait imaginer celles-ci prendre d’autres atours que ceux d’un être humain, ou de forme humaine. Là où le Moyen-Âge faisait mention de démons, diables

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et autres sorcières, l’époque moderne voit apparaître un nouveau terme : celui de « l’autre », ou « l’intrus ». Cet être halluciné est littéralement quelqu’un ou quelque chose qui ne devrait pas se trouver là. C’est cette image en particulier qui va nous intéresser à présent, et surtout le lien qu’on peut voir entre cette paralysie du sommeil et l’expérience du spectateur de cinéma, élément clé de cette recherche.

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