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D IFFÉRENCES D ’ ÂGE LORS DE LA PHASE D ’ ENCODAGE DE L ’ INFORMATION

CHAPITRE 1. DIFFÉRENCES D’ÂGE EN MÉMOIRE ÉPISODIQUE

1.1. E XPLICATIONS EN TERMES D ’ ÉTAPES DU TRAITEMENT DE L ’ INFORMATION

1.1.1. D IFFÉRENCES D ’ ÂGE LORS DE LA PHASE D ’ ENCODAGE DE L ’ INFORMATION

L’une des hypothèses souvent avancée pour expliquer la baisse des performances en mémoire épisodique des adultes âgés réside dans la phase d’encodage de l’information. Selon Eysenck (1974), les adultes âgés encoderaient moins efficacement de nouvelles informations que les jeunes adultes pour deux raisons. Selon l’hypothèse du déficit de production, les adultes âgés ne traiteraient pas les informations à un niveau sémantique comme le font les jeunes adultes alors qu’ils sont capables de le faire (Craik et Lockhart, 1972). Cela signifie que les adultes âgés s’y prennent autrement que les jeunes adultes mais sont tout à fait capables de mémoriser des informations à un niveau sémantique s’ils sont incités à le faire. Selon l’hypothèse du déficit de traitement, les adultes âgés mémorisent moins d’informations que les jeunes adultes car ils ne sont pas capables de traiter l’information à un niveau sémantique comme le font les jeunes adultes (Eysenck, 1974). L’hypothèse du déficit de production traduit donc un problème au niveau du processus utilisé alors que l’hypothèse du déficit de traitement traduit un problème au niveau de la capacité à utiliser un processus.

Trois types d’études vont être évoqués à présent pour mettre en avant l’importance de la phase d’encodage. La plupart de ces études ont été conduites dans les années 60 et 70. Comme il était

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considéré dangereux à l’époque de demander aux participants de quelle façon ils s’y prennent pour mémoriser, aucune de ces études n’inclut de rapport subjectif sur la façon dont les individus apprennent les informations. En effet, les chercheurs estimaient que ces auto-évaluation seraient entachées d’erreurs en partie parce qu’elles faisaient appel à la capacité d’introspection des participants. Les études présentées ici reposent sur trois types de manipulations expérimentales appliquées lors de la phase d’encodage : les consignes données aux participants, le degré d’association entre les informations à mémoriser, et le temps à disposition pour encoder le matériel.

Effet de la nature de l’apprentissage (intentionnel ou incident)

L’une des méthodes utilisées pour déterminer si les différences d’âge surviennent lors de la phase d’encodage de l’information est de manipuler les consignes données avant la mémorisation. Si les jeunes adultes mémorisent plus d’informations parce qu’ils traitent l’information d’une autre façon que les adultes âgés (hypothèse du déficit de production) et qu’il est possible de s’assurer que les jeunes adultes et les adultes âgés mémorisent une liste de mots de la même manière, nous ne devrions pas observer de différence d’âge sur le nombre de mots correctement rappelés. Plusieurs études ont ainsi comparé les performances de jeunes adultes et d’adultes âgés dans des épreuves d’apprentissage intentionnel et incident. Dans les épreuves d’apprentissage intentionnel, les participants savent avant de commencer l’apprentissage d’une liste de mots qu’ils doivent ensuite en rappeler le plus grand nombre possible. Dans les épreuves d’apprentissage incident, les participants doivent accomplir une tâche avec la liste de mots comme par exemple compter le nombre de lettres dans chaque mot, trouver un deuxième mot qui rime pour chacun des mots ou trouver un synonyme pour chacun des mots. Une fois la tâche assignée accomplie, ils sont informés qu’ils doivent rappeler le plus grand nombre de mots possibles de la liste dans l’ordre souhaité. On parle d’apprentissage incident car les participants ne savent pas que leur mémoire va être testée au moment où ils encodent la liste de mots. Cela permet au chercheur de s’assurer que les participants encodent l’information de la manière désirée. Si l’hypothèse du déficit de production s’avère correcte, on s’attend à ce que les jeunes adultes aient de meilleures performances que les adultes âgés dans la condition d’apprentissage intentionnel mais pas des performances comparables dans les conditions s’apprentissage incident. Si l’hypothèse du déficit de traitement est exacte, on s’attend à des différences d’âge plus importantes dans les conditions d’apprentissage incident de nature sémantique (par exemple, lorsque les participants doivent trouver un synonyme pour chaque mot de la liste) que dans les conditions d’apprentissage incident de nature phonologique (lorsque les participants doivent trouver un mot qui rime avec chaque mot de la liste) ou orthographique (lorsque les participants doivent compter le nombre de lettres dans chaque mot). Cette configuration de résultats indiquerait alors que les adultes âgés ne bénéficient pas autant du traitement sémantique que les jeunes adultes, étant donné que ce dernier est généralement associé à de meilleures performances chez les jeunes adultes qu’un traitement de type phonologique ou orthographique (Craik et Tulving, 1975). Si l’hypothèse du déficit de traitement est exacte, on attend aussi des différences d’âge de même amplitude dans une condition d’apprentissage intentionnel et dans une condition d’apprentissage incident sémantique.

Plusieurs études soutiennent l’hypothèse du déficit de traitement. Eysenck (1974) a montré que les jeunes adultes rappelaient plus de mots que les adultes âgés dans une épreuve d’apprentissage incident de nature sémantique mais rappelaient la même quantité de mots que ces derniers dans des conditions d’apprentissage incident de nature orthographique et de nature phonologique (voir

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également Mason, 1979). Enfin, Light et Singh (1987, expérience 1) comparent les performances de jeunes adultes et d’adultes âgés dans une tâche d’apprentissage incident orthographique (dans laquelle les participants doivent déterminer si le mot présenté comporte des voyelles en commun avec le mot précédent de la liste) et dans une tâche d’apprentissage incident sémantique (dans laquelle les participants doivent déterminer si les mots de la liste sont plaisants ou non). Il ressort à nouveau une différence d’âge significative dans la condition d’apprentissage incident sémantique, ce qui implique que les adultes âgés ne parviennent pas à encoder sémantiquement la liste de mots aussi efficacement que le font les jeunes adultes.

En ce qui concerne l’hypothèse du déficit de production, certains auteurs sont arrivés à la conclusion qu’elle ne permet pas d’expliquer (totalement) la baisse des performances en mémoire épisodique avec l’âge (Burke et Light, 1981 ; Light, 1991). D’une part, comme cela vient d’être évoqué, des différences d’âge émergent dans une condition d’apprentissage incident de type sémantique (Eysenck, 1974 ; Light et Singh, 1987 ; Mason, 1979). D’autre part, certaines études montrent que la différence d’âge entre jeunes adultes et adultes âgés est significative et de même magnitude dans une épreuve d’apprentissage intentionnel et dans une épreuve d’apprentissage incident de nature sémantique dans laquelle les participants ont à générer des associations libres pour chaque mot (Perlmutter, 1978, 1979). Malgré ces résultats qui vont à l’encontre de l’hypothèse de déficit de production, une étude montre que les différences d’âge disparaissent dans une tâche d’apprentissage incident de nature sémantique (Mitchell et Perlmutter, 1986). De plus, lorsque les performances des participants ne sont pas évaluées à l’aide d’une épreuve de rappel libre, mais à l’aide d’une épreuve de reconnaissance, les jeunes adultes ont de meilleures performances que les adultes âgés dans la condition d’apprentissage intentionnel mais des performances comparables dans la condition d’apprentissage incident (Perlmutter, 1978, 1979). Enfin, lorsque les performances en mémoire des jeunes adultes et des adultes âgés sont évaluées dans une épreuve de rappel indicé (Perlmutter, 1979) ou dans une tâche d’apprentissage de paires de mots (Naveh-Benjamin, 2000), la différence d’âge est moins importante dans une condition d’apprentissage incident que dans une condition d’apprentissage intentionnel.

Après avoir passé en revue les études dans lesquelles les consignes de mémorisation ont été manipulées, nous voyons clairement que celles-ci ont une influence sur le nombre de mots rappelés par les jeunes adultes et les adultes âgés. Certaines études vont dans le sens d’un déficit de traitement des adultes âgés. En effet, ils ne rappellent pas autant de mots que les jeunes adultes même lorsqu’ils traitent l’information à un niveau sémantique. Enfin, d’autres études indiquent que les adultes âgés souffrent d’un déficit de production car leurs performances sont comparables à celles des jeunes adultes lorsque le chercheur s’est assuré que les deux groupes d’âge encodent les informations de la même manière dans les épreuves de reconnaissance.

Effet de l’association sémantique des mots

Examinons à présent les études dans lesquelles le degré d’association entre les informations à mémoriser a été manipulé. Tout d’abord, dans l’épreuve d’apprentissage de paires de mots, la magnitude des différences d’âge a été comparée en fonction du degré d’association sémantique entre les mots. Certains auteurs ont fait l’hypothèse que la manipulation du degré d’association entre les mots devrait avoir une influence sur la façon dont les individus encodent les informations à mémoriser. Dans une condition dans laquelle les paires de mots sont sémantiquement liées (par

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exemple, cheval-fer, cage-oiseau), tous les individus devraient encoder les informations à un niveau sémantique. Si l’hypothèse du déficit de production est vraie, les adultes âgés devraient ensuite rappeler autant de mots que les jeunes adultes. Si l’hypothèse du déficit de traitement est vraie, des différences d’âge de même amplitude devraient être présentes quel que soit le degré d’association entre les mots. Elles devraient même être plus importantes dans les listes de paires de mots à fort degré d’association sémantique.

La revue de littérature sur cette question n’apporte à nouveau pas de réponse claire. Certaines études montrent que la différence d’âge est de même magnitude dans une épreuve d’apprentissage de paires de mots sans lien sémantique et dans une épreuve d’apprentissage de paires de mots avec lien sémantique (Craik, Byrd et Swanson, 1987 ; Rabinowitz, Ackerman, Craik et Hinchley, 1982).

Dans la méta-analyse de Verhaeghen et al. (1993), les auteurs parviennent à la même conclusion, à savoir que les différences d’âge sont aussi importantes dans les listes avec un fort degré d’association sémantique entre les mots que dans les listes avec un faible degré d’association entre les mots. Ces études n’apportent donc aucun support à l’hypothèse du déficit de production puisque même lorsque l’encodage se fait probablement sur un mode sémantique pour tous les individus, les différences d’âge dans le nombre de mots correctement rappelés persistent. D’autres études suggèrent toutefois que les différences d’âge sont plus faibles sur les listes de paires de mots liées sémantiquement que sur les listes de paires de mots sans lien sémantique (Canestrari, 1966 ; Rabinowitz, Craik et Ackerman, 1982 ; Zaretsky et Halberstam, 1968). Bien que n’ayant pas comparé directement les effets d’âge dans ces deux conditions, les résultats de Dunlosky et Hertzog (1998) suggèrent également que les différences d’âge sont plus importantes dans une liste de paires de mots sans lien sémantique que dans une liste de mots avec un lien sémantique. Dans une étude assez élégante, Castel (2005) montre même que la différence d’âge disparaît lorsque les informations à mémoriser sont reliées de manière plausible. Dans deux études, des jeunes adultes et des adultes âgés ont pour consigne de mémoriser des aliments et leur prix d’achat. Les prix peuvent être réalistes (par exemple : pain - 2.50 CHF) ou irréalistes (yoghourt - 9.40 CHF). Par la suite, dans un test de rappel indicé dans lequel seul le nom de l’aliment apparaît, les participants essayent de redonner le prix de l’aliment. Dans les deux études, si les aliments sont appariés avec des prix non conformes à la réalité, les jeunes adultes rappellent plus d’éléments corrects que les adultes âgés. En revanche, lorsque les prix sont plausibles, les adultes âgés en rappellent autant que les jeunes adultes.

Effet du temps de présentation des informations

Pour terminer, examinons les études dans lesquelles le temps mis à disposition des participants pour encoder les items a été manipulé. Si les adultes âgés mettent plus de temps pour encoder efficacement les informations que les jeunes adultes (Salthouse, 1980) et que ce phénomène est la cause des différences d’âge en mémoire épisodique, la possibilité de bénéficier d’un temps d’encodage plus long devrait permettre aux adultes âgés d’encoder l’information de manière similaire à celle des jeunes adultes. Nous devrions donc observer des différences d’âge moins importantes à mesure que le temps de présentation des informations augmente.

En fait, contrairement à l’hypothèse susmentionnée, les études ont dans l’ensemble montré que la différence d’âge dans les épreuves de rappel libre est plus importante lorsque les participants disposent de plus de temps pour apprendre (Bunce et Macready, 2005 ; Craik et Rabinowitz, 1985 ; Jackson et Schneider, 1985 ; Rabinowitz, 1989). Par exemple, Craik et Rabinowitz (1985) demandent

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à des jeunes adultes et des adultes âgés de mémoriser une liste de 12 mots. Le rythme de présentation des mots varie de 1.5 secondes à 6 secondes. Dans cette étude, plus le temps de présentation des mots augmente, plus les individus rappellent de mots. Par ailleurs, la différence dans le nombre de mots rappelés entre les jeunes adultes et les adultes âgés est plus importante avec un temps de présentation de 6 secondes par mot qu’avec un temps de présentation de 1.5 seconde par mot. Rabinowitz (1989) a conduit une étude semblable, mais en laissant 5 secondes par mot ou un temps illimité par mot. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre initialement, la différence d’âge quant au nombre de mots rappelés est plus marquée dans la condition de temps illimité. Dunlosky et Hertzog (1998, expérience 2) montrent également que la différence d’âge est plus importante dans une épreuve d’apprentissage de paires de mots lorsque les participants disposent de 8 secondes par paire de mots que lorsqu’ils disposent de 4 secondes par paire de mots.

Pour Bunce et Macready (2005), tous ces résultats semblent indiquer que les jeunes adultes et les adultes âgés traitent superficiellement les informations lorsqu’ils disposent de peu de temps, expliquant par la même occasion que les différences d’âge soient peu importantes. En revanche, avec plus de temps à disposition, les jeunes adultes traitent différemment l’information, ce que les adultes âgés ne font pas ou ne parviennent pas à effectuer. Pour cette raison, même lorsque les adultes âgés disposent de plus de temps pour encoder une liste de paires de mots que les jeunes adultes, ces derniers continuent à obtenir de meilleures performances (voir par exemple, Patterson et Hertzog, 2010).

La seule étude montrant un pattern de résultats différent est celle de Meijer, de Groot, Van Boxtel, Van Gerven et Jolles (2008). Ces derniers montrent que le temps à disposition ne modifie pas la magnitude de la différence d’âge dans le nombre de mots mémorisés. Cela peut être expliqué par le temps de présentation des mots choisi dans leur étude. Celui-ci était beaucoup plus rapide que le temps à disposition choisi dans les autres études (Bunce et Macready, 2005 ; Craik et Rabinowitz, 1985 ; Jackson et Schneider, 1985 ; Rabinowitz, 1989). En effet, chaque mot était présenté durant 1 seconde et l’intervalle interstimulus variait entre 1, 2 et 3 secondes. Il est donc possible qu’avec des temps de présentation aussi rapides ni les jeunes adultes ni les adultes âgés n’aient la possibilité de traiter de manière sémantique les informations à mémoriser.

Après avoir examiné l’influence de trois variables sur les différences d’âge en mémoire épisodique, à savoir la nature de l’apprentissage (incident ou intentionnel), le degré d’association sémantique entre les mots et le temps de présentation des items, nous pouvons affirmer qu’elles ont un impact sur la différence de performance des jeunes adultes et des adultes âgés. Il est néanmoins difficile de départager l’hypothèse du déficit de production de celle du déficit de traitement pour expliquer la baisse des performances en mémoire épisodique avec l’âge. Certaines études tendraient à montrer que les adultes âgés sont capables de traiter les informations de la même manière que les jeunes adultes mais ne le font pas spontanément alors que d’autres tendent à donner crédit à l’hypothèse que les adultes âgés ne sont pas capables de traiter l’information aussi en profondeur que les jeunes adultes.